Entre élan d’émancipation et coups de poignard dans le dos inter-impérialistes ?
Retrait des troupes françaises au Niger
Entre élan d’émancipation et coups de poignard dans le dos inter-impérialistes ?
Le président Macron annoncé Dimanche 24 Septembre, à l’occasion d’une entrevue diffusée sur TF1, que les troupes françaises stationnées au Niger auront quitté le territoire d’ici à la fin de l’année. Cette présence militaire n’était plus consentie, ni par les nouvelles autorités qui se sont installées au pouvoir fin Juillet et ont très rapidement entrepris de dénoncer les accords qui l’encadraient, ni par de larges franges des masses nigériennes qui manifestent depuis deux mois, sans se lasser le moins du monde, contre cette présence.
Par la même occasion, on rappelle l’ambassadeur et quelques membres du personnel diplomatique. Son Excellence avait récemment été déclarée persona non grata par les autorités nigériennes, mais Macron avait cru astucieux de mettre potentiellement en danger du personnel diplomatique en incluant son maintien dans son bras de fer avec les militaires de Niamey… Encore une occasion de constater la dramatique inculture du chef de l’ État en matière de diplomatie (à moins qu’il ne s’agisse de sabotage?), qui arguait que Monsieur Sylvain Itté (l’ambassadeur) avait été mandé auprès de M. Bazoum (le président déchu) et ne pouvait donc pas se plier à une expulsion éxigée par un gouvernement considéré comme illégitime. Y’aurait-il besoin d’un doctorat en relations internationales pour savoir que les ambassadeurs officient d’ État à État et non de chef d’ État à chef d’ État ?
Qui se dit internationaliste et anti-impérialiste peut se réjouir d’une telle issue. Bien évidemment, cette décision ne doit rien à une quelconque prise de conscience philanthropique de la Macronie – et ce ne sont pas les discours lunaires du locataire de l’ Élysée évoquant une « alliance des pseudos-panafricanistes et des néo-impérialismes » (sic) qui nous feront prendre des vessies pour des lanternes. Cette décision était certainement la seule possible ; d’ailleurs, il se lit ça et là que le Quai d’Orsay se dit soulagé, mais y voit un aveu d’impuissance1…
Les affligeantes sorties paternalistes (au moins) de Macron n’ont vraisemblablement pas aidé à une amélioration de l’image de la France officielle dans la région. On se souviendra par exemple de la fameuse réprimande administrée par Félix Tshisékédi, président de la RDC, à son homologue français qui s’était senti le droit de railler ce pays martyr ne parvenant pas à retrouver sa souveraineté et prétendant – il y a de ces insolents ! – ne pas endosser l’entière responsabilité de cet état de fait. Ou de la séquence électricité et climatisation face (du moins jusqu’à ce qu’il préfère quitter la salle) à l’ancien président burkinabé… Une pitoyable image qui n’est peut-être pas étrangère aux atermoiements de la CEDEAO, qui agite la menace d’une intervention armée au Niger depuis assez longtemps pour qu’elle ne se soit pas émoussée. En cette période où les fauteuils présidentiels ont tendance à vaciller, même des potentats comme Alassane Ouattara ou Patrice Talon, pourtant peu enclins en général à se soucier des murmures de la rue, ont dû penser que l’opinion publique revêtait assez d’importance pour ne pas lui donner à moudre le grain que serait d’attaquer militairement un pays voisin, pour défendre le quasi-ultime pré-carré français. Du reste, le Sénat nigérian a fait faux bond à son président Bola Tinubu, très belliqueux au lendemain du putsch de Niamey, en ne ratifiant pas la possibilité d’une telle aventure. Une coalition militaire ouest-africaine sans la participation du Nigéria, de loin le pays le plus peuplé de la CEDEAO avec ses plus de 200 Millions d’habitants, il faut reconnaître que ça aurait perdu en charisme. Et pour ne rien arranger, le parti politique de l’ex-Président Bazoum (PNDS / Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme) s’est déclaré favorable à une issue pacifique.
Les trois pays ayant précédé le Niger dans l’expulsion de troupes françaises (Mali, Burkina-Faso, Guinée) avaient quant à eux déclaré qu’ils considéreraient toute attaque contre leur voisin comme dirigée contre eux et se porteraient à son secours le cas échéant. D’ailleurs le Mali, le Burkina-Faso et le Niger ont signé mi-Septembre un accord tripartite (la Charte de Liptako-Gourma2). Certes, il ne s’agit pas d’une alliance militaire automatique, mais l’accord comporte néanmoins un volet traitant de coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
Difficile dans ces conditions de continuer à montrer ses muscles. Le président français aurait pu s’en tirer par la sobriété d’une déclaration prenant acte de la décision d’un État souverain etc. Il a préféré bouder. En gros : finalement tant pis pour eux, qu’ils se débrouillent avec leurs djihadistes. Des esprits facétieux seront tentés de préciser que c’est la désastreuse et criminelle opération en Lybie qui a ouvert la boîte de Pandore, ou que laissait au moins songeur le fait qu’une armée somme toute puissante et équipée de matériel dernier cri ne soit pas arrivée, en plus de 10 ans, à beaucoup de résultats, contre des combattants largement moins bien dotés et dans un environnement où le moindre deux-roues provoque une colonne de poussière repérable à des kilomètres…
D’autant plus difficile enfin, que le soutien de l’autre impérialisme présent dans le pays, et supposément allié, n’a pas été au rendez-vous.
L’armée américaine déploie en effet 1000 soldats au Niger, et sa base d’Agadez est la deuxième d’Afrique dédiée aux drones. La position du Département d’État, dans l’immédiat après-putsch de Juillet, était sensiblement la même que celle de la France : retour à l’ordre constitutionnel, réinstallation du président Bazoum. Avec ça, pas défavorable aux sanctions et blocus économiques ( bon sang ne saurait mentir ! ) qui privent depuis deux mois ce pays désertique parmi les plus pauvres du Monde de nourriture, de médicaments, d’électricité etc. Cette position s’est néanmoins adoucie, abandonnant d’abord l’exigence d’un retour du chef de l’État déposé, puis déclarant « observer la situation avec inquiétude » – entendre : avoir pris acte de la nouvelle situation. Enfin, une claire opposition à l’éventualité d’une intervention militaire. On a connu l’Oncle Sam plus impitoyable…
Le Général de Brigade Abdourahmane Tchiani, chef de file des militaires nigériens, a certes bénéficié d’une formation dispensée par l’armée US. La possibilité d’une connivence, à une échelle plus ou moins large, n’est pas à écarter absolument ; mais il serait hasardeux d’en tirer des conclusions péremptoires. Et l’on a pu voir par le passé des militaires ayant suivi un stage dispensé par la puissance coloniale ou néo-coloniale entamer néanmoins le bras de fer contre elle. Possible également que les caciques du PNDS (à propos, le S. n’est pas contractuel) aient choisi de lâcher M. Bazoum en rase campagne et fait des propositions de service au potentiel nouveau maître impérialiste. La loyauté étant rarement la première qualité des bourgeoisies compradores…
Du point de vue étatsunien, se voir poussés vers la sortie signifierait certainement l’arrivée du groupe Wagner, ou du moins d’instructeurs militaires russes, avec les intérêts de Moscou dans leur sillage ; voire celle des propositions de coopération chinoises. Un cauchemar ! Plus important, les récentes évolutions du contexte géopolitique à l’échelle mondiale contraignent l’impérialisme US à un minimum de pragmatisme, et le succès du dernier sommet Russie-Afrique a montré l’attrait que suscite la puissance eurasienne. En tout cas plus que la traditionnelle stratégie US du « Big Stick » (soyez gentils et obéissants ou je tape ! ). La dédollarisation en cours de l’économie mondiale promet de connaître un nouvel élan avec l’élargissement récent des BRICS ; l’Arabie Saoudite, jusqu’à très récemment allié obéissant et fournisseur indéfectible de pétrole à l’Oncle Sam, semble de plus en plus vouloir faire les choses à son idée (refus opposé à Joe Biden qui lui demandait d’augmenter sa production, puis réconciliation avec l’Iran par l’entremise de la diplomatie chinoise). Il devient urgent de mettre la main sur de nouvelles sources d’approvisionnement en hydrocarbures, et le Niger est en passe d’augmenter sa production une fois terminée la construction d’un oléoduc.3
Allons plus loin encore. Un des enjeux de la géostratégie menée par l’impérialisme US à la tête de l’OTAN était de briser la synergie énergie russe bon marché / industrie allemande, qui représentait une concurrence sérieuse pour les monopoles américains. Les déclarations de stratèges américains tels Wolfowitz ne manquent pas à ce sujet. Cet objectif étant atteint (sabotage de NordStream), il ne serait pas étonnant que l’hégémon US en perte de vitesse entende maintenant tailler des croupières à son subalterne (et sous-traitant) français, dont le contrôle sur une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest et Centrale constituait traditionnellement une assise très confortable pour mener ses propres intérêts capitalistes-impérialistes. Que l’on songe seulement à cette institution anachronique, mais encore terriblement efficace, du franc CFA !
Les masses nigériennes ne s’y sont pas trompées, qui n’ont pas lâché la rue pour exiger le départ du contingent français présent dans leur pays. Il serait surprenant qu’après autant d’opiniâtreté, leur attention ne soit pas attirée par la présence militaire US, qui ne bénéficiera plus du paravent que constituait celle de l’ancienne puissance coloniale. Après tout, un peu de bon sens et quelques décennies de déception néo-coloniale sont de nature à permettre l’intuition qu’il vaut mieux couper l’ ennemi en tranches pour l’attaquer bout par bout, et profiter des contradictions inter-impérialistes.
Le regretté Samir Amin aimait raconter l’histoire du voyage en avion de Nasser et Zhou Enlai se rendant à Bandung. Le président égyptien aurait déclaré : « Nous n’avons qu’un seul ennemi, la Grande-Bretagne ! ». Ce à quoi le dirigeant chinois aurait répondu, dans son demi-sourire aucunement sarcastique : « Vous avez le même ennemi que tout le monde : le chef de file des impérialistes, les États-Unis d’Amérique ! ». En clair, prenez garde de ne pas avoir un impérialisme de retard…
Le devoir de tout anti-impérialiste en France demeure d’appliquer le précepte de Karl Liebknecht : « l’ennemi principal est dans ton propre pays », et donc de combattre principalement notre propre impérialisme. Mais il est aussi d’appeler et de travailler à la renaissance de l’Internationale Communiste, outil nécessaire si ce n’est indispensable pour guider les peuples en lutte et leur donner les moyens de conjurer, collectivement, les désillusions sur lesquelles risquent de déboucher, qu’on le veuille on non, des insurrections certes bienvenues et salvatrices mais encadrées finalement par des militaires. Malheureusement, aucune pointe rouge à l’horizon du bouillonnement actuel en Afrique de l’Ouest, quand les organisations révolutionnaires ne sont pas simplement pourchassées par les autorités dites de transition, comme nos camarades du Parti SADI au Mali. Au-delà de la colère, légitime, suscitée par le responsable le plus visible des problèmes de cette région, l’enjeu de l’émancipation réelle du continent requiert le plus de lucidité collective possible, et de stratégie consciente…
Hubbard, pour la Commission Culture
1 – https://www.marianne.net/monde/afrique/retour-de-lambassadeur-mais-retrait-du-niger-le-quai-dorsay-entre-soulagement-et-fatalisme
2 – https://www.diasporaction.fr/la-charte-du-liptako-gourma-un-engagement-tripartite-pour-la-stabilite-et-le-developpement/#:~:text=La%20signature%20de%20la%20Charte%20du%20Liptako-Gourma%2C%20marque,gestion%20des%20ressources%20naturelles%20et%20de%20la%20gouvernance.
3 – https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230808-coup-d-%C3%A9tat-au-niger-la-manne-financi%C3%A8re-des-hydrocarbures-menac%C3%A9e-par-les-sanctions