L’étrange voyage de Jean-Luc Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon était en visite en République Démocratique du Congo à la fin du mois d’Octobre, accompagné d’une petite délégation de cadres de La France Insoumise impliqués dans le travail politique et parlementaire en lien avec les affaires étrangères. Il a prononcé entre autres un discours d’une trentaine de minutes devant l’Assemblée Nationale1 ainsi qu’une allocution d’un quart d’heure devant le mausolée contenant les restes récemment rapatriés de Patrice Lumumba2.
Saluons l’initiative d’un dirigeant politique français d’opposition bénéficiant d’une large audience dans notre pays, dont une des teneurs était de dénoncer les manigances et les manœuvres du Rwanda de Paul Kagamé. Le petit voisin de cet immense pays se livre en effet depuis plusieurs décennies à des opérations de déstabilisation dans l’Est de la RDC, entretenant et épaulant même militairement de soi-disant rebelles3. Le tout afin de maintenir un chaos qui favorise le pillage du riche sous-sol congolais, un pillage qui n’est sans doute pas pour rien dans les considérables exportations par le Rwanda de minerais inexistants sur son territoire…. Et force est de constater que jusqu’ici beaucoup de nos ténors de « gauche » observaient un silence complice à propos des agissements du chef de l’État rwandais, probablement désorientés par les interprétations partielles qui ont cours dans les milieux plus ou moins progressistes français des abominables évènements du début des années 90.
Comme le signale Jean-Luc Mélenchon, cette visite à Kinshasa fait également suite à une proposition de résolution déposée par ses camarades à l’Assemblée Nationale, qui propose de reconnaître officiellement le rôle du Rwanda dans les malheurs interminables de l’est de la RDC. Soutenue à l’heure actuelle par seulement 75 signatures de parlementaires, il semble que cette résolution, pourtant appuyée sur la position officielle des Nations Unies, ne suscite pas le même enthousiasme que les plus récentes reconnaissant l’Holodomor, et avant cela reconnaissant le prétendu génocide des Ouïgours – celle-ci ayant été signée par certains de ses camarades alors députés, rappelons-le…
Pourtant, si l’initiative est bienvenue, il regrettable que le leader de la France Insoumise se réserve le soin de dénoncer la situation congolaise pour son déplacement, sans profiter de ses fréquents passages dans les grands médias hexagonaux pour en informer ces concitoyens ; on pouvait déjà faire cette constatation il y a quelques années lors de sa tournée en Amérique du Sud. Il est vrai qu’il y a fort à faire avec la situation française, beaucoup à dire aux français sur leur situation. Mais en tant, comme il se définit lui-même, qu’internationaliste et adepte du matérialisme historique, n’est-il pas nécessaire de saisir toutes occasions d’informer les masses des difficultés traversées par des pays comme la RDC, en liant ces difficultés à celles des travailleurs français ?
(O)Mission diplomatique ?
C’est que ce lien a un nom : l’impérialisme, qui malmène les populations en son centre et à sa périphérie selon la logique du mode de production, le capitalisme, sur lequel il est adossé et qui le sécrète. Jean-Luc Mélenchon sait tout cela, sans l’ombre d’un doute. Mais l’on cherchera en vain la moindre allusion à ce phénomène dans sa dénonciation du sort actuel de la RDC, et de l’Afrique en général. La nécessité de parler « dru et cru », à l’image d’un Patrice Lumumba4, a beau être affirmée par l’orateur devant le mausolée du premier dirigeant du Congo ex-belge, les « grandes puissances » ne seront évoquées, sous ce terme pudique, que pour leur manipulation du fait tribal à des fins de division, hier et encore aujourd’hui, transfigurée dans le choc des civilisations auquel leurs dirigeants nous invitent. Mettons que ce soit déjà quelque chose ; pour être juste, ces puissances ne sont pas non plus absentes de son discours devant l’Assemblée Nationale, désignées comme pillant volontiers le sous-sol et le vivant. Cet énoncé vient cependant au cours d’un raisonnement politique propre à laisser dubitatif, que nous aborderons plus loin.
Du reste si l’impératif de « chercher la vérité et la dire », pour résumer le propos du tribun, s’impose aux militants progressistes, ce n’est pas parce que cette vérité serait révolutionnaire ; non, c’est voyez-vous parce que seule cette franchise permet d’affronter les contradictions, et de les dénouer…. Ainsi, paraît-il, de Patrice Lumumba, qui transgressa les usages implicites lors de son discours d’indépendance en dénonçant le colonialisme. Un colonialisme qu’on finirait par croire quasiment relégué dans un passé révolu ; à croire qu’un Rwanda de moins de 10 millions d’habitants agresse depuis plusieurs décennies un Congo de 100 millions par et de lui-même. Dussions-nous considérer que la taille de la RDC la rend dans un certain sens moins agile pour se défendre contre un petit adversaire rapide, tout ceci rend paradoxalement cette reconnaissance du Rwanda comme agresseur humiliante pour les congolais…
Mieux, Patrice Lumumba nous sera même présenté comme affrontant courageusement les contradictions au point de tenir à être démocratiquement mis à la tête du nouvel Etat, accession démocratique qui « augmente d’autant le poids du crime de son assassinat »5. Jean-Luc Mélenchon conserve-t-il tant de sa jeunesse lambertisme l’amour des révolutions ratées qu’il lui est impossible d’envisager que ces atermoiements démocrates, dans l’extrême adversité du contexte, furent d’une candeur de nature à favoriser la fin dramatique du dirigeant congolais ? A l’heure où une partie grandissante des jeunesses africaines conteste ce formalisme de la démocratie européenne, l’identifiant soit comme cheval de Troie des manœuvres impérialistes, soit comme facteur de paralysie, on reste songeur…
Étrange absence de prise en compte de l’opinion africaine également quand Mélenchon établit, devant l’Assemblée Nationale, un parallèle entre le conflit congolais-rwandais et le conflit russo-ukrainien : « Nous ne sommes pas équidistants entre le Congo et le Rwanda. Dans cette affaire, le Congo est agressé ; et nous disons à nos collègues [en France] que ce qu’ils trouvent normal pour l’Ukraine doit l’être aussi pour la RDC. ». C’est logique. Où l’on voit que l’absence du matérialisme dialectique quand Mélenchon définit son école de pensée comme « matérialisme historique » n’est pas un oubli ; ainsi, pour l’analyse du présent, on s’appuiera sur la logique formelle, pure, et décontextualisée. L’opinion africaine pourtant, d’accord avec celle de ce que l’on appelle le « Sud global », les parlementaires congolais mêmes – qui ne manifestent guère d’enthousiasme pour cette analogie – faisant davantage œuvre de dialectique que le volontiers marxiste Mélenchon, savent bien de quoi il retourne entre la Russie et l’Ukraine. En témoignent notamment les votes de l’Assemblée Générale de l’ONU et les manifestations pro-russes ayant lieu dans de nombreux pays d’Afrique – quand bien même elles témoignent d’un espoir et d’un enthousiasme un peu trop rapides. Comment penser sérieusement que la logique stérile du c’est-lui-qui-a-commencé puisse occulter au yeux des congolais le fantastique soutien médiatique, militaire, financier apporté par l’Occident à l’Ukraine, quand ils doivent se contenter de voir leur agresseur s’en tirer avec de molles réprimandes ?
Ou visite officielle du non-président français ?
Comme c’est l’usage pour un politicien d’opposition en visite à l’étranger, Jean-Luc Mélenchon ne cite à aucun moment nommément son chef d’État ; qu’à cela ne tienne, le souvenir de la dernière et navrante visite d’Emmanuel Macron en RDC est certainement encore assez vif pour que son assurance de ne pas vouloir donner des leçons ne laisse que peu de doute sur celui qui est visé. Espérons-le du moins…
Cependant, de pudeur en pudeur, sur le rôle des puissances impérialistes, leur paternalisme et celui du Président français en particulier, on finit par avoir du mal à comprendre le but de ce voyage. Certes le soutien de celui qui reste la figure de proue de l’opposition de gauche en France est le bienvenu pour ce pays en proie à de gigantesques défis qu’il ne s’est pas tous imposés lui-même ; mais en l’absence d’une campagne de sensibilisation massive dans notre pays au retour de cette tournée, ce soutien ne promet pas d’être d’une grande aide…
A moins que finalement, et c’est la que l’on commence à se frotter les oreilles, ce ne soit pas les congolais, mais nous français qui ayons besoin d’aide. Et de la leur encore ! Vous avez bien lu ; précisément nous allons avoir besoin de leur aide. Puisque nous sommes une nation vieillissante par rapport à leur vitalité démographique, une vitalité qui leur permettra l’inventivité nécessaire pour relever les défis du 21e siècle. Un retournement, avec sa référence à l’aide au développement à propos de laquelle plus grand monde ne se fait d’illusion, qui pourrait être intéressant. D’autant plus si on le transforme en une coopération libre dont les possibilités s’ouvrent avec la fin du monde unipolaire – ce que fait Mélenchon, même s’il va un peu vite en besogne en parlant d’un monde « apolaire »…
Mais un retournement bien maladroit puisque l’outil invoqué pour dessiner cette enthousiasmante perspective s’avère être….la Francophonie ! Comme illustration du « non-alignement » – dada conceptuel actuel, et pas forcément dénué de pertinence, de Mélenchon – on a vu mieux. Une francophonie qu’il faut évidemment réformer, même si on en saura pas plus. Mais surtout, quelle France initiera cette nouvelle Francophonie des peuples non-alignés ? Pas celle de Macron, c’est certain, et gageons que Mélenchon nous accordera ce point. La future et éventuelle France de Mélenchon alors ? Si elle reste soumise aux multinationales par le truchement de l’Union Européenne, toutes ces bonnes volontés ne vaudront pas grand-chose…
Il serait tout de même saugrenu d’imaginer que cette visite s’inscrit dans un début de campagne électorale, pour des élections présidentielles qui auront lieu dans 4 ans.
Alors quoi ? « Soyez non-alignés, mais ne vous éloignez pas trop, j’arrive ! », serait le message politique de cette visite ?
On veut bien que « les circonstances [aient] créé un impératif Lumumba », quoique qu’il nous semble qu’il s’imposait dès les grotesques et sanglantes années Mobutu, mais le héros de l’Indépendance n’insistait-il pas sur la priorité à donner aux échanges et au développement inter-africain en priorité ?
« Faites mieux ! », nous répliquera-t-il peut-être…
Hubbard, pour la Commission International
1– https://www.youtube.com/watch?v=Szw3S8kUqyA&pp=ygUNbWVsZW5jaG9uIFJEQw%3D%3D
2– https://www.youtube.com/watch?v=2s4qAL4V2l4&pp=ygUNbWVsZW5jaG9uIFJEQw%3D%3D
3– https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/afrique-les-fantomes-de-la-rd-congo/
4– https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/patrice-lumumba-treize-hommes-pour-un-crime-detat-et-une-lecon-majeure-pour-le-panafricanisme-socialiste/
5– Et mathématiquement, cela allège donc la gravité des assassinats des dirigeants africains qui, estimant que la légitimité de leur formation politique avait été recueillie dans la lutte et qu’il y avait plus urgent en ces temps difficiles d’accession à l’indépendance, n’avaient pas reçu l’onction électorale ?