Marie Debs qui a été secrétaire générale du Parti Communiste Liban et qui est Coordinatrice du Forum de la gauche arabe analyse pour www.initiative-communiste.fr le journal du PRCF le résultat des élections législatives au Liban.
Les élections législatives au Liban
Selon la constitution libanaise, le mandat des députés est de quatre ans ; cependant, les élections législatives de 2018 ont eu lieu neuf ans et quelques mois après celles qui avaient eu lieu en 2010, à la suite de deux prolongements soi-disant dus à la situation qui prévalait en Syrie et dans la région et dont l’élément perturbateur était, bien entendu, la présence de Daech à nos frontières.
La vérité est tout autre.
En effet, les différentes factions de la bourgeoisie libanaise, celle appuyée par l’Arabie saoudite et l’ensemble de la réaction arabe et celle mise sous la protection de la Syrie et de l’Iran, ont différé à plusieurs reprises les élections tant présidentielles que législatives dans l’attente de voir lequel des deux camps régionaux, présidés l’un par Washington et l’autre par Moscou, allait avoir le dessus. En même temps, les représentants de la bourgeoisie libanaise au pouvoir cherchaient le moyen le plus efficace de faire durer le régime « confessionnel » libanais, constitué sous le Mandat français et qui leur avait donné les pleins pouvoirs depuis 1943 grâce au partage du « fromage » de l’Etat entre les grandes confessions religieuses.
Ce moyen fut, enfin, trouvé le 14 juin 2017, huit mois à la suite du consensus irano-saoudien (soutenu par les grandes puissances internationales) qui permit, tout d’un coup, l’élection du général Michel Aoun à la présidence de la République et la nomination de Saad Hariri à la tête du gouvernement, mais aussi quelques jours seulement avant la fin du mandat prolongé pour la seconde fois.
Que contient « la nouvelle loi électorale » votée le 14 juin ?
Il faut préciser que la nouvelle loi était, en réalité un amalgame de plusieurs projets déjà présentés par les gouvernements successifs depuis 2010 ainsi que des propositions faites par certains groupes parlementaires. Mais, un fil conducteur reliait tous ces projets : plus de confessionnalisme, allant dans le sens de permettre aux leaders déjà en place d’y rester ou d’y mettre leur progéniture et quelques acolytes.
La loi divisait le Liban en 15 circonscriptions inégales, tant en étendue que sur le plan du nombre d’électeurs. Des petites circonscriptions de 4 députés côtoyaient d’autres où il faut élire 10 ou 13 représentants, toutes ces circonscriptions ayant une forte majorité confessionnelle, chrétienne ou musulmane. Quant à la capitale Beyrouth, elle fut divisée en deux parties suivant la ligne de démarcation qui caractérisa la guerre civile : la première circonscription, à totalité chrétienne et la seconde à forte majorité musulmane/
Mais les méfaits ne s’arrêtent pas là. En effet, et en plus des différences dans l’ordre de grandeur et, surtout, sur le plan confessionnel qui fausse toutes les données, la nouvelle loi introduit une proportionnelle tout à fait étrange, basée sur la liste fermée et le vote préférentiel avec un quotient mobile résultant de la division du nombre des votants dans chaque circonscription par le nombre de députés, ce qui veut dire que dans certaines circonscriptions, il aurait fallu aux listes avoir 13 pour cent des votants afin de pouvoir obtenir un siège !!!!
Confessionnalisme, donc, mais aussi une panoplie d’outils politiques complémentaires.
À tout cela, il faut ajouter le pouvoir de l’argent contenu dans l’article 61 de la nouvelle loi qui permet au candidat comme à la liste sur laquelle il se trouve de dépenser des sommes importantes, en plus des services que des ONG appartenant aux candidats et légalisées depuis trois ans au moins peuvent rendre aux électeurs.
En résumé, la nouvelle loi a tous les défauts.
Dans ces conditions, quels résultats espérer ?
Les forces démocratiques prônant le changement n’ont, donc, pas beaucoup de chances avec la nouvelle loi. D’où la nécessité de l’amender dans le sens du contenu de la constitution, votée en l’an 1989 à la suite de l’Accord de Taëf, qui préconise la suppression du confessionnalisme politique et que les instances parlementaires et gouvernementales libanaises n’ont jamais appliquée. Sinon, ce sera un retour à la case de départ, c’est-à-dire au renforcement du confessionnalisme en politique.
Le PCL aurait-il dû s’abstenir de participer aux élections ?
Oui, si l’on considère les complications de la nouvelle loi et, surtout, la décision de son onzième congrès de boycotter toute élection reposant sur une loi confessionnelle. Surtout que de nombreuses forces de gauche et presque tous les groupes de ce qu’on appelle « la société civile » étaient déjà sous les différentes ombrelles des deux factions de la bourgeoisie libanaise, abritées elles-mêmes sous les deux ombrelles de l’Arabie saoudite et de l’Iran.
De plus, les représentants de cette « société civile » ont, au lieu de s’unir, multiplié les listes ; ce qui a créé une grande confusion dans les rangs de ceux qui devaient, en principe, s’opposer au régime. Ces représentants ainsi que les communistes n’ont pas beaucoup tenu compte de la voix préférentielle ou du quotient, ce qui a donné de piètres résultats à leurs candidats face aux « bulldozers » confessionnels qui ont réussi à investir toutes les circonscriptions et à récolter la majeure partie du scrutin. D’ailleurs, les listes des partis confessionnels, tant chrétiens que musulman (dont le parti du président de la République, les Forces libanaises, le parti du Futur de Hariri, le mouvement AMAL et le Hezbollah) ont raflé une grande majorité des places au parlement, y compris celles obtenues par quelques « indépendants » qui s’étaient glissé dans les listes de l’alliance entre communistes et certaines ONG.
D’où le parlement nouvellement élu est fait à l’image du parlement sortant, et les nouveaux groupes parlementaires ressemblent en tous points, ou presque, à ceux qui le précédèrent. Ce qui veut dire que la loi électorale ne pourra pas être amendée au sein du nouveau parlement et qu’il n’y aura pas, selon toute éventualité, de grandes possibilités de la changer dans le sens de l’application de la constitution quant à la suppression du confessionnalisme…
La seule issue reste dans les luttes de masses qui peuvent aboutir à la création d’une opinion publique forte et décidée.