Certains de nos lecteurs ont sans doute suivi avec intérêt les notes de voyage publiées par J. Wachil au printemps 2018. Retour sur ce périple avec un témoignage au plus près des faits, loin des éléments de propagande diffusés par les propagandes occidentales.
Comme en avril 2017, notre voyage fut organisé par une petite association humanitaire de Syriens de France. L’objectif du déplacement était de témoigner notre solidarité avec le peuple syrien. Dans ce cadre, il s’agissait de faire parvenir des médicaments aux hôpitaux syriens mais aussi de visiter des victimes civiles et militaires.
Deux faits importants pour la suite du conflit venaient de se produire :
les dernières poches des rebelles de la Ghouta, autour de Damas, tombaient. Ces groupes faisaient peser de graves dangers sur la population de Damas en raison de tirs de roquettes à l’aveugle sur la ville.
Suite à l’accusation d’utilisation de gaz par l’armée arabe syrienne, les USA, le Royaume-Uni et de la France venaient de lancer des frappes sur la Syrie quelques jours plus tôt sans preuves ni mandat international.
Malheureusement, nous n’avons pas pu nous rendre à la Ghouta encore zone militaire et aucun taxi n’a voulu prendre le risque de nous y conduire. Nous avons essayé de regrouper des témoignages en les recoupant avec les medias locaux et russes. Le nombre d’habitants résidant dans cette région fut très fluctuant en fonction des interlocuteurs. On parle de quelque 60 000 personnes « retenues » pour peut-être un total de 2000 à 3000 combattants islamistes. Ces derniers, très schématiquement, se diviseraient en deux groupes dominants. Il y a ceux qui voulaient rejoindre la zone d’Idlib non encore contrôlée par le gouvernement. Nous les appellerons les « pro-Turcs », et ceux qui se regroupent dans le camp de Jarablosles les « pro-Saoudiens ». Dans ce type de négociations, les Russes sont à la manœuvre. Ils appliquent les accords d’Astana du nom de la capitale du Kazakhstan où ont lieu les discussions entre les Russes, les Iraniens et les Turcs. Les Occidentaux ont refusé d’y participer. Ces trois puissances régionales organisent ensemble les « zones de désescalade ». Généralement c’est la police militaire russe, qui a pour interlocuteurs les officiels Onusiens, le CICR et le Croissant Rouge. Ensemble ils organisent les transferts en car des combattants (et de leur famille) qui déposent les armes. Certains, s’ils sont volontaires, peuvent rejoindre le Yémen pour les pro-Saoudiens ou renforcer les milices pro-turques contre les Kurdes de l’YPG.
Ces milices, avec l’aide de spécialistes occidentaux, avaient construit de véritables villes souterraines avec poste de commandement, salles de réunion sécurisées et des hôpitaux avec des galeries où des véhicules automobiles pouvaient circuler. Elles attendaient le moment favorable pour prendre Damas. Les événements de la Ghouta nous ont confirmé que les différentes zones soumises aux milices terroristes n’étaient pas étanches. Les marchandises et les ravitaillements passent. Il suffit à un commerçant de payer au barrage d’une faction de sa région occupée pour rentrer en zone gouvernementale. Certains fonctionnaires, clandestinement, ont pu rejoindre chaque mois leur administration et rendre compte de leur situation afin de pouvoir continuer à toucher leur salaire. Bien sûr cela demande beaucoup de temps et d’énergie car il faut effectuer de nombreux détours pour éviter que les différentes milices islamistes connaissent votre destination finale.
Déjà, en mars 2017 et suite à la libération de la partie des quartiers Est, nous avions pu entrevoir les dommages de l’appareil productif de la région d’Alep. En avril 2018, avec le concours de la chambre de commerce et d’industrie, nous avons pu visiter l’immense périmètre de 4400 ha qui a représenté la première zone industrielle du monde arabe. Elle est à présent détruite à plus de 90 %. Les machines ont été volées et transportées en Turquie. Le matériel qui n’a pas pu être emporté a été systématiquement et méthodiquement détruit. Cependant nous avons pu noter la grande détermination du patronat local à vouloir reconstruire. Ils nous ont expliqué qu’ils veulent privilégier l’auto-investissement sans attendre des aides extérieures (chinoises ou russes). Ils nous ont affirmé que les banques locales les soutenaient mais nous n’avons aucune information sur leurs réelles capacités financières devant cette tâche qui nous parait immense. Déjà pour redémarrer quelques petites unités comme le textile, la pâte à papier et un peu de métallurgie, les difficultés demeurent grandes. Le pays est soumis à l’embargo de l’ensemble des pays occidentaux et les pièces manquent, notamment sur les systèmes informatiques de pilotage. Les machines étaient Italiennes, suisses, allemandes et parfois turques. Cette concentration industrielle représentait, avant la guerre, 50 000 emplois. Des logements situés dans des cités neuves et bien équipées permettaient aux ouvriers de vivre à proximité des lieux de production. Environ 10 000 employés seraient restés. Ils vivent de manière précaire dans les ruines de bâtiments réparés à la hâte. Les autres auraient pris la direction de la Turquie pour survivre en constituant une main d’œuvre peu chère au service du patronat turc.
À noter qu’à la lisière du quartier kurde d’Alep, nous avons croisé un bataillon féminin des YPG. Manifestement, les relations entre PYD/YPG et les autorités syriennes semblent bonnes ici. L’armée syrienne et les YPG se sont coordonnées pour reprendre ce secteur aux « rebelles syriens » et les YPG jouent dans le quartier kurde le rôle joué ailleurs par les milices locales d’autodéfense. Nous verrons plus loin comment, dans le même esprit, différents partis politiques ou organisations, considérés comme patriotes, ont pu organiser des groupes d’autodéfense autonomes.
Comme l’an passé, nous étions libres de circuler et de parler. Certains participants parlaient l’arabe, ce qui favorisait les échanges. Nous avons emprunté les cars et les taxis locaux, mélangés avec la population syrienne. Les seules restrictions dans les déplacements étaient liées aux risques pour notre sécurité.
Partout nous avons pu constater un grand élan patriotique qui nous avait paru bien moins évident l’an dernier. En écho à cela, on nous a expliqué que la corruption avait coûté très cher au pays tout en reconnaissant que le conflit aura eu pour effet de « purger » l’appareil d’État sur ce plan. On évoque au début du conflit des complicités dans des rentrées de matériel militaire par des frontières trop poreuses et des ventes d’armes entre groupes terroristes avec l’enrichissement rapide de certains et la vie très difficile pour les autres.
Le meilleur exemple de cette mobilisation de l’ensemble du peuple nous a été montré, au retour d’Alep, dans un village entre Hama et Lattaquié. Là, nous avons visité l’association des « mères de martyrs ». Ce village « mixte » a une population à la fois musulmane, de confessions sunnite, alaouite et des familles chrétiennes orthodoxes mêlées.
Ce comité de veuves, mères ou sœurs de martyrs tombés ou gravement blessés au front, organise des repas pour les soldats, en grande majorité des conscrits puisque l’armée syrienne est une armée de conscription. Cette association cuisine quotidiennement et bénévolement plus de 300 plats pour améliorer la nourriture des mobilisés, en position sur le front d’Idlib distant d’une trentaine de kilomètres.
Le plus dur pour nous fut la visite des parents et des enfants de soldats morts ou disparus. Tous ont montré une grande dignité dans leur peine mais nous avons mesuré par cette démarche le lourd tribut payé par la jeunesse syrienne dans son combat contre le terrorisme et pour l’indépendance nationale. La moindre petite bourgade a sa dizaine de tués. Cela nous est signalé par la photo du disparu bien en évidence et proche de son domicile. Beaucoup de ces morts et blessés sont intervenus en 2013, qui fut visiblement une « année noire » pour l’armée syrienne.
En fin d’après-midi, la milice d’autodéfense locale nous a accueillis dans ses locaux. Elle rassemble les « notables » du village : le député du district, le maire, un prêtre, le directeur de l’école et le responsable militaire. Il y a deux ans encore, ce village était menacé par les groupes armés islamistes. Aujourd’hui, ce danger s’est éloigné, même si une offensive de Daesh, dans les environs peu de temps avant notre arrivée, faisait que les miliciens étaient mobilisés, voire pour partie envoyés en soutien dans des villages voisins plus exposés. Ils possèdent un armement léger et ils sont mobiles grâce à des pickups. Ils se coordonnent à l’échelle régionale avec d’autres groupes armés. L’armée nationale, déployée sur les différents fronts, n’intervient qu’en cas d’incidents graves (une importante infiltration de terroristes) que les groupes locaux ne peuvent contenir. Ainsi tout le territoire syrien est quadrillé dans un maillage serré de barrages et de point d’observation. Tout déplacement suspect est détecté.
En soirée, nous sommes invités à rencontrer le Parti Social National Syrien, un des principaux partis politiques de Syrie (présent aussi au Liban).Il est probablement le second en terme d’influence (après le parti Baath, au pouvoir). Des miliciens du PSNS sont présents en nombre et armés devant le siège du parti. Il a été crée au Liban en 1932 à Beyrouth par Antoine Saada. (Pour plus de précision voir : le Parti social-nationaliste syrien PSNS, الحزب السوري القومي الاجتماعي, al-Hizb as-Sūrī al-Qawmī al-Ijtimā`sur-Wipikédia.).
En présence du député local (baasiste), une réunion est organisée dans leur local. Nos deux principaux interlocuteurs se présentent comme les responsables politiques (pour le premier) et militaire (pour le second) de la section locale du PSNS. Ils nous présentent leur parti, qui milite pour l’unité de la « grande Syrie » (comprenant pour eux le Liban, la Palestine, la Jordanie, l’Irak et… Chypre !). Ils développent l’idée d’un Etat séculier « laïque », social et multiconfessionnel. Son symbole est la turbulence rouge sur un drapeau blanc. Dans le débat, nous soulevons l’antagonisme passé du PSNS avec le parti Baath et les persécutions politiques dont ils ont été victimes un temps en Syrie et au Liban. Le député baasiste, qui nous accompagne, nous tient en retour un discours très diplomatique et conciliant en guise de réponse. Il nous fait bien comprendre que cette période est révolue, que le PSNS est vu désormais comme un parti « ami » et dont le patriotisme ne donne lieu à aucune discussion. De fait, les autorités syriennes ont laissé ce parti, pourtant concurrent, former sa propre milice et participer directement en tant que tel à l’effort de guerre. Actuellement, dans le cadre de la défense locale, le PSNS a la responsabilité d’un secteur. Ses militants, volontaires et bénévoles, effectuent des patrouilles notamment de nuit pour assurer la sécurité de leur bourgade. Ils nous proposent une cordiale séance photo.
À Damas nous avons pu être reçus au siège du Parti Communiste Syrien. Notre groupe se composait de deux communistes français dont un d’origine libanaise et deux autres personnes de notre groupe intéressées par la rencontre. La discussion fut ouverte et sans langue de bois malgré les difficultés linguistiques pour échanger en arabe et en anglais. Nos deux hôtes (un cadre confirmé et un jeune qui a assisté à l’échange) étaient des responsables aux relations internationales du PCS. Après un rapide historique du PCS, notre interlocuteur analyse les événements en Syrie comme principalement « un complot impérialiste et sioniste contre la Syrie ». Nous lui demandons de nous refaire un historique des événements depuis 2011. En voici un compte rendu que nous avons essayé de rendre le plus fidèle possible.
Pour lui, une des origines principales de la crise provient des réformes de la libéralisation de l’économie du début des années 2000 (couplée à des difficultés agricoles liées à des sécheresses). Tous ces éléments ont créé un mécontentement avec une régression des conditions de vie des milieux les plus modestes alors que d’autres s’enrichissaient beaucoup. Cette défiance vis-à-vis du pouvoir a pu se refléter dans les premières manifestations populaires du début 2011 qui avaient une réelle volonté démocratique. Cependant, pour lui, les forces de gauche étaient trop faibles pour diriger le mouvement et pour avoir un poids réel dans un processus pacifique de négociation avec le gouvernement.
Très vite et en parallèle, des « groupes terroristes » seraient apparus initialement autour de Homs et de Derra (près des frontières libanaise et jordanienne). Notre interlocuteur nous précise qu’ils ont fait dévier des aspirations populaires réelles en leur substituant des revendications réactionnaires sur le plan sociétal comme géopolitique. Ce mécontentement fut habilement exploité et dévoyé par les « Frères musulmans » et les wahhabites. En plus des mots d’ordre religieux et communautaristes, il y a eu des distributions d’argent et de produits de première nécessité aux démunis souvent issus des campagnes suivant des techniques de communication bien rodés comme cela avait été déjà pratiqué en Egypte et dans d’autres pays arabes. Le tout s’inscrivant dans un environnement régional hostile aux dirigeants syriens lié au tracé des pipelines et dans le contexte des « révolutions arabes ». Cependant l’agitation n’a pas vraiment pris à Damas et Alep. Elle est restée cantonnée de fait dans les implantations rurales et historiques des « Frères musulmans » et parmi les émigrés syriens dans le Golfe, devenus wahhabites.
Le scénario initial « à l’égyptienne » consistant à renverser le président Bachar al-Assad par un mouvement populaire d’ampleur fut donc un échec.
Un « plan B » existait, il consistait à créer un conflit interconfessionnel (principalement alaouite-sunnite) puis à déclencher un coup d’État militaire avec des cadres corrompus et achetés de l’appareil d’État pour « rétablir l’ordre ». Mais ce fut là encore un échec : d’abord, les bourgeoisies sunnites de Damas et d’Alep ne se sont pas laissé entraîner dans cette dérive ; ensuite le gros de l’appareil sécuritaire n’a pas suivi dans leur aventurisme les apprentis putschistes téléguidés.
C’est alors qu’un « plan C » fut enclenché. Ce fut une fuite en avant avec une militarisation du conflit accompagnée d’une ouverture des frontières aux terroristes étrangers. Le tout avec le soutien logistique et financier de nombreux pays étrangers, notamment de la Turquie, du Golfe, les USA jouant le rôle de « chef d’orchestre », avec la volonté de provoquer une implosion de la Syrie. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, les régions d’Idlib et Derra échappent en grande partie aux autorités syriennes.
Le but de guerre des USA en Syrie nous a été comparé, de manière pertinente, au « plan Dayton » en Bosnie-Herzégovine : un plan de partition présenté comme une « fédéralisation », sur fond de « nettoyage » ethno-confessionnel. Heureusement pour faire contrepoids, les Russes ont avancé comme alternative le processus d’Astana, reposant pour l’essentiel sur des « zones de désescalade ». Toutefois, notre interlocuteur se montre réservé, voire critique, à l’égard de ce processus, faisant remarquer à juste titre le risque de finir avec une situation « à la chypriote », où le cessez-le-feu gèle depuis 1974 une situation dans un fait accompli durable.
Par ailleurs, notre camarade syrien ne nous cache pas sa perplexité par rapport au positionnement des Kurdes. Il reconnait que les Kurdes du PYD et des YPG ont vraiment combattu Daesh et les groupes armés islamistes. Ils ont protégé la population de ville comme Hassaké. Il rappelle toutefois qu’à ce moment-là, le PYD et les YPG ont été fournis en armes par le gouvernement syrien et qu’ils auraient probablement été écrasés sans cette coopération de fait. Depuis, les USA interviennent en leur fournissant des armes lourdes pour les monter contre les autorités légales et les instrumentaliser pour dépecer la Syrie via la revendication de « fédéralisation ». Ils leur promettent de les défendre contre la Turquie, promesse non-tenue au final. Notre interlocuteur exprime l’espoir de voir le PYD se reprendre après Afrin, pour récuser ses accointances avec l’impérialisme US et négocier une autonomie dans le cadre de l’État syrien.
En guise de conclusion :
Nous pensons que notre gouvernement et ceux des pays européens font fausse route en participant aux sanctions et aux punitions envers le peuple syrien. Ces actions sont contreproductives pour tout le monde. Plus la Syrie se sentira attaquée et plus sa population fera bloc autour de l’État syrien, de son armée et de ses dirigeants. De nombreux témoignages s’accordent pour pouvoir affirmer que ceux qui étaient, dans les manifestations pacifiques de l’année 2011, favorables aux réformes et à la démocratie, ont très vite compris le dévoiement du mouvement. C’était la société syrienne, dans ses différentes composantes plurielles qui était menacée d’un danger mortel avec son art de vivre et sa laïcité. L’âme d’une nation millénaire était attaquée au plus profond d’elle-même par des barbares manipulés. L’occident et les différents dirigeants français ont fait une grave erreur d’avoir soutenu et utilisé ces gens-là pour faire chuter le régime. Les puissances occidentales ont besoin des dirigeants du Golfe pour leur pétrole et pour leur vendre en retour beaucoup d’armement. Mais tout cela n’est que vue à court terme. A présent, notre influence politique, commerciale et culturelle, déjà faible face au mastodonte anglo-saxon, va disparaître du Moyen-Orient. Les chrétiens, souvent francophones et admirateurs de la France, nous en veulent beaucoup d’avoir soutenu des terroristes et ne comprennent pas nos positions diplomatiques. Pour ce peuple courageux, jamais la Syrie ne sera une Libye ruinée pour une décennie ou un Irak ravagé suite à l’intervention US de G. Bush.
Détruire et faire éclater un État de l’extérieur est criminel, quel que soit son dirigeant, car ce sont toujours les plus faibles d’une société qui payent les invasions. Surtout quand les envahisseurs bienfaiteurs ne proposent aucune alternative sérieuse pour l’avenir de ces nations sinon de leur voler leur pétrole ou leur gaz…
Jean François Loubiere, Jihad Wachill
Le journal de voyage en Syrie de Jihad Wachill
JOURNAL DE VOYAGE : DAMAS (JOUR 1)
Nous sommes arrivés en groupe (une quinzaine de personnes) à Damas depuis Beyrouth. Le temps est clément. Le parcours n’appelle pas d’observation particulière, à part qu’il est désormais totalement sécurisé depuis un an environ suite à une opération de fait conjointe des armées libanaise et syrienne pour éradiquer les groupes islamistes armés qui opéraient dans les environs. A Damas, nous logeons dans un hôtel en centre-ville, dans un quartier chrétien de la capitale syrienne.
Nous sommes arrivés avec des médicaments dans les bagages des uns et des autres (et des béquilles pour les blessés, que nous avons réussi quasi-miraculeusement à faire passer) : les « sanctions internationales » contre la Syrie, appliquées ces dernières années par l’Etat français frappent en effet durement la population syrienne en « zone loyaliste » (soit la majeure partie de la population syrienne dans les faits). En particulier justement en créant une pénurie de médicaments.
Dans les artères principales, le drapeau national syrien et les portraits du président Bachar al-Assad sont très présents (plus qu’il y a un an ou deux, de l’avis général, et moins souvent accompagnés de celui de son père comme c’était souvent le cas). Mais ce sont surtout les portraits des « martyrs » (les soldats de l’armée syrienne, des milices d’autodéfense, mais aussi des forces alliées morts en combat) qui sont omniprésents dans toute la ville. A noter le lourd prix humain payé par les combattants du Hezballah libanais (reconnaissables au drapeau de leur parti figurant sur leur portrait) dans la défense du quartier chrétien de Damas où nous résidons. Un élément qui peut expliquer, entre-autres, la montée en puissance de la popularité de ce parti chiite au niveau des chrétiens du Liban.
Nous avons visité quelques lieux emblématiques de Damas : maison de l’émir Abderlkader ; la mosquée chiite Rouqiyat (tombeau de la petite-fille du prophète Mahomet), à l’architecture très persane ; le tombeau de Saladin (Salah-Eddine al-Ayyoubi), où est aussi enterré le cheikh al-Bouthi (un célèbre théologien sunnite assassiné avec des fidèles en pleine mosquée par les « rebelles syriens ») ; mosquée de Ommeyades (où se trouve le tombeau de saint Jean-Baptiste, honoré par les fidèles par des dons d’argent), qui était une église byzantine au départ et dans laquelle musulmans et chrétiens ont prié conjointement pendant des siècles, jusqu’à ce que les lieux deviennent trop exigus et qu’une église soit construite spécifiquement pour les chrétiens juste à côté ; soukh de Damas.
A noter qu’où nous logions, la vie nocturne reste assez intense : la vie continue, malgré la guerre et les privations.
J’ai été par ailleurs un peu mal à l’aise en croisant un groupe d’enfants « jouant à la guerre », et poussant loin le réalisme de leur jeu (bouteilles ou canettes vides utilisées en guise de « grenades », les « tireurs » se mettent à couvert, etc.) : malgré les efforts des autorités syriennes pour assurer une certaine « normalité » en matière de scolarisation et de politique de l’enfance (pas « d’enfants soldats » côté « loyaliste » de ce que j’ai observé), la guerre semble les avoir imprégnés malgré tout par la force des choses.
Enfin, des formes de mendicité, directe ou indirecte (vente de sucreries à la valeur en réalité modique à « prix libre ») me semblent plus présente qu’il y a un an ou deux. Ceci reste toutefois marginal et limité, loin d’être aussi omniprésent et intrusif que dans d’autres pays proches.
JOURNAL DE VOYAGE : ALEP (JOUR 2)
Nous sommes partis pour Alep tôt le matin pour le second jour de notre périple. Un voyage assez pénible : impossible de trouver un minicar disponible, comme prévu initialement. En effet, beaucoup ont été réquisitionnés par l’Etat syrien pour assurer les besoins en terme de déplacement de ses soldats ou des « rebelles syriens » de la Ghouta orientale, évacués eux et leur famille vers le nord de la Syrie quelques jours avant notre arrivée, après leur reddition et selon les termes d’un accord conclu entre les parties. Ne reste plus dans l’agglomération damascène que Yarmouk (quartier surtout peuplé de réfugiés palestiniens) et ses environs à échapper pour l’instant au contrôle des autorités syriennes, essentiellement au profit de Daesh. Une offensive de l’armée syrienne est toutefois en cours pour reprendre le contrôle de ce secteur aux portes de Damas : nous avons d’ailleurs entendu la veille les avions passer dans le ciel damascène et au loin le bruit des bombardements sur ces positions daeshiennes.
Pour aller à Alep, nous avons donc pris un taxi puis un bus assurant la desserte régulière d’Alep. Un petit tronçon de l’autoroute Damas-Alep étant encore sous contrôle « rebelles » dans la région d’Idlib (dite « Idlibistan »…), le car oblique par des petites routes à partir de Homs. Ce qui rallonge sensiblement le trajet et le temps mis pour l’effectuer. Les traces de combats sont visibles sur le chemin. Il semblerait toutefois que le traffic routier soit en phase ascendante, bien qu’encore modeste par rapport à ce qu’il était.
Nous arrivons à Alep par l’Est de la ville, où nous pouvons constater de visu l’ampleur des dégâts. Mais c’est au centre-ville d’Alep que nous serons confrontés aux destructions les plus spectaculaires, nous y reviendrons.
L’hôtel familial où nous logeons est en centre-ville, dans une aile du soukh d’Alep dans les faits encore plus ou moins fermée. Outre les destructions, le peu d’activité de cette aile du soukh d’Alep s’explique par le fait qu’il assurait le commerce vers la région d’Idlib, toujours aux mains des groupes islamistes armés. D’où le fait que l’activité commerciale avec cette région reste pour l’instant très aléatoire et le volume des échanges très faible. L’hôtel ne semble pas avoir reçu de visiteurs depuis cinq ans et vient de rouvrir pour nous accueillir. Malgré la bonne volonté de la famille tenant l’hôtel, il y a quelques « ratés » : pas d’eau chaude le premier soir, pas d’internet (ou alors de manière très fugace et limitée), coupure d’électricité, etc. Peu de choses toutefois par rapport aux privations qu’a connu la population restée à Alep pendant les années de combats dans la ville.
Le propriétaire de l’hôtel nous fait visiter cette aile du soukh d’Alep, un des plus grands du monde, et qui fut occupé un certain temps par les « rebelles syriens », et était devenu des années durant un lieu d’affrontements. Sachant qu’Alep est la plus importante ville commerciale et industrielle de Syrie (voire du Proche-Orient), et que le soukh en est le coeur, l’arrêt de son activité commerçante a été une catastrophe économique pour la ville elle-même, mais aussi pour tout le pays. Etant donné que le bail des échoppes dans le soukh d’Alep est à un tarif prohibitif, l’interruption de l’activité commerciale pendant des années a en elle-même un coût faramineux pour les commerçants. Il faut ajouter à cela les destructions : de nombreuses boutiques sont ici à reconstruire, partiellement ou totalement, avant d’envisager une reprise de l’activité commerçante en particulier celles qui étaient en bois et sont purement et simplement parties en fumée…
Les quelques commerçants présents sont très accueillants, nous offrent le café, et insistent pour nous faire visiter leurs boutiques, dont certaines contiennent voire sont en elles-mêmes de véritables petits trésors de l’artisanat local. Nous finissons par quitter nos nouveaux amis pour poursuivre notre périple.
Au fur et à mesure que nous avançons, les destructions sont de plus en plus importantes : nous approchons de l’ancienne ligne de front. Nous sortons du soukh pour nous retrouver devant une scène quasi-apocalytique. Même à Beyrouth à la sortie de la guerre civile, il ne me semble jamais avoir vu un tel niveau de destructions. Quand ils ne sont pas purement et simplement rasés, c’est à peine si les immeubles tiennent encore debout. A notre grande surprise, nous apprenons que ces immeubles étaient tenus par les soldats de l’armée syrienne, et donc que ce sont les bombardements des « rebelles » qui ont provoqué ce niveau effarant de destruction. Ce qui laisse supposer un armement et une logistique militaire loin d’être aussi sommaires et limités qu’on nous l’a présenté dans nos médias. En remontant cette rue, nous passons devant la mosquée des Omeyyades, qui servait de quartier général aux « rebelles », et dont ils ont miné et détruit le minaret au moment où ils ont été contraints de quitter les lieux.
Nous remontons vers la citadelle d’Alep, qui était un bastion « loyaliste » isolé en territoire ennemi. Assiégée pendant des années, elle était approvisionnée vaille que vaille par l’armée syrienne. La vie reprend doucement dans ce secteur traditionnellement très fréquenté de la ville. Notre groupe est accueilli avec curiosité et bienveillance. De toute évidence, la plupart des passants n’ont plus vu d’étrangers ou presque ces dernières années. Les commerçants nous font visiter leurs boutiques en cours de reconstruction. Les jeunes essaient de communiquer vaille que vaille avec nous. Beaucoup de familles et de groupes de jeunes veulent prendre des photos avec nous. Les sourires nous font chaud au coeur : notre présence semble renforcer l’espoir de ces gens d’un retour à la normale, un espoir de paix, un peu de confiance en l’avenir. Nous sommes tous très émus de cet accueil, d’une simplicité et d’une prévenance presque déconcertantes.
Après un verre à la terrasse d’un café, certains d’entre nous sont interviewés par les correspondants locaux de la chaîne de télévision iranienne sur leurs impressions et quelques considérations politiques sur les positions diplomatiques de la France. Nous repartons ensuite à pied à l’hôtel où nous logeons pour dîner et dormir, refaisant le parcours en sens inverse. De nuit, les destructions qui le jalonnent notre parcours apparaissent irréelles, quasi-spectrales, inquiétantes, oppressantes voire effrayantes parfois.
A suivre…
JOURNAL DE VOYAGE : ALEP (JOUR 3)
Nous sommes donc arrivés la veille déjà à Alep. Ce matin, nous devons rencontrer une délégation de la Chambre de Commerce et d‘Industrie d’Alep. Sur place, on nous explique que les locaux où nous sommes reçus sont des locaux provisoires : le siège de la Chambre de Commerce et d’Industrie a en effet été bombardé et en grande partie détruit par les « terroristes » (c’est le terme utilisé unanimement par nos interlocuteurs) quand ils étaient encore présents à Alep. La délégation que nous rencontrons est composée du président-adjoint, du trésorier et de membres du conseil d’administration de la Chambre de Commerce et d’Industrie.
En plus d’être l’épicentre du commerce en Syrie, Alep est la principale ville industrielle du pays. L’agglomération compte 17 zones industrielles. Le tissu industriel alépin est à 90% privé, et souvent familial. L’industrie a été la première cible des « terroristes » en Syrie. Le textile, l’industrie phare de la ville, fut particulièrement touché. Le tissu industriel a été purement et simplement démantelé par ceux qu’on qualifie chez nous de « rebelles syriens », entre logique de pillage et destruction systématique. La majeure partie des machines ont été démontées et transférées en Turquie pour y être revendues à vil prix. Certaines unités ont été utilisées par les « terroristes » pour leurs propres besoins, parfois reconverties à usage militaire. Tout ce qui ne pouvait être revendu ou réutilisé par eux fut systématiques détruit.
Aujourd’hui, l’industrie alépine tente de surmonter ces épreuves, de se reconstruire et de redémarrer. Le redressement est spectaculaire, mais l’ampleur des destructions est tel que la ville n’est encore pour l’instant que l’ombre que ce qu’elle à pu représenter dans l’économie du pays. Deux problèmes surtout se posent, liés à certains égards : les « sanctions internationales » (embargo occidental) et le sous-financement comparativement aux besoins. Nos interlocuteurs espèrent le rétablissement de relations commerciales plus diversifiées avec l’étranger, sans trop y croire manifestement, un peu comme un voeu pieux de convenance. Concrètement, l’embargo occidental pose problème par exemple pour réparer les machines et se fournir en pièces détâchées, sachant qu’une partie de leurs machines industrielles sont de fabrication occidentale.
Sur l’aspect du financement, il a fallu aux industriels alépins « se faire violence » sur un point : solliciter des prêts aux banques locales. En effet, dans la culture locale, l’endettement est vu avec une grande méfiance voire réticence. Toutefois, malgré cela, les banques syriennes sont loin d’avoir la masse critique pour financer un tel effort de reconstruction.
Nous allons ensuite avec nos hôtes dans la principale zone industrielle, au nord d’Alep. Nous passons devant une cité ouvrière en chemin : elle comptait 50 000 habitants avant la guerre, elle en compte aujourd’hui seulement 15 000. A la lisière du quartier kurde d’Alep, nous croisons un bataillon féminin des YPG. Manifestement, les relations entre PYD/YPG et les autorités syriennes sont bonnes ici : l’armée syriennes et les YPG se sont coordonnés ici pour reprendre le secteur aux « rebelles syriens » et les YPG jouent dans le quartier kurde le rôle joué ailleurs par les milices locales d’autodéfense (improprement appelées ici « forces de défense nationale ») qui se sont formés dans les quartiers et les villages pour assurer une partie des tâches sécuritaires quotidiennes.
Cette zone industrielle d’Alep de 4 400 ha a été occupée de 2012 à 2014 par les « rebelles syriens », et plus de 90% du potentiel idustriel y a alors été démantelé. Aujourd’hui encore, sur 7 000 unités industrielles en activité avant-guerre, seules 500 ont vraimnt redémarré. Toutefois, 3 500 investisseurs sont sur les rangs dans le redémarrage de la zone industrielles, soit la moitié de ceux qui y étaient initialement présents. Parmi eux, 7% d’étrangers, associés à des Syriens (pour des raisons légales). Le redémarrage se fait donc progressivement, grâce à un important effort (« jihad ») financier à cet effet. L’eau a été rétablie (trois mois déjà après la reconquête du secteur), ainsi que 70% de l’électricité. Des admnistrations ambulantes ont été mises en place, les bâtiments administratifs ayant quasiment tous été détruits. Les progrès dans la reconstruction connaissent une avancée rapide.
Nous visitons quatre usines ayant redémarré (papier recyclé, textile, etc.) puis le vice-président de la Chambre de Commerce et d’Industrie nous invite à déjeuner dans un grand restaurant en face de la Citadelle. Il semble beaucoup compter sur l’exploitation des réserves de gaz naturel au large du littoral syrien (en cours d’évaluation) pour aider au redémarrage économique du pays. Il affiche par ailleurs un grand otpimisme pour l’avenir.
Nous allons ensuite dans l’Ouest d’Alep, la partie de la ville qui est restée sous contrôle gouvernemental pendant les années de guerre. Nous y visitons l’hôtel Baron, connu pour avoir hébergé quelques personnages connus : « Laurence d’Arabie », Agatha Christie, ou encore Charles de Gaulle. La propriétaire de l’hôtel, une arménienne, nous fait bon accueil. Toutefois, le verni de la légendaire hospitalité syrienne se craquelle par moment pour nous révéler l’ampleur de l’aigreur à l’égard du gouvernement français et de son attitude à l’égard de la Syrie.
Macron subit ses foudres acerbes, et elle nous exprime son incompréhension face à la vision partiale des événements véhiculée quasi-unanimement par les médias français, mais aussi l’apathie du peuple français face à cet état de fait. Nous constatons à quel point, si les dégâts matériels ont été moindres dans cette partie de la ville, et que les stigmates de la guerre n’y sont en apparence plus visibles, les blessures cachées y sont profondes et encore mal cicatrisées. Notre hôte nous fait remarquer à juste titre, à propos de la campagne médiatique en France concernant Alep-Est, que si ce secteur de la ville qui fut sous le contrôle des « terroristes » a été assiégé et bombardé pendant quelques mois avant de capituler, c’est pendant les années précédentes Alep-Ouest qui était assiégée et bombardée, sans eau ni électricité, dépendante des aléas de l’approvisionnement gouvernemental en eau et nourriture pour la subsitance quotidienne, sans que grand monde ne s’en soit offusqué à titre humanitaire en Occident.
A propos des exactions attribuées à l’armée syrienne par nos médias, elle nous exprime sa ferme conviction que l’accusation est diffamatoire. Opinion partagée par l’ensemble des interlocuteurs auxquels nous avons eu à faire. Ainsi, un journaliste syrien avec lequel nous avions dîné à Damas le premier jours nous avait dit à ce propos, qu’il avait fait son service militaire dans les années 80 et participé à l’époque à la reprise de Hama suite à une insurrection islamiste, et que son fils était sous les drapeaux, l’armée syrienne étant une armée de conscription, que lui-même n’avait jamais assisté à quoi que ce soit de moralement répréhensible et qu’il avait bien élevé son fils et le pensait incapable de tels actes, ni lui ni d’ailleurs la majeure partie des conscrits.
Notre hôtesse alépine, elle, nous dit que lors de la prise d’une partie d’Alep par les « rebelles syriens », comme dans beaucoup d’autres villes aussi, les exécutions sommaires ou publiques, emprisonnements arbitraires, pillages, tortures et viols (souvent collectifs) n’ont pas manqué. Des centaines, voire des milliers, d’enfants son ainsi nés de ces viols selon elle. Elle conclut par : « Pour vous, Bachar al-Assad est un assassin. Peut-être aussi pour 10% de la population syrienne. Mais pour nous, c’est notre sauveur. »
Nous allons ensuite dans un café d’Alep-Ouest. L’ambiance y est très sympathique et ouverte. On sent à Alep une grande liberté, y compris en matière de moeurs. Nos voisins de table tentent de discuter avec nous, dans un anglais très approximatif. Ils nous montrent une photo de nous mise sur le site de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Visiblement, tout le monde a l’air au courant de notre présence à Alep, le bouche à oreille aidant, et nous sommes un peu les curiosités du moment pour ceux qui nous croisent. Nous ne tardons toutefois pas trop à rentrer : nous allons le lendemain dans la région de Hama, le voyage promet d’être encore éprouvant et la fatigue se fait ressentir.
JOURNAL DE VOYAGE : HAMA ET SES ENVIRONS (JOUR 4)
Nous quittons Alep de bon matin pour rejoindre Hama. Arrivés sur place, nous allons admirer la noria, machine hydraulique pour laquelle la ville est particulièrement connue. Comme à Alep, nous sommes un peu la curiosité locale du moment. Beaucoup de monde, particulièrement des jeunes, cherche à communiquer avec nous, veulent se faire prendre en photo avec nous ou par nous. Manifestement, ils n’ont plus vu d’Occidentaux ou presque sur les dernières années. Les jeunes nous suivent partout où nous allons. Nous allons nous désaltérer dans un café, puis nous reprenons notre route. Nous passons devant une exposition agricole qui a lieu à Hama ce jour-là, puis nous quittons la ville pour rejoindre un village des environs.
Nous nous retrouvons donc dans un village essentiellement chrétien orthodoxe des environs de Hama, où nous sommes hébergés chez l’habitant. Nous nous installons et nous restaurons. Un véritable festin, excellent par ailleurs (sauf les frites, maison certes, mais nos hôtes ne connaissent visiblement pas la double cuisson). De fait, nous avons toujours très bien mangé durant ce séjour à chaque fois que nous avons été chez l’habitant. Un peu trop même, nous y reviendrons… Nous allons faire un tour dans le village. Nous rencontrons près de la boutique du premier croisement que nous prenons la prof de français du village, dont nous nous sommes demandés si elle ne s’était pas postée là exprès dans l’espoir de nous voir. Nous discutons un peu avec elle et elle nous invite à prendre le café chez elle à notre retour de promenade. Nous continuons notre tour, arrivons devant l’église principale du village, que l’on fait ouvrir exprès pour nous.
Nous rentrons, repassant devant la maison de notre prof de français locale. Certain(e)s vont lui rendre visite pour honorer son invitation, mais pour ce qui me concerne je ne me sens pas très bien et rentre directement. Fatigué, je m’affale sur le lit et m’endort une grosse demi-heure.
Nous partons ensuite rencontrer les « forces de défense nationale » (en réalité une milice d’autodéfense locale) dans leurs locaux. Nous y sommes accueillis par les « notables » du village : un député, le maire, le prêtre, le directeur d’école, le chef de la milice d’autodéfense locale, un commerçant qui gère visiblement les réservistes de la milice d’autodéfence, un artiste local apprécié des villageois, etc. Il y a deux ans encore, ce village était menacé par les groupes armés islamistes. Aujourd’hui, cette menace s’est éloignée, même si une offensive de Daesh dans les environs à notre arrivée faisait que nos miliciens étaient mobilisés, voire pour partie envoyés en soutien dans des villages voisins plus exposés. Nous avons droit aux messages de bienvenue des principaux notables du village, assez convenus, et à un exposé politique tout aussi convenu (pour ne pas dire « langue de bois »).
On nous emmène ensuite visiter une petite église du village en l’honneur de la Vierge Marie qui serait la plus vieille église de Syrie. Puis nous allons au siège du PSNS, le Parti Socialiste National Syrie, un des principaux partis politiques de Syrie (présent aussi au Liban), probablement le second en terme d’influence (après le parti Baas, au pouvoir). Des miliciens du PSNS sont présents en nombre et armés devant le siège du parti.
Nous entrons dans leur local, accompagnés du député local (baasiste). Nos deux principaux interlocuteurs se présentent comme responsables politique (pour le premier) et militaire (pour le second) de la section locale du PSNS. Ils nous présentent leur parti, qui milite pour l’unité de la « grande Syrie » (comprenant pour eux aussi le Liban, la Palestine, la Jordanie, l’Irak et… Chypre) et pour un Etat séculier « laïque ».
Ils soulèvent à un moment l’antagonisme passé avec le parti Baas et les persécutions politiques dont ils ont été victimes un temps en Syrie et au Liban. Le député baasiste qui nous accompagne leur tient en retour un discours très diplomatique et conciliant en guise de réponse, faisant bien comprendre que cette période est révolue, que le PSNS est vu désormais comme un parti « ami » et dont le patriotisme ne donne lieu à aucune discussion. De fait, les autorités syrienne ont laissé ce parti, pourtant concurrent du parti au pouvoir, former sa propre milice et participer directement en tant que tel à l’effort de guerre. Ces miliciens, réunis devant le siège de leur parti, nous proposent de les prendre en photo puis de nous prendre en photo avec eux.
Je me contente pour ce qui me concerne de rester en retrait, un peu dubitatif par rapport à un ou deux aspects de la discussion que nous avons eue avec le responsable du parti : sur la question de l’inclusion de Chypre dans leur « grande Syrie », qui me semble peu réaliste ; une gêne surtout sur des relents antisémites de la part de leur responsable politique, sans que je n’arrive à déterminer s’il s’agit de son sentiment personnel (une partie de sa réponse après que je l’aie repris à ce propos étant totalement surréaliste et appuyé sur un exemple très personnel) ou d’une « ligne partisane ».
Comparativement, le député baasiste est apparu sur ce plan bien plus clair : en gros, il a affirmé sans ambiguïté qu’il n’y a pas de problème avec les juifs syriens, vivant pour l’essentiel à Damas où ils ont leur quartier, et qu’ils sont des citoyens comme les autres du pays. Force est de constater que l’usage confusionniste du terme « Yahoud » (sur lequel j’avais « tiqué » au départ) dans le langage courant au Proche-Orient pour qualifier à la fois et selon les cas les juifs, les sionistes et/ou les Israéliens est calamiteux en terme de communication, surtout à l’égard du public occidental…
Nous allons ensuite dîner et je finis la soirée… aux toilettes (et incapable de me coucher avant 3-4 heures du matin). Ce qui fait somme toute partie des aléas de ce genre de voyages, quoi qu’on en dise. Le matin, je vais déjà mieux même si je n’arrive encore à rien avaler de consistant. L’appétit reviendra à fin de matinée, reste le manque de sommeil, et un impact sur ma capacité d’attention le jour suivant.
JOURNAL DE VOYAGE : ENTRE HAMA ET LATTAQUIE (JOUR 5)
Nous prenons un petit-déjeuner avant de repartir par monts et par vaux. Enfin les autres, parce que pour ce qui me concerne, j’ai encore du mal à avaler quoi que ce soit de consistant. Nous allons visiter l’association des « mères de martyrs » d’un village entre Hama et Lattaquié. Il s’agit d’un village « mixte », dont la population est essentiellement musulmane de confessions sunnite ou alaouite mêlées. Nous constatons sur place qu’il ne s’agit pas uniquement de mères, mais aussi de soeurs ou de veuves de combattants, en grande majorité des conscrits puisque l’armée syrienne est une armée de conscription, décédés ou gravement blessés.
Leur activité principale consiste à préparer des repas pour les soldats au front et de les leur faire acheminer, voire de les acheminer elles-mêmes. Ainsi, une de leurs principales responsables est elle-même décédée tragiquement en tentant d’amener ses repas sur la ligne de front. On nous sert un plat copieux en guise de second petit-déjeuner, que j’évite en me contentant de « picorer » quelques crudités. Le maire du village est là, et nous gratifie d’un bref discours de bienvenue. On nous propose une patisserie à la crême pour compléter le petit-déjeuner, dont j’arrive à manger une part : manifestement mon système digestif commence à se rétablir. Nos hôtesses arborent des écharpes de « supportrices » aux couleurs de la Syrie, reste probablement de la remarquable campagne des qualifications à la Coupe du Monde 2018 en Russie, à laquelle l’équipe nationale syrienne est passée à deux doigts de se qualifier au détriment de l’Australie (un coup franc sur le poteau dans les arrêts de jeu des prolongations).
Nous allons ensuite visiter des familles de « martyrs ». L’ensemble des gens que nous rencontrons dans le cadre de ces visites font preuve d’une grande dignité et force de caractère. Il s’agit de familles de soldats tués, mais aussi de soldats grièvements blessés et de leur famille. Ainsi, nous visitons un soldat grièvement blessé à la tête et qui a perdu la vue suite à cette blessure, ou encore d’un soldat blessé par des éclats d »obus dans la défense de Deir-Ezzor (à l’autre bout de la Syrie par rapport à ce village), et qui est paralysé des jambes et a perdu la vue et l’ouïe du côté gauche du visage. Beaucoup de ces morts ou blessures sont intervenues en 2013, qui fut visiblement une « année noire » pour l’armée syrienne. Nous rencontrons ici un médecin syrien travaillant en France à Montpellier et de passage pour ses vacances.
Notre médecin syrien venu de France se révèle un personnage bourré de contradictions : zélateur de l’action de Robert Ménard (maire apparenté FN de Béziers) sur la Syrie, il semble complètement occulter les accointances passées avec la CIA du personnage du temps où il présidait RSF tout comme le caractère communautariste et de « marketting » de son action sur la Syrie ; bien que « loyaliste », c’est de lui que viendront les critiques les plus affirmées à l’égard des autorités syriennes et de Bachar al-Assad. Il dénonce la corruption, tout en reconnaissant que le conflit aura eu pour effet de « purger » l’appareil d’Etat sur ce plan, estime que la réaction de l’Etat syrien aura été trop timorée au début des événements et qu’il aurait fallu employer la « manière forte » dès les premiers troubles.
Enfin, par une formule sybilline, il suggère que Bachar al-Assad n’était peut-être pas l’homme de la situation pour succéder à son père. Nous lui demandons s’il voyait une autre personne à sa place à ce moment-là. Il répond positivement, cite un nom, celui d’un responsable baasiste aujourd’hui « retiré des affaires ». Il nous ajoute qu’il avait pour lui d’être sunnite « ce qui est est avantage dans ce pays » selon lui. Manifestement, le chauvinisme sunnite, sur lequel a prospéré le terrorisme « islamiste », continue malheureusement d’empoisonner la société syrienne, y compris à travers des manifestations des plus inattendues… Notre interlocuteur concèdera in fine mollement que « Bachar al-Assad a évité à la Syrie le pire ».
Nous retournons ensuite au siège de l’association des « mères de martyrs », quelques uns d’entre nous les aident à embarquer les repas qu’elles ont préparés. Puis nous les accompagnons pendant quelques temps en mini-bus. Je discute en chemin avec une de nos accompagnatrices, une enseignante. Nous parlons d’Alep, ville où elle a fait ses études, et où elle voudrait pouvoir retourner. Elle semble triste à l’évocation de cette ville qui lui rappelle manifestement un passé heureux qui semble aujourd’hui bien lointain. A cette nostalgie se mêle une incompréhension palpable par rapport à l’enchaînement des événements qui a conduit son pays au bord du gouffre.
Nous quittons nos amies pour continuer notre chemin à travers la montagne de l’arrière-pays de Lattaquié et rejoindre nos hôtes du jour. Il s’agit d’un responsable à la retraite de l’appareil sécuritaire manifestement d’un certain rang. Nous nous installons, nous restaurons, puis visitons d’autres familles de « martyrs » dans cette « montagne alaouite ». Nous rentrons, dînons avec notre hôte, d’une grande hospitalité : nous avons droit à quelques bouteilles de vin de sa réserve personnelle pour l’occasion, dont un très bon vin libanais. Nous discutons un peu avec notre hôte, qui regrette d’être interdit de séjour en France, pays où il a effectué ses études. Il nous montre sa thèse, sur la Syrie et le mouvement national palestinien avec 1967, que nous sommes quelques uns ) consulter avec intérêt.
Nous ne tardons toutefois pas à nous coucher : pour ce qui me concerne j’ai du sommeil à rattraper de la nuit précédente.
JOURNAL DE VOYAGE : PALMYRE (JOUR 6)
Une partie du groupe ayant fait du « lobbying » pour aller à Palmyre, il a été prévu d’y aller l’avant-dernier jour. Je suis à titre personnel plutôt dubitatif, le trajet promettant d’être long et de ce fait la gestion du temps me semble un peu « juste » puisque nous sommes censés aller retourner à Damas le soir-même. Je me laisse convaincre par l’argument de la réouverture d’une route directe entre Palmyre et Damas.
Or, non seulement le trajet semble prendre plus de temps qu’initialement prévu, mais de plus on nous annonce que cette route entre Palmyre et Damas ne semble pas encore avoir été rouverte, contrairement à ce qui avait été annoncé. Ainsi, même si nous parvenons à Palmyre, nous ne pourrons probablement pas nous y attarder si nous voulons être revenus à Damas à une heure raisonnable. Le doute s’installe, d’autant plus que lors des deux voyages précédents, deux tentatives avaient déjà été faites d’aller à Palmyre, infructueuses toutes deux. Jamais deux sans trois ?
Et ce qui devait arriver arriva : nous nous faisons bloquer sur un barrage à une cinquantaine de kilomètres de Palmyre. L’officier qui gère le barrage se montre très pointilleux voire hostile, de manière assez incompréhensible sachant que nous bénéficions d’une escorte militaire (ce sera d’ailleurs le seul jour du séjour où ce sera le cas). Finalement, au bout d’une heure de palabres et de coups de téléphone, nous nous rabattons sur une aire de repos en attendant de voir l’évolution de la situation. Nous prenons un sandwich, et comme les choses ne semblent pas se débloquer au bout d’une heure encore, nous nous voyons contraints de faire demi-tour.
Nous saurons par notre chauffeur que l’officier du barrage lui aurait fait une remarque à propos des missiles français tirés par Macron quelques jours plus tôt : « Tu leur diras que les missiles de leur Président n’ont pas touché le sol syrien » aurait-il dit à peu de choses près. Poussée de chauvinisme et d’animosité d’autant plus regrettable qu’aucun des membres du groupe n’approuvait d’aucune manière ce bombardement absurde. Ainsi, nous n’avons semble-t-il pas pu visiter Palmyre à cause de la duplicité belliciste de notre gouvernement alliée à la bêtise chauvine d’un officier syrien borné et mal luné. Ce sera toutefois la seule marque d’animosité à notre égard sur l’ensemble du séjour, si on excepte la politesse au départ froide, mais qui s’est « réchauffée » une fois qu’elle nous aura sondés, de la propriétaire de l’hôtel Baron à Alep.
Nous rentrons donc à Damas, en passant sur le chemin par une patisserie connue pour une spécialité locale, et non sans avoir perdu une heure et quelques sur un problème de « passage de témoin » pour l’escorte. Arrivés à Damas, nous constatons que notre dispositif sécuritaire a été « resserré » : nous ne pouvons sortir sans être escortés par un militaire, ce qui nous étonne un peu. Nous apprenons dans la nuit la capitulation de la dernière poche daeshienne dans l’agglomération damascène, celle de Yarmouk, après des combats acharnés, mais aussi des tirs de missiles contre des positions syriennes dans les régions d’Alep et Hama où nous nous trouvions. Un élément d’explication peut-être à la fois à l’animosité de l’officier qui nous a empêché l’accès à Palmyre, au flottement quant au « passage de témoin » de l’escorte militaire que nous avions, et à la présence ce soir-là de ce soldat auprès de nous pour nous accompagner.
Après nous être un peu baladés puis restaurés, nous allons nous coucher. J’ai le plus grand mal à dormir, le bruit des derniers affrontement à Yarmouk qui nous arrivent provoquant chez moi une petite crise d’angoisse due à des réminiscences de mon enfance beyrouthine pendant la guerre civile libanaise.
JOURNAL DE VOYAGE : RETOUR A DAMAS (JOUR 7)
Nous sommes censés aller à Douma, dans la Ghouta orientale ce matin. Toutefois, un peu échaudé par le déroulement de la journée précédente, je me suis ménagé un « plan B », à savoir une rencontre avec le responsable aux relations internationales du PCS (Parti Communiste Syrien).
Il se révèle assez vite que j’ai eu raison d’être dubitatif sur la faisabilité de notre excursion dans la Ghouta orientale, qui est finalement annulée. Il faut dire que mes doutes ne viennent pas du nulle part : le premier jour déjà, nous devions aller là-bas, programme qui a été annulé car notre chauffeur a « filé à l’anglaise » en comprenant où nous voulions le faire aller. Il s’est révélé que pas un chauffeur de taxi ou de minibus de Damas n’était prêt à aller là-bas, de peur d’éventuelles mines ou d’être réquisionnés par l’armée sur le chemin. Bien que le chauffeur soit revenu par la suite, son évidente réticence avait ce jour-là fait pencher la balance vers un report. Cette fois, nous avions convaincu notre chauffeur du jour précédent, avec qui une relation de confiance s’était forgée, de rester à Damas et de nous accompagner le lendemain.
Malheureusement, une fois encore les choses ne se sont pas passées comme prévu : cette fois, c’est l’escorte militaire prévue pour nous accompagner qui nous fait faux bond. Après les tirs de missiles contre la Syrie de la veille, les services sécuritaires sont sur les dents et accompagner un groupe de Français à la Ghouta leur apparaît manifestement très secondaire voire superflu sur le moment. De plus, les pluies diluviennes sur Damas et une partie de la Syrie les jours précédents ont pu rendre impraticables les tunnels creusés par les groupes armés islamistes qui tenaient le secteur précédemment. Je me rabats donc sur la rencontre que j’ai pris l’initiative de programmer avec le PCS, à laquelle je pars accompagné d’un camarade communiste français qui était aussi du voyage, mais aussi de deux autres membres du groupe, qui m’ont exprimé leur intérêt pour l’initiative. Pendant ce temps, une autre partie du groupe doit s’occuper de livrer les médicaments avec lesquels nous sommes arrivés à un hôpital de Damas.
Nous allons donc au siège du PCS à la rencontre de leur responsable aux relations internationales, le plus simplement du monde, en taxi et sans traducteur ni accompagnant. Si l’absence de traducteur a pu être un petit handicap au départ, elle se révèlera facteur de confiance et de liberté de parole au fur et à mesure. En plus de nous quatre et du responsable aux relations internationales du PCS (plutôt jeune au passage), un jeune cadre du parti assiste à cette entrevue. Le PCS analyse les événements en Syrie comme « un complot impérialiste et sioniste contre la Syrie » nous dit notre interlocuteur après nous avoir fait un rapide historique du parti. Nous nous attendons à ce moment-là à un discours très « langue de bois », mais nous serons agréablement surpris.
Il retrace à notre demande le début des événements en Syrie. Parlant des « groupes terroristes » apparus initialement autour de Homs et Derra (près des frontières libanaise et jordanienne), notre interlocuteur précise qu’ils ont fait dévier et dévoyé des aspirations populaires réelles en leur substituant des revendications réactionnaires sur le plan sociétal comme géopolitique. Pour lui, des réformes de libéralisation de l’économie ont créé un mécontentement populaire du fait de la régression des conditions de vie des milieux les plus modestes. Ce mécontentement fut catalysé et dévoyé par les « Frères musulmans » et les wahhabites. Le tout s’inscrivant dans un environnement régional hostile et le contexte des « révolutions arabes ». Mais l’agitation ne prend pas vraiment à Damas et Alep, se retrouvant vite cantonnée de fait dans les implantations historiques des « Frères musulmans » et parmi les émigrés syriens dans le Golfe revenus wahhabites.
Le scénario initial « à l’égytienne » consistant à renverser Bachar al-Assad par un mouvement populaire d’ampleur fut donc un échec. Un « plan B » existait, consistant à créer un conflit interconfessionnel puis déclencher un coup d’Etat militaire à partir de cadres corrompus achetés de l’appareil d’Etat pour « rétablir l’ordre ». Mais ce fut là encore un échec : d’abord, les sunnites de Damas et Alep ne se sont pas laissés entraîner dans cette dérive ; ensuite, le gros de l’appareil sécuritaire n’a pas suivi dans leur aventurisme les apprentis putschistes téléguidés. C’est alors un « plan C » qui fut enclenché : une fuite en avant dans la militarisation accompagnée d’une ouverture des frontières aux terroristes étrangers. Le tout avec le soutien de nombreux pays étrangers, les USA jouant le rôle de « chef d’orchestre », avec la volonté de provoquer une implosion de la Syrie. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, les régions d’Idlib et Deraa échappent en grande partie aux autorités syriennes.
Le but de guerre des USA en Syrie est comparé, de manière pertinente il nous a semblé, au « plan Dayton » en Bosnie-Herzégovine : un plan de partition présenté comme une « fédéralisation », sur fond de « nettoyage » ethno-confessionnel. Pour faire contrepoids, les Russes ont avancé comme alternative le processus d’Astana, reposant pour l’essentiel sur des « zones de désescalade ». Toutefois, notre interlocuteur se montre réservé voire critique à l’égard de ce processus d’Astana, faisant remarquer à juste titre le risque de finir avec une situation « à la chypriote », où le cessez-le-feu gèle la situation dans un fait accompli durable.
Notre interlocuteur ne nous cache par ailleurs pas sa perplexité par rapport au positionnement des Kurdes. Il reconnait que les Kurdes du PYD et des YPG ont vraiment combattu Daesh et les groupes armés islamistes, et protégé la population de villes comme Hassaké contre eux. Il rappelle toutefois qu’à ce moment-là, le PYD et les YPG ont été fournis en armes par le gouvernement syrien et qu’ils auraient probablement été écrasés sans coopération de fait avec les autorités syriennes. Depuis, les USA interviennent pour monter les Kurdes contre le gouvernement syrien et les instrumentaliser pour dépecer la Syrie via la revendication de « fédéralisation », en leur promettant de les protéger contre la Turquie, promesse non-tenue au final, et leur fournissant des armes lourdes. Notre interlocuteur exprime l’espoir de voir le PYD se reprendre après Afrin, pour récuser ses accointances avec l’impérialisme US et négocier une autonomie dans le cadre de l’Etat syrien.
Pour résumer, le PCS défend la souveraineté du peuple syrien et l’intégrité territoriale de la Syrie, mais aussi des politiques sociales dans l’intérêt des travailleurs. Il est hostile à tout projet de sécession de la Syrie, même sous habillage « fédéral ». Ses priorités sont de repousser et éradiquer les groupes armés islamistes, faire partir les troupes d’occupation étrangères du territoire syrien, oeuvrer à faire participer la population au processus de reconquête de la souveraineté à travers une démocratisation du pays, et la mise en oeuvre de programmes sociaux pour améliorer la situation de la population. Nous constatons sur ce dernier volet que l’accent dans le programme social du PCS semble particulièrement être mis sur la population paysanne et rurale. Nous prenons congé de nos hôtes, avec l’impression d’un parti dynamique et pertinent sur le plan intellectuel, et à l’audience manifestement ascendante sur les deux dernières années.
Nous retournons en taxi à notre hôtel et faisons un tour au soukh pour faire quelques derniers achats. Nous repartons en soirée pour Beyrouth, la tête remplie de souvenirs inoubliables et avec l’espoir raisonnable de voir cette guerre se terminer dans les prochains mois et la Syrie renaître de ses cendres, raffermie dans sa pluralité et sa tolérance.