Nous reproduisons ci-dessous un excellent article de notre camarade Roland Diagne, membre du comité de rédaction du journal sénégalais communiste Fernent/L’étincelle.
Il y est question des perspectives ouvertes par la récente élection de Bassirou Diomaye Faye comme Président de la République du Sénégal, désigné candidat par le parti PASTEF en l’absence d’Ousmane Sonko, empêché de se présenter suite à des manipulations judiciaires aux chefs d’accusations déclarés depuis nuls et non avenus…
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Roland Diagne analyse froidement les possibilités ouvertes par cette élection qui promet d’être un basculement historique dans la région. L’aspect principal étant certainement le fait que la candidature Faye/Sonko a rassemblé un large front souverainiste anti-néocolonial incluant des libéraux, c’est-à-dire de larges fractions de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie. Or, toutes nationales qu’elles soient, celles-ci restent soumises objectivement à leurs intérêts de classe ! La vigilance reste donc de mise, peut-être plus que jamais, pour les forces progressistes, populaires, ouvrières et paysannes au sein du front souverainiste.
A cet égard, l’évocation pertinente du naufrage néo-libéral du programme commun en France dans les années 80 constitue un avertissement bienvenu pour la gauche sénégalaise et surtout pour les masses populaires du pays. Roland Diagne, en fin observateur de la vie politique française depuis des décennies, analyse sur la longue durée le ralliement du PS mittérandien au fameux TINA (there is no alternativ) thatcherien comme menant tout droit à un « social-fascisme belliciste ». La formule aurait pu paraître exagérée n’était la candidature pour les européennes du très droitier Raphaël Glucksmann, anti-communiste et russophobe professionnel et collaborateur enthousiaste de despotes tant qu’ils professent un atlantisme débridé… Cela étant, il est néanmoins à craindre que notre camarade place une confiance exagérée dans l’actuelle Union Populaire de J.-L. Mélenchon… quand bien même celui-ci tient les positions les plus honorables parmi la gauche institutionnelle sur les questions internationales.
Roland Diagne évoque enfin une question cruciale de la dynamique panafricaniste actuelle, en Afrique de l’Ouest du moins, celle du fédéralisme. Que de nombreux théoriciens – et parfois praticiens – de cette école de pensée multiforme aient considéré l’évolution fédérale du continent africain comme un moyen d’assurer la robustesse de sa souveraineté en construction face aux empires, maintenant ex-empires, coloniaux et face à l’impérialisme, est certes loin d’être aberrant. Cependant, nous ne pouvons pas perdre de vue les considérations qui ont pu mener Lénine et Jaurès en leur temps à ne voir qu’ utopie ou réaction pour le premier et « césarisme monstrueux » pour le second comme résultats probables du fédéralisme en régime capitaliste à l’échelle européenne. Ceci rappelé, la léniniste analyse concrète de la situation concrète nous amène à considérer les différences de taille entre l’Europe du début du XXe siècle et l’Afrique de l’Ouest actuelle : impérialisme, développement, idéologie coloniale etc. En bref : un processus de fédéralisation peut-il être de nature progressiste avant un minimum de socialisme dans chacun des pays, dans cette région ? L’auteur semble penser que oui, et il est à espérer que l’avenir lui donne raison. Mais les avertissements qu’il lance aux mouvements progressistes et aux masses sénégalais nous semblent également valables dans la perspective fédéraliste ; à tout le moins, il sera indéniablement plus « sûr » que fédéralisation politique et socialisation économique marchent de pair…
Hubbard
TERRE AFRICAINE DU SÉNÉGAL : LE PEUPLE TOURNE LA PAGE DE MACKY/AMADOU/APR/BBY POUR UNE ALTERNATIVE AU LIBÉRALISME ET AU NÉOCOLONIALISME
Diagne Fodé Roland
Le candidat souverainiste Bassirou Diomaye Diakhar Faye devient le 5éme président de la République. Le peuple jubile légitimement pour avoir chassé dans les urnes le pouvoir libéral de l’autocratie néocoloniale. Le vent souverainiste qui souffle sur l’Afrique atteint le Sénégal par le bulletin de vote. Pour obtenir cela les militants en symbiose avec le peuple ont résisté à la répression sanglante et déjoué tous les pièges de l’autocratie libérale françafricaine.
Plusieurs dizaines de tués, notamment par les nervis, des centaines de blessés dont certains handicapés à vie, des milliers de prisonniers politiques dont certains torturés. Ce bilan macabre des tortionnaires exige vérité, justice et réparation. Les lois piétinées et les institutions malmenées, notamment l’institution judiciaire qui doit être assainie et son indépendance assurée. Le Conseil Constitutionnel vilipendé pour remettre en cause sa validation des candidats. L’administration souillée par des refus d’exécuter des décisions de justice. Les conquêtes démocratiques doivent être restaurées et le présidentialisme doit être réduit voire banni.
Les rapports des corps de contrôle (IGE1, IGF2, OFNAC3, Cour des comptes) victimes du « coude » de l’actuel président doivent être exhumés et mis à la disposition de la justice pour lutter contre la corruption endémique et un audit de la gestion du pays doit être réalisé pour jauger l’état réel de la situation économique.
Éviter le syndrome français du pouvoir de gauche
Le 10 mai 1981 le peuple français fêtait la victoire de la gauche PS/PCF mis à l’écart du pouvoir depuis la fondation de la 5éme République en 1958. Les premières mesures – nationalisations, retraite à 60 ans, abolition de la peine de mort, loi Auroux sur la citoyenneté dans l’entreprise, loi Gayssot pénalisant le racisme, etc – avaient suscité plein d’espoir de « changement ». Mais dès 1984, le PS sous la houlette de Mitterrand rejoignait le « there is no alternativ » du libéralisme de Thatcher et Reagan. L’impérialisme profitait ainsi de la défaite du camp socialiste d’Europe pour imposer le totalitarisme de la pensée unique libérale au monde, y compris l’Afrique à l’exception des rescapés du camp socialiste Chine, Vietnam, Corée du nord, Cuba.
Ce ralliement de la gauche française à « there is no alternativ » au libéralisme est la voie qui a conduit au social-fascisme va-t-en guerre actuel du PS, à la fascisation de l’actuelle fusion du bipartisme « droite-gauche » et contre lesquels eurent lieu le vote populaire majoritaire du NON au Traité Constitutionnel qui était conçu comme une étape de l’Union Européenne vers un État fédéral impérialiste, la réémergence de la lutte multiforme des classes laborieuses (les bases syndicales CGT, les Gilets Jaunes, les Quartiers populaires, les Sans Papiers, les paysans), l’émergence d’une gauche politique résistante d’abord des collectifs anti-libéraux, puis du Front de gauche ensuite de La France Insoumise et enfin de l’actuelle Union Populaire.
L’alternative de rupture promise alors s’est ainsi fondue en alternance et cohabitation « droite/gauche » déclinant dans une continuité quasi absolue le seul et unique programme que le grand patronat impérialiste français a résumé ainsi : « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ». « Défaire méthodiquement » les conquêtes sociales et démocratiques du prolétariat et du peuple français en 36, 45, 68, c’est cela qu’a produit la défaite idéologique du communisme français peu à peu intégré dans le système de la démocratie bourgeoise dont la crise montre aujourd’hui qu’elle est au fond une dictature de classe du capital financier français de plus en plus Européen n’ayant rien d’autres à offrir que la misère, les bas salaires, le fascisme, l’empoisonnement de la nature et la guerre.
De l’euphorie populaire à la déception puis au retour de la lutte des classes laborieuses devant préparer et féconder la nécessaire remontée politique du communisme révolutionnaire français débarrassé des scories réformistes social-démocrates pour que triomphe la révolution socialiste première étape du communisme est le pénible chemin pris par l’histoire dans l’ex-métropole coloniale que nous devons absolument éviter au Sénégal.
Prendre le chemin des expériences souverainistes en Afrique et en Amérique du sud
Notre peuple de la terre africaine du Sénégal vient de propulser le camp souverainiste au pouvoir après avoir montré une grande détermination face à la répression mortifère et une grande ingéniosité en « sonkorisant » le pays pour déjouer tous les stratagèmes de l’État hors la loi de Macky/APR/BBY rejoint ensuite par le PDS. L’espérance de ne plus être contraint à l’émigration forcée macabre et de pouvoir rester au pays pour y avoir une vie meilleure a été un moteur dans ce combat héroïque qui a réussi l’hégémonie culturelle du souverainisme contre le néocolonialisme et la belle victoire dans les urnes de la coalition Diomaye mooy Sonko.
Le ralliement massif des libéraux dans le parti puis dans la coalition souverainiste tactiquement nécessaire avant le vote pose maintenant un enjeu stratégique de vigilance et de démarcation au sein même des forces coalisées qui ont participé à l’avènement du nouveau pouvoir.
Nous devons regarder vers les expériences anti-libérales et anti-impérialistes qui se frayent peu à peu difficilement un chemin dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina, Niger) et plus nettement en Amérique du sud (Cuba socialiste, Venezuela, Bolivie, Colombie, etc).
La lutte contre la corruption, la mal-gouvernance d’une bureaucratie bourgeoise d’État qui s’est transformée en État hors la loi est un des axes cardinaux pour :
– réduire fortement la vie chère donc les prix des denrées de premières nécessités vitales contre la famine qui menace de nombreuses familles et le peuple ;
– rendre justice et réparer les crimes des répressions du régime présidentialiste néocolonial autocratique;
– à défaut d’un régime de transition présidentiel pour réparer l’élimination injuste du candidat normal au stade actuel du camp souverainiste qu’est Sonko, renforcer aux législatives puis aux locales les forces souverainistes véritables;
– assainir les institutions, l’administration, les forces de défense et de sécurité et les corps de contrôle de l’État à partir des critères d’éthique, de droiture, de compétence, de fidélité au « projet » et de « don de soi »;
– renégocier les accords et concessions léonins qui spolient le peuple et sont attentatoires à la souveraineté nationale; Faire partir les bases militaires françaises et Afrikom;
– Se battre pour pousser l’UEMOA et la CEDEAO à rejoindre la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES) souveraine et la rejoindre sans hésitation, pour bâtir ensemble notre souveraineté monétaire, douanière, fiscale, diplomatique et militaire sécuritaire, étape vers l’État fédéral ouest-africain puis vers l’État fédéral d’Afrique.
Rassembler les révolutionnaires pour assurer la durabilité de l’expérience souverainiste
Les libéraux du camp souverainiste vont s’unir et agir pour que la nouvelle expérience demeure une alternance et non une alternative souverainiste. Les formules « c’est le privé qui crée des emplois et non l’État », « la monnaie souveraine = dévaluation et donc ne vaut rien », « attention à l’aventurisme », « les BRICS sont aussi impérialistes que l’UE et les USA », etc, sont attrape-nigaud et doivent être fermement combattues pour exercer notre souveraineté nationale en toute indépendance à partir du critère fondamental de nos intérêts nationaux et panafricains.
La bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationale même temporairement radicale vont être tiraillées entre « intérêt national » et « intérêt de classe ». Ne pas confondre l’intérêt du peuple et l’intérêt de la bourgeoisie même nationale. Les classes laborieuses qui ont été la véritable force sur le terrain de la victoire obtenue par les leaders, partis et coalitions du camp souverainiste et qui ont été les principales victimes de la répression criminelle de l’État hors la loi doivent émerger comme force politique indépendante pour éviter que l’alternative anti-libérale et anti-impérialiste ne soit transformée en simple alternance au Sénégal. Il en est de même au Mali, au Burkina, au Niger.
Les grands absents de la lutte pré-électorale au Sénégal ont été les centrales syndicales qui ont laissé le peuple se battre tout seul et hors syndicats contre l’État hors la loi. C’est un scandale qui interpelle les bases syndicales, les militants révolutionnaires syndicalistes qui doivent monter au créneau contre les bureaucraties et aristocrates des syndicats devenus des ONG.
Parallèlement comme le dit l’appel du 27/08/22 du journal communiste, ouvrier, panafricain des classes laborieuses Ferñent, la tâche est maintenant de :
– raffermir, renforcer et développer le camp patriotique panafricain pour la souveraineté nationale et panafricaine;
– rassembler les patriotes dans un front démocratique national et panafricain;
– œuvrer à reconstruire la conscience de classe des travailleurs, notamment la classe ouvrière afin de la rendre idéologiquement et politiquement indépendante;
– produire une connaissance scientifique matérialiste de notre société pour la transformer contre le néocolonialisme;
– renouer avec la marche historique vers la fin de l’oppression nationale et sociale;
– regrouper transversalement les communistes disséminés, préparer par l’unité d’action théorique et pratique leur retrouvaille et rétablir l’internationalisme communiste étape vers l’unité mondiale des classes laborieuses et des communistes .
28/03/24
1– Inspection Générale d’État. Placée sous l’autorité directe du président de la République, cette institution a la charge de contrôler l’ordre administratif.
2– Inspection Générale des Finances.
3– Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption.