Indécent: tel est l’adjectif qui convient le mieux, malheureusement pour la diplomatie française et internationale, pour qualifier, par-delà son incroyable grossièreté, ce rire gras et sonore qui a soudain retenti, avec une rare spontanéité, dans la bouche de Bernard Kouchner lorsque des journalistes serbes lui ont demandé, comme le montre une toute récente vidéo, ce qu’il pensait de l’abominable trafic d’organes humains dont se serait rendu coupable Hashim Thaci, ancien commandant en chef de l’Armée de Libération du Kosovo (UCK) et actuel Premier Ministre de ce pays, ainsi que vient de le révéler Dick Marty dans l’accablant rapport qu’il a rédigé pour le compte du Conseil de l’Europe.
Car, admettant même que Dick Marty ne puisse pas apporter les preuves nécessaires et suffisantes, dans son enquête, pour inculper de manière définitive Hashim Thaci de crimes de guerre ou contre l’humanité sur cet épineux dossier, une telle réaction, de la part de l’ancien administrateur onusien du Kosovo (la MINUK), s’avère pour le moins outrageante, venant de surcroît d’un docteur versé dans l’humanitaire, au regard de la simple déontologie médicale tout autant que de la mémoire des cinq cents victimes supposées.
Ainsi, avant de s’esclaffer publiquement avec autant d’arrogance, sans pudeur ni réserve, ce French Doctor qui n’hésita pas à brader son ancienne légende, fût-elle largement mystifiée, pour un éphémère et surtout illusoire poste de Ministre des Affaires Etrangères auprès d’un Président encore plus vulgaire que lui – ce qui n’est pas peu dire ! – aurait-il peut-être pu, face à la gravité des faits incriminés, prendre un instant la question au sérieux, se sentir quelque peu interpelé à défaut de s’estimer véritablement concerné, et respecter ainsi, sinon la douleur des proches de ces disparus, dont l’effroyable sort l’indiffère apparemment, du moins sa propre conscience d’ancien responsable, précisément, de cette région, particulièrement meurtrie, des Balkans.
Non : le docteur Kouchner, loin d’émettre même le plus petit doute sur la culpabilité présumée de son ami Thaci, a préféré balayer d’un simple et commode revers de main, retranché derrière son bruyant et inconvenant rictus, le rapport de Dick Marty, sans jamais le prendre, ne fût-ce qu’une seule seconde, en considération. Belle leçon d’(in)humanité pour le French Doctor, indigne de son statut !
Bien plus, ne disposant d’aucun argument valable pour démentir les accusations du sénateur suisse, il a choisi, pour se défendre, lui et son ami mafieux, l’insulte la plus abjecte : ceux qui colportent ces « bêtises », a-t-il proféré dans son langage extrêmement châtié en l’occurrence, sont des « malades » et des « fous qui croient n’importe quelle connerie », lesquels devraient même, a-t-il lancé abruptement à un journaliste un peu trop dérangeant à son goût, « consulter ».
Pis, n’ayant que le plus aveugle et malhonnête déni de la réalité en guise de bouclier politico-moral, surtout pour sauver sa propre tête, il est monté encore d’un cran, face à l’insistance de ces mêmes journalistes, dans l’invective, toujours aussi sûr de son bon droit comme de son impunité diplomatique : ceux qui « croient aux ventes d’organes », a-t-il renchéri au bout de son par trop facile processus injurieux, sont (je le cite encore textuellement) des « salauds » et même – comble de l’ignominie la plus paradoxale – les vrais « assassins » !
Que dire de plus, et qu’ajouter encore à cette patente mauvaise foi, doublée de la plus déplacée des fatuités, sinon que l’inénarrable Docteur Kouchner a définitivement jeté là, surtout face à pareille tragédie humaine, avérée ou non qu’il soit, son masque, laissant ainsi enfin apparaître, comme épousant les sinistres formes de son horrible rire, son vrai visage : celui d’un cynisme qui n’a d’égal, en effet, que son indécence !
Morale de cette funeste affaire ? C’est l’ONU tout entière qui, pour l’avoir ainsi un jour élu à la tête de la MINUK, devrait en être, aujourd’hui, gênée. Car si les gravissimes faits reprochés à son ami Hashim Thaci devaient être attestés par d’irréfutables preuves, en attendant un éventuel transfert vers le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), sa mission au Kosovo se révélerait alors, sans vouloir faire ici de vilains et incongrus jeux de mots, un mensonge par (o)mission : la pire, car la plus lâche, des complicités ! Avec, pour corroborer le tout, le sens même de la vérité cruellement brûlé, ainsi, sur l’autel de l’opportunisme géopolitico-médiatique tout autant que le bûcher des vanités.
Daniel Salvatore Schiffer
( Philosophe, écrivain, auteur de « Requiem pour l’Europe – Zagreb, Belgrade, Sarajevo » (Ed. L’Âge d’Homme, 1993, où l’auteur relate notamment sa libération du camp de Manjaca, en Bosnie, où étaient retenus prisonniers, par les Serbes, près de 3.000 Bosno-Musulmans et quelques centaines de Croates), « Les Intellos ou la dérive d’une caste – de Dreyfus à Sarajevo » (Ed. L’Âge d’Homme, 1995), « Les Ruines de l’intelligence – Les intellectuels et la guerre en ex-Yougoslavie » (Ed. Wern, 1997), « Critique de la déraison pure – la faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (Bourin Editeur, 2010),) « Les Déshérités ou le testament du Kosovo » (inédit, à paraître).