Dans son édition du 9 juillet, pour sa rubrique littéraire « Lettre ou pas Lettres », Le Canard enchaîné a publié sous le titre « Marche ou Kiev » un éloge du dernier livre d’Andreï Kourkov par Anne-Sophie Mercier. Ceux qui apprécient le « Canard » pour son impertinence auront été servis… On apprend ainsi que Maïdan était une « utopie », un « rêve européen ». La preuve : « le mouvement organise des cours d’anglais gratuits. » Ah, le tout-anglais ! Que le règne du globish arrive ! Ça c’est de l’utopie ! Thomas More peut aller se rhabiller !
Ukraine propagande et désinformation : les médias occidentaux jouent de concert la symphonie du bourrage de crâne !
« Il y a aussi les ennemis politiques, poursuit Le Canard, les pro-Russes, bien sûr, mais aussi les nationalistes radicaux, les redoutables svobodistes, soucieux d’infiltrer la révolution. » Comme ses confrères de la presse des grands groupes financiers Bouygues, Dassaut et autres Lagardère, le palmipède a recours à l’euphémisme pour protéger Svoboda en faisant mine de l’attaquer. Rappelons-le encore, ce parti n’est pas simplement « nationaliste », mais clairement FASCISTE. Il s’appelait « Parti National-Socialiste d’Ukraine jusqu’en 2004, date à laquelle il a décidé de lisser son image pour être plus présentable, comme la plupart de ses homologues européens (son chef, Tiahnybok, a d’ailleurs rencontré le père Le Pen et Gollnish à Villepinte en 2009…). Son drapeau porte une innocente main jaune sur fond bleu, mais ses militants continuent d’arborer fièrement l’ancien emblème : la rune WolfsAngel de la division Das Reich, tout en brandissant des portraits du massacreur de Juifs Bandera. En 2012, l’ambassadeur d’Israël en Ukraine avait protesté contre les déclarations antisémites de Tiahnybok. Par ailleurs, soit Kourkov (comme BHL) n’a pas vu les nazis patentés du Pravyi Sektor avec leurs croix gammées (les premiers à avoir pris l’offensive contre les russophones du Donbass), et le Canard ne juge pas utile de s’étonner de cette cécité, soit l’oiseau des mares a choisi de ne pas en parler.
Le Canard Enchainé verse dans la caricature…
Soucieux de se distinguer, l’hebdomadaire satirique offre pourtant à ses lecteurs une information précieuse : si les militants de Svoboda peuvent « infiltrer » le mouvement, c’est grâce à « un pouvoir qui leur laisse les mains libres pour décrédibiliser l’insurrection. » Ainsi, même la face sombre de Maïdan peut être imputée à l’ex-président Ianoukovitch ! Bravo à l’auteur du « Pingouin » et à son ami Canard pour ce beau transfert des responsabilités ! Quant à la présence, dans le gouvernement nommé après la victoire de l’insurrection, de six ministres de Svoboda, on attend avec impatience le prochain livre de Kourkov pour savoir dans quelle mesure Ianoukovitch (ou Poutine ?) en est responsable…
Vient ensuite le passage obligé depuis les offensives médiatiques menées ces dernières années par les fascistes ukrainiens sur « la-famine-génocide-organisée-par-les-Juifs-et-les-communistes-en-1933 » : Holodomor. Le Canard reproduit telle quelle leur propagande et parle de « famine artificielle organisée dans les années 30 par les Soviétiques pour briser la paysannerie ukrainienne opposée à la collectivisation des terres. » On passe ici sous silence le fait que les témoignages sur la « grande famine » émanent des émissaires de Mussolini (dont la parole devient pour la circonstance l’Évangile de nos grands démocrates). On gobe aussi avec délice ce bobard selon lequel le pouvoir soviétique aurait provoqué sciemment une famine terrible dans son propre grenier à blé. On oublie soigneusement le rôle des koulaks (les paysans riches, ennemis jurés du régime), qui sabotaient systématiquement l’appareil économique. Mieux : on va encore plus loin que le Livre noir du communisme. « Faut-il voir dans cette famine, comme le font aujourd’hui certains publicistes et historiens ukrainiens, un « génocide du peuple ukrainien » ? », s’interroge Nicolas Werth dans les pages qu’il consacre à ce sujet, avant de remarquer que « proportionnellement la répression par la famine a touché tout autant les contrées cosaques du Kouban et du Don, et le Kazakhstan. » Le Canard, lui, emboîte résolument le pas (de l’oie) aux historiens ukrainiens et « publicistes » soucieux de montrer que la « mafia judéo-bolchevique » a fait pire que les nazis : «La Russie n’a jamais reconnu ce génocide », assène le palmipède.
Et pour finir en beauté, on nous apprend malicieusement que Kourkov préfère Lénine à Staline « parce qu’il est mort plus tôt. » Au moment où le procureur général d’Ukraine (membre de Svoboda, lui aussi !) mène une « enquête » sur le PC Ukrainien (dont les conclusions amèneront son interdiction, on peut le parier sans risque), où les néo-nazis abattent les statues de Lénine partout où ils le peuvent dans le pays, où les fascistes ukrainiens bombardent les insurgés du Donbass qui se battent sous le drapeau rouge (quand ils ne les font pas brûler vifs), il était en effet essentiel de leur donner un petit coup de main médiatique.
Le Canard n’a pas failli à son devoir : il l’a fait. Qui prétend que l’hebdomadaire satirique, sous des dehors impertinents, est en réalité une tiède volaille centriste ? Au contraire, il sait choisir clairement quand il le faut. En Ukraine, une lutte à mort oppose en ce moment les fascistes et les communistes. Et très courageusement, Le Canard a choisi son camp !
VF