Septembre 1944 – Septembre 2024 – 80ième anniversaire de la Libération de Lyon.
Le 2 septembre 1944, c’est dans une cité en liesse qu’arrivent les premiers maquisards, suivit le lendemain par des éléments de l’armée française débarqués le 15 août 44 sur les plages de la Côte varoise.
Les Allemands avaient au préalable et en toute sérénité évacué Lyon et cela sans aucune opposition des forces armées de la Résistance.
Quelques jours auparavant, le 23 août 1944, les radios étrangère avaient annoncé que l’insurrection parisienne était victorieuse et que Paris était libéré.
Les combattants FTP-MOI du bataillon Carmagnole, qui depuis plus de deux ans déjà pratiquaient la guérilla urbaine dans Lyon, sont fous de joie, l’exemple de Paris les enthousiasme.
Convaincus que la Libération est proche, ils passent une partie de la nuit à fabriquer des brassards, portant la mention « FFI-FTP ».
Libérer Lyon, tel est leur désir. Mais ils sont conscients que la chose ne sera pas aisée, car L’Etat-major des F.F.I. à la tête duquel se trouve le Colonel Descours (Chef régional de l’O.R.A. auquel Alban Vistel, chef régional des F.F.I. avait confié le commandement des opérations) ne souhaite pas voir le peuple en armes et fait tout pour éviter une insurrection populaire.
A cet effet, dès fin mars début avril 1944, il donne l’ordre à toutes les unités armées de quitter la ville.
A la réception de ces instructions, les FTP-MOI protestent, convaincus que d’abandonner la ville aux Allemands est une erreur stratégique et qu’il est illogique de laisser Lyon sans défense.
De nombreuses unités de Résistance, obéissant aux directives de l’Etat-major FFI, quittent la ville et partent au maquis dès avril. (Où ils espéraient attendre en toute tranquillité le jour J)
Le 6 juin, jour du débarquement des alliés en Normandie, malgré leur désaccord avec ces directives, les FTP-MOI obtempèrent et c’est à contrecœur qu’ils abandonnent Lyon.
A peine ont-ils quitté la ville qu’ils ont des remords.
Quitter Lyon en laissant courir de pareils dangers à la population lyonnaise et plus particulièrement à tous les internés qui risquent à tous moments d’être fusillés, est impensable.
Aussi, après une journée de réflexion et de débats, ils décident de désobéir au colonel Descours et le 8 juin ils renvoient une partie de leurs effectifs, deux groupes de 8 combattants en ville, pour continuer la bataille afin de ne laisser aucun répit aux « boches ».
Dès leur retour, ils engagent le combat.
Le 9 juin dans l’après-midi, ils abattent un aviateur Allemand dans les rues de Villeurbanne.
Le 10 juin, ils descendent deux soldats Allemands dans Lyon.
Le 11 juin, ils exécutent un officier Allemand sur les quais du Rhône.
Dans la bataille un de leurs camarades, Jacques Kipman est tué place Ollier.
Le 13 juin, ils attaquent à la grenade en plein Lyon, un convoi de parachutistes Allemands. Une trentaine de morts ou de blessés graves dans les rangs ennemis.
Le 14 juin, le premier groupe attaque à la grenade un restaurant allemand, cinq officiers et deux soldats sont blessés.
Le deuxième groupe s’accroche avec une patrouille allemande et cinq soldats nazis sont grièvement blessés.
Le 16 juin, à 12 heures 15, attaque contre le garage « Eclair », sabotage d’une trentaine de gros camions Allemands.
A 12 heures 30, le deuxième groupe détruit plus de trente véhicules de l’armée allemande au garage Veyet.
Des déraillements, des actions de sabotages et des attaques contre des militaires ont lieu quasi quotidiennement.
Mais pour bien comprendre la situation, il nous faut revenir un peu en arrière.
Au cours du premier semestre de 1944, la Gestapo réussit à décapiter la quasi totalité des directions nationales et régionales des réseaux de Résistance qui avaient leur siège à Lyon.
A partir de la mi/mai 44, à l’exception de Carmagnole qui n’a jamais pu être ni infiltrée, ni décapitée, il ne reste plus aucune unité de la Résistance en armes dans l’agglomération lyonnaise.
Après le débarquement allié en Normandie, les nazis redoublent d’activités.
Ils déportent des prisonniers par milliers et assassinent des résistants en grand nombre.
Entre le 14 juillet et le 20 août 1944, 450 internés sont exécutés et enterrés à la hâte dans des charniers hors de l’agglomération.
Dans la seule journée du 20 août 1944, à Saint-Genis-Laval, 120 prisonniers, du Fort-Montluc, hommes et femmes sont abattus et leurs corps brûlés.
A l’annonce de ces épouvantables crimes, il est incompréhensible que les responsables régionaux des FFI n’aient pas donné l’ordre aux milliers de résistants cantonnés à la périphérie de Lyon de rentrer en ville et de s’opposer par tous les moyens à ces déportations et exécutions massives.
Cette passivité de l’Etat-major FFI ne relève plus de « l’erreur stratégique », mais de la volonté délibérée de ne pas nuire à l’occupant.
Désireux de frapper un grand coup, les FTP-MOI décident d’attaquer la prison Saint-Paul pour libérer des résistants qui à tout moment risquent d’être exécutés.
L’idée de cette attaque leur emplit le cœur d’une grande satisfaction, car ils n’ont pas oublié que c’est à l’intérieur de ces sinistres murs que leurs camarades Simon Frid et Jean Fiatkowski ont été, l’un guillotiné et l’autre fusillé.
Pour exécuter cette action, c’est la première fois, que le 24 août 1944 au matin ils sortent dans les rues avec des brassards et des armes à la main.
Ils se rendent rue Son-Tay à Lyon, où se trouve un garage de la police française, pour y réquisitionner des camions qui devraient leur permettre de pénétrer à l’intérieur de la prison.
Au moment où ils se regroupent devant le garage, ils apprennent que les résistants de la prison Saint-Paul ont déjà été libérés.
Au même moment, un train de militaires allemands passe sur la voie ferrée surplombant la rue.
Voyant des civils en armes, les soldats ouvrent le feu. Dès les premiers échanges Jean Ottavi, (Chef de groupe) est grièvement blessé (à 20 ans, il aura une jambe coupée).
Surpris par cette attaque imprévue, les combattants se replient en direction de Villeurbanne.
La population qui brûle d’en découdre avec l’occupant, voyant passer des hommes et des femmes en armes dans la rue, se met à crier « Vive le maquis ! » encadre et pousse les FTP-MOI en direction de l’Hôtel de Ville.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, plus d’un millier de personnes sont regroupées sur la place de la Mairie
Henri Krischer dit « Lamiral » chef du détachement « Carmagnole », intervient à plusieurs reprises du haut du balcon de l’Hôtel de Ville, demandant instamment à la population de rentrer chez elle, craignant qu’à tout instant des Allemands n’arrivent et ne fassent un carnage.
Malgré ses demandes réitérées, il ne parvient pas à faire disperser la foule qui au contraire augmente d’heure en heure et réclame des armes pour se battre, mais les « Carmagnole » en ont à peine pour eux et ne peuvent pas leur en remettre c’est pour cela qu’ils leur demandent de se disperser.
Mais si « Carmagnole » n’a pas d’armes, d’autres organisations en regorgent mais refusent de leur en fournir.
(Dans sa thèse « La Résistance à Lyon » Marcel Ruby, écrit : « Le cinéma « La Scala » en plein centre de la ville, constitue une des cachettes les plus étonnantes. Le directeur M.Amelle, dissimule grenades, revolvers, mitraillettes …. Hors de la ville des dépôts sont constitués dans des châteaux (château de Bagnols, château du marquis de Virieu, des carrières désaffectées, des couvents, des usines, des fermes, etc…L’un des plus importants est confié à l’Abbaye de Notre Dame des Dombes, près de Marlieu, dans l’Ain : Les pères trappistes camouflent sept cents tonnes d’obus de 75, une dizaine de camions, des chenillettes etc….
H. Amoretti signale aussi que la propriété de M. Viel à Millery reçoit l’armement complet d’un régiment d’infanterie, et qu’au Teil « on réussit même à caser un élément de train blindé, soit trois canons de marine sous casemate ! »).
Marcel Ruby continue l’énumération des armes cachées, mais nous, nous arrêterons là son récit révoltant, car tout ce matériel n’a jamais été remis à ceux qui se battaient !
Mais revenons à Villeurbanne, devant l’impossibilité de faire disperser la foule, André Lamiral commandant du bataillon Carmagnole » dépêche un agent de liaison auprès de Lefort (responsable interrégional des FTP-MOI de la région Rhône-Alpes) pour lui demander des instructions.
Ce dernier ne sachant trop que faire, s’adressa alors au colonel (Norbert Kugler, Allemand) ancien des brigades internationales et commandant de tous les FTP-MOI de la zone-sud, pour demander des directives.
Fuyez répondit-il, car rien n’est prévu pour vous assister, bien au contraire, tous les FFI sont bloquées hors de la ville avec interdiction de pénétrer dans Lyon et vous allez vous faire massacrer ainsi que les villeurbannais qui vous auront rejoint.
André Lamiral du balcon de l’Hôtel de ville s’adressa à plusieurs reprises aux gens massés sur la place en leur demandant de rentrer chez eux, parce-que les allemands risquaient d’ouvrir le feu et de faire un massacre, mais personne ne voulait quitter la place et voulait engager des combats pour libérer Villeurbanne.
Devant ce refus et après consultation de ses supérieurs André donna comme directive de construire des barricades.
En quelques heures, toutes les routes d’accès au centre ville sont coupées, les villeurbannais s’emparent des armes se trouvant au commissariat de police et à la gendarmerie, d’autres sortent les fusils et les revolvers qu’ils cachaient depuis plus de quatre ans et se lancent au combat.
Pendant trois jours, les 24 – 25 et 26 août, ces hommes et ces femmes, armés essentiellement d’espoir et de courage tiennent tête aux assauts des Allemands et arrivent avec des moyens de fortune à incendier plusieurs blindés nazis.
Chacun espère voir arriver des maquisards en renfort, mais rien, ni personne n’accourt à leur aide.
Ce qu’ils ignorent, c’est que leur révolte au lieu de réjouir les responsables FFI, les indispose, car elle s’oppose aux dispositions prises par le colonel Descours et ses proches qui ne souhaitent en aucun cas, voir Lyon se libérer lui-même.
Ils redoutent un soulèvement, et craignent que le peuple ne demande des comptes, car non seulement ils n’ont pas fourni les armes et l’aide nécessaires aux insurgés, mais ils ont tout fait pour que l’insurrection de Villeurbanne échoue.
Descours a interdit toute infiltration des FFI dans l’agglomération il s’agissait là d’une véritable provocation, montée afin de nuire à l’insurrection villeurbannaise et à l’éventuelle libération de Lyon, la preuve le télégramme ci-dessous :
« Le 25 août, le B.C.R.A., (Bureau Central de Renseignement et d’Action dirigé par Passy) câble de Londres à Bourgès-Maunoury (délégué du B.C.R.A. en France), que les FTP ont pris Lyon, qu’ils exécutent des milliers de personnes et que les FFI, attendent l’arrivée des blindés alliés pour reprendre la ville »
Il s’agissait là d’une véritable trahison, démontrant clairement que les représentant de de-Gaulle ne souhaitaient pas que Lyon soit libéré par les lyonnais et pour cela ils utilisaient même le mensonge, la preuve étant que l’insurrection qui venait d’éclater ne concernait que Villeurbanne, rien ne se passait ailleurs.
A Villeurbanne, après trois jours de combats acharnés, les Allemands comprenant que les insurgés ne bénéficient d’aucune aide extérieure, décident d’en finir.
Le 26 août au soir, ils regroupent devant leurs troupes, des civils, hommes, femmes et enfants et menacent d’attaquer les barricades derrière ce bouclier humain.
Ils font savoir, que si la libre circulation de leurs troupes n’est pas immédiatement rétablie, ils bombardent la ville à l’artillerie lourde.
Déçus d’être resté seul et devant le risque de provoquer un grand nombre de morts, les FTP-MOI demandent à tous de cesser les combats et de se disperser.
A ce moment-là, le désordre règne, certains combattants se replient dans Lyon avec l’espoir de reprendre la guérilla urbaine, d’autres sont entraînés vers la banlieue, où ils combattent dans Vénissieux, puis dans Vaulx-en-Velin et terminent leur retraite du côté de Marcy-l’Etoile.
A Marcy-l’Etoile, ils regroupent des maquisards éparpillés et constituent le bataillon FTPF Henri Barbusse. C’est cette unité, qui le 2 septembre entrera la première dans Villeurbanne, cette fois libérée pour de bon !
Dans les jours qui suivent l’insurrection, les FTP-MOI quelque peu désorganisés cessent leurs actions de guérilla.
Les Allemands profitant de cette aubaine, commencent dés le 27 août, leur évacuation et de longues files de chars et de camions camouflés par des branchages s’enfuient en direction de Nancy, ne laissant sur place que quelques soldats du génie, ayant pour tâche de laisser passer les colonnes allemandes en retraite et ensuite de faire sauter les ponts sur le Rhône.
C’est alors que les lyonnais voient passer sous leurs fenêtres une armée allemande qui, remontant la vallée du Rhône, arrive en guenilles.
Des soldats dépenaillés, certains sur une charrette tirée par un cheval, d’autres à vélo, d’autres encore à pied et traînant la patte.
C’en est fini de la glorieuse armée allemande. Maintenant la peur et l’angoisse se lisent sur le visage de ces hommes qui pendant quatre ans ont fait régner la terreur sur les pays qu’ils occupaient.
Cependant avant de se retirer, ils font sauter tous les ponts du Rhône, sans qu’il n’y ait la moindre résistance à leur action.
Lyon évacué est enfin débarrassé de ses occupants, mais les « attentistes » ont gagné le combat qu’ils avaient perdu dans la capitale, à l’inverse de Paris ils ont réussi à empêcher que Lyon ne s’insurge.
L’insurrection de Villeurbanne, née de la volonté d’une population désireuse de se libérer elle-même, a été abandonnée, trahie et vilipendée par la direction régionale FFI et ses amis.
Pourtant, même si cette insurrection n’a pas entraîné la libération de Lyon, elle n’a pas été inutile, bien au contraire, car le 24 août au soir les occupants et leurs valets de Vichy, croyant faire face à des forces importantes abandonnent diverses prisons, permettant ainsi à plus d’un millier d’internés destinés à la mort ou à la déportation, de prendre la « poudre d’escampette ».
Par la suite les survivants, échappés du Fort-Montluc, ont fait ériger un[D1] monument sur l’enceinte de la prison, sur lequel ils ont inscrit « Ici souffrirent sous l’occupation allemande dix mille internés, victimes des nazis et de leurs complices. Sept mille succombèrent. L’insurrection populaire FFI libéra 950 survivants le 24 août 1944 ».
Bel hommage adressé aux insurgés !
Lyon, capitale de la Résistance
Certains chroniqueurs, journalistes ou historiens prétendent que ce titre lui a été attribué pour la seule raison, que c’est dans cette ville que pendant l’occupation s’étaient regroupés les Etats-majors nationaux de presque tous les réseaux français de Résistance.
Ne retenir que ce critère, c’est faire bon marché de toutes les opérations militaires accomplies par la Résistance et plus particulièrement par celles réalisées par les FTP-MOI, auxquels radio Londres et radio Moscou ont à plusieurs reprises rappelé leurs prouesses et rendu hommage sur leurs ondes.
Lyon, est la ville de France où la guérilla urbaine a accompli le plus grand nombre d’opérations militaires.
A cause du sabotage intensif des voies ferrées et des usines produisant pour l’occupant, Lyon deuxième centre industriel de notre pays, n’a été bombardé qu’une seule fois, alors que d’autres cités l’ont été à de multiples reprises.
Ne pas tenir compte de cette réalité, revient à gommer le rôle joué par la guérilla urbaine, de laquelle des spécialistes de l’histoire contemporaine, disent en l’évoquant qu’elle était « Le fer de lance de la Résistance armée française ».
Charles Tillon (Ancien Commandant en chef des Francs Tireurs et Partisans Français) leura rendu hommage en déclarant, « Formation d’élite, Carmagnole un des plus beaux fleurons, si ce n’est le plus beau fleuron de la Résistance armée française ».
Les états de services de « Carmagnole » sont impressionnants, en voici un résumé :
—- 261 opérations militaires homologuées par les services des armées, (et plus d’une centaine d’autres non homologuées).
—- 46 attaques contre des usines travaillant pour l’occupant.
Parmi lesquelles certaines très importantes pour l’industrie de guerre :
Le 25 janvier 1944, destruction partielle de l’usine Bronzavia qui produisait des moteurs d’avions pour les Allemands. 46 moteurs d’avions plus un moteur prototype détruit, le bureau d’étude incendié. Arrêt complet de l’usine pendant plusieurs jours.
Le 30 avril 1944, sabotage de Coignet, le plus grand centre de production de produits chimiques de la région lyonnaise. Les explosions provoquèrent un incendie et l’usine resta 4 mois à l’arrêt complet.
—- 51 attaques contre les troupes d’occupations. (Plus d’un millier d’Allemands tués ou blessés).
Deux exemples d’attaques :
Le 3 novembre 1943, 80 soldats, morts ou blessés, restèrent sur la chaussée à Caluire, proche du lieu où fut arrêté Jean Moulin.
Le 13 juillet 1944, attaque à la grenade d’une colonne de parachutistes Allemands en plein centre de Lyon, une trentaine de tués et de blessés graves parmi les « paras ».
—- 52 déraillements et sabotages de dépôts ferroviaires. (Plusieurs centaines de locomotives et de wagons détruits. Les déraillements étant devenus une action routinière des dizaines et des dizaines de déraillements n’ont pas été homologués).
Deux exemples de destructions de locomotives :
Le 22 novembre 1943, dépôt de Grigny, 32 locomotives sabotées et un compresseur détruit.
Le 25 janvier 1944, dépôt de Vénissieux, 15 locomotives sabotées.
—- 14 attaques contre des garages Allemands. (Plusieurs centaines de véhicules détruits).
En conclusion, le respect de la vérité historique contraint de dire que la guérilla urbaine pratiquée par les FTP-MOI, a grandement contribué à donner le titre de capitale de la Résistance à la ville de Lyon, le reconnaître et le dire à l’occasion de ce soixantième anniversaire de la Libération, n’est que justice !
Léon Landini
Président de l’Amicale des Anciens FTP-MOI des bataillons Carmagnole et Liberté
Cet article est une republication du texte publié par Léon Landini pour le 60e anniversaire de la libération de Lyon