Avec plus dizaines de milliers de manifestants dans les rues à travers toute la France, la journée de grève nationale de ce jeudi 12 décembre marque une nouvelle étape dans la contestation sociale des politiques d’euro-austérité, de désindustrialisation et de destruction de l’emploi en France mises en œuvre par Macron dans la foulée des euro-gouvernements précédents. Les cortèges, pour certains fournis malgré l’absence des confédérations CFDT, CFTC, UNSA, etc., ont rassemblé enseignants, soignants, agents territoriaux, cheminots, et bien d’autres secteurs du monde du travail.
Les revendications sont claires et pressantes : défense d’une politique industrielle nationale promouvant l’emploi industriel, les salaires et articulée aux enjeux écologiques et sociaux ; revalorisation des salaires et du point d’indice des agents publics ; refus des coupes budgétaires dans les services publics et les remboursements Sécu ; fin des subventions publiques aux entreprises privées sans contrepartie sociale, abrogation de la contre-réforme des retraites et arrêt immédiat de toutes les contre-réformes d’inspiration euro-maastrichtienne (SNCF, Hôpital, EDF, indemnités chômage…), de toutes les délocalisations et de toutes les euro-privatisations, sans oublier l’empilement de contre-réformes détruisant l’école de la nation. Cette colère est portée dans le pays par le rejet massif des politiques euro-austéritaires imposées par Bruxelles et appliquées sans concession par le régime Macron.
Les grandes confédérations syndicales face à leurs propres limites
Cependant, cette mobilisation met aussi en lumière les failles stratégiques des organisations syndicales françaises et européennes de salariés. Alors que les travailleurs continuent de répondre présents dans la rue, les stratégies répétitives de journées d’action isolées, suivies de longs temps morts et entrecoupées de « dialogue social » bidon ne servant qu’à enrober les contre-réformes, montrent encore leurs limites, voire leur nocivité.
Au cœur de cette impasse se trouve le rôle délétère de la Confédération européenne des syndicats (CES). En prétendant donner à l’UE néolibérale un « volet social » totalement inconsistant, la C.E.S., à laquelle adhèrent la CFDT, F.O. et la CGT et qu’à encore récemment présidée… Laurent Berger !… s’est largement alignée sur les institutions et politiques supranationales de l’UE qui privilégient la compétitivité capitaliste et la flexibilité à tout prix, fragilisent les protections sociales et favorisent la concurrence, et donc la division, entre les travailleurs.
Plutôt que de construire un rapport de forces conséquent contre l’euro-austérité imposée par les traités européens, la CES privilégie une approche de négociation technocratique, déconnectée des réalités des luttes sur le terrain et n’ayant d’autre objectif que celui d’aménager les politiques capitalistes pour contenir la colère populaire. Cela affaiblit les mouvements nationaux, qui se retrouvent enfermés dans des cycles de protestations ponctuelles, sans perspective claire de victoire. Le prétendu « lobbying social » porté par la C.E.S. est du reste dénué de toute crédibilité, car là où la C.E.S. met 1 euro sur la table pour financer des lobbyistes (au lieu d’investir sur les manifs populaires!), les firmes monopolistes qui assiègent en permanence le « Parlement » européen investissent plusieurs milliers d’euros! Se déporter ainsi sur le terrain de l’adversaire, c’est jouer d’avance perdant pour le camp du travail.
La colère des travailleurs : un défi pour les syndicats
Les travailleurs en grève aujourd’hui dénoncent non seulement le mépris de leur gouvernement, mais aussi l’absence d’une stratégie syndicale efficace pour faire front. Alors que les coupes dans les budgets publics et les suppressions de postes s’intensifient, que les plans de licenciements se multiplient et que les hôpitaux, écoles et services municipaux s’effondrent sous la pression de l’euro-austérité, des dépenses de surarmement imposées par l’OTAN et du « remboursement de la dette » aux usuriers des « marchés financiers », les syndicats doivent se demander si des journées d’action isolées, éludant totalement la nécessité de bloquer l’exploitation capitaliste en France et en Europe, suffisent face à la violence des attaques antisociales et antinationales actuelles.
Ce mécontentement trouve aussi écho dans le refus croissant des travailleurs d’accepter l’idée que l’austérité serait une fatalité imposée par l’Europe; c’est d’autant plus vrai que le monde paysan, lui, n’hésite plus désormais, face à une PAC européenne tournée contre les petits paysans et d’un traité UE/Mersocur mortel pour le produire en France agricole, à brûler partout un drapeau européen qui n’a jamais rien eu d’internationaliste. L’enjeu est donc double : non seulement combattre les politiques du gouvernement Macron, mais aussi rompre avec les logiques de collaboration de classes portées par la CES et par ses affiliés.
Une mobilisation pour soutenir victorieusement les affrontements de classes prochains
Pour répondre à la gravité de la situation, nombre de syndicalistes de lutte, à raison, appellent à une convergence réelle des luttes. Cela passe par :
- La construction d’un front réunissant travailleurs du public et du privé, ouvriers, employés, agriculteurs et fonctionnaires, sans distinction, pour défendre les droits sociaux, l’emploi productif, les retraites, la Sécu, les services publics et les salaires.
- La dénonciation franche des politiques imposées par l’UE à notre pays, qui favorisent les délocalisations, la désindustrialisation, le « libre-échange » trans-atlantique, et les dividendes des actionnaires au détriment des services publics et des protections sociales.
- La rupture nette avec les choix stratégiques des directions syndicales inféodés à l’Union européenne, et la nécessité pour les organisations nationales de reprendre le contrôle de leur agenda de lutte, indépendamment des injonctions de Bruxelles et de la C.E.S.
- la défense de la paix en Europe et dans le monde, car les 413 milliards d’euro détournés par Macron, Lecornu et Cie pour la loi de programmation militaire exigée par l’OTAN, ne servent qu’à déstabiliser la paix en Europe tout en arrosant les marchands de missiles et en privant la protection sociale et les services publics des moyens de fonctionner: plus que jamais, l’argent pour les salaires, pas pour la guerre, l’argent pour nos paysans, pas pour l’OTAN, l’argent pour l’hôpital, pas pour la guerre mondiale ! Ignorer totalement cet aspect des choses c’est, pour nos syndicats, faillir totalement à la défense de la vie qui est leur première mission !
Car il est temps d’aller au-delà des symboles et des protestations ponctuelles. Les luttes sociales doivent désormais s’organiser dans la durée, avec des objectifs clairs et une volonté d’affronter de manière frontale les politiques d’euro-austérité imposées: c’est ainsi que, dernièrement, les travailleurs américains (Stellantis, Boeing, John Deer…), canadiens (postiers, cheminots, enseignants), italiens (qui sortent d’une grève générale très suivie), ont remporté de grandes victoires. Les fonctionnaires, travailleurs du privé, jeunes, retraités, tous ont aujourd’hui conscience que seules des mobilisations ET DES GRÈVES DURES, coordonnées, prolongées et appuyées sur les grèves QUOTIDIENNES que la classe ouvrière en France mène pour sauver ses salaires et ses emplois, pourront changer la donne.
Alors que la colère gronde, les syndicats les plus combatifs, ainsi que les syndicalistes de classe, sauront-ils prendre la mesure de cette urgence en rompant avec des stratégies d’accompagnement stériles pour mener un véritable combat ? Et pourquoi pas envisager de nouveau une nouvelle journée de rassemblement, de débat et de construction des luttes des secteurs rouges de la CGT, comme ce fut le cas à Gardanne en 2021 ?