Dans un très récent interview au Monde (22 septembre) , Ph. Martinez à la question du journaliste :
« Vous inscrivez-vous dans la mutation de la CGT, engagée par Louis Viannet et poursuivie par Bernard Thibault, qui conduisait à une certaine adaptation de votre syndicalisme ? »
répond :
« Ce n’est pas la lecture que j’en ai. Cette démarche a réaffirmé l’indépendance par rapport aux partis politiques. Ce serait une bêtise de revenir en arrière. Il faut la réaffirmer haut et fort. Il faut réfléchir sur le syndicalisme rassemblé lancé par Louis Viannet en 1995. Le besoin d’unité syndicale demeure, mais il ne faut pas faire semblant d’être d’accord quand on ne l’est pas. Notre priorité, c’est le lien avec les salariés. Il n’y a donc pas de rupture. On s’inscrit dans la continuité mais en prenant en compte la situation actuelle. »
C’est une réponse qui répond à côté de l’essentiel.
Car l’adaptation du syndicalisme dont il est question ne peut absolument pas se réduire à celle de l’indépendance par rapport aux partis politiques ou à la seule question de l’unité.
Procéder ainsi c’est effacer de la mémoire militante ce qui s’est réellement passé dans les années 90 et qui continue de peser lourdement sur notre présent et notre activité.
Et en particulier gommer le fait que cette adaptation de la CGT est étroitement liée à l’adhésion à la Confédération européenne des syndicats (CES).
Alors rafraîchissons nos mémoires!
En bref l’origine de la CES
Les conditions d’adhésion de la CGT
La période 1973-1990
La CFDT et FO y sont depuis l’origine.
La CGT demande son adhésion à la CES depuis 1974
Mais cette adhésion est refusée avec les arguments suivants mettant en cause : la conception de la société de la CGT, sa pratique politique et son affiliation internationale. L’adhésion de la CGT étant considérée comme de nature à causer des torts à la cohésion interne de la CES.
Le retrait de la CGT de la FSM étant la condition clé, la condition sine qua non posée par la CES pour son entrée dans la CES.
(Trace en 1980 de la réponse du secrétaire général de l’époque, Mathias Hinterscheid)
Réponse à l’époque d’Henri Krasucki :
« Nous voulons être avec tout le monde en restant nous mêmes »,
cette position côté CGT ne variant pas jusqu’au début des années 90. Et qui signifie « ‘il faut nous prendre comme nous sommes sans exiger de nous des renoncements!«
Où l’on voit par conséquent que la question de l’adhésion à la CES et le retrait de la FSM sont profondément liées et que la position de la CGT est également étroitement liée à son appréciation de ce qu’est le « Marché Commun » et la « Communauté européenne » mise en place en 1957 par le Traité de Rome ancêtre de l’Union européenne :
» un instrument antinational et antisocial au service des trusts ».
la période 1991-1999 :
C’est celle d’un glissement progressif vers l’adhésion (1999) et surtout, contrairement aux positions antérieures, l’acceptation des conditions imposées par la CES et la CFDT (Nicole Notat à l’époque)
Le contexte est celui de l’effondrement du mur de Berlin suivi de près par la dissolution de l’URSS.
C’est donc une période de profond désarroi politique et idéologique pour le corps militant et d’euphorie dans le camp et les soutiens de ceux qui sortent victorieux de la guerre froide.
Au plan syndical l’existence même de la FSM est dans la balance.
Dans un premier temps les dirigeants de la CGT se positionnent pour le maintien de la CGT dans la CES et pour une autre FSM à construire, plus démocratique, plus indépendante mais toujours sur des bases de classes anti monopolistes et anti-impérialistes.
La CGT ayant un rôle central et particulier dans cette reconstruction internationale.
H. Krasucki exprime bien son orientation et l’orientation de cette période :
« Et ne jamais renoncer à un devoir international mondial, même complexe, dans l’espoir, d’ailleurs illusoire, d’être admis dans une organisation ouest-européenne qui boycotte la CGT, non pour son adhésion à la FSM, mais parce qu’elle est la CGT, par anticommunisme, sur des bases politiques et idéologiques. Une question de dignité et d’efficacité. »
1992-98 :
La question européenne est séparée de celle de questions internationales.
Joël Decaillon et Louis Viannet sont à la manœuvre.
Dès cette période l’opinion de L. Viannet en particulier (il succède à H. Krasucki à la direction de la CGT en janvier 1992 au 44e congrès) est arrêtée : l’adhésion de la CGT à la CES est la question prioritaire, mais les militants n’y sont pas prêts et il faut donc travailler à en créer les conditions, ce qui l’opposera uniquement sur la méthode aux réformateurs dits modernistes (Obadia, Brovelli, Le Duigou etc…) pressés de tourner la page!
A cette fin au lieu de travailler concrètement à l’évolution de la FSM pour en corriger les défauts, le document d’orientation du 44e congrès amorce une nette évolution en affirmant : « La FSM n’est plus en mesure de répondre aux objectifs fixés par son dernier congrès » (congrès de Moscou en novembre 1990).
A partir de ce moment graduellement avec en apparence une ouverture à toutes les possibilités de contacts internationaux, l’intervention des dirigeants de la CGT et des organismes de direction (CCN et CE) va avoir pour objectif de conduire à l’inéluctabilité de l’adhésion à la CES. À partir de l’appréciation exprimée pour la première fois à la CE du 7 mai 1992 au nom du Bureau confédéral selon laquelle : »[La FSM] est arrivée au terme de son processus historique ».
Ce qui en français plus clair signifie « fin de partie » et sortie de la CGT!
Ensuite tout en maintenant une participation jusqu’en 1994 au conseil présidentiel de la FSM le CCN de novembre 1994 vote par 90 pour , 0 contre 23 abstentions et 15 NPPV) la sortie de la FSM, avant même la tenue du 10e congrès de la FSM à Damas qui doit se tenir fin novembre.
La condition essentielle pour l’adhésion à la CES est donc à présent remplie mais il faudra attendre 1999 pour qu’elle soit officiellement actée (vote du 45e congrès).
C’est que d’une part les conditions idéologiques et politiques internes à la CGT pour cet acte doivent être peaufinées et que d’autre part que les derniers obstacles dressés par les dirigeants de la CFDT et de FO soient levés.
En particulier que les dernières exigences de N. Notat (arrêt des campagnes « anti-CFDT« , arrêt du soutien de son aile gauche, départ des fédérations CGT encore adhérentes à la FSM et changement d’orientation du département international conclu par l’exclusion de J.-P. Page de la CE au 46e congrès, congrès de Strasbourg de février 1999 avec l’accession de B. Thibault à la direction soient acceptées.
Toutes conditions « enfin » remplies en 1999.
et à présent quel bilan de tout ça?
A l’époque on a prétendu que la CGT adhérait à la CES pour peser sur son orientation.
En quoi cela a-t-il était effectif?
Poser la question c’est y répondre.
Quelles luttes convergentes?
Quels obstacles mis à l’immense remise en cause de tous les conquis issus du rapport des forces de la Libération en Europe?
Et c’est l’inverse qui s’est passé puisque ce sont les orientations réformistes dont étaient porteurs les syndicats appartenant à la CISL qui se sont imposés : négociations, » dialogue social« , « diagnostics partagés« entre « partenaires sociaux« , « syndicalisme rassemblé » privilégiant l’alliance avec une CFDT plus que jamais recentrée et à présent totalement alignée sur le parti « socialiste » français, alignement sur l’idéologie des « droits de l’homme » en lieu et place de l’anti-impérialisme en matière internationale …
A l’époque c’est au nom de la refondation d’un syndicalisme efficace et INDEPENDANT que la désaffiliation de la FSM a été décidée.Qu’en est-il en matière de bilan à propos de cette décision? Quel est le degré d’indépendance par exemple de la CES quand on connaît la nature de ses financements et sa dépendance institutionnelle de l’Union européenne révélée par ses statuts et par nombre de ses positionnements essentiels; par exemple à l’occasion de la crise grecque où elle a calqué son attitude sur celle des institutions européennes en réclamant l’annulation du referendum populaire du 5 juillet contre le memorandum!
A présent, le congrès de la CES en cette fin de mois est patronné et inauguré par F. Hollande, Jean-Claude Juncker et une pléiade de ministres et commissaires européens.
Bonjour l’indépendance au politique!
A l’occasion du 51e congrès de la CGT en avril 2016 à Marseille les interrogations et les critiques grandissent dans la CGT.
Des militants font part de leur doute et de leurs critiques.
Il reste à faire croître ces critiques de manière à ce que dans un premier temps le débat devienne incontournable.
Le document d’orientation du 51e congrès prévoit dans un de ses thèmes la question de » Notre place dans le syndicalisme européen et mondial »
Il s’agit donc à partir de là que la question même des appartenances de la CGT soit posée et non pas réduite au seul aspect de la transformation de l’intérieur de la CES dont Martinez à la dernière fête de l’Huma avoue que ce n’est pas un syndicat et qu’il faut en quelque sorte la désinstitutionnaliser!
Mais quel syndicat CGT a été associé à la préparation de ce congrès de la CES ? Quelles sont les instances où ont été déterminées dans la CGT les mandats que va porter la délégation de la CGT ?
Qui a décidé, ou va décider, de voter pour tel ou tel nouveau secrétaire général, possiblement issu des rangs de la CFDT ? Oui, la question de la désinstitutionnalisation se pose pour la CES et pas que pour la CES !
C’est en fait celle de la bureaucratisation, incarnée pendant ces dernières années par une secrétaire générale, Bernadette SEGOL, qui n’avait jamais payé antérieurement une seul cotisation syndicale ! Une différence de taille distingue la CGT de la CES : la première peut espérer débureaucratiser son organisation au gré d’une reprise en main par ses adhérents ; la CES, pilotée par les institutions représentatives de la finance mondialisée n’a aucun levier pour engager un tel processus.
Et d’une certaine manière dans le mouvement syndical la question est lié étroitement à l’appréciation sur l’Union européenne.
Peut-on la transformer de l’intérieur où faut-il s’en dégager pour retrouver des marges de manœuvre et la souveraineté populaire inséparable de la souveraineté nationale.
C’est ce débat là qui hante la gauche dite « radicale » avec certains qui s’évertuent à soutenir après la terrible capitulation infligée au gouvernement grec qu’on peut réparer l’euro alors que la preuve est faite que faute d’une volonté inébranlable de se dégager du carcan de l’UE, de ses traités et de sa monnaie c’est la capitulation en rase campagne face à la détermination de l’oligarchie et de ses institutions, BCE en tête!
Et par conséquent la poursuite implacable des politiques d’austérité, du chômage de masse, du démantèlement de la protection sociale, de l’hôpital, du code du travail; en un mot du démantèlement de tous les conquis des travailleurs.
La CES se contentant en quelque sorte de demander que le bourreau soit un peu plus compréhensif.
Pour la CGT comme pour la FSU et d’autres syndicats se réclamant encore de la lutte de classes, il est donc plus que temps de rompre avec les contraintes d’une appartenance arrachée contre toutes les traditions, l’histoire et la culture de combat qui constituent leur identité syndicale et de retrouver toute leur liberté d’action et d’initiative.
Le Front Syndical de Classe
22 septembre 2015