Cela fait huit semaines que des dizaines de travailleurs de DPD sont en grève au Coudray Monceaux en Essonne. DPD est filiale de La Poste et de son sous traitant Derichebourg. Leurs revendications, légitimes, sont simples : obtenir la fin de la sous-traitance d’une part, d’autre part que soient remis aux travailleurs sans papiers les documents de travail qui leur sont dû pour qu’ils obtiennent leur régularisation. Ils ont donc installé de façon continue un piquet de grève. Ils sont désormais suivis par une centaine de travailleurs d’un centre Chronopost à Alfortville, centre qui en 2019 avait connu une lutte similaire, emportant de vraies victoires après 7 mois d’une lutte exemplaire. La mobilisation est également en cours à Gennevilliers. Les militants du PRCF 94 91 leur ont apporté le soutien des communistes et appellent à la solidarité. Ces travailleurs ont évidemment besoin de solidarité logistique et financière.
Avec cette mobilisation, l’inspection du travail s’est rendu sur le site DPD de Coudray-Monceau pendant les fêtes suite à laquelle elle a proposé une médiation aux représentants des grévistes mardi 4 janvier. La lutte contraignant ainsi des représentants de DPD et de Derichebourg logistique à y être présent : cela est un aveu clair qu’elles étaient concernées par ces travailleurs qu’elles prétendent ne pas connaître. La filiale de La Poste continue cependant de se cacher derrière une position hypocrite et cynique, se présentant comme victime d’une tromperie. Plus exposé, le sous-traitant Derichebourg logistique a été contraint sous la pression du rapport des forces à un pas en avant l’obligeant à ouvrir l’examen des situations de travail. De même la préfecture de l’Essonne a reçu fin décembre une délégation de grévistes du 91 pour évaluer les conditions d’un examen de leurs demandes.
De fait, entre euro-libéralisation du service public de La Poste en voie de privatisation sous directive européenne, et la précarisation du commerce sous la pression des multinationales du commerce en ligne (Amazon, Cdiscount &Cie), la massification de la logistique des colis se fait via l’exploitation toujours plus massive des travailleurs du secteur. Pour augmenter les profits, le patronat du secteur ne propose que des salaires de misère, de la précarité, des conditions de travail terribles : dans ces conditions le recours à l’intérim est massif et structurel, tout particulièrement pour faire appel aux travailleurs les plus faciles à exploiter, les sans-papiers.
Avec les camarades du PRCF 94 91, Initiative Communiste est honoré de leur donner la parole, directement sur leur piquet de grève
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Entretien avec Dioum Elhadji – travailleur de DPD Le Coudray Monceaux
Sur le piquet de grève de l’entrepôt de DPD à Le Coudray Montceaux le 08 janvier 2022, par Thomas A. et Roméo B. de l’ARC 91-94 du PRCF
IC : Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Dioum Elhadji, je suis membre des collectifs sans-papiers de Vitry et d’Île de France et je suis gréviste à DPD sur le site de Le Coudray-Montceau.
La direction de La poste annonce n’employer aucun sans papiers, qu’est-ce que vous pensez de leur déclaration ?
C’est totalement faux, ce sont des déclarations qui ne sont pas justes. Dans les locaux à Chronopost, à DPD, à Colipost travaillent des sans-papiers, comme ce sont des sous-traitants de La Poste, nous affirmons que La Poste utilise les sans-papiers, sans droits pour baisser le coût de leurs colis.
IC : Vous avez monté un piquet de grève depuis deux mois qui paralyse partiellement l’entreprise DPD, qu’elle est la situation, quelles sont vos revendications ?
On a monté ce piquet depuis le 15 novembre, ça fera donc deux mois le 15 janvier. Avant, on avait deux piquets, un à l’intérieur et celui-ci à l’extérieur. J’étais sur le piquet à l’intérieur et dès le deuxième jour la direction a fermé les portes menant au piquet intérieur, ce qui veut dire que les gens à l’intérieur étaient coincés, ils ne pouvaient pas recevoir de nourriture. Cela a été très dur pendant trois jours, ils ne recevaient que de l’eau grâce à la mairie de Coudray. On est resté là bas pendant 16 jours à l’intérieur, à partir du troisième jour on a commencé à manger grâce à quelques collègues de travail qui étaient à l’intérieur qui nous apportaient un petit peu de nourriture à l’intérieur. De plus, certains camarades ont trouvé un chemin raccourci qui leur permettait d’accéder à l’entrepôt la nuit. DPD a finit par assigner en référé les 31 personnes qui tenaient le piquet à l’intérieur du site ce qui nous a forcé à continuer la lutte uniquement à l’extérieur de l’entrepôt.
La lutte a commencé suite aux rencontres que nous avons organisé avec le collectif pour dire que des travailleurs sans-papiers sont utilisés à DPD et donc à La Poste. On est là pour une seule chose, obtenir les documents nécessaires à la régularisation des sans-papiers, c’est-à-dire les documents CERFA et les concordances d’identité pour tous ceux qui ont travaillé sous un nom d’emprunt. Pour travailler il faut des papiers, pour avoir des papiers il faut travailler et comme ils ont besoin de travailleurs précaires pour payer le moins possible et baisser les prix, ils nous utilisent.
IC : Vous êtes combien en ce moment sur le piquet ?
Nous sommes plus de 70 personnes, c’est monté jusqu’à 90 personnes car quand on a commencé la lutte, beaucoup de camarades d’autres boîtes se sont fait licencier et nous ont rejoints ici. Certains embauchés de DPD nous ont aussi rejoints ce qui a augmenté la liste au début. En comptant les soutiens on est environ 80.
Cela fait plusieurs mois que les préfectures sont fermées, que les sans-papiers ne peuvent pas déposer un dossier même si tous les documents sont réunis. Maintenant on l’a compris, il faut passer par des luttes, c’est au bras de fer qu’on obtient la régularisation. Si on ne lutte pas, on ne l’obtient pas. Alors même si c’est dur, que c’est l’hiver, on ne compte pas lâcher.
IC : Quelles sont les actions prévues pour les prochaines semaines ?
Ce qui est prévu c’est de sortir du piquet : on compte organiser des manifestations, des rassemblements et des distributions de tracts. On va fixer lundi les actions de la semaine prochaine mais a priori, la prochaine est le 13 janvier devant les locaux de la direction de l’inspection du travail du 94 avec les grévistes de Chronopost à Alfortville.
IC : Deux autres piquets sont en cours à Alfortville et à Gennevilliers, êtes-vous en contact avec eux, comment est-ce que vous vous organisez ?
On est en contact avec eux car nous sommes du même collectif, nous nous voyons régulièrement, nous avons préparé la lutte ensemble.
En premier, il y a eu le piquet de Gennevilliers à partir du 8 novembre, avant ça ils avaient essayé d’occuper des locaux sur le boulevard Magenta à Paris mais ils n’ont pas réussi car la police les a évacués. Actuellement, ils ont obtenu tous leurs CERFA, il ne leur reste plus qu’à obtenir le dépôt en préfecture.
Quelques jours après le 15 novembre, date d’installation de notre piquet, des camarades d’Alfortville se sont fait licencier. Comme Chronopost continuait d’employer les même méthodes d’exploitation des sans-papiers malgré la grève de 7 mois qui a eu lieu il y a deux ans, nous avons décidé que c’était nécessaire de relancer une lutte. C’est comme ça qu’a été lancé le piquet à Alfortville où les travailleurs sont accompagnés de nombreux sans-papiers venus en soutien appuyer la lutte.
Les trois piquets luttent ensemble, ça veut dire qu’on se soutient, qu’on est un seul groupe.
IC : Au Pôle de renaissance communiste en France, nous revendiquons l’abrogation de la circulaire Valls qui fixe différents critères de régularisation qui ne prennent pas du tout en compte la situation sur le terrain comme les emprunts de nom pour pouvoir travailler, etc. Est-ce que cet enjeu est évoqué parmi les grévistes et les syndicats sur place ?
On discute souvent de la circulaire Valls, on considère dans les mouvements de sans-papiers que c’est une loi injuste car il faut remplir pleins de critères sur différentes périodes (24 fiches de paie sur 3 ans, encore plus sur 5 ans, etc.) ce qui est très compliqué.
En général les sans-papiers ne peuvent pas accéder à ces requêtes alors même qu’ils ont travaillé car, comme ils n’ont pas de papier, ils sont obligés d’acheter ou d’emprunter les papiers d’un autre travailleur et d’en changer régulièrement et c’est très difficile de récupérer des documents attestant de tout cela. On a ici des gens qui tentent de se faire régulariser depuis 10 voire 20 ans et qui n’ont toujours pas réussi. Cette loi est injuste.