1. « L’affaire Thierry Lepaon » donne lieu à une incontestable opération contre la CGT au travers de la mise en cause de son secrétaire général à un mois d’importantes élections dans la fonction publique (5 millions de salariés concernés).
C’est que par-delà ceux qui actuellement en ont la direction, par-delà les orientations prises il y a une vingtaine d’années, par son histoire et par les traditions de lutte qui la marquent en particulier dans ses bases et dans nombres de ses structures, la CGT demeure aux yeux de nombreux travailleurs une référence et un bouclier contre l’offensive généralisée de régression sociale du pouvoir, du MEDEF et de l’Union européenne.
C’est dire que nous appelons à déjouer cette opération et à renforcer l’influence de la CGT.
2. Cette opération qui semble trouver sa source en interne illustre par ailleurs les luttes qui opposent différents clans sur des bases qui ont plus à avoir avec des règlements de compte personnels et des ambitions qu’au sain et franc débat que nous appelons de nos vœux.
3. Pour sa défense T. Lepaon au dernier CCN développe un certain nombre d’arguments qui nous paraissent recevables en ce qu’ils révèlent les déformations médiatiques (choix du lieu par proximité, surface de l’appartement, montant des travaux) et la volonté de nuire en continuant à promouvoir un « tous pourris » dont on sait bien à qui il profite.
Nous ne nous délecterons donc pas de détails plus ou moins croustillants comme « nos » médias ont pris l’habitude de s’en délecter au travers de « faits divers » qui comme le disait si bien Pierre Bourdieu « font diversion » afin de masquer l’essentiel de ce qui est en cause. Nos journaux télévisés en offrant tous les jours la déplorable illustration.
Force est cependant de constater que :
- le traitement à part de dirigeants de premier plan constitue un symptôme inquiétant et non une simple erreur banale qu’il suffirait de corriger à la marge.
- C’est en effet en dehors de toute information et concertation collective que sont prises d’importantes décisions qui engagent les finances de l’organisation loin des exigences égalitaires longtemps en vigueur dans le mouvement ouvrier, gage de la confiance dans les dirigeants. Loin de toute transparence.
Force est aussi de remarquer que :
la mutation réformiste opérée il y a une vingtaine d’années va de pair avec une institutionnalisation et un financement qui marginalisent le rôle des adhérents et crée des comportements chez un certain nombre de dirigeants pour qui ce n’est plus l’expérience et la pratique du terrain qui compte, mais la capacité à être apprécié des patrons, de la puissance publique et des élus politiques !
Que dire par exemple du rôle du Conseil Économique Social et Environnemental qui outre une forte rétribution mensuelle des élus (plus de 3700 euros et au passage qu’en est-il du reversement à l’organisation de ces indemnités?) sert de SAS d’attente et de lieu de reclassement, de très nombreux dirigeants de premier plan y ayant appartenu ou y appartenant (A. Obadia, Lydia Brovelli, Gérard Alezard, T. Lepaon, M. Dumas …).
En n’oubliant pas que c’est dans ces lieux que se nouent les contacts directs entre responsables syndicaux, dirigeants politiques et patronaux (MEDEF) et grands patrons.
Au point que des rapports au diagnostic partagé en sont issus comme c’est le cas du rapport cosigné en juin 2012 par T. Lepaon et Jean-Marie GEVEAUX, président UMP du conseil général de la Sarthe préconisant l’expérimentation de l’ouverture à la concurrence des TER!
A partir de ces constats il est effectivement plus que temps de remettre de l’ordre dans la maison, en profondeur!
4. Qu’est-ce qui est donc finalement en jeu dans la CGT ?
Dans son argumentation au CCN des 3 et 4 novembre, T. Lepaon :
- concernant l’aspect financier, il reconnaît une faute collective, ajoutant : « Cette opération visant la CGT révèle des failles majeures dans le fonctionnement interne de prise de décisions de notre maison » reconnaissant que « Les arbitrages et la décision finale, qui engagent le budget de la confédération n’ont été ni débattus ni validés par une instance « .
Comme solution immédiate il préconise le recrutement d’un Directeur administratif et financier.
. concernant le fonctionnement de la direction confédérale après avoir réaffirmé la volonté de « Faire vivre notre démarche de proposition, de contestation, d’action et de négociation » il « considère que nous avons un problème de fonctionnement du Bureau confédéral qui handicape notre capacité collective » et envisagé de rencontrer individuellement chaque membre de l’actuel Bureau confédéral, il préconise le « renforcement de notre Bureau actuel par deux membres supplémentaires, une femme et un homme, issus d’une profession et d’un territoire ».
C’est là que le bât blesse !
Lepaon se prévaut des orientations du 50e congrès pour justifier ses décisions.
Certes les orientations retenues à cette occasion sont dans la continuité des orientations prises notamment à l’occasion du 45e congrès en 1995 marqué par une mutation de type réformiste (abandon statutaire de l’objectif de la « socialisation des moyens de production et d’échange », primauté aux négociations, le départ de la FSM), dans un moment de désarroi idéologique.
Mais il fait l’impasse sur la contestation qui depuis s’est fortement manifestée dans l’organisation, non seulement dans de nombreuses bases combatives (syndicats d’établissements et UL notamment) mais aussi dans des structures de direction comme les fédérations et les unions départementales et jusqu’au bureau confédéral.
La contestation portant sur des questions aussi diverses que la tactique des luttes, le TOUS ENSEMBLE, la signature des accords (formation professionnelle par exemple), la participation aux conférences sociales, le rapport au « syndicalisme rassemblé « et aux dirigeants de la CFDT, le rapport au pouvoir socialiste et au PS comme la participation à des initiatives politiques de résistance aux politiques d’austérité du gouvernement et de l’Union européenne… et à l’international la question du boycott des produits israéliens (campagne BDS).
Et pour s’en tenir à un seul exemple est-il conforme aux orientations du 50e congrès de la CGT que T. Lepaon en février 2014 puisse déclarer au Nouvel économiste : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté ». En contradiction totale avec la réaffirmation du caractère antagoniste des rapports salariés/patronat!
En réaffirmant devant le CCN, sa volonté de poursuivre dans la démarche privilégiée de négociation et de proposition, en bunkerisant en quelque sorte la Bureau confédéral par le renfort de proches collaborateurs, en s’en tenant à de pures mesures techniques, T. Lepaon refuse de prendre à bras le corps la question essentielle pour la CGT et son avenir comme pour celui des travailleurs : la question de son orientation et de sa stratégie qui passe par la remise en cause des orientations opérées il y a plus de 20 ans.
La poursuite de la recherche d’un lien privilégié avec la CFDT et Laurent Berger manifestée récemment encore par la rencontre du 8 octobre illustre l’impasse de la stratégie actuelle. Au moment où la CFDT à l’occasion de son 50ème anniversaire en présence de M. Valls, M. Rocard, Raffarin, Chérèque …. réaffirme ses ambitions hégémoniques sur le mouvement syndical en France et sa soumission aux objectifs du MEDEF et du pouvoir socialiste.
Plus que jamais les circonstances actuelles doivent pousser les militants et les organisations de la CGT à exiger que s’ouvre enfin un débat franc sur le bilan des 20 dernières années, les orientations retenues consécutives en particulier au départ de la FSM et l’adhésion à la CES.
La CGT traverse en effet une crise qui affecte sa direction et qui nuit au déploiement de l’influence et de l’activité de toute l’organisation. Elle peut à l’inverse être l’occasion d’un rebond historique qui la mettrait en situation de conduire les luttes indispensables des travailleurs et du peuple pour faire face à l’offensive de régression sociale actuelle.
A condition que des profondeurs de la CGT monte l’exigence d’un véritable renouveau.
De divers côtés émerge l’idée d’un congrès extraordinaire qui ferait le point. En tout état de cause c’est au CCN et aux militants de reprendre la main et de repositionner en grand la CGT sur des bases de classe, à l’offensive contre les régressions sociales et les politiques d’austérité mortifères !
Le Front Syndical de Classe, 7 novembre 2014
source : www.frontsyndical-classe.org