Source : Blog d’Alexis Corbière
31 juillet 2015
Le Conseil des Ministres a décidé aujourd’hui d’adopter un projet de loi constitutionnelle afin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Un projet de révision constitutionnelle va être présenté à l’Assemblée nationale afin de réviser la Constitution uniquement à cet effet.
Je suis en désaccord avec cette démarche et je suis opposé à la ratification par la France de cette Charte. Pas de faux débats, que les choses soient claires, en écrivant cela, je n’exprime aucune opposition à la diversité culturelle bien au contraire, mais je m’oppose à toute vision ethniciste et régionaliste de cette dernière. Je suis favorable au bilinguisme et aussi à l’enseignement des langues régionales ou à tout autre événement culturel permettant leur expression. Soyons sérieux, les nombreuses lois existantes votées par le parlement français permettent déjà cela. Depuis le 11 janvier 1951 et la loi Maurice Deixonne, il est possible d’apprendre, si on le désire, une langue « régionale » dans le cadre de l’éducation nationale. Enfant du Midi de la France, j’ai appris (ou du moins j’ai été initié) l’occitan au Lycée notamment grâce à l’écrivain et poète Marie Rouanet et j’ai aussi grandi au son des chants militants de Claude Marti. En 2015, nul n’est brimé pour perpétuer une langue régionale et beaucoup de Conseils Régionaux y consacrent déjà des sommes significatives. Si des difficultés existent dans les lycées pour bénéficier de ce droit c’est en général par manque de postes, notamment en raison des mesures d’austérité qui ont supprimé près de 80 000 postes dans l’éducation nationale ces 10 dernières années. Et jusqu’à présent, malgré ses promesses, le gouvernement actuel à mi-mandat n’a restitué que 3500 postes réels.
Mais plus fondamentalement, l’adoption et la ratification de cette Charte ouvriraient une période nouvelle que je ne souhaite pas pour mon pays. J’invite chacun à y réfléchir y compris tous mes amis qui apprécient l’existence des langues régionales telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui. Les exemples pour illustrer les problèmes potentiels de cette Charte (rédigée d’ailleurs par des groupes européennes assez réactionnaires en 1992) affaiblissant l’égalité des droits entre les citoyens sont nombreux. Par exemple, la partie 1-d demande aux états de s’engager à « la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privé ». Ainsi donc ce sera demain à l’Etat « d’encourager » la pratique des langues régionales ? Dans la vie publique et dans la vie privé ? Qu’est-ce à dire ? L’Etat, c’est à dire avec de l’argent public, va financer des associations et des groupes qui vont faire la promotion des langues régionales ? Mais à la demande de quels groupes ? Qui jugera de leur représentativité ? Je désapprouve cette « pompe à fric » dont vont s’emparer sans doute des groupes identitaires qui vont exalter des racines régionales à l’envie. Et en quoi l’Etat doit-il se mêler de ce que font les citoyens dans leurs vies privées et de la langue qu’ils enseignent à leurs enfants ? Et aussi pourquoi privilégier celle ci ou lieu de celle là ? Au nom de traditions ? Lesquelles ? Comment juger de leurs réalités ? Je récuse cette vision si éloignée des Lumières de la société. On voit bien que ce sont là des discriminations entre les citoyens qui seront permises en raison de cette Charte car ceux qui pratiqueront le bilinguisme avec leurs enfants, mais pas avec des langues dites régionales ou minoritaires, ne pourront bénéficier de ce droit et de cet « encouragement » public.
J’ai donc eu aujourd’hui à débattre de cette question sur France Info face à Paul Molac député UDB (Union Démocratique Bretonne) soutenu par le PS.
Je vous invite à écouter à nouveau notre échange :
Je vous invite aussi à lire les argumentaires de mon camarade Jean-Luc Mélenchon sur le sujet qui datent de 2013 (cliquer ici) et janvier 2014 (cliquer là). Ils restent très pertinents.
Enfin, ce sujet complexe, où la caricature des positions des uns et des autres est à proscrire, nécessite des échanges argumentés et apaisés entre citoyens qui ne doivent surtout pas occasionner, dans ce contexte trouble, la promotion d’un discours démagogique anti républicain et contre-révolutionnaire, vouant aux gémonies les grandes conquêtes de la Révolution de 1789. Moi, je ne veux pas du retour de la France des régions, des provinces et des traditions chères à l’Ancien régime où chacun pratiquait son patois local. Plus que jamais, il faut assurer l’égalité des droits entre tous les citoyens et l’unité de la République sur tout le territoire. A l’heure de l’Union européenne libérale triomphante qui disloque les Etats, qui restent l’expression de la souveraineté populaire, c’est ici que se situe l’enjeu contemporain de la bataille politique et idéologique.
C’est pourquoi j’ai voulu réagir à une tribune du linguiste Claude Hagège (dont la lecture est d’ordinaire toujours enrichissante) publiée dans le Monde le 10 juin (à lire ici). Occupé alors par d’autres tâches militantes, je ne l’ai pas publié aussitôt. Je profite donc de la nouvelle actualité de ce débat pour vous transmettre cette réponse non publiée à M. Hagège.
Une Charte des langues régionales contre l’œuvre de la Révolution française
Je suis opposé à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires que le Président de la République envisage de faire adopter dans un futur projet de loi constitutionnelle. Ma position ne traduit pourtant aucune hostilité particulière contre ce que l’on nomme « les langues régionales ». En 2015, elles sont respectées et peuvent s’étudier et se pratiquer en France, notamment au sein de l’Education nationale, dans un cadre légal qui nous satisfait. De même, je suis un promoteur du bilinguisme et de l’apprentissage des langues étrangères, formidable sésame pour comprendre la complexité du monde et mieux faire circuler les idées de ceux qui veulent le changer.
Mais ici, ce n’est pas le sujet. Si cette Charte issue de l’Union européenne était adoptée, elle créerait les conditions d’un communautarisme linguistique qui immanquablement s’épanouirait au mépris de l’identité républicaine du pays.
Pour que le débat soit clair, il est important que ceux qui défendent la ratification de ce document ne forgent pas des arguments de circonstances en allant par exemple jusqu’à défigurer la Révolution française.
Ainsi, dans une tribune publiée dans Le Monde en faveur de cette Charte, le linguiste Claude Hagège utilise des références historiques sur lesquelles nous voudrions revenir. Il affirme dans son plaidoyer que « c’est la Révolution qui porte aux langues régionales le coup le plus grave ». Il décrit la Révolution Française comme un grand moment de brutalité aveugle, ce qui devient d’ailleurs un prêt-à-penser lassant de plus en plus répandu, où l’on fit la « chasse des langues régionales » et où même « on prévoyait exécutions et déportations en masse de personnes ignorant le français ». Sur ce dernier point la totalité des spécialistes que nous avons interrogé a été incapable de savoir à quoi exactement il faisait référence. Mais qu’importe la précision puisque tout cela ne vise qu’à indigner le lecteur contemporain pour le faire culpabiliser. La charge est sans appel et sans nuance et le champ sémantique utilisé est limpide. La Révolution ne serait qu’un épouvantable moment de violence contre la population et ses usages linguistiques. Et la « Terreur » serait même la première responsable d’une maltraitance contre les langues régionales qu’il faudrait réparer 220 ans plus tard.
La vérité historique est assez différente. Dès 1789, les députés réunis en Assemblée constituante veulent bâtir une nouvelle communauté politico-linguistique où triompherait l’égalité en droit et en langue au sein d’un peuple libre. Pour eux, l’union nationale par la langue doit remplacer l’unité précédente incarnée par le corps du roi. Lucides, ils mesurent immédiatement qu’ils se heurtent à la multiplicité des idiomes et des dialectes locaux. Aussi le 14 janvier 1790 ils prennent la décision de traduire les décrets de l’Assemblée nationale en langues vernaculaires pour être mieux compris par le peuple. Mais dès 1791, ils constatent qu’une offensive langagière est menée notamment par les monarchistes qui pratiquent l’abus des mots pour déstabiliser l’idéologie révolutionnaire naissante. Avec malveillances certains inversent le sens des mots. Parfois le patriote devient l’aristocrate, le citoyen passif un factieux, etc. La confusion se propage. On confit donc à un grammairien patriote, François Urbain Domergue de prendre des initiatives pour éviter les nombreuses manipulations de mots des adversaires de la Constitution. Il publie un Précis des opérations de l’Assemblée nationale pour « rendre intelligible pour tout le monde la langue de la liberté ». En automne 1791, il souhaite « élever la langue à la hauteur de la Constitution » et organise la mise en place de « missionnaires patriotes » qui se déplacent dans le pays pour établir des Sociétés populaires qui font la promotion de l’esprit public. Contre tous les adversaires de la Constitution, particulièrement les aristocrates, ces émissaires construisent progressivement l’hégémonie de la langue politique française. Pour cela, ils savent pratiquer le bilinguisme comme à Aix ou Marseille, démonter les mensonges et mettre concrètement en acte la langue de la Constitution.
Les députés Montagnards donneront par la suite une dimension encore supérieure à cette ambition née dès le début de la Révolution, en adoptant deux lois. Celle du 27 janvier 1794, portée par Barère qui pour la première fois a créé un corps d’instituteurs de la langue française. Puis celle du 6 juin 1794, défendue par l’Abbé Grégoire qui voulait faire reculer l’ignorance et les superstitions véhiculée par les anciens idiomes et assurer « l’usage unique et invariable de la langue de la liberté » à savoir le français.
De cette histoire tumultueuse, plongée dans un bouleversement social et culturel sans précédent d’où jaillit la République, nous voulons retenir que le français national a pris consistance dans des pratiques politiques porteuses d’un idéal et non par un acte autoritaire ou lors d’un quelconque colloque savant. Un langage quand il se répand est aussi une représentation du monde, une pensée politique, un corpus idéologique patiemment construit par l’histoire et les querelles humaines.
Dès lors, qui peut croire que l’exaltation de langues régionales que nous propose cette Charte n’ira pas de pair avec l’exaltation d’identités ou racines locales parfois bricolées, puisant dans un vocabulaire d’Ancien régime, qui viendront se heurter aux idéaux d’égalité et d’universalité qui fondent notre Nation ? Qui peut croire également que donner des droits particuliers à des locuteurs en les refusant à d’autres, parce qu’ils ne sont pas nés en France, ne produira pas des concurrences négatives entre les uns et les autres ? Qui ne voit pas qu’avec cette Charte on affaiblit l’unité de notre peuple, au profit demain d’une addition de petits peuples divisés à la recherche de racines linguistiques parfois imaginaires ?
A l’heure où la droite privatise les mots les Républicains, où l’extrême droite dépose à l’INPI le nom Les Patriotes et le mot Socialisme est porté par un parti dont les actes n’ont plus rien à voir avec cette idée, les nouveaux abus de mots triomphent. En réalité, il serait nécessaire de reforger une grammaire politique commune pour mieux se comprendre et afin que nos concitoyens ne soient pas abusés. L’adoption de cette Charte ne nous aiderait en rien dans cette tâche.
Enfin, n’ayons pas honte de notre acte de naissance que constitue la Révolution française ni de la langue qui a permis le triomphe de ses idéaux et fait enfin des français des citoyens égaux.