Par Georges Gastaud [1], 10 novembre 2015
« Ne pas rire, ni pleurer, ni détester ni maudire, mais comprendre ». A l’occasion du décès d’André Glucksmann (A.G.), chacun comprendra sans doute que le mieux pour un philosophe marxiste et communiste, est de s’appliquer la célèbre maxime rationaliste de Spinoza…
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Du « col mao » à l’atlantisme flamboyant : rupture et/ou continuités !
Dire qu’A.Glucksman. fut un « grand défenseur de l’humanité bafouée », comme le fait à l’unisson la presse « pluraliste » française éplorée, serait pour autant très exagéré. D’abord assistant du très droitier Raymond Aron, la « plume » philosophique du Figaro, A.Glucksman. est devenu après mai 1968 un des chefs de la Gauche Prolétarienne, la très violente GP qui se faisait une spécialité d’injurier, voire de molester les militants du PCF, de la CGT et de l’Union des Etudiants Communistes (UEC). Au début des années 1970, les étudiants communistes, de même que les syndiqués non communistes de l’UNEF (dont j’étais alors) se faisaient invariablement traiter de « révisos-collabos » par la « G.P. » ; pourtant, à l’époque, et malgré de premiers glissements, le PCF militait pour le socialisme, combattait l’Europe capitaliste… et se prononçait pour la dictature du prolétariat ! Il est vrai que – crime impardonnable aux yeux des dirigeants de la « G.P. » ! –, les communistes français ne considéraient pas l’URSS comme incurablement « social-impérialiste » et qu’ils étaient loin d’ériger Moscou en ennemi principal des peuples, comme ne tardèrent pas à le faire la plupart des groupes « maos » à l’instar de la direction chinoise (qui ne tardèrent pas à se rapprocher spectaculairement de… Nixon !). Vrai également que les communistes français n’ont jamais encensé la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne » qui s’abattait alors sur le PCC et sur l’intelligentsia chinoise… sans pour autant déraciner le courant « pragmatique » qui a depuis lors triomphé à Pékin. Avouons d’ailleurs que les imprécations « antirévisionnistes » d’A.G. ne manquent rétrospectivement pas de sel au regard de l’évolution anticommuniste flamboyante de notre futur « nouveau philosophe » chouchouté par les médias giscardo-mitterrandiens : ce monsieur n’a-t-il pas construit sa fortune politico-littéraire (pour ne parler que d’elle…) sur l’anathème anti-léniniste (La Cuisinière et le mangeur d’homme), sur l’antimarxisme primaire et la condamnation du rationalisme (Les maîtres-penseurs), sur l’exécration guerrière de l’URSS (La Force du vertige), sans parler du ralliement final logique à Sarko, à l’OTAN et aux bellicistes du camp néoconservateur et de ses satellites anti-palestiniens et russophobes… Au final, les BHL, A.G. et autres « nouveaux philosophes » n’auront pas manqué une seule croisade occidentale contre le socialisme existant (notamment le soutien de la Pologne « ouvrière » de Walesa et de Jean Paul II…), contre les mouvements de libération populaire (A.G. a porté aux nues les « Combattants de la Liberté » afghans, c’est-à-dire les talibans…), contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (appels récurrents à l’intervention impérialiste en Libye ou en Syrie, avec les résultats dévastateurs que l’on voit aujourd’hui…).
Concédons cependant qu’A.G. aura su prendre son grand virage de l’extrême gauche autoproclamée à l’atlantisme flamboyant en affichant constamment une sincérité fulminante (c’est sans doute meilleur pour conserver l’estime de soi que la posture geignarde du repenti…). En réalité, A.G. n’aura eu dans sa vie – comme d’autres vedettes soixante-huitardes « passées du col mao au Rotary »[2] – qu’une seule continuité réelle : sa haine bouillonnante contre le PCF de Duclos et Marchais, contre la CGT de classe de Krazucki, contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, en un mot, sa guerre à mort contre la classe ouvrière organisée, ce « prolétariat » que nos ex-« maos spontex » mythifiaient tant qu’elle tenait la posture (noble mais inoffensive) du révolté, mais auquel ils interdisaient de s’organiser solidement en parti, d’établir son pouvoir de classe et de le consolider en prenant quelques mesures potentiellement désagréables aux habitués du Fouquet’ s…
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Le basculement hégémonique de la « nouvelle philosophie » : du « bloc historique antifasciste de Stalingrad au bloc historique anti-antifasciste de Bitburg.
Au fond, ces gens – qui finirent par compromettre le vieux Sartre dans leur entreprise « antitotalitaire »[3], en fait, vulgairement anticommuniste – auront été très utiles à la grande bourgeoisie française et à l’oligarchie capitaliste mondiale. Au sortir d’une période très menaçante pour l’ordre capitaliste mondial[4]. A l’inverse de tant de jeunes maos, ouvriers et étudiants, qui cherchaient sincèrement les voies de la révolution au moment où le PCF commençait souterrainement à dériver[5], les chefs de file du maoïsme français auront remarquablement su mettre à profit les redoutables équivoques de Mai 68 : car ce mouvement hautement contradictoire vit à la fois la plus grande grève ouvrière de l’histoire[6] et l’émergence d’un courant dit libéral-libertaire (les ancêtres lilis des bobos) qui dissimulait son anticommunisme, mâtiné d’antipatriotisme et d’anti-républicanisme primaires, derrière la rhétorique ultra-révolutionnaire du gauchisme, de manière à prendre toujours « de gauche » les « crapules staliniennes » du PCF (dixit Cohn-Bendit) : le sociologue Michel Clouscard a du reste admirablement analysé l’émergence du libéral-libertarisme anticommuniste et euro-atlantique dans sa déjà classique étude du Capitalisme de la séduction. Substituant à l’antifascisme issu de 36 et du CNR un « antitotalitarisme » confusionnel qui faisait fi de toute analyse de classe des phénomènes politiques, BHL, A.G. et leurs épigones à la Bernard Kouchner auront joué un rôle nationalement et mondialement réactionnaire : par leurs bricolages intellectuels fulminants (amalgames, raccourcis historiques ineptes, caricature forcenée de l’histoire soviétique, ton prophétique destiné à intimider les éventuels objecteurs), A.G. et ses pareils auront permis que prenne forme, sur le terrain idéologique, le nouveau bloc historique mondial contre-révolutionnaire dans lequel nous vivons, ou plutôt, étouffons encore : un bloc dans lequel le socialisme réel faisait figure d’Empire du mal (et le sanglant impérialisme atlantique de rempart du Bien), dans lequel le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes cédait la place au « droit » pour l’impérialisme de s’ingérer dans les affaires des Etats petits et moyens (l’humanitarisme atlantique à la mode « ONG » prenant le relais de la « mission civilisatrice de la France ») et où pour finir, l’ultra-droite reaganienne et sarkozyste, ce premier étage « libéral-autoritaire » de la fusée néofasciste, disposait d’un rôle stratégique : BHL convainquant Sarko d’envahir la Libye, BHL et A.G. sanctifiant le dépeçage impérialiste de la Yougoslavie par Kohl et Clinton, et tout ce petit monde accueillant par un silence de plomb le totalitarisme ANTIcommuniste qui, depuis 1989/91, s’est traduit par un euro-maccarthysme dévastateur (Hongrie, Pays baltes, etc.), sans parler du soutien apporté par l’UE/OTAN à l’équipe pronazie et belliqueusement russophobe désormais au pouvoir à Kiev. Bref, derrière cet « antitotalitarisme » d’apparat qui s’accommodait sans états d’âme du bombardement eltsinien du Parlement russe (octobre 93) et du totalitarisme patronal rampant de l’euro-mondialisation « libérale » (libéral-fascisante serait plus juste !), ces idéologues des anti-Lumières que furent les « nouveaux philosophes » auront joué un rôle idéologique majeur : ils auront en effet contribué au basculement contre-révolutionnaire du bloc historique de Stalingrad[7] vers ce qu’en 1984, j’avais appelé le bloc historique de Bitburg : Bitburg, c’est en effet le nom d’un cimetière militaire allemand où reposent des corps de Waffen-SS et où Reagan, Thatcher, Kohl et Mitterrand photographiés main dans la main, vinrent afficher leur soutien à l’implantation des euromissiles US en RFA, en Hollande et en Sicile, avec l’objectif affiché de mettre Leningrad à 5 mn de tir des polygones de l’OTAN. Ainsi est né, dans un climat de revanche contre la défaite US au Vietnam, de réhabilitation de l’impérialisme allemand, de nouvelle croisade antisoviétique et d’intervention US acharnée contre les insurrections centraméricaines du Salvador et du Nicaragua (à la base de l’Irangate), ce nouveau bloc « anti-antifasciste » occidental qui dans les faits, criminalisait le communisme tout en recyclant à petit pas… l’extrême droite fascisante, ce meilleur élève de la classe anticommuniste aujourd’hui à l’offensive dans toute l’Europe..
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A.G., ou l’exterminisme capitaliste fait philosophie
Car il est extraordinaire de remarquer que la notice biographique que Wikipédia consacre à A.G. court-circuite entièrement l’aspect le plus central et finalement, le plus intéressant, de son « œuvre » : surtout pour le pire mais aussi un peu pour le meilleur (ainsi va la dialectique historique !), A.G. aura été l’un des théoriciens les plus conséquents – comme il arrive souvent aux fanatiques – de ce que dès 1984 nous nommions l’exterminisme capitaliste. En effet nous avons alors développé l’idée, parfois caricaturée et le plus souvent contournée, que l’exterminisme est le stade suprême de la société capitaliste, en entendant par là que le capitalisme étant devenu depuis longtemps « réactionnaire sur toute la ligne » (économiquement, socialement, culturellement, politiquement et, ajoutions-nous dès cette époque, « environnementalement »…), son maintien est tendanciellement devenu incompatible avec la survie et avec le développement de l’espèce humaine en tant qu’humaine. A notre époque postsoviétique, cet exterminisme capitaliste a provisoirement pris des formes plus subtiles et « présentables » que celles qu’il affichait en 1984 : en effet, la contre-révolution capitaliste – source profonde de l’actuelle mondialisation yankee et de la « construction » germano-européenne ayant réussi provisoirement à éliminer le camp socialiste mondial, les formes de l’exterminisme se sont en quelque sorte assouplies, diversifiées et disséminées : aujourd’hui, c’est en quelque sorte à petit feu que le capitalisme impérialiste soumet l’humanité et la planète bleue à la torture mortelle du tout-profit et de ses retombées monstrueuses, chaos politique de l’Afrique au Proche-Orient, fascisation rampante de l’Europe, désastres environnementaux à répétition, etc. Dans les années 80, au moment où la « nouvelle philosophie » glucksmannienne connut son apogée médiatique, Reagan dominait les USA et ses partisans jouaient sur l’ambiguïté du slogan E.R.A. (Elect Reagan again s’interprétait aussi, dans la droite « républicaine », Eliminate Russians Atomically) ; la réaction allemande enfin décomplexée clamait « lieber tot, als rot » (plutôt morts que rouges !). Reagan et Bush Senior lançaient leur projet de « guerre des étoiles » (IDS) destiné à intercepter les missiles soviétiques en cas de première attaque nucléaire « désarçonnante » des USA contre l’URSS. Peu de temps auparavant, le stratège états-unien Brzezinski – qui s’est depuis lors vanté de son astuce – attirait l’Armée rouge dans un guet-apens en Afghanistan. Quant à Glucksmann, il théorisa l’indicible entreprise exterministe comme seul un philosophe peut le faire. Dans La Force du vertige (Grasset, 1984), A.G. expliquait en effet que l’Occident devait assumer au nom de ses « valeurs » la « seconde mort de l’humanité », c’est-à-dire la perte de sens absolue qui résulterait pour chacun de l’idée, non seulement de sa mort personnelle, mais de la « disparition de l’humanité en son exhaustivité ». Et tout cela ne se passait pas dans le Ciel des Idées mais en 1984, en pleine « crise des euromissiles », à un moment où le risque de guerre nucléaire mondiale croissait à toute vitesse. Pour A.G., qui appelait cela « dissuasion », la « seconde mort de l’humanité » valait mieux que le « risque » de « Sibérie planétaire »[8], c’est-à-dire d’extension du communisme à toute l’humanité (entendez : de propagation des révolutions populaires africaines, centraméricaines, afghane, etc. à l’ensemble des pays du Sud). Alors que les USA se référaient officiellement à la doctrine du first use (usage en premier par les USA de l’arme atomique contre l’URSS) voire à celles du first strike (engagement de la troisième guerre mondiale antisoviétique par une frappe nucléaire massive et « désarmante » contre l’URSS) et du « linkage » (menacer Moscou d’une guerre nucléaire pour l’empêcher de soutenir les révolutions populaires), Glucksmann a joué un rôle majeur dans la riposte atlantico-exterministe aux pacifistes ouest-européens et américains ; car sans soutenir en rien Moscou, lesdits pacifistes observaient que l’utilisation de 15% des stocks fuséo-nucléaires mondiaux au cours d’une guerre Est-Ouest eût nécessairement conduit à l’ « hiver nucléaire » (on est loin du réchauffement climatique actuel !), c’est-à-dire à l’interception du rayonnement solaire par la masse disséminée des poussières radioactives ; donc à l’interruption de la photosynthèse, donc à la possible extinction des formes supérieures de vie sur la planète Terre. Traduisant en français laïque les vaticinations guerrières des belliqueux prophètes « évangélistes » yankees qui, à l’instar de Reagan, annonçaient l’ « Harmaghedon » (la bataille finale où Dieu défait les mécréants – en clair, les communistes – et où les « bons » rejoignent le « Royaume »), Glucksmann exécuta le « sale boulot » philosophique que nécessitait la justification de l’exterminisme impérialiste. Il écrivit notamment cette atrocité philosophique sans aucun précédent : « je préfère succomber avec mon enfant que j’aime (sous-entendu, dans une guerre nucléaire, G.G.) plutôt que l’imaginer entraîné vers quelque Sibérie planétaire ».
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Deux réponses à l’exterminisme reagano-glucksmannien : Gorbatchev ou Castro.
Si ce fanatisme anticommuniste maximal – qui obtenait un succès de masse chez les petits-bourgeois de gôôôche : A.G. avait en effet des centaines de milliers de lecteurs et il faisait même école dans le PS[9] – n’a pas abouti à la guerre mondiale nucléaire, ce n’est pas parce que l’impérialisme US « bluffait »[10], mais parce que la direction gorbatchévienne de l’URSS intimidée et surtout, complaisante et félonne, a choisi la capitulation idéologique et diplomatique en rase campagne. Au lieu de répondre crânement, comme le faisait alors Fidel Castro « socialismo o muerte, patria o morir ! » et qu’il appelait, non pas à attendre l’apocalypse nucléaire mais à développer la lutte de classe révolutionnaire, au lieu de suivre la voie brièvement explorée par Youri Andropov pour construire un large front anti-exterministe mondial (le « front mondial de la raison »), Gorbatchev accepta la problématique exterministe en se contentant d’inverser l’exterminisme US en social-pacifisme de type munichois : le « plutôt morts que rouge » exterministe des Occidentaux devint le « plutôt pas rouges que morts ! », ce qui, traduit en « nouvelle pensée » gorbatchévienne devenait ceci : « préférer les valeurs universelles de l’humanité aux intérêts de classe du prolétariat ». En clair, il s’agissait de renoncer au socialisme pour sauver la paix, comme Nixon y invitait au même moment dans son livre sinistrement intitulé Le mythe de la paix. A l’arrivée, la Russie postsoviétique actuelle, que les USA « cherchent » militairement de l’Asie centrale à la Syrie en passant par l’Ukraine et les pays baltes, aura répudié le socialisme et ses acquis sociaux sans aucunement gagner la paix. Comme les « Munichois » Chamberlain et Daladier qui, aux dires de Churchill, choisirent le déshonneur pour avoir la paix et n’eurent que la guerre en récompense de leur veulerie, Gorbatchev a simplement remplacé la « guerre froide » par une paix… de plus en plus chaude. Une « paix » qui, aujourd’hui, pourrait rapidement se transformer en affrontement direct sur les champs de bataille de Syrie ou du Donbass puisque, si le Traité de Varsovie et la Fédération soviétique ont disparu, l’OTAN s’est étendue aux frontières de la Russie et l’ « Union transatlantique » doublée de l’ « Union transpacifique » en gestation visent clairement à isoler et à encercler économiquement les « BRICS », au premier rang desquels la Chine largement décolorée et la Russie totalement décommunisée… Et si pour finir l’exterminisme reagano-glucksmannien, cette continuation de la guerre de classe par d’autres moyens (et ajouterais-je, cette préparation de la contre-révolution par le chantage à l’extermination), avait seulement changé de forme en s’incarnant dans la mortifère mondialisation néolibérale, dans ses guerres impérialistes incessantes, dans sa fascisation politique rampante, dans sa course au tout-profit maximal, dans sa marchandisation galopante de l’humain et de la nature, qui tout à la fois, comme disait Marx, « épuise la Terre et le travailleur » ? Après tout, il n’est pas qu’une façon de détruire l’humanité et de détruire l’humanité de l’homme…
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En quel sens, contrairement à BHL, Glucksmann fut un « philosophe »
C’est en ce sens cependant, répétons-le, que le triste A.G. est, bien davantage que BHL, cet histrion du concept que nul n’a jamais pris au sérieux dans les milieux philosophiques, un philosophe à la triste figure. Sans valoir moralement et politiquement plus cher que son compère, Glucksmann fut un philosophe au sens où l’est toute personne qui cherche à penser jusqu’au bout, de manière radicale et cohérente, une hypothèse théorique, et plus encore, une conception du monde et de l’existence. Poussant jusqu’à ses plus noires conséquences le faux humanisme, le faux universalisme et les pseudo-symétries « antitotalitaires » de la bourgeoisie impérialiste, A.G. fut et reste un attracteur négatif du sens. On peut même s’aider de sa pensée, véritable repoussoir tragique de tout progressisme, pour concevoir en sa cohérence la portée anti-exterministe radicale d’un communisme de troisième génération[11] qui assumerait à la fois – car les deux engagements se conditionnent mutuellement – la transformation de l’humanité et sa conservation (défense anti-impérialiste de la paix mondiale, anticapitaliste de l’environnement, etc.) ; en effet la défense de la survie humaine passe par sa transformation révolutionnaire et symétriquement, la révolution socialiste et anti-impérialiste doit se soucier plus que jamais, non seulement de changer la vie, mais de la sauver. Et cette dimension ô combien universaliste du communisme n’invite assurément pas à moins de combat de classe, mais à plus d’engagement révolutionnaire ; car n’en déplaise à Gorbatchev… et à Glucksmann, tous deux d’accord pour opposer métaphysiquement ces notion, ce serait plus que jamais une illusion « exhaustivement » mortelle que d’opposer « les intérêts de classe du prolétariat » aux « valeurs universelles de l’humanité » au premier rang desquelles figure le droit à la vie et au développement solidaire de chacun. Plus que jamais, à la cubaine, « la patrie ou la mort, le socialisme ou la mort, nous vaincrons ! »…
Georges Gastaud
[1] Philosophe, dernier ouvrage publié Marxisme et universalisme, Delga, 2015.
[2] On pense à Cohn-Bendit, à S. July, le patron de Libé ; cf aussi, un cran au-dessous A. Finkielkraut, ex-mao devenu le penseur attitré des « nouveaux réacs », ou D. Kessler, qui appelle désormais au nom du patronat à « démanteler le programme du CNR »
[3] Rappelons que les grands défenseurs français des droits des riches bourgeois de Saigon ont ensuite soutenu pendant dix ans les Khmers Rouges : invariablement, la France de Giscard puis celle de Mitterrand votaient pour que ces bourreaux – ennemis farouches du Vietnam voisin ! – conservent leur siège usurpé (celui du Royaume khmer) à l’ONU sous le tutorat grimaçant du pitre Norodom Sihanouk.
[4] Victoire du peuple vietnamien, Révolution portugaise des Œillets, victoires populaires en Afrique et en Amérique centrale, écroulement de plusieurs dictatures fascistes, extension des forces anticapitalistes au Portugal, en France, en Espagne, en Grèce… n’oublions jamais que les années 70 encore toutes proches furent très délicates pour le bloc euro-atlantique…
[5] Il serait injuste d’assimiler à la GP les marxistes-léninistes issus du PCF qui, à la fin des années 60, crurent nécessaire de rompre avec leur parti pour conserver une ligne révolutionnaire qu’incarnait selon eux Mao face aux héritiers soviétiques de Khrouchtchev. Mais combat-on les tendances révisionnistes droitières des uns en exaltant le sectarisme gauchiste des autres… surtout quand pour finir, la direction chinoise finit par s’allier aux USA pour combattre Moscou ou par soutenir Pol Pot pour faire échec au Vietnam jugé trop prosoviétique ?
[6] …laquelle eût été impossible sans l’implantation de la grande CGT de classe de Benoît Frachon et sans les intenses luttes anticoloniales des années 50 et 60, menées, pour l’essentiel par les militants du PCF, de la CGT et du syndicat UNEF.
[7] Géopolitiquement parlant, la défaite historique d’Hitler devant l’odieuse Armée rouge de Staline avait marginalisé les fascistes, du moins en Europe, et elle avait désenclavé politiquement les communistes. En bref, l’antifascisme dominait alors l’anticommunisme dont Hitler était le fer de lance avant 1945.
[8] A supposer que l’extension du communisme soit un risque pour le monde du travail, l’histoire ultérieure – la contre-révolution en URSS ! – a prouvé que le verbiage de Reagan sur la « menace communiste » relevait en fait, soit du mensonge, soit de l’auto-intoxication !
[9] A l’époque, les plans de programmation militaire géants programmés par Mitterrand et par son ministre de la défense d’alors, qui était déjà Le Drian, plombaient comme jamais le budget de la France « socialiste »…
[10] La revue Actualités soviétiques démontrait alors que les « manœuvres » de l’OTAN prenaient une telle ampleur qu’on pouvait de moins en moins les distinguer d’une préparation directe à l’engagement d’hostilités.
[11] Si la première génération est celle qui va de Babeuf à la Commune et la seconde celle qui couvre tout le mouvement historique issu de la Révolution d’Octobre.
Pour ceux qui le l’ont pas connue et ne peuvent pas savoir ce qu’était la Gauche Prolétarienne de Glucksmann et ses amis, je veux apporter mon témoignage. Personne ne peut aujourd’hui l’imaginer car les mêmes continuent sans relâche à mentir et à, refaire l’histoire à leur avantage.
Ainsi, je me souviens d’une affaire qui a eu lieu en 1970 à la fac de Nanterre. A la rentrée de septembre, l’université était sous tension. Les halls étaient occupés par des tables tenues par une multitude d’organisations allant de l’extrême droite à la gauche la plus écervelée. De violentes bagarres éclataient régulièrement, des « tribunaux populaires » siégeaient, les cours étaient régulièrement interrompus par des « prises de parole » dictées par l’urgence d’une révolution imminente. Des cars de CRS, toujours plus nombreux, stationnaient aux entrées ; leurs occupants n’avaient pas le droit d’en descendre. Ils enrageaient la journée entière sous les quolibets des étudiants qui passaient. L’atmosphère était explosive.
Au début décembre le groupe maoïste, la Gauche Prolétarienne, est arrivé avec toutes ses troupes pour organiser un meeting. Les leaders, entourés de leurs gardes, sont arrivés vers 14 heures. Sur la pelouse quatre individus masqués avaient posé une nappe et préparaient des cocktails Molotov en faisant semblant de ne pas voir une équipe de télévision qui les filmait, cachée sur les toits. Il était clair que quelque chose de grave se préparait. J’étais alors membre du Conseil d’Administration de l’UNEF mais non connu comme tel. Je suis donc parti aux nouvelles. Dans l’amphi qu’ils avaient investi les leaders gauchistes étaient à la tribune. Geismar tenait un discours véhément et excitait ses troupes au combat. Il y avait un nombre invraisemblable de flics ; il était impossible que les organisateurs ne le sachent pas. J’ai rapidement rendu compte de ce que j’avais vu ; après une courte discussion nous avons décidé d’évacuer le campus de crainte que certains ne profitent de la confusion pour nous faire un sort. Pendant que les autres partaient je suis allé à la fac de lettre où se trouvaient encore certains de nos militants. Je devais les avertir et leur demander de quitter le campus au plus vite. Je venais juste de les retrouver quand les premiers heurts ont éclatés. On entendait les clameurs et les explosions, de la fumée montait. Nous avons quitté précipitamment le campus en allant à l’opposé, vers la bibliothèque.
Le reste, je ne l’ai pas vu, je ne l’ai appris que les jours suivants par les étudiants qui se sont trouvés pris dans l’affrontement. Les CRS ont été lâchés au moment où les participants au meeting sortaient en masse pour en découdre. L’affrontement a été bref mais extrêmement violent. En à peine un quart d’heure les CRS ont balayé tout le campus. Les gauchistes, vrais et faux, se sont réfugiés dans les bâtiments. Des centaines d’étudiants s’y sont trouvés piégés avec eux. Les CRS ont alors été regroupés au centre du campus et formaient un carré. Il s’abattait sur eux une pluie de projectiles. Toutes les chaises, toutes les tables ont été cassées et leur étaient lancées des fenêtres. Cela a duré jusqu’au soir (très précisément jusqu’à l’heure du journal télévisé). A ce moment ils ont reçus l’ordre de charger. Les portes ont volées en éclat et ça a été la curée. Les choses ont si mal tourné que les gardes mobiles ont été appelés pour s’interposer et calmer la fureur meurtrière des CRS.
On m’a raconté que la résidence universitaire a été investie. Un jeune qui avait été au lycée avec moi et qui n’était pour rien dans cette affaire a vu la porte de sa chambre défoncée. Il a été roué de coups et s’est retrouvé avec le foie éclaté. Ses études se sont arrêtées là.
Le lendemain, la fac était déserte. Il ne restait pas une chaise, pas une table pas un pupitre. Les portes et les fenêtres étaient brisées. La fac était déserte, dévastée. On m’a dit que quelqu’un avait ouvert des vannes dans les sous-sols et qu’un transformateur avait été inondé. Cela aurait pu provoquer un incendie. La présidence a annoncé que tous les cours étaient suspendus jusqu’aux vacances de Noël et que le rentrée de janvier était retardée jusqu’à une date indéterminée.
Notre réunion a été courte : s’en était fini des franchises universitaires, il était inutile de tenter de s’en réclamer. Depuis le moyen-âge l’université était lieu d’asile, la police ne devait pas y pénétrer. Mais comment défendre cela quand elle était le lieu d’une bataille rangée. Les cours ont repris à la mi-janvier dans une atmosphère morne : plus de propagande, plus de tracs, plus d’interventions. Les étudiants ne voulaient plus rien en entendre
Quelques temps plus tard, les mêmes gauchistes sont revenus. Pour une raison que j’ignore, ils ont agressé à coup de barres de fer le délégué syndical CGT du personnel du restau U et l’ont laissé pour mort. Le malheureux avait huit fractures du crâne. Il ne s’en est jamais remis et est resté invalide. Naturellement, la police n’a pas identifié les responsables de cette agression.
A la rentrée suivante, ils sont revenus à nouveau et ont attaqué la résidence. Ils cherchaient le leader des étudiants communistes (Pierre Zarka). Il est parvenu à leur échapper mais tous les militants ont dû quitter la résidence. C’est à cette occasion que je m’y suis installé pour travailler à la reconstruction de notre organisation.
Il est clair que la malfaisance gauchiste (ou du moins d’un certain gauchisme) ne s’arrêtait pas au domaine des idées. Ils ont contribué très fortement à l’affaiblissement des organisations étudiantes. Après le saccage de la fac, les étudiants ne voulaient plus rien entendre. Ils avaient une aversion totale pour tout ce qui ressemblait à une organisation politique ou syndicale. Ils voulaient de l’ordre, des vigiles, des contrôles. Chaque organisation était victime de cela à proportion de son audience. La plus affaiblie était l’UNEF même si elle ne cessait de répéter qu’elle condamnait les violences et n’y avait absolument pas participé.