Cela fait des années que les ouvriers de la sidérurgie mènent un bras de fer courageux pour défendre les outils de productions de toute la filière acier et métallurgie en France. Et avec eux non seulement les emplois des ouvriers des hauts fourneaux et aciéries , Florange, Gandrange, Fos-sur-Mer, Dunkerque, … mais aussi de tous leurs prestataires et sous traitants. Et en aval la capacité de faire fonctionner l’industrie de la construction, l’industrie ferroviaire, de l’énergie, de l’aéronautique, de la construction navale ou automobile. Sous l’effet tout à la fois de la concentration du capital et profitant de la libre circulation des capitaux et marchandise imposés par l’Union Européenne comme d’autres secteurs industriels stratégiques (ferroviaire et énergie avec Alstom General Electric, chantier naval avec les chantiers de St Nazaire ou DCNS)…), la désindustrialisation s’accélère dans la production d’acier en France.
Alors que les ouvriers d’Arcelor sont engagés dans une nouvelle luttes, la commission lutte du PRCF a réalisé pour Initiative Communiste un entretien avec Phillipe Verbeke, secrétaire général de la CGT Arcelor-Mittal. L’occasion de faire entendre la voix des travailleurs, totalement censurée par les médias des milliardaires. Ce sont pourtant eux qui font tourner le pays, et c’est eux qui ont des solutions pour son avenir.
Initiative Communiste : Bonjour, pouvez-vous brièvement vous présenter ?
Phillipe Verbeke : Bonjour, je suis le coordinateur national CGT au sein du groupe Arcelor-Mittal et plus globalement pour la sidérurgie au sein de la fédération des travailleurs de la Métallurgie.
Depuis le démantèlement d’Arcelor, on a vu les batailles de Gandrange et Florange, les coups sont durs pour l’emploi et la production est touchée. Depuis quand votre site est-il entré en lutte ?
Phillipe Verbeke : Cela fait déjà 2, 3 ans ou le climat social c’est dégradé, ce n’est pas que sur mon site, c’est assez général dans le groupe. En réalité, ces dernières années, on est en train de vivre la politique sociale et industrielle de la famille Mittal, qui a prit possession du groupe Arcelor par une OPA en 2006, donc 14 ans de gestion « Mittal en France ». On est en train de vivre une période difficile en termes d’investissement industriel mais aussi des dérives dans la politique sociale avec l’écrasement des rémunérations et du non renouvellement des emplois. Il y a beaucoup de signaux rouges dans notre secteur ces dernières années donc.
Quelles sont vos revendications?
Phillipe Verbeke : On a un groupe mondial, qui est diversifié entre les mines et la sidérurgie, et on constate que ce groupe à une politique de sous-investissement pour se lancer à l’étranger, comme par exemple en Inde, ou le groupe reprend un site très important. On est confronté à ça : un groupe qui veut produire un maximum, notamment pour l’Europe car il y a une très forte demande, mais qui n’injecte rien ici, ni en politique sociale, ni suffisamment en investissement et en recherche et développement, mais qui au contraire écrase les rémunérations, qui ne redistribuent pas les richesses créer par l’entreprise.
En plus de tout cela, il y a un plan de départ volontaire qui a été mis en place brutalement en 2009/2010 fait qui était de sortir 3000 salariés de la France. On assiste donc aussi a une perte de compétences, accentué par un faible renouvellement des départs en retraite. En plus de ça, il n’y a pas d’attractivités pour les jeunes générations, du fait du recul de la rémunération et des perspectives de carrières.
À l’heure à laquelle nous parlons, quelles sont les réponses que vous obtenez des patrons, mais aussi du gouvernement ?
Phillipe Verbeke : C’est compliqué car cela fait de nombreuses années qu’on interpelle les politiques sur ce qu’il se passe. La sidérurgie est contrôlée à 90% par des multinationales, donc le centre de gravité n’est plus en France. De ce fait, cela fait plusieurs années, dès que Mittal a prit possession de la sidérurgie, on a souhaité un débat parlementaire. Il y a eu 2 commissions d’enquête grâce à la CGT qui a poussé : la première à l’assemblée nationale en 2013 et l’année passée au Sénat.
Ces commissions ont décrété que la Sidérurgie était essentielle en France pour l’industrie, mais paradoxalement, l’intervention politique n’est pas là!
Lorsque « Mittal» a racheté, avec le soutien du gouvernement Sarkozy, les aciéries et hauts-fourneaux d’Arcelor, ce dernier avait promis qu’il y aurait des investissements et des embauches et un développement de l’activité : quelle est en réalité la situation ?
Phillipe Verbeke : Finalement, c’était que sur le papier. C’était juste un accord, sur 4 pages assez condensées, après la situation de Florange. On devait poursuivre le développement en France et sauvegarder les sites comme Dunkerque ou Fos-Sur-Mer. Il y a eu des sommes débloquées, pour aider ces sites notamment Dunkerque. Mais cela reste très insuffisant pour mettre à niveau les outils de production mais aussi pour les transformer pour l’avenir.
On ne peut pas rester sur de l’équipement qui a 30 voir 40 ans.
Il y a donc aussi des enjeux de sécurité et de maintenance.
Mittal met la pression actuellement, il n’y a donc plus d’investissement dans les machines, on a donc de gros problèmes de production à cause du matériel dans l’ensemble du groupe et même sur le site de Dunkerque qui est censé être rénové et l’un des meilleurs du groupe sur le papier.
Depuis des années, le PRCF propose la renationalisation complète d’Arcelor et la création d’un grand pôle public de l’industrie (lire notre dossier spécial en cliquant ici) et un grand pôle public de l’industrie (cliquer ici pour lire). En effet, les patrons successifs d’Arcelor n’ont pas la volonté de conserver et développer les activités industrielles stratégiques dans le domaine de l’acier.
Pour sauver les emplois, la production, la recherche et le développement en France dans le domaine de l’Acier, que pensez-vous de cette solution de nationalisation et de pôle public ?
Phillipe Verbeke : C’est une piste que l’on a poussée, notamment lors du dossier Florange, quand les capacités de production étaient vraiment menacées. On a tenté d’explorer cette voie, il y a eu le projet de la nationalisation du site de Florange. Il y a eu un rapport de force politique avec Hollande et Macron, qui déjà à l’époque refusait cette voie. Cela a été avorté alors qu’on était à deux doigts d’y arriver.
Le problème c’est que les sites sont interdépendants, donc il est très dur d’envisager une nationalisation d’un seul. On peut envisager aussi des étapes intermédiaires : à l’époque de Florange, on a travaillé en collaboration avec le syndicat du Luxembourg et la SBL en Belgique car les mauvais coups n’arrivaient pas qu’en France : on voulait une décision politique européenne pour nous aider. On voulait reprendre 33% du capital de l’entreprise pour qu’il n’y est pas d’ingérence de Mittal dans l’entreprise. On est toujours un peu là-dessus.
La dernière piste que l’on a proposée, sur le dossier de reprise du couple Ascoval/Hayange est un consortium d’entreprises, avec une participation de la SNCF et de l’Etat au capital, leur marché étant très tourné vers le marché du Ferroviaire.
On propose donc plusieurs pistes, au-delà de la nationalisation. Ce qui est rageant, c’est qu’Arcelor touche directement d’énormes subventions publiques pour la décarbonatation par exemple ; mais que le sous-investissement persiste dans l’entreprise.
À de multiples reprises c’est la Commission européenne qui a empêché qu’Arcelor fasse l’objet d’aide publique ou d’une nationalisation (lire ici), c’est ainsi elle qui a encouragé la spéculation agressive de Mittal. C’est aussi l’UE qui installe le dumping social et favorise les délocalisations, notamment en favorisant les importations d’acier venant des pays où les salariés sont exploités et les normes environnementales inexistantes. C’est également l’Europe, et cela depuis la CECA, qui a organisé la fermeture des mines de charbon et de fer, obligeant à des importations de minerais à longue distance défavorable à la production de la filière acier en France
Pour empêcher la fermeture de nos usines, réindustrialiser le pays et donc, pour produire en France – ne faut-il pas oser briser les chaines de l’Union européenne ?
Phillipe Verbeke : C’est une question de fond, elle n’est pas simple. Je ne suis pas hostile, sur le fond, à l’Union Européenne : mais on peut avoir une UE basée sur d’autres fondamentaux. J’ai participé aux travaux de la commission européenne avec la CGT métallurgie au moment de la fermeture de Florange. Ceci étant, les mesures prises n’ont pas été suffisantes, mais effectivement on pousse avec la fédération européenne de la sidérurgie pour que l’UE prenne en compte nos propositions, notamment l’intervention des pouvoirs publics dans la stratégie de ces groupes.
Entretien préparé et retranscrit par Clément G Bernard C et Dark Vlador
illustrations par www.initiative-communiste.fr