« Au PC, les coups de rouge font tourner la tête. » Le jeu de mot est vulgaire et éculé mais peut toujours servir de titre à un papier du « Canard » consacré aux communistes français (25 février 2015). L’article se termine comme il se doit par un non moins galvaudé : « Staline, reviens, ils sont devenus fous. » Il ne manque plus que l’homme au couteau entre les dents.
L’anticommunisme est un droit constitutionnel, sans doute même un devoir pour un journaliste qui veut monter, mais cela n’autorise pas M. Alain Guédé à écrire presque une inexactitude par ligne.
De quoi s’agit-il ? L’article visait surtout à dauber les dissensions internes au PCF et à la mouvance communiste en général, en faisant mine de ne pas comprendre l’essentiel, pourtant simple : l’ampleur d’une lutte classique entre marxistes-léninistes et opportunistes sociaux-démocrates au sein du mouvement ouvrier.
L’article avait du moins le mérite de signaler l’existence et le caractère non « marginal » d’une opposition de gauche, la « Renaissance communiste », abréviation malvenue pour le « Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) », jusqu’à présent l’organisation oppositionnelle à la « mutation » du PCF la plus structurée. Si notre journaliste avait accordé plus d’attention à l’aspect « pôle » de cette structure, cet effort lui aurait permis de comprendre que le PRCF autorise la double appartenance PRCF/PCF mais n’est pas constitué, comme il se l’imagine, comme un courant du PCF. Il aurait ainsi mieux compris pourquoi le député du Nord Jean-Jacques Candelier (et non pas « Jacques Candelier »), bien que proche des idées de la « Renaissance communiste », est un élu PCF et non de la « Renaissance » comme il l’affirme. Il en eût été de même de l’ancien député Georges Hage, ayant eu la double appartenance PRCF/PCF et que notre journaliste croyait plutôt « cohabitant » (belle imprécision) avec les « rouges vifs » qui sont une autre structure. Mince détail, Georges Hage est hélas décédé ce mois dernier, ce que le journaliste semble ignorer. Il était sans doute trop compliqué de se renseigner sur celui qui fut longtemps le doyen de l’Assemblée nationale et l’indéfectible député des populations ouvrières du Douaisis.
« Le Canard » mentionne également le « comité Honecker », proche là aussi du PRCF, et pense qu’il s’agit d’une simple organisation de nostalgiques des pays de l’Est ou plus simplement de la RDA alors qu’il est avant tout une organisation de secours aux communistes emprisonnés et réprimés dans les ex-pays socialistes. L’hebdomadaire ignore-t-il que celui qu’il appelle l’ « ancien maître de la RDA » avait été jeté par la RFA dans la même prison que celle où les nazis l’avaient enfermé durant dix ans et qu’il en est sorti fièrement le poing levé, grâce à son abnégation et à la solidarité de ses camarades ? Autre oubli de taille : le « comité Honecker » ne porte plus ce nom depuis plusieurs années mais celui, moins apte à stimuler l’imagination fertile du « Canard », de « Comité internationaliste pour la solidarité de classe » (CISC). Et tant qu’à indiquer ses présidents d’honneurs passés ou présents, le journaliste aurait pu nommer Henri Alleg, figure de proue de l’anticolonialisme communiste, Désiré Marle, prêtre-ouvrier du Pas-de-Calais et Mumia Abu-Jamal, embastillé depuis vingt ans au « pays de la liberté » (les USA) pour son combat contre le racisme policier.
Quant aux « rouges vifs », notre journaliste semble s’étonner de leur activité internationale sans comprendre qu’une partie d’entre eux ont repris, jusqu’au nom, le rôle de la « polex » (politique extérieure) chargée des « affaires étrangères » du PC. Enfin, notre journaliste pense que Robert Hue « cultive obstinément ses réseaux au sein du PC », ce qui n’est pas entièrement faux, mais sans mentionner l’essentiel : le fait qu’il a quitté le PCF et qu’il a été élu sénateur sur une liste du PS !
Toutes ces informations n’ont rien de confidentiel. Elles sont vérifiables auprès de tout militant du PCF ou du PCF-Canal-historique : je précise que j’emploie là une métaphore et ne désigne pas une organisation, pour éviter que M. Guédé ne décide de son existence dans un prochain article.
Autrefois l’anticommunisme théorique, apanage le plus souvent de transfuges à la François Furet, exigeait, à défaut d’intelligence, une capacité d’acharnement et un certain esprit de suite. Aujourd’hui, un Alain Badiou soigne sa réputation d’oracle dans Le Monde en disant des énormités comme : « Il y a eu en France, depuis bien longtemps, deux types de manifestation : celle sous drapeau rouge et celle sous drapeau tricolore » (27 janvier 2015). Jamais ces deux drapeaux n’ont donc été associés ? Jamais, sauf par le PCF depuis Thorez lors du Front populaire jusqu’à l’époque Marchais incluse, et par le PRCF depuis le refus de la « mutation ».
Dans ce contexte d’ignorance crasse, je ne saurais trop conseiller à nos amis comme à nos aimables contradicteurs le livre d’entretiens, qui porte le beau titre de Résistances, et que Jean Salem, professeur de philosophie à la Sorbonne, a bien voulu m’accorder. Il consacre une large part à l’opposition de gauche à la « mutation » du PCF depuis vingt ans, dont son père, Henri Alleg, était une splendide figure. Il évoque également l’opposition antérieure, celle de Jeannette Thorez-Vermeersch, dont Salem était l’un des plus proches alliés ainsi que le préfacier de ses très beaux Mémoires, La Vie en rouge, Mémoires que nous venons tout récemment de republier. Dans ses entretiens, Jean Salem et votre serviteur évoquons les différents cercles communistes, et qui entendent le rester, de manière équitable et sans volonté de division, car contrairement à ce que croit M. Guédé, ils reflètent bien plus des divisions régionales que des divergences d’opinion. Une fois n’est pas coutume, l’ouvrage de Jean Salem a attiré l’attention de Robert Maggiori, de Libération, qui a fait la démonstration qu’on peut écrire deux pleines pages renseignées, profondes et charitables, y compris dans un journal anticommuniste.
http://www.liberation.fr/livres/2015/02/18/tel-pere-tel-fils_1205288
On peut trouver une video sur ce livre d’entretiens ci-dessous :
Encore un effort donc, messieurs du Canard ! Mais si vous croyez masquer votre ignorance par les prestiges du calembour en associant le rouge du sang des communards au gros rouge qui tache avec la bonhomie empressée d’un chien de Pavlov, vous tomberez au niveau de Minute. Une chute dont on ne se relève jamais. Le « Canard » ne sera plus alors crédible que dans sa capacité à glaner des ragots dans les couloirs ministériels, comme l’atteste chaque semaine sa très rébarbative page deux.
Aymeric Monville, directeur des Editions Delga, 26 février 2015
Nous reproduisons ci-dessous l’article du Canard enchaîné, 25 février 2015
Au PC, les coups de rouge font tourner la tête
Quatre des dix députés communistes ont refusé de voter la motion de censure déposée par l’UMP, enfreignant ainsi la consigne de leur chef de file à l’Assemblée, André Chassaigne. Lequel préside aussi le groupe Front de gauche. Or Mélenchon, grand leader dudit Front, avait précisément appelé à ne pas voter cette censure, afin de ne pas « se fourrer avec la droite ». C’est d’un simple !
Loin de ce monolithisme qui faisait son charme, le nouveau PC est devenu un joyeux foutoir. Pierre Laurent, lointain successeur de Maurice Thorez, doit naviguer à vue entre les courants.
Good Bye Honecker
Sur les dents gauches de la fourchette se massent les défenseurs de la mémoire du bon vieux bloc de l’Est et de ses anciens dirigeants. « Renaissance communiste » travaille main dans la main avec les comités « Honecker » (bien français, comme leur nom ne l’indique pas), dont l’âme est la toujours jeune Margot Honecker, veuve de l’ancien maître de la RDA. Leurs publications cultivent un touchant look « Good Bye Lenin ! ». Ces nostalgiques ne sont pas pour autant des marginaux et comptent même quelques élus au Parlement, comme l’actuel député du Nord Jacques Candelier.
D’autres amateurs d’antiquités, les « rouge vif », comme ils se nomment eux-mêmes, se découvrent une passion inattendue pour Poutine. Ils cohabitent avec leurs camarades de « Tous ensemble pour un Parti communiste français (marxiste) », fondé par l’ancien député du Nord Georges Hage. L’une des spécialités de ces derniers : maintenir les liens avec les Partis communistes au pouvoir (Cuba, Chine…).
Cette aile gauche morcelée abrite, en prime, quelques dissidents et fortes têtes. Patrice Carvalho, député de l’Oise, qui, naguère, pénétra dans l’Assemblée vêtu d’un bleu de chauffe, honore toujours la mémoire du vibrionnant Maxime Gremetz. Pourtant, il a refusé de voter la motion de censure, tout comme l’élu du Nord Alain Bocquet, qui s’est longtemps drapé dans le rouge vif.
A droite de la fourchette, les « rouge pâle » se retrouvent au sein de la – riche – Fondation Gabriel-Péri, créée par un Robert Hue qui cultive obstinément ses réseaux au sein du PC. Présidée aujourd’hui par un ancien haut dirigeant de la CGT, cette fondation réunit une tripotée d’élus – actuels ou anciens, régionaux et locaux – et, surtout, d’intellectuels du PC. Et, grâce à l’excellence des relations entre Robert Hue et François Hollande, elle est à l’abri du besoin.
Ces « rouge tendre » ne sont pas très éloignés des « rouges-verts » d’ « Ensemble » (à ne pas confondre avec « Tous ensemble ! »). Composé de communistes encartés et de compagnons de route, le mouvement se fédère autour de Clémentine Autain et de l’ancien maire de Saint-Denis Patrick Braouezec. Staline, reviens, ils sont devenus fous !
Alain Guédé