« Laurent Berger et Philippe Martinez, camarades de lutte contre le chômage de longue durée » : ce jeudi 30 septembre, L’Obs s’en donne à cœur joie en montrant, côte-à-côte, le patron de la jaune Confédération européenne des syndicats (CES) et de la non moins jaune « Confédération française démocratique du travail » (CFDT) et le secrétaire national de la Confédération générale du travail (CGT), au moment même où le gouvernement détruit l’assurance-chômage – et alors même que le Conseil constitutionnel avait sévèrement critiqué le projet porté par la sinistre Élisabeth Borne. Gageons que cela ne perturbera pas outre mesure un Martinez tout heureux de « débattre » avec le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal en cette « Fête de l’Huma » 2021 – « débat » au cours duquel il a tranquillement annoncé la liquidation de l’assurance-chômage et, prochainement, des retraites par répartition – après avoir eu le « débat » dont il « rêvait » en 2020 avec le patron du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux. Mais ce n’est pas grave : « débattons » ! Une mode grotesque dans laquelle versent également Fabien Roussel avec la Versaillaise Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon avec le fascisant Éric Zemmour…
Oui, « débattons ». Et bien entendu, « dialoguons », « socialement », avec les euro-gouvernements successifs dont la seule feuille de route continue depuis les années, dictée par le MEDEF, Bruxelles et Berlin, consiste à détruire les services publics – juridiquement, des « services d’intérêt économique général » au niveau de la mortifère « Union européenne » –, les structures productives livrées aux appétits des grandes multinationales comme l’automobile, la grande distribution, etc., les conquêtes sociales tels le Code du Travail (Jean-Juncker se vanta en son temps d’être à l’origine de l’infâme « loi Travail » d’El-Khomri-Valls-Macron), la Sécurité sociale ou les retraites par répartition, etc. C’est en tout cas cette invraisemblable fable anesthésiant les travailleurs en lutte qui est encore servie par les directions syndicales euro-confédérées : après tout, Philippe Martinez n’a-t-il pas signé en mars 2020, alors que la France rentrait dans son premier confinement, une « Déclaration commune » avec la CFDT et le MEDEF qui « entendent affirmer le rôle essentiel du dialogue social » ? Et lui qui ne cesse d’invoquer la Charte d’Amiens au nom de « l’indépendance » des syndicats, n’a-t-il pas apporté son soutien en mai 2020 au pseudo « plan de relance » Macron-Merkel qui, derrière le chiffre magique de « 500 milliards d’euros », confirmait son appui sans condition au grand patronat et à l’UE du Capital ?
« Dialoguons socialement », voire « collaborons ». C’est ainsi que Philippe Martinez était aux côtés de Laurent Berger pour visiter une « entreprise à but d’emploi », expérimentation visant à embaucher des chômeurs temporairement sur des emplois d’utilité sociale, dans la lignée des dispositifs du même type qui se succèdent depuis 40 ans. « [Ce sont des] expériences qui nous intéressent quand on est syndicaliste » a déclaré Martinez à propos de cette expérimentation appuyée par le gouvernement… Avec une telle « opposition », inutile pour Macron de craindre pour une offensive massive dans une logique de lutte de classe qui, de toute façon, est honnie par une partie des pseudo « réformistes » grenouillant au sein de la CGT et qui, de manière totalement décomplexée, ont écrit au secrétaire national en juin dernier pour exiger que ce dernier coupe les têtes des… syndicalistes de combat. En effet, les (contre-)« réformistes » s’indignaient dans un courriel intitulé « En avant la CGT ! » en date du 23 juin dernier, écrivant notamment : « Ceux qui, derrière Olivier Mateu, secrétaire de l’union départementale des Bouches-du-Rhône, soutien notoire de JL Mélenchon, et animé d’ambitions personnelles démesurées qu’il est bien incapable d’assumer, veulent imposer une ligne rétrograde à la CGT pour la conduire dans les ornières du sectarisme et du rejet de tous ceux avec qui nous avons construit difficilement des passerelles pour intervenir ensemble, doivent être combattus par tous les moyens. Ceux qui, derrière le secrétaire de l’union départementale des Bouches-du-Rhône, se revendiquent du courant fractionniste faussement appelé « unité CGT », représentent un passé révolu. Ils sont minoritaires et le CCN et la direction confédérale doivent assumer leurs responsabilités face au fractionnisme, les statuts doivent être respectés. Nous demandons à Philippe Martinez de prendre des décisions fortes, il sera soutenu ! »
Et pour promouvoir quelle ligne ? Le « dialogue social », naturellement ! Quitte, s’il le faut, à se montrer « modéré » face au patronat dont le candidat PCF, Fabien Roussel, a revendiqué ses bienfaits dans un récent entretien dans 20 Minutes. C’est ce que proclame clairement le courriel du 23 juin 2021 : « Nous, militants et dirigeants de structures de la CGT, refusons de nous laisser enfermer dans une impasse. C’est de la volonté de rassembler le syndicalisme en évitant sa balkanisation et la marginalisation de la CGT que Louis Viannet et Bernard Thibault ont poussé au syndicalisme rassemblé, qu’ils ont su permettre l’ouverture de la CGT sur le monde en mouvement pour être admis à prendre toute notre place au sein de la CES. Nous devons conserver un équilibre entre une activité institutionnelle qui ne marginalise par la CGT, avec la nécessaire proximité avec les salarié.e.s, par le développement de notre démarche travail. Nos structures ne sont plus adaptées au salariat d’aujourd’hui, il est temps que certains s’en rendent compte ! Le temps des citadelles ouvrières est révolu, nous perdons en représentativité parce que nous sommes absents dans énormément d’entreprises, la réponse ne se situe certainement pas dans la radicalisation mais dans le développement de la syndicalisation, quitte à modérer nos ambitions dans les revendications. Oui nous sommes à la CGT, et nous sommes réformistes, nous l’assumons ! La négociation, car il faut bien finir par négocier, est plus efficace que s’opposer à tout, par pur dogmatisme. »
Pendant ce temps, les forces du Capital, forcément « modérées » et ouvertes au « dialogue social », ne tombant jamais, c’est bien connu, dans le « dogmatisme », mènent tranquillement leur guerre de classe. Ainsi, le secrétaire national du PRCF, Fadi Kassem, a été sollicité jeudi 30 septembre 2021 par deux syndicalistes de l’Union départementale (UD) de la CGT de Vendée (85), Mehdi Khechirem et Yoann Jadaud, élus CGT dans la multinationale de transports STEF Transport Vendée et qui ont été licenciés en juin dernier pour signer une pétition qui circule au sein de la commission Luttes du PRCF. La raison ? Les deux « coupables » ont osé dénoncer les actes et insultes racistes sévissant au sein de l’entreprise ! Et qu’importe si l’inspection du travail a démontré le caractère totalement inique et illégal d’une telle décision et, par là-même, apporté son soutien aux syndicalistes licenciés. Soutien que le PRCF apporte totalement et par tous les moyens possibles pour mener ce combat de classe. De même, c’est certainement au nom du « dialogue social » que Renault a annoncé le départ de 2000 salariés supplémentaires dans les trois années à venir. Ces départs, dont on ne sait pas encore s’ils seront contraints ou non (mais dont on se doute bien de la réponse…), s’ajoutent aux 15.000 suppressions d’emploi (sur 48.000) dans le monde, annoncées en mai 2020 par le groupe, dont 4600 en France. Et bien entendu, le gouvernement continue de matraquer tranquillement les chômeurs, les précaires et les retraites par répartition, dont on apprend, d’après un « rapport de la Cour des Comptes », que le « déficit » est « inquiétant » et ne cessera de s’accroître de 10 milliards d’euros par an d’ici. Qui n’entend pas la petite musique déjà jouée par des « analystes » et « experts » annonçant, tel Patrick Artus, économiste néoclassique auteur de La dernière chance du capitalisme en 2021 – preuve s’il en est de l’extrême fragilité, en réalité, de l’ordre capitaliste –, selon laquelle à partir de… 2023 (comme par hasard, une fois les élections passées), il faudra revenir à une cure d’austérité ? C’est ce qu’il affirme clairement dans Le Point du 28 août 2021 : « Partons du constat suivant : le déficit public de la France en 2021 est essentiellement un déficit public structurel, c’est-à-dire qui ne vient pas du cycle économique, du sous-emploi. Le déficit public total de la France en 2021 sera de 9 % du PIB environ, le déficit public structurel, de 6,5 % du PIB : même si la France revenait au plein-emploi, le déficit public serait toujours de 6,5% du PIB. »
Et pourtant… Les fables sempiternelles du « dialogue social », de « l’Europe sociale », du « SMIC européen », d’une « autre Europe », etc., continuent d’être prônées par toutes les forces politiques et syndicales euro-gauchistes incapables d’imaginer un instant que la sortie de l’UE est une condition indispensable et absolue pour envisager ne serait-ce qu’une hausse des salaires ou, même, un véritable contrôle des prix des énergies qui s’envolent – et pour cause : la privatisation tous azimuts, dictée par l’infâme Union européenne, d’EDF et de GDF est l’application stricte des traités européistes dès leurs origines – traités non modifiables sauf à l’unanimité des États-membres ET des Parlements nationaux. Pas en reste de Philippe Martinez, le candidat PCF Fabien Roussel affirme qu’il est hors de question de « chasser les grandes fortunes : ils sont très intelligents, ils ont créé, inventé, et ne pourront refuser un pacte pour la jeunesse, de participation à l’amélioration du système éducatif et d’augmentation des salaires » ; le CAC 40 et le MEDEF, les sieurs Arnault, Lagardère, Dassault et autre Mulliez, tremblent déjà devant tant d’« audace ». Une « audace » dont fait toujours preuve un Philippe Martinez aux abois, collant de plus en plus aux basques du bâton de Berger et de la jaune CES. Une « audace » à côté de la plaque et du désir de radicalité exprimé par des bases syndicales, de plus en plus exaspérées par la collaboration de classe pour laquelle ont opté les directions confédérales. Une exaspération qui pourrait bien déboucher sur la « tempête sociale et politique » tant crainte par Édouard Philippe et qui, face à la « violence des riches » (Pinçon-Charlot) qui s’est encore manifestée spectaculairement dans le cadre du « scandale » de la « boîte de Pandore » (Pandora Papers), ne doit pas se traduire par un énième appel au « dialogue social », mais par un véritable combat de classe pour bloquer les profits et nationaliser les grands-secteurs clés de l’économie, à commencer par les banques, les énergies et les transports. Autant de décisions impossibles à mettre en œuvre tant que la France restera prisonnière de l’UE, et avec elle les travailleurs et les citoyens condamnés à la précarité, la misère et le chaos.