Le mardi 10 novembre 2020 avait lieu partout en France une grève dite sanitaire dans les lycées et collèges de France, contre les demi-mesures prises pour assurer le protocole sanitaire, voire l’absence de mesures dans certains cas[1]. Cet appel plutôt bien suivi donna lieu à des blocages de lycées, dont certains participants furent chargés et gazés par la police. Elle donna lieu aussi à des manifestations, notamment à Paris avec les organisations syndicales de l’éducation. Ces mêmes organisations syndicales appellent à ne pas fermer les écoles, mais à engager plus de personnels dans tous les domaines, y compris de la propreté pour pouvoir faire véritablement respecter les mesures sanitaires et éviter un foyer de contagion[2]. Cette grève, outre qu’elle dénote un amateurisme du gouvernement, témoigne du mépris de la santé et de l’avenir de notre jeunesse par les tenants du pouvoir, que ce soit au niveau de l’éducation, qu’au niveau du travail.
Avec le Bac Blanquer, ce qui pointe (et a déjà été mis partiellement en place), c’est un diplôme non plus national mais local, avec des épreuves qui ne sont plus les mêmes pour tous mais faites au cas par cas en fonction des établissements. C’est en quelque sorte une précarisation du savoir pour rendre les futurs travailleurs plus malléables et moins revendicatifs, les diplômes devenant locaux et ne valant plus rien, alors que ceux-ci servent à certifier le niveau d’étude et donc le salaire. À côté de cette politique plus globale mise en place depuis le début du quinquennat, il y a les particularités dues à la crise sanitaire. Lors de la grève du 10 novembre, des enseignants d’un collège à Saint-Denis donnaient des exemples concrets de faits récurrents dans divers établissements français : devoir gérer plusieurs élèves dans un même établissement (600 dans le collège de Saint-Denis) rendant difficile l’application des gestes barrières par tous en l’absence d’assez de surveillants, de gel hydroalcoolique, sans compter les familles ne pouvant pas acheter assez de masques ou encore le nombre trop important d’élèves par classe rendant impossible une mise en place sérieuse du protocole sanitaire[3].
Au niveau de l’emploi, les choses ne semblent pas meilleures : dans l’Union européenne, le chômage des jeunes (18 à 25 ans) est passé de 14,9% en 2018 à 17,6% en 2020. 12% des jeunes d’après le sondage d’un organisme de l’Union européenne, Eurofound, pensent qu’ils ont des chances de perdre leur emploi dans les trois prochains mois[4]. Cette situation européenne s’ajoute à une situation de grande précarité existant déjà en France comme le notait le directeur de l’Observatoire des inégalités Louis Maurin[5] :
« On sait que 10% des 18-24 ans qui ne vivent pas chez leurs parents, soit 130000 jeunes, disposent de moins de 365 euros mensuels pour vivre, en comptant l’aide de leurs parents. Ce à quoi il faut ajouter les jeunes contraints de vivre chez leurs parents ou chez des amis. L’Insee estime que 10% des jeunes qui vivent chez leurs parents, soit 410000, ont des « ressources monétaires » inférieures à 180 euros mensuels mais une partie de leurs dépenses sont prise en charge par leur famille. Au total, le nombre de jeunes autonomes ou vivant chez leurs parents de façon contrainte avec un niveau de vie inférieur au RSA n’est pas publié, mais il dépasse de très loin les 200000. »
Face à la montée du chômage, le Conseil de l’Union européenne[6] a revu sa garantie pour la jeunesse le 30 octobre 2020, censé permettre d’offrir aux jeunes (désormais aussi ceux de 25 à 29 ans) un emploi, une formation continue, un apprentissage ou un stage, dans les 4 mois suivants la fin de leurs études ou de leur perte d’emploi, avec certaines recommandations (donc sans force contraignante) pour mettre en place ce programme[7]. Outre qu’il faut encore que la France retranscrive en droit français ces recommandations pour sa propre Garantie Jeune, il ne faut pas trop en attendre car les notions énumérées sont assez floues et permettront sans aucun doute par une habile rhétorique de simplement mieux « flexibiliser » le marché du travail et la main d’œuvre, allant toujours vers moins de droits et un travail dégradé à bas salaire.
L’avenir semble morose et ce n’est pas du gouvernement ni de l’Union européenne et de ses politiques, principaux fauteurs de régression, que la jeunesse trouvera une aide à son développement et à sa survie. Son avenir, elle doit se battre pour l’avoir et obtenir de nouveaux droits, puis les faire respecter par le grand capital, aussi bien durant la scolarité qu’au travail. Le mépris de la politique ou son désintérêt doivent être proscrits : maintenant nous devons pour notre futur à tous discuter, faire des recherches, apprendre et s’engager politiquement, dans la lutte concrète contre les politiques antisociales, pas simplement dans un engagement associatif faussement salvateur, au mieux sympathique dans l’aide de courte-durée qu’il peut apporter, au pire dépolitisant et véritable entrée vers le réformisme le plus stupide. Malgré le désamour mérité pour le syndicalisme étudiant et certains syndicats de salariés, il faut renouer avec la culture populaire du syndicalisme et de lutte des classes, véritable tradition ouvrière de notre pays que chantait naguère Jean Ferrat dans Ma France. Il est aussi temps de prendre conscience de la fascisation rampante de notre pays, impactant aussi le militantisme étudiant, comme on le voit avec une récente loi scélérate sur la recherche cherchant à menacer de peine de prison les personnes participant à un blocage de faculté[8] ! Face à la répression, nous devons retrouver le goût de l’entraide et dénoncer chaque abus contre les mouvements sociaux.
Jeunes, vous ne devez pas avoir peur de lutter pour vos droits ! Le 8 novembre 2019, le jeune étudiant Anas s’immolait devant un Crous à Lyon, dénonçant la précarité étudiante et ses tenants que sont « Sarkozy, Hollande, Macron, le MEDEF et l’Union européenne ». Un an après, il recommence à parler et à écrire. Malgré la dureté de ce qu’il vit en ce moment suite à ses nombreuses opérations, son message est clair : « ce n’est pas dans la passivité qu’on arrive à défendre, et encore moins à gagner, des bonnes conditions de vie »[9].
Ambroise-JRCF.
[1] « Education : un mouvement de grève pour réclamer un nouveau protocole sanitaire », France info, 11/11/2020.
[2] « Education nationale : « le meilleur des gestes barrières est le recrutement ! », Zoomdici.fr, 10/11/2020.
[3] « Grève sanitaire : Que fait l’Education national ? », Libération, 10/11/2020.
[4] « La jeunesse particulièrement frappée par la pandémie : 11% des 18-29 ans ont perdu leur emploi en Europe », La Dépêche, 23/10/2020.
[5] « Revenu minimum pour les jeunes : les raisons d’un refus », Observatoire des inégalités, 27/10/2020.
[6] Pour en savoir plus sur cette institution, je vous invite à lire l’article « 15 ans de trop dans l’Union européenne : Les institutions de l’Union européenne », blog JRCF, 17/05/2020.
[7] « La garantie européenne pour la jeunesse étendue aux jeunes jusqu’à 29 ans. Et pour la Garantie Jeunes française ? », Alternative économiques, 06/11/2020.
[8] « La loi de programmation de la recherche prévoit un délit d’entrave, passible de trois ans de prison », France culture, 11/11/2020.
[9] « Etudiant immolé à Lyon : après 48 opérations et des amputations, Anas sort de son silence », La Dépêche, 08/11/2020.