Georges Gastaud, directeur politique d’Initiative Communiste a soumis quelques questions au camarade Emmanuel Lépine, secrétaire général de la Fédération CGT de la Chimie.
Tant pour l’avenir du syndicalisme de classe que pour la construction en France, voire en Europe, d’un rapport de forces offensif au service des travailleurs, il est indispensable que chaque syndicaliste, que chaque militant politique ou associatif du progrès social et de la paix, lise cet échange et le diffuse largement.
Commission Luttes du PRCF
Initiative Communiste – Quel bilan tirer de la grève dure de la classe ouvrière des raffineries en termes de résultats revendicatifs et de modification du rapport des forces ?
Emmanuel Lépine – La grève dans les raffineries n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel clair. Les syndicats CGT des différents sites ont alerté de longue date, à minima depuis début 2022, sur la nécessité d’augmenter les salaires rapidement face à l’inflation qui a augmenté voilà plus d’un an. La réponse des travailleurs et des travailleuses a été au-delà de ce qui était attendu, avec une mobilisation incluant des personnels peu souvent en grève comme les salariés travaillant à la journée. Chez ExxonMobil le 20 septembre, le mouvement est parti spontanément dans deux secteurs de la raffinerie de Gravenchon (76), alors que la réunion sur les salaires avec la direction était encore en cours : c’est ce type de situation que nous cherchons à organiser en permanence, à savoir le contrôle des négociations directement par les salariés. Organisés avec leur syndicat CGT, les grévistes ont décidé la grève reconductible et l’arrêt des installations de raffinage. Chez TotalEnergies, la grève a démarré le 27 septembre. Les sites qui ont décidé l’arrêt des installations sont restés chacun plus de trois semaines en grève reconductible.
Le résultat a été bien sûr des augmentations salariales qui n’auraient jamais été de ce niveau sans cette puissante mobilisation. C’est aussi pour les acteurs de ces grèves une fierté d’avoir participé à cette grande grève qui a créé un électrochoc dans le pays, qui a permis d’ouvrir les yeux de beaucoup, sur le fait qu’il était possible et nécessaire de lutter dans les entreprises, lieux d’exploitation, pour imposer des revendications.
Face à cela, les patrons n’ont pas hésité à reprendre les pires méthodes que certains croyaient révolues mais qui resurgissent dès que la classe dominante perçoit un danger, et notamment les mensonges repris médiatiquement, comme le « fake » des salariés qui seraient payés 5000 euros, ou l’intox permanente annonçant l’ouverture de négociations pour des réunions qui, en réalité, n’existaient pas. Également toute la rhétorique des supposés « blocages » alors qu’il n’y avait aucun blocage, simplement des grévistes qui refusaient de tourner les vannes ou de charger les camions. Plutôt que négocier avec les acteurs à savoir les grévistes et leurs représentants, les directions apportaient des réponses médiatiques pour tenter de monter l’opinion et les autres travailleurs contre les raffineurs, ce qu’elles ont manifestement échoué à faire. Enfin, bien sûr, le patronat n’a pas hésité à user de la répression contre le droit de grève avec les réquisitions, le recours au travail forcé plutôt que répondre aux revendications, avec toute la puissance de l’Etat au secours des actionnaires des grands groupes, ainsi que du pouvoir judiciaire qui a rejeté les référés de suspension des réquisitions. Comme on pouvait le prévoir, cette attaque a créé une réaction massive, qui s’est manifesté par la journée du 18 octobre dans toute la France.
Cet épisode pétrolier a brisé un tabou, celui de la lutte comme outil au service de la classe des travailleurs face à l’arbitraire patronal. Aujourd’hui, il y a une multitude de luttes qui se déroulent dans tous les secteurs sur les salaires, ce qui était improbable il y a encore quelques semaines. De même, rappelons-nous que Macron avait recadré son gouvernement mi-septembre en affirmant d’un coup de menton qu’il irait vite sur sa réforme des retraites, envisageant un cavalier législatif dans le PLFSS. Le gouvernement sur demande expresse du MEDEF, a été obligé de temporiser pour éviter l’explosion sociale.
Initiative Communiste – Qu’est-ce qui a manqué au mouvement pour qu’émerge le tous ensemble de la classe pour les salaires et contre les contre-réformes exigées par Macron, le MEDEF et l’UE?
Emmanuel Lépine – Le contexte historique d’abord, n’est pas favorable. Depuis des années on nous explique que les avancées dans les entreprises, comme au niveau national interprofessionnel, passent par le « dialogue social », que la confrontation n’est pas la solution et que le capitalisme est un horizon indépassable à l’intérieur duquel il faut trouver des compromis. Ce matraquage a indéniablement produit des effets sur les consciences et aujourd’hui, de nombreux travailleurs et travailleuses ont le sentiment qu’ils peuvent s’en tirer mieux individuellement que collectivement.
Mais cette belle histoire paraît de moins en moins crédible au regard des faits et de la réalité qui s’imposent au quotidien. Les fins de mois sont difficiles et on nous dit que ça va s’empirer, les conditions de travail, pour ceux qui ont un emploi, se dégradent parfois jusqu’au pire, les garanties collectives et individuelles reculent, etc. Il existe donc des secteurs, là où le syndicalisme de classe est encore actif, où les salariés s’en rendent compte et finissent par se résoudre à lutter. Ce n’est malheureusement pas le cas partout.
Pour élargir cette conscience qu’il faut agir au concret et pas seulement « s’indigner » sur le quotidien, il y a un besoin réel de syndicats mais aussi d’un discours politique qui soient porteurs de perspectives de changement radical, qui font le lien entre le quotidien subi par les salariés et la situation nationale voir internationale avec par exemple, le prétexte pris de l’invasion russe de l’Ukraine. Et ce sont ces conditions de conscience politique qui ne sont pas réunies partout où il le faudrait qui, à mon sens, expliquent l’insuffisance de l’élargissement ! Alors que les conditions objectives de se mobiliser existent bien, beaucoup de dirigeants syndicaux restent l’arme au pied, en restant sourds à la nécessité d’un changement de méthode face à un monde qui s’est largement radicalisé lui aussi. D’autant qu’on nous annonce des jours encore plus sombres en nous parlant de récession et même de guerre, pour préparer les esprits à encore plus d’austérité. C’est une spirale qui n’en finira jamais, sauf si la classe des travailleurs la stoppe.
Les luttes qu’on voit aujourd’hui un peu partout, d’abord sur la question des salaires, sont souvent issues d’une exigence directe des travailleurs et travailleuses, y compris dans des entreprises où il n’y a pas de syndicats. Et quand la base « pousse », ça finit toujours par percer !
L’institutionnalisation du syndicalisme a créé un décalage entre un certain nombre de directions syndicales et les aspirations du terrain. Et plutôt que d’offrir des perspectives vers le haut, certains dirigeants instrumentalisent les difficultés qu’ont de nombreux travailleurs à savoir « quoi » faire, en concluant qu’il n’est pas possible de les mobiliser au-delà de leurs aspirations quotidiennes.
Je constate pourtant que, malgré la torpeur organisée chez les militants à qui on répète depuis des années que la solution passe par la multiplication des sigles syndicaux, par les discussions de salons et donc, par des revendications au moins disant, il aura seulement fallu quelques semaines d’une grève, certes médiatisée, d’un seul secteur économique pour qu’il y ait une réaction le 18 octobre sans commune mesure avec la démarche de la direction confédérale de la CGT maintenue jusqu’à présent. Si certains pensaient que la combativité du monde du travail était bien éteinte, ils ont vu qu’il y a de la lave sous la croute !
Initiative Communiste – ton rapport devant les instances de la FNIC-CGT insiste sur la nocivité de l’UE et de sa courroie de transmission, la C.E.S. – Comment faire monter la prise de conscience des salariés et des syndiqués sur ces questions alors que dans les manifs, la mise en question de la « construction » européenne semble peu présente ?
Emmanuel Lépine – Je pense malgré tout que le problème qu’incarne l’Union Européenne est présent dans les têtes, ceci malgré la fabrique du consentement des médias qui tournent à plein régime pour nous la présenter comme un horizon indépassable. La supercherie tient aussi dans les mots : l’Union Européenne n’est pas l’union des peuples mais celle des capitalistes européens. Dans d’autres cas, on appellerait cela un cartel.
Dès le début de la crise COVID, et plus récemment sur la réponse à la guerre d’Ukraine, on a vu que chaque Etat européen protège d’abord les intérêts de sa classe dominante. Dans la population, ceux qui portent un regard franchement positif sur l’UE sont peu nombreux. Mais si de nombreux citoyens sont conscients que cette structure supranationale ne sert que les intérêts de la finance, il reste des marches à franchir entre penser et agir. A ce titre, la C.E.S., Confédération européenne des syndicats, devrait porter une analyse critique de l’action de l’UE sur le sort des travailleurs et travailleuses. Or, tel n’est pas le cas ! Nous avons de nombreux contacts internationaux à la FNIC-CGT, y compris en Europe et ces échanges nous montrent une même réalité vécue par les travailleurs en Europe. Partout c’est l’austérité et les remises en cause des mêmes garanties collectives comme la retraite par exemple ; les conditions de travail sont dégradées, et partout, on dit aux travailleurs qu’ils coûtent trop cher, même en Europe de l’Est. De plus, les luttes sont nombreuses et les attentes aussi. Mais rien n’est fait par la C.E.S. pour informer largement sur ces luttes, et encore moins pour les faire converger. Rien n’est fait sur ce sujet et cela, c’est un choix politique !
Au contraire, le président de la C.E.S., secrétaire général de la CFDT, n’a pas eu de mots assez durs pour condamner la grève des raffineurs en France, au lieu de contribuer à tisser les liens avec les syndicats des autres pays européens. Les raffineurs français sont les seuls à revendiquer du salaire ? bien sûr que non ! Et sur le caractère pénible de leur travail, quelle est l’action de la C.E.S. envers le patronat européen du pétrole pour imposer des conditions de départ anticipés pour ces travailleurs dont l’espérance de vie est réduite ? Rien ! Quelle a été l’action de la C.E.S. sur le démantèlement du raffinage européen depuis dix ans, ce qui a fait exploser les importations de produits raffinés en provenance de Russie ou du Moyen-Orient ? Là encore, rien ! Ces exemples montrent que les travailleurs en Europe pourraient s’unir pour lutter et obtenir des avancées concrètes. Mais la C.E.S. bloque toute convergence de luttes sur ces sujets comme sur d’autres.
Dernier exemple, il y a eu une journée de grève générale en Belgique le 9 novembre sur la question des salaires, bien que la loi y prévoie l’indexation automatique des salaires sur les prix. Doit-on considérer que le salaire est une question qui ne concerne que nos camarades belges ? Ne devait-il pas y avoir convergence organisée avec la journée de grève générale à la même date en Grèce ? Où se trouve l’utilité de la C.E.S. dans ce contexte ?
En parallèle, la C.E.S. s’est réjouie de l’adoption de la directive qui soi-disant fixe un salaire minimum dans 21 pays d’Europe. Mais quand on lit le document, celui-ci confirme que les niveaux de salaire restent déterminés par les Etats membres, par le « dialogue social », à des niveaux qui restent faibles, 60% du salaire médian. L’application de cette directive conduirait d’ailleurs à une baisse du SMIC en France !
Cela illustre que les garanties collectives sont issues exclusivement de l’histoire sociale des classes ouvrières de chaque pays. Vouloir nous faire croire que le dialogue sans rapport de forces au niveau européen, en touchant les bons sentiments des patrons, serait efficace, c’est nous prendre pour des idiots.
Si la C.E.S. n’est utile ni pour la convergence des revendications, ni celle des luttes, à quoi sert-elle, à part à payer grassement ses cadres dirigeants sur ponction des fonds européens ?
Initiative Communiste – Ton rapport épingle l’orientation « syndicalisme rassemblé » de la confédération CGT et son arrimage à la C.E.S. dont le bilan sur deux ou trois décennies est catastrophique. Comment obtenir selon toi un redressement de la CGT, le syndicat historique de la classe ouvrière, dans le sens d’un combat de classe enfin offensif, comme l’ont montré les raffineurs ?
Emmanuel Lépine – La CGT a adhéré à la C.E.S. en 1999 pour peser en interne dans cette organisation reconnue par l’UE, sur la « construction européenne ». L’idée c’était d’animer un débat interne pour amener la C.E.S. à être plus revendicative, plus critique mais surtout, qu’elle prenne pleinement une dimension de confédération à savoir d’impulsion pour organiser et coordonner l’activité syndicale de ses membres.
Après 20 ans de cet exercice, il convient d’être lucide sur le bilan, sans dogmatisme ni aveuglement. Comme je l’ai dit, la C.E.S. a largement confirmé sa fonction d’instance de l’UE, et si cette dernière continue de la financer, ce n’est pas pour rien car la bureaucratie bruxelloise n’est pas composée que d’imbéciles. Je ne pense pas que la CGT doive aujourd’hui quitter la C.E.S. mais il faut être conscient que c’est une impasse politique et donc, s’organiser en parallèle avec les syndicats européens revendicatifs, dont certains sont affiliés à la FSM, d’autre pas.
De mon point de vue, la CGT reste composée dans son immense majorité de syndicats orientés sur la lutte des classes, le rapport de forces et la conscience claire que la solution passe par l’expropriation des capitalistes. La dernière séquence l’a montré, il a suffi de 2 ou 3 semaines de grève dans ce secteur stratégique du pétrole, obligeant l’Etat à recourir aux réquisitions, pour que s’exprime aussitôt une remontée très importante de la combativité des militants de la CGT.
Cela montre que, l’essentiel, c’est la question stratégique ! Quelle stratégie adopte-t-on pour faire aboutir nos revendications ? Et à l’inverse, si on s’en tient à une stratégie perdante depuis des années, n’est-ce pas parce qu’en réalité, on a changé nos objectifs ?
C’est l’enjeu du prochain congrès confédéral de mars 2023. Deux conceptions du syndicalisme sont sur la table, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire de la CGT. Ce qui a changé c’est que le camp de celles et ceux qui ont renoncé à agir pour changer de société, veulent éliminer celles et ceux qui pensent que c’est non seulement nécessaire, mais possible. Des équilibres existent séculairement dans notre organisation sur ces sujets, mais on voit aujourd’hui une volonté claire de rupture. L’adoption sans débat dans la CGT des thèses du collectif « Plus jamais ça » cristallise cette volonté. On se retrouve dans une situation proche de la CGT en 1939 où les structures, syndicats, fédérations ou unions départementales, qui refusaient d’abjurer le pacte germano-soviétique, étaient menacées d’exclusion.
Des manœuvres sont à l’œuvre, en préparation du congrès confédéral, pour trier les délégués qui vont décider. Idem dans les mises à disposition par les fédérations et unions départementales, des camarades pour la future Commission exécutive confédérale qui sera élue par le congrès. Ces manipulations ne doivent pas avoir pour effet de fausser le débat qui doit amener à ce que ce soient bien les syndicats CGT qui décident.
De quelle CGT a besoin le monde du travail aujourd’hui, c’est la question que doivent trancher les syndicats. Des enjeux énormes traversent le monde du travail, l’inflation certes mais d’une manière générale, dans quelle société voulons-nous vivre ? La CGT était déjà absente de la lutte des gilets jaunes qui a été une lutte des véritables prolétaires, au sens noble du terme. Oui il y avait des idées d’extrême-droite qui s’y exprimaient, raison de plus pour y être présents, de manière à faire ce travail d’explication, d’échange.
Initiative Communiste – Ton rapport fait le lien entre l’impérialisme, notamment euro-atlantiste, et la crise économique que Macron et Cie veulent faire payer aux travailleurs. Comment faire mieux entendre aux travailleurs que l’argent qui va aux fauteurs de guerre se retourne forcément contre les salariés de tout le continent, sans compter les dangers de guerre mondiale ?
Emmanuel Lépine – On voit bien le lien qui existe entre les questions internationales et le quotidien des travailleurs et travailleuses. Je prendrais l’exemple du prix du pétrole brut, qui n’est absolument pas un prix de marché, mais fixé par la situation géopolitique internationale. Or, sur ce prix du pétrole est arrimé celui du gaz. Ce coût de l’énergie est un déterminant fondamental pour fixer le prix de l’ensemble des produits manufacturés ainsi que des transports.
Ainsi si le doublement du prix du beurre depuis un an, c’est pour ces raisons !
De la même façon, si Macron veut réformer de nouveau la retraite en France, ce n’est pas parce que le régime est déficitaire, d’ailleurs le Conseil d’Orientation des Retraites, pourtant outil du gouvernement, le confirme. La raison est idéologique et elle est exigée par la Commission européenne dans le cadre du « projet » européen, consistant à garantir des niveaux de rentabilité aux actionnaires, ceux qu’on nomme « investisseurs » dans les chroniques boursières.
Je crois que les gens sont bien conscients de ces liens, ils voient quel est le problème. En revanche, ils se sentent impuissants à changer les choses d’une manière si globale. Comment concevoir de renverser le capitalisme, qui est tout de même un système totalitaire dans le sens qu’il imprègne toues les dimensions de nos vies : c’est la question.
Se libérer de cette aliénation commence par agir. Les luttes sociales et économiques, les batailles pour l’environnement, l’éducation, les programmes des partis politiques progressistes, les réflexions des intellectuels, sans oublier le champ culturel, tout cela doit se combiner au concret. L’action doit dépasser les slogans creux sans se limiter à des mobilisations locales ni catégorielles. Une stratégie gagnante existe, elle consiste à se baser sur les luttes qui existent déjà et des perspectives « radicales », celles qui prennent les choses « à la racine ». Cette citation d’Angela Davis résume à mon sens ce qu’il convient de faire : « Parfois, nous devons faire le travail même si nous ne voyons pas encore une lueur à l’horizon que cela va être possible. »
La grève des raffineurs à changé la donne !
rapport d’Emmanuel Lépine – SG de la FNIC CGT
L’actualité nous montre un monde déchiré par une impitoyable guerre des classes, et aussi par des guerres impérialistes dont le fondement est à la fois le territoire comme instrument de domination, à la fois les rivalités économiques issues des contradictions nées de la poursuite de l’accumulation infinie du capital dans un monde aux ressources finies.
La guerre russe en Ukraine a franchi des caps qui rendent encore moins probable un règlement diplomatique du conflit. Ainsi, l’attentat vraisemblablement commandité par les Etats-Unis, des gazoducs North Stream 1 et 2, a sans doute définitivement mis ces tubes hors d’état de fonctionner, c’est une agression à la fois contre la Russie bien sûr, mais aussi contre l’Allemagne très dépendante du gaz russe, et par extension contre l’Union européenne, qui doit se tourner vers d’autres sources d‘énergie et aussi revoir sa programmation énergétique, comme par exemple en France, l’annonce de Macron, il y a quelques années, d’abandon du nucléaire. Les stocks allemands de gaz sont pleins à 95%, notamment grâce à des importations depuis la France.
Avec la destruction des gazoducs North Stream, c’est la première fois que le conflit se déporte en dehors des frontières des deux belligérants. Que se passerait-il si des installations américaines étaient à leur tour visées par un attentat aux auteurs soi-disant inconnus ? On aurait vraisemblablement une escalade irréversible.
De même l’explosion sur le pont de Crimée a été le prétexte de Poutine pour intensifier les bombardements en Ukraine, sur les villes de l’arrière puis les infrastructures comme les centrales électriques. La propagande fait rage des deux côtés, notons simplement que, alors que Zelensky peut déverser sa propagande en visio au sein de l’Assemblée nationale, le média RT France, lui aussi outil de propagande, mais russe, est toujours interdit en Europe. Deux poids, deux mesures.
La guerre en Ukraine comporte depuis son origine des acteurs en sous-main, les Etats-Unis d’abord, qui ont fait progresser les frontières de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie et qui aujourd’hui, fournissent pour des milliards de dollars d’aide militaire directe à Zelensky. L’intérêt des États-Unis est que ce conflit dure le plus longtemps possible, avec l’objectif d’affaiblir la Russie mais aussi l’Europe, cette dernière devenant d’autant plus dépendante des États-Unis sur les questions énergétiques mais aussi géopolitiques.
Autre acteur, l’Union Européenne qui, outre une aide militaire mais de moindre importance, inflige des sanctions économiques qui se retourne contre les travailleurs européens. D’autres pays aussi sont sommés de choisir leur camp, comme l’Arabie saoudite, accusée de faire le jeu des Russes car refusant l’injonction américaine d’ouvrir les vannes du pétrole, décision qui fait monter les cours et donc finance la Russie ; l’Iran que nos médias accusent de fournir des drones aux Russes .
Ouvrons une parenthèse pour pointer l’hypocrisie de la campagne actuelle sur le sort des femmes en Iran. On se souvient de l’hypocrisie de la campagne menée pour les femmes afghanes martyrisées par les Talibans en 2001, prétexte pour 20 années d’occupation du pays et un abandon pitoyable par les USA en 2021. Aujourd’hui les Talibans sont de retour sans que cela pose de problème à qui que ce soit. Bien sûr le sort des femmes iraniennes doit être dénoncée, mais que dire de cette récupération politique abjecte ? Car depuis quand se préoccupe-t-on en Occident du sort du peuple iranien qui subit depuis 25 ans un embargo meurtrier ? Les Iraniennes et les Iraniens sont en train d’écrire leur histoire, il est aujourd’hui indigne de leur confisquer.
Dernier grand acteur de ce grand jeu géopolitique, la Chine enfin, à qui on reproche de continuer de commercer avec la Russie et ainsi, de ne pas suivre les décisions de ce qu’on appelle « la communauté internationale », autrement dit les pays occidentaux dont nous faisons partie et qui représentent 15% de la population mondiale. La Chine justement, où le 20e congrès du Parti communiste chinois s’est achevé avec la reconduction pour un troisième mandat de Xi Jinping, fait l’objet aussi d’une montée des tensions qui pourrait mal finir. Dernier épisode en date, l’administration américaine vient de prendre une série d’interdictions visant les exportations des puces et ayant pour objectif affiché de « décapiter l’industrie chinoise des semi-conducteurs ». Est-ce une prédiction à la « Bruno Lemaire » qui prédisait que l’Europe allait mettre l’économie russe à genoux avec les sanctions ? On peut se poser la question car, pour le moment, ce sont plutôt les Etats-Unis qui sont dépendants des importations de Taïwan, qui, rappelons-le, est une province autonome certes, mais chinoise. D’où le lien à faire avec la visite provocatrice de Nancy Pelosi et d’autres politiciens américains à Taïwan.
Pour être clair, les prémisses d’une troisième guerre mondiale à base impérialiste, sont présentes. Sans intervention des peuples, on peut craindre le pire sur ce que sera le monde dans un avenir proche. Le contexte international ne peut être complet si l’on n’évoque pas les situations en Palestine et à Cuba. En Palestine, se poursuivent les arrestations arbitraires, les humiliations quotidiennes, les meurtres et les crimes de guerre envers la population civile palestinienne. Un nouveau rapport de l’ONU accuse Israël de « persécution » à l’encontre des Palestiniens. A Cuba, le blocus étasunien n’a jamais été aussi intense, qu’aucune raison ne peut justifier, qui tue autant qu’une guerre silencieuse, frappant indistinctement la population cubaine. Il nous faut régulièrement réaffirmer notre soutien pour ces deux causes.
La toile de fond de cette situation internationale, et de toutes ses répercussions nationales et locales, c’est l’économie capitaliste de prédation des ressources naturelles et du travail humain sur la planète. Cette course à l’accumulation fait forcément des gagnants et des perdants, mais le nombre de gagnants représente une infime partie des perdants, cette minorité s’arroge tous les droits, y compris contre les Etats, pendant que l’immense majorité a surtout des devoirs. Et la pensée dominante réalise le tour de force de faire croire à certains perdants que s’ils perdent, c’est la faute d’autres perdants. Ainsi les riches volent les pauvres et voudraient que les pauvres se volent entre eux.
Quand on oublie ainsi l’analyse de classe, ce qui est le cas de la majorité des travailleurs, on arrive logiquement à refuser de partager la misère, on arrive à désigner des boucs-émissaires et on arrive selon un glissement progressif, à la rhétorique de l’extrême-droite. Le scandale par exemple, ce serait prétendument le salaire des raffineurs à 2500 ou 3000 euros pendant que tant de gens sont payés au SMIC, le scandale ce n’est pas le salaire des éditorialistes des chaînes d’information ni celui des stars du ballon rond ou du CAC 40. Car sans analyse de classe, on oublie que le SMIC, c’est normalement le salaire d’un travailleur sans qualification, et non le salaire normal de tout jeune qui démarre dans la vie active, comme c’est le cas trop souvent, et encore !
C’est ce cheminement politique qui a permis l’accession au pouvoir de Giorgia Meloni, la « Marine Le Pen » italienne. Cette femme issue du Mouvement social italien, qualifié de parti politique néofasciste, a reçu samedi les félicitations de la présidente de la Commission européenne qui envisage sans problème « une coopération constructive » avec son gouvernement. Macron a été le premier dirigeant étranger à la rencontrer avec qui il promet de travailler. Pourquoi dis-je que le parti de Meloni est « qualifié » de fasciste ? Parce que le discours médiatique a changé sur ce sujet. On nous a toujours présenté ce type de formation politique, et le RN en France, comme un parti fondamentalement différent des autres partis. Force est de constater que ce parti, son idéologie, ne pose aucun problème au cartel de l’Union européenne, et que son programme économique ne remet pas en cause les politiques d’austérité menées sans mandat des peuples par la Commission européenne. Cela signifie que la droite est bien compatible, et davantage aujourd’hui qu’hier, avec l’extrême-droite, alors qu’on nous explique depuis 30 ans que la ligne de démarcation passe entre l’extrême-droite et le reste de l’échiquier politique. Nous l’avons déjà dit, pour la FNIC-CGT, cette ligne de l’inacceptable se situe beaucoup plus à gauche.
Ainsi les orientations que nous portons y compris dans la CGT, les stratégies d’action en particulier le dogme du syndicalisme rassemblé devraient être revues à la lumière de cette réalité.
L’Union européenne et ses instances parmi lesquelles la Confédération européenne des syndicats, largement financée par les subsides de Bruxelles, continuera en Italie comme ailleurs, à dicter la voie des réformes à suivre pour que se perpétue le rapport de production capitaliste.
La crise inflationniste n’a pas pour origine unique la guerre d’Ukraine, même si celle-ci a, bien sûr, un impact. L’an dernier, la moitié ou plus de l’approvisionnement en gaz était russe pour la plupart des pays d’Europe. La Russie se trouvant dans la position du fournisseur unique ou principal, l’embargo russe contre l’Europe, car c’est bien de cela qu’il s’agit, a forcément créé une ruée vers le gaz restant, l’américain, et surtout une explosion des prix. C’est un principe économique de base. Chaque gouvernement cherche d’abord à protéger les intérêts de sa propre classe dirigeante, d’où les tensions en Europe et aussi avec les EU. La baisse spectaculaire de consommation énergétique ne peut résulter uniquement des économies, mais impacte la production, ce qui est en train d’aggraver la crise. Les industries consommatrices comme la sidérurgie ou encore la chimie, sont impactées, amenant leurs propriétaires, sachant qu’elles opèrent en économie de marché, à examiner de près leur rentabilité. La baisse de production européenne renforce les importations, affaiblit l’euro face au dollar, ce qui aggrave la situation.
D’autre part, même si une partie de la crise actuelle vient des représailles russes aux sanctions imposées par les gouvernements occidentaux, la spéculation sur les céréales par exemple, avait commencé au lendemain de l’invasion russe, à une date où on était encore très loin de la récolte et encore plus loin des exportations. C’est bien le modèle économique complet qui est en cause, on doit donc avoir en tête qu’on est face à une crise systémique, et non une crise conjoncturelle due à la guerre d’Ukraine, au réchauffement climatique ou au redémarrage de l’économie chinoise.
Cet hiver, les Européens recevront leurs factures d’énergie et beaucoup seront obligés de choisir entre se chauffer et manger. Les travailleurs et travailleuses au Royaume Uni se sont mobilisés depuis cet été face à une inflation supérieure à 10%, chez les éboueurs, les cheminots, les postiers ou encore les dockers. En Belgique où l’indexation des salaires sur l’inflation existe déjà, preuve que c’est possible au XXIe siècle, les syndicats appellent à une grève générale le 9 novembre prochain. Ce ne sont que quelques exemples en Europe.
On se souvient en 2010 des révoltes sociales contre l’austérité dans quasiment tous les pays d’Europe qui avaient suivi le grand mouvement de grèves contre la réforme des retraites en France. On se souvient aussi du choix de la Confédération Européenne des Syndicats de ne surtout rien tenter en matière de convergences des luttes en Europe face à ce qui était déjà une attaque globale. Aujourd’hui on se trouve dans la même situation. Le président de la CES et pantin de la Commission européenne, Laurent Berger, est intervenu trois fois lors de cette grande grève des raffineurs dont je vais parler juste après : la première le 8 octobre pour qualifier le mouvement de « grève préventive ». La deuxième pour déclarer le 13 octobre que « ce n’est pas la convergence des luttes qui va faire l’augmentation des salaires ». La troisième le 18 octobre pour dire que « l’efficacité d’un syndicat ne se mesure pas aux emmerdements qu’il provoque ». Trois déclarations publiques pour condamner la grève, à des moments opportuns pour participer à la bataille des idées qui a fait rage depuis le 20 septembre, et toujours du côté des patrons ! Une belle preuve de l’impuissance totale dans laquelle se trouve la CGT au sein de la CES, qu’on devait transformer de l’intérieur, ne serait-ce que pour empêcher la sortie de telles déclarations.
Au contraire, en pleine bataille, alors que les salariés abordent pour les ExxonMobil leur troisième semaine et les TotalEnergies leur deuxième semaine de grève, alors qu’ils ont en face d’eux un appareil CFDT mobilisé au côtés des directions d’entreprise pour casser la grève, la CGT signe un communiqué intersyndical à 13 organisations, dont la CFDT et le CFE-CGC, qui s’intitule « déterminés pour nos retraites ». Ce choix politique confédéral confirme celui fait au début du mouvement de ne pas soutenir les raffineurs en grève, j’y reviendrai.
Le lendemain 5 octobre, un communiqué confédéral enfonce le clou en saluant l’adoption d’une directive européenne sur un salaire minimum européen, suite à une campagne là aussi de la CES. Cette directive fixe ce salaire minimum à 60% du salaire médian et 50% du salaire moyen, ce qui revient à revendiquer en France un SMIC situé entre 1055 euros (60% du salaire médian) et 1170 euros (50% du salaire moyen), alors que le SMIC est de 1678 euros. Cherchez l’erreur !
Je pose la question : quand va cesser la dérive politique de notre CGT en ne condamnant pas ce syndicalisme non d’accompagnement mais de compromission avec le capital ?
J’en viens à la situation en France et le bilan que nous devons faire de cette période particulière que nous vivons. Après de multiples demandes d’ouverture de négociation salaire depuis le 1er trimestre dans le pétrole, y compris au niveau de la branche, des négociations sont ouvertes le 20 septembre chez ExxonMobil. L’ultime proposition de la direction, relayée en direct dans les salles de contrôle sur le terrain par un blog, déclenche des arrêts de travail spontané dans deux secteurs. Rapidement, le syndicat CGT, suivi par FO, organise les grévistes qui décident l’arrêt des installations à Gravenchon puis à Fos-sur-Mer.
Chez TotalEnergies, la coordination CGT du raffinage avait déjà organisé, pour appuyer ses demandes d’ouverture des négociations, une grève de 24h en juin et de 48h en juillet. La CGT appelle à 72 heures de grève du 27 au 29 septembre, le 27 étant le jour de la négociation salariale de branche avancée de 2 mois, le 29 septembre, la journée d’action interprofessionnelle. Sur les sites de la Mède, Gonfreville, Feyzin et Dunkerque, les grévistes décident de poursuivre le mouvement avec l’arrêt des installations à Gonfreville et la Mède et l’arrêt des expéditions à Feyzin et Dunkerque. FO n’est pas dans le mouvement. La situation à Grandpuits, usine en restructuration, avec un fort taux d’intérimaires, ne permet pas de reconduire la grève, ni à Donges. La seule raffinerie qui n’entrera pas en grève, sauf le 18 octobre, est celle de Petro-Ineos à Lavera (13) car la CGT a signé un accord dont les grandes lignes sont : +5,5% d’augmentation générale, 200 euros de plancher et +20% sur la prime de transport.
Chez ExxonMobil, après 3 semaines de grèves, la CFDT et la CFE-CGC signe un accord le 10 octobre, jugé alors insuffisant par les assemblées de grévistes, mais néanmoins résultat de la lutte. Clairement, l’objectif des deux organisations syndicales signataires est de suppléer la direction pour fragiliser le mouvement de grèves.
Durant ce conflit, les directions d’entreprise ont cherché par tous les moyens à éviter la négociation directe et même, toute communication avec la CGT. Elles se sont exprimées quasi exclusivement au travers des médias, y compris pour publier des propos mensongers comme le 10 octobre, TotalEnergies qui prétend dans un communiqué que la rémunération des opérateurs en raffinerie serait de 5000 euros mensuels, ou encore celui du 11 octobre d’une réunion qui n’aura pas lieu car jamais envisagée par la direction du groupe. Dans ces communiqués, TotalEnergies conditionne toute discussion ou négociation à ce que le groupe multimilliardaire appelle « la levée des blocages », aidée en cela par la CFDT/ CES comme évoqué précédemment.
Le 13 octobre, TotalEnergies annonce une mesure unilatérale d’une prime d’un mois de salaire avant d’ouvrir une négociation, ultime provocation à 20 heures ! Comme chez ExxonMobil, il y aura les deux mêmes signataires pour un accord taillé sur un périmètre d’entreprises différent de celui où s’expriment les grèves. Là encore, nous ne pouvons que dénoncer le rôle des deux signataires pour casser la dynamique de la grève. Pour autant, le résultat obtenu ne l’est que par le conflit en cours.
L’autre point majeur de cette période est bien sûr le recours aux réquisitions. Jugées illégales sur le fond en 2010, elles sont mises en place par le gouvernement chez ExxonMobil Gravenchon à partir du 12 octobre, chez TotalEnergies Dunkerque puis Feyzin à partir du 13 octobre. Bien sûr, la Fédération et les syndicats concernés ont mené la bataille en référé pour les suspendre immédiatement, ce que nous n’avons pas obtenu, mais ce qui ne préjuge pas de leur caractère illégal que la Fédération tentera de faire valoir sur le fond, résultat dans de nombreux mois devant le tribunal.
Ces réquisitions ont déclenché une prise de conscience dans le monde du travail car c’est une attaque directe contre le droit de grève. Réquisitionner les raffineurs aujourd’hui, demain les travailleurs et travailleuses des grandes surfaces, de l’industrie pharmaceutique, etc. ? On voit la dérive possible.
Du point de vue confédéral, le premier communiqué de soutien date seulement du 5 octobre, soit une semaine après le début de la grève chez TotalEnergies et deux semaines chez ExxonMobil, alors que les pénuries de carburant font déjà la une de l’actualité. Et soyons clair, il faut attendre après le 10 octobre pour que la confédération affiche franchement son soutien. Dans le même temps, des dizaines de messages et motions de soutien affluent sur les sites et à la Fédération, dont beaucoup de l’étranger et bien entendu, de la Fédération Syndicale Mondiale(FSM).
La situation créée par la bataille des raffineurs a permis au 18 octobre de compter le double de manifestants et de grévistes dans le pays par rapport au 29 septembre, qui était pourtant une « journée d’action » connue depuis juillet dernier, mais préparée comme de coutume, dans le cadre des journées de syndicalisme rassemblé, qui ne rassemblent plus grand monde au-delà du corps militant. Il ne s’agit pas de crier victoire, mais de constater que trois semaines de grève dans un secteur stratégique ont été plus efficace pour mobiliser le monde du travail, pour obliger les autres organisations syndicales à rejoindre l’appel de la seule CGT, que plusieurs mois voire années de réunions interconfédérales. Il y a lieu de s’interroger de manière pragmatique, au-delà de toute idéologie, quelle stratégie interprofessionnelle serait à même de continuer et faire grandir ce rapport de forces que nécessite le monde du travail face aux enjeux généraux comme celui des retraites.
Le travail a repris chez ExxonMobil et TotalEnergies, sauf à Gonfreville et Feyzin où des revendications locales continuent de nécessiter une négociation, notamment sur des questions d’embauche et d’investissement.
Dans cette séquence, outre les mesures salariales dans le pétrole, nous avons gagné la bataille des idées. Plus personne ne conteste l’évidence qu’il faut augmenter les salaires, y compris la question de l’échelle mobile des salaires se pose de manière sérieuse. Qui aurait parié là-dessus il y a seulement un mois ? Rappelons-nous que mi-septembre, Macron taclait sa majorité en affirmant l’urgence d’une réforme des retraites avant la fin de l’année, peut-être même insérée dans le budget de la Sécurité sociale. On a progressé depuis et ça, seul le rapport de forces l’a permis.
Des grèves sont en cours dans de nombreux secteurs, les nôtres mais pas seulement. Les travailleurs de la filière nucléaire sont allés chercher par la grève un accord salaire meilleur que celui prévu au niveau de leur branche. Et si les patrons lâchent du lest, c’est bien par peur d’un embrasement général qu’on fait entrevoir les raffineurs dans leur lutte exemplaire qu’on ne peut que saluer avec respect et fierté.
La donne a changé, y compris sur la réflexion en cours sur ce que doit être la CGT aujourd’hui et demain dans le cadre des débats futurs du 53e congrès.
L’urgence aujourd’hui, c’est de poursuivre ce processus avec les dates de jeudi 27 octobre et 10 novembre, date à laquelle la RATP devrait se mettre en grève. Rappelons-nous du 5 décembre 2019 ! Nous ne pouvons réclamer depuis des lustres un processus de luttes et rester à côté alors que nous avons grandement contribué à le déclencher.
Donc faisons le point sur la préparation des ces deux dates et sur la situation des salaires dans nos champs professionnels et nos entreprises.
A lire également les réponses d’Emmanuel Lépine à nos confrères de l’Humanité ce 10 novembre :
Après des semaines de mobilisation, la grève dans les raffineries est désormais terminée. Qu’ont gagné les salariés ?
D’abord, ils ont obtenu des mesures salariales qui n’auraient pas été possibles sans cette mobilisation puissante. Bien sûr, les accords qui ont été validés sur le papier ont été signés par d’autres syndicats. Mais c’est la situation du rapport de force global qui a fixé leur niveau. Les employés ont aussi obtenu des primes, qui ne règlent pas le problème mais permettent de faire face pendant quelques mois aux conséquences de l’inflation. Au-delà, il y a la fierté d’avoir participé à cette grande grève, qui a créé un électrochoc dans le pays et a permis à beaucoup d’ouvrir les yeux sur le fait qu’il était possible et nécessaire de lutter dans les entreprises pour imposer des revendications. Aujourd’hui, nous voyons des mobilisations salariales dans tous les secteurs, ce qui était loin d’être évident début septembre. Dans le même sens, la grève a obligé Emmanuel Macron à renvoyer au début d’année prochaine la réforme des retraites, par peur d’une explosion sociale. Le bilan est donc positif à de nombreux titres.
Comment expliquez-vous que la grève dans les raffineries ait ainsi fait tache d’huile dans d’autres secteurs ?
Dans ce que j’appelle l’électrochoc, il y a un moment crucial : les réquisitions de travailleurs grévistes ordonnées par le gouvernement, mi-octobre. Il s’agit de travail forcé : des travailleurs sont en grève et on vient les chercher eux, devant leur famille, pour les obliger à travailler. Cela a créé une émotion légitime et beaucoup de colère. On se rend compte que le capital use de méthodes qu’on croyait révolues, mais qui ressurgissent. Cette situation de confrontation brutale, face à un capitalisme arrogant incarné par les entreprises pétrolières, a contribué à forger un sentiment d’appartenance à une même classe ouvrière. Le combat de classe se cristallise dans ce conflit-là et pousse les salariés à se mobiliser.
Quelles leçons retenez-vous de l’attitude des employeurs, TotalEnergies et ExxonMobil, tout au long de ce conflit ?
Il y a eu beaucoup d’arrogance et d’intransigeance. Le 28 septembre, au moment même où se tient une réunion de la branche pétrole sur les salaires et où les syndicats de TotalEnergies entrent en grève, le PDG Patrick Pouyanné communique publiquement sur l’octroi aux actionnaires d’un acompte sur dividende exceptionnel qui mobilise au total 2,62 milliards d’euros. Cela résume l’attitude patronale, qui a consisté en un profond mépris à l’égard de ceux qui créent les richesses : les travailleurs. L’État, qui est un outil du capital, a suivi. On a donc assisté à un durcissement des relations sociales, qui est tangible dans ce pays et qui est dû à une véritable crise du système. Par ailleurs, TotalEnergies comme ExxonMobil ont diffusé dans la presse des chiffres complètement mensongers sur la rémunération des raffineurs. C’était une tentative de manipuler l’opinion pour qu’elle se retourne contre les grévistes. Ce fut un échec, parce qu’il n’y a jamais eu une majorité de Français opposés à la grève. Mais les salariés du pétrole en ont gardé une rancœur vis-à-vis de leur direction.
Vous en parliez : en début d’année prochaine, le gouvernement devrait sortir son projet de réforme des retraites qui touche particulièrement les ouvriers des raffineries puisque ces derniers font un travail éprouvant physiquement, qui pèse sur leur espérance de vie. Les raffineurs sont-ils prêts à se mobiliser de nouveau ?
Oui ! Sur la question des salaires, d’abord, on a bien fait comprendre aux directions des entreprises que, dans la mesure où il n’y a pas eu de réponse suffisante en termes d’augmentation générale des salaires, il faut s’attendre à ce qu’il y ait de nouveau des revendications dans le secteur du pétrole. Sans prise en compte pérenne de la situation, on ne peut que prévoir de nouveaux mouvements d’ampleur dans les prochains mois. Sur les retraites aussi, les raffineurs sont prêts à repartir sur une grève dure, en concertation, je l’espère, avec nos camarades cheminots, énergéticiens, des ports et des services publics. Par ailleurs, cette grève a montré que la CGT pouvait mettre en place des stratégies offensives gagnantes, bien au-delà de la question des salaires, qui est déjà extrêmement importante. Nous pourrions envisager aussi des batailles gagnantes pour la reconquête de la retraite à 60 ans, la conquête des 32 heures de travail par semaine, le Smic à 2 000 euros, l’indexation automatique des salaires sur l’inflation…