Dans la foulée du 11 janvier, le pouvoir aboyait des injonctions d’unité sacrée – ou plutôt d’union patronale avec le MEDEF – prenant prétexte de défendre la liberté menacée. Mais qui menace la liberté ?
Exemple édifiant que de ce professeur de philo, de l’académie de Poitiers, mis en garde à vue, suspendue sur une simple dénonciation d’élèves par un recteur zélés et immédiatement livré aux pandores par un recteur d’académie zélés (au vu de leurs confortables primes – augmentées de près de 70% en début d’année tout s’achète, en particulier le zèle des recteurs). Accusé précipitamment par un procureur de rien moins que d’apologie d’acte terroriste, pour avoir tenu soit disant tenu des propos déplacés en classe lors d’une minute de silence… alors qu’il ne faisait pas cours à cette heure.
Dossier vide, obligeant le procureur à classer sans suite, innocentant le professeur, à la suite de tout de même 8h de garde à vue et 5h d’interrogatoire… Il faut au moins cela pour expliquer ce qu’est un cours de philosophie et peut être apprendre à un procureur ce que c’est que la Liberté. Ce qui n’empêche pas l’administration de l’Éducation Nationale de poursuivre sa chasse aux sorcières. Et pour n’avoir fait que son métier, ce professeur est menacé de sanction financières ou d’un déplacement forcé. Visiblement, #jesuischarlie ça ne veut pas dire liberté pour ce gouvernement.
A la veille de sa convocation devant une commission disciplinaire, il tiendra une conférence de presse.
Ne nous trompons pas, derrière cette sinistre affaire, c’est une mise au pas dans les règles qui frappe aujourd’hui un prof de philo, certes un peu atypique et beaucoup engagé, mais c’est assurément le sort de l’école et au-delà qui se joue en ce moment et pour les années à venir !
Le poivrot et le philosophe : excès de zèle après Charlie !
L’apologie du terrorisme est un délit qui a pu être sanctionné trop brutalement. Un jeune poivrot en a fait l’amère expérience. Il peut aussi servir à un Recteur à mettre sur la touche un prof de philo dérangeant. Et ne parlons pas de gosses de primaires convoqués dans des commissariats, car là on frise le délire répressif*.
C’est Maître Eolas qui raconte. En résumé, un jeune de 21 ans, sans aucun antécédent judiciaire, quelque peu pochtronné, est arrêté par des policiers pour tentative de vol de voiture. La tentative est si peu avérée que le procureur la juge non fondée. Donc pour une infraction non commise, le garçon est alpagué. Il se rebelle.
« Il est plaqué au sol, menotté, explique au tribunal que les policiers lui font très mal, il leur crie d’arrêter, ils n’en ont cure, et la colère explose sous l’effet cumulé de l’alcool, de la douleur, et de l’impuissance. Il agonit d’injures les policiers en des termes les invitant à commettre l’inceste sur leur mère et imputant à celle-ci une activité professionnelle de pierreuse. Mais dans le flot des paroles se trouvent les mots fatals : « Vous allez voir les jihadistes, ils vont vous mettre une balle dans la tête, voyez les dégâts qu’il a faits, mon cousin Coulibaly, il n’a pas flingué assez de mecs comme vous » ». Propos rapportés par les policiers, bien sûr.
Le malheureux niera. « La présidente, en temps ordinaire déjà irascible, est déchaînée et oublie toute mesure dans son ton et ses questions. » Ostensiblement, elle fera sentir à l’avocat que son plaidoyer l’indiffère. Le procureur, lui aussi déchaîné, avait demandé 16 mois, dont 8 fermes avec maintien en détention, malgré l’absence de casier. Il les obtiendra. Faut-il noter que cette présidente et ce procureur, qui déshonorent la Justice plus qu’ils ne la servent, doivent sévir à longueur d’année ?
Jean-François Chazerans, prof de philo, a lui aussi été accusé d’apologie d’actes de terrorisme. Sur une plainte de parents d’élèves. Jacques Moret, Recteur de l’Académie de Poitiers, le suspend illico presto ! Et transmet la plainte au procureur de la République. « J’ouvre une information judiciaire pour apologie d’actes de terrorisme, déclara Nicolas Jacquet, procureur de la République. L’enquête a été confiée à la PJ de Poitiers. ». Auditions d’une dizaine d’élèves de Terminale ES3. Puis huit heures de garde à vue pour notre prof.
Qu’un soi-disant philosophe dépasse le mur du çon, Finkielkraut et Onfray sont là pour le démontrer. Mais eux ne sont pas sous la coupe d’un Recteur qui envoie de mystérieux Inspecteurs de l’Académie** pour enquêter. « L’enseignant aurait tenu des propos déplacés pendant la minute de silence. » Sauf que, apparemment, ledit enseignant n’était plus de service pendant ladite minute. Ce que les enquêteurs diligentés par le Recteur auraient pu constater simplement en consultant son emploi du temps.
Prof rebelle et militant d’extrême-gauche très engagé
Serait-ce succomber au syndrome complotiste que de soupçonner, dans la suspension immédiate de ce prof, une sorte de règlement de comptes.
De fait, un drôle de paroissien, si l’on peut dire que ce Chazerans. Très impliqué dans des pratiques philosophiques diverses, à l’école primaire, en collège, en SEGPA, et dans la cité, il a eu l’audace de s’opposer à un Inspecteur Général (IG), J.-Y. Château, qui condamnait justement les pratiques philosophiques à l’école, allant jusqu’à dire qu’elles contredisaient le principe de laïcité !
Non content de contrer un IG, le bougre est engagé dans des groupes des plus suspects – pour un Recteur s’entend – comme le Comité poitevin contre la répression des mouvements sociaux, le collectif de défense des sans-papiers, France Palestine et RESF. Il présidait aussi un centre socio-culturel, mais accusé de mélanger ses casquettes en y organisant un Forum anti-répression, il avait été contraint à la démission.
En gros, dans le cours visé, la classe de terminale se divise en deux camps : les uns à fond « Je suis Charlie », les autres estimant que Charlie-Hebdo avait été trop loin. Le prof aurait déclaré que les journalistes de Charlie étaient des « crapules » mais il s’agissait « dans son esprit d’un terme affectueux et commémoratif ».
Le cours ensuite dérapa sérieusement, quand il aurait projeté le blog d’un collègue du lycée contenant un article au titre engagé : « Le terrorisme, produit authentique de l’impérialisme » et comparé l’intervention française au Mali à du terrorisme. A priori, tout cela relèverait plus de la propagande pour une vulgate néo-marxo-tiermondiste que d’un cours de philo. Mais, dans cette reconstitution, il manque le ton, l’ironie éventuelle, la circulation de la parole, la chair même des échanges.
Et le procureur de conclure que tout cela ne constitue pas un délit d’apologie d’actes de terrorisme. Sur le plan pénal, l’enquête est donc classée sans suite. Ce qui n’empêche pas, le même procureur, de sortir de son rôle en déclarant : « Il demeure que les propos tenus par cet enseignant le jour même d’un deuil national […] peuvent apparaître particulièrement inadaptés, déplacés et choquants ». (Nouvelle République)
Retour à l’envoyeur, si on peut dire. Le Recteur qui avait saisi le Parquet se voit renvoyer le dossier. Il devra s’en débrouiller devant la
qu’il a convoqué le 13 mars. Commission paritaire où il se peut que parmi les représentants de l’administration certains aient côtoyé Chazerans quand il était détaché à plein temps dans la Mission Académique TICE !Deux destins très contrastés. Un jeune homme de 21 ans dont, à part l’ébriété, on ne sait rien. Un professeur de philo dont on peut suivre le parcours très militant. Le premier, victime d’une justice d’abattage. Le second frappé d’une suspension précipitée pour un dossier pénalement vide et disciplinairement fragile.
« Non seulement cette répression absurde est inutile, mais elle est dangereuse. C’est une défaite de la Raison. » Maître Eolas
* Voir Le droit de l’enfant d’être « con »
** Naguère les Inspecteurs d’Académie (IA) se divisaient en deux branches : territoriale et disciplinaire. Les IA-DSDEN à la tête des départements et les IPR-IA, Inspecteurs pédagogiques régionaux. Les 1ers sont devenus des adjoints du Recteur, les DASEN, sous Chatel. Ne reste donc que les IPR-IA : on peut supposer que le Recteur a envoyé celui de Philo, mais on ne voit pas qui pouvait être le deuxième.