Plus de deux mois de grève, les travailleurs sans papier du site Chronopost d’Alfortville, l’un des principaux sites dans la région Île de France de cette filiale de La Poste, continuent de revendiquer et leur régularisation, et la réinternatilisation des activités externalisées. Rappelons que La Poste vient tout juste d’être condamnée pour travail dissimulé dans l’emploi de sans papiers par l’un de ses sous-traitants
Naviguer sur le site Internet de la société Chronopost est un véritable cas d’école en matière de mise à distance de la marchandise et la réalité de sa production. Vous pouvez y découvrir une foule de rubriques vous invitant, ici, à découvrir une offre de services foisonnante (livraison le lendemain avant 8h00, avant 9h00, express, outre-mer, etc.) et là, à suivre méticuleusement le trajet de votre colis (est-il préparé ? expédié ? en transit ?). Durant la visite du site, vous ne manquerez pas de vous reconnaître en la personne du « client » (ancien usager) à la barbe soigneusement taillée, photographié avachi sur un canapé en cuir, une main tatouée tenant son « smartphone », l’autre son ordinateur portable. Vous serez séduit par le visage hilare de la jeune femme recevant un colis des mains d’un « collaborateur » (ancien salarié), lui-même ravi d’arborer les couleurs de la société et de fournir un tel service. Vous ressortirez comblé de cette découverte de l’« esprit Chronopost » et vous vous sentirez en droit d’exiger le bonheur promis par la marque.
Ce service fétichisé, symptomatique de notre époque, nie la réalité du travail social nécessaire à sa production en invisibilisant les producteurs. Le revers de la médaille est lui, beaucoup plus sordide : Chronopost, filiale d’une entreprise publique, jetée dans le grand bain de la concurrence dérèglementée, fait appel à des travailleurs sans papiers pour contourner un code du travail qu’elle juge trop contraignant.
Érigé en point focal par la direction de Chronopost, la baisse constante du CUP (coût unitaire du paquet) amène la société à sous-traiter massivement les activités de déchargement et de tri, alors même qu’elles font partie du travail habituel des plates-formes et qu’elles auraient tout lieu d’être internalisées. Lesdites sociétés sous-traitantes font à leur tour appel à des agences d’intérim (qu’elles ont le plus souvent elles-mêmes créées), qui fournissent de la main-d’œuvre aux sites de tri, amenant des intérimaires à occuper constamment des postes de permanents.
Ce système de sous-traitance en cascade, qui réalise le rêve patronal de la « souplesse » et de la « flexibilité » en précarisant les salariés, n’est pas encore suffisamment efficace au goût de la direction de Chronopost. Celle-ci a décidé de faire appel à des travailleurs sans papiers pour leur faire subir un traitement d’exception. Ils sont, depuis quelques mois pour certains, plusieurs années pour d’autres, des travailleurs habituels du site mais n’en ont aucun des attributs : ni contrat de travail, ni badge d’entrée. Ils embauchent à 3h00 et terminent à 7h30, ce qui leur assure un maigre revenu de l’ordre de 600 euros par mois. Certains habitent de l’autre côté de l’Île de France et ne seront pas rappelés s’ils sont en retard. La rareté des bus de nuit peut donc les amener à marcher pendant des heures le long des routes nationales pour accéder au site dès son ouverture. Une fois sur place, la pression exercée par le contremaître est constante (interdiction d’aller aux toilettes, cadences très élevées) et certains accidents du travail ne sont pas déclarés. Les heures de nuit ne sont pas majorées et les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées.
La perpétuation d’un tel système n’est possible que dans la mesure où ces travailleurs, fragilisés par leur situation administrative, n’ont de possibilité de travailler que dans les conditions dégradées et dégradantes que leur propose le patronat. Ainsi, Mission Intérim, filiale de la société Derichebourg, elle-même sous-traitante de Chronopost, instituerait le recours à la main d’œuvre sans papiers en véritable système : elle privilégierait l’emploi de travailleurs récemment arrivés sur le territoire, maîtrisant mal le français et connaissant mal leurs droits, et veillerait à se séparer de la plupart d’entre eux après quelques mois, afin de toujours disposer d’une main d’œuvre neuve et docile.
Le 11 juin 2019, les travailleurs sans papiers du site Chronopost d’Alfortville, soutenus par le Comité des travailleurs sans papiers de Vitry, La Fédération SUD PTT, l’Union Syndicale Solidaires 94, CNT-SO et CNT, ont décidé d’entamer une grève pour exiger, de la part du groupe La Poste, l’internalisation des activités de déchargement et de tri ainsi que les documents qui permettront leur régularisation et leur embauche dans la société Chronopost.
Le Pôle de Renaissance Communiste en France ne peut que soutenir les revendications légitimes des travailleurs sans papiers. Les militants du PRCF renforcent les rangs des grévistes et de leurs soutiens lors des actions (manifestation devant la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi à Créteil le 18 juillet 2019 et devant le siège de la Banque Postale le 1er août). Ils se mobilisent également sur le piquet en apportant de l’eau et de la nourriture aux grévistes, et en constituant une caisse de grève. Ils continueront le combat à leurs côtés jusqu’à pleine satisfaction de leurs exigences.
Sylvain commission luttes du PRCF