Le PS a une histoire. Issu de la Deuxième Internationale, il s’appelait alors la SFIO (Section Française de l’Internationale Socialiste). Avant 1914, cette organisation, qui se réclamait du marxisme et comptait dans ses rangs Jules Guesde (l’introducteur du marxisme en France avec Paul Lafargue) et jean Jaurès, a eu ses bons moments et elle a obtenu la confiance de la classe ouvrière consciente. Mais déjà le ver de l’opportunisme était dans le fruit.
Union sacrée…avec le capital.
En 1914 la SFIO sombre dans l’Union sacrée, c’est-à-dire qu’elle collabore avec les forces de droite au service du capital à la Grande Boucherie de la Première Guerre mondiale. Si Jaurès, ultime obstacle à la guerre, est assassiné à la veille de la déclaration de guerre, Guesde vieillissant acceptera un strapontin dans le gouvernement d’Union sacrée…
Contre cette trahison d’une ampleur politique inégalée et aux conséquences humaines catastrophiques, les socialistes véritables réagissent. A Zimmerwald et Kienthal, en 1916, ils proclament : « À bas la guerre ! Vive la paix ! La paix immédiate et sans annexions ! Vive le socialisme international ! ».
Parmi eux, Lénine mais aussi pour la France Pierre Brizon, Alexandre Blanc et Jean-Pierre Raffin-Dugens.
En 1917 la Révolution d’Octobre permet aux authentiques socialistes de s’organiser à l’échelle mondiale au sein de l’Internationale Communiste (IC) fondée en 1919.
Révolution et scission.
En France en 1920 la majorité des délégués du partis socialiste décident l’adhésion à l’IC et deviennent Parti socialiste – Section Française de l’Internationale Communiste lors du Congrès de Tours (décembre 1920) avant de procéder au changement de leur nom en Parti communiste-SFIC au congrès suivant.
Les scissionnistes de la SFIO maintiennent « la vieille maison » avec Blum à sa tête. Un rapide processus de dégénérescence va frapper ce parti social-démocrate : en matière de trahison, il n’y a que le premier pas qui coûte !
Reste que les communistes doivent tenir compte d’une base de masse ouvrière et populaire qui reste aux côtés du PS parce que la plupart des élus, députés, sénateurs et « grands maires » sont, comme on pouvait s’y attendre, restés avec Blum. Tout en attaquant la social-démocratie, les communistes appliquent le Front Unique : « l’unité de tous les travailleurs désireux de combattre le capitalisme ».
Face au fascisme.
Après la victoire du fascisme en Italie et surtout celle du nazisme en Allemagne, et en se référant aux succès obtenus par le PCF de Thorez, Duclos en 1934-35, l’Internationale communiste conduite par Dimitrov adopte le mot d’ordre de Front Populaire antifasciste. En France cela se traduit par la victoire du Front populaire en 1936 qui barre la route au fascisme.
Mais la SFIO, si elle tient un discours de gauche – en 1936 par exemple la SFIO se dit favorable à la Dictature du Prolétariat ! – elle a une pratique de droite et ce sont les grèves et occupations de 1936 qui donneront son contenu de classe au Front Populaire, ses luttes ayant été favorisées par la victoire électorale. Le PCF et la CGTU puis la CGT réunifiée seront le fer de lance du combat de classe et donc des conquêtes sociales du Front Populaire.
Dans la tourmente : guerre et Guerre froide.
La SFIO trahira encore les intérêts de la France avec la « non-intervention » en Espagne lorsque les fascismes du continent s’unissent à Franco pour abattre la République espagnole en attendant de pouvoir fondre sur l’Autriche, la Tchécoslovaquie… et la France. Thorez avait pourtant prévenu : si Madrid tombe, c’est Paris qui sera menacée.
Rappelons aussi que 90 députés de la SFIO voteront les pleins pouvoirs à Pétain contre 36 qui votent contre. Pendant la guerre, le PS disparaîtra en tant que force politique organisée alors que le PCF, auquel tant de reproches indécents sont adressés par de pseudo-historiens, « tiendra » dans la clandestinité de 1939 à 1945.
Après la guerre, la SFIO continue sa dégénérescence : elle soutient, voire initie des guerres et aventures coloniales, elle devient de plus en plus atlantiste, sombre dans un anti-communisme virulent, elle combat frontalement le mouvement ouvrier, elle porte avec la droite catholique le projet de construction d’une Europe politique tournée contre l’URSS et contre les acquis sociaux. En 1948, le ministre de l’Intérieur SFIO Jules Moch fait tirer sur les mineurs en grève du bassin minier : corons occupés par les tanks, comme en 1941 face à la grève communiste organisée contre l’Occupant, onze tués, des milliers de « rouges » révoqués et sur liste noire…
EN 1956, élu pour faire la paix en Algérie, Guy Mollet envoie le contingent. Le ministre SFIO Lacoste radicalise les méthodes fascistes (tortures) contre le mouvement national algérien et les communistes. Mitterrand n’était pas encore officiellement « socialiste », mais ce ministre de l’Intérieur n’hésitera pas à faire exécuter, entre autres, le communiste Fernand Yveton…
En 1958, Guy Mollet se couche devant le coup de force d’Alger et appelle de Gaulle au pouvoir. Seuls les communistes et la CGT restent dans l’opposition pendant que la SFIO aide à mettre en place la Ve République autocratique.
Déliquescente, collaborant avec la droite au sein de la « troisième force », la SFIO (5 % à l’élection présidentielle de 1969… face aux 21,27 % de J. Duclos du PCF) se transforme en Parti Socialiste sous l’influence de Mitterrand, comme l’UMP abandonne aujourd’hui son nom, totalement démonétisé.
L’ère Mitterrand.
Si la nature de classe du PS ne change pas son discours change : Mitterrand, son nouveau chef, proclame : « Celui qui n’est pas pour la rupture avec le capitalisme, n’a pas sa place au Parti Socialiste ». Une des caractéristique de la social-démocratie c’est la tension qui existait entre sa base de masse et son orientation politique. Dans le discours il est aisé de régler la contradiction, ça s’appelle le double langage, en pratique beaucoup moins.
Après la signature du Programme commun avec le PCF et une fois parvenu au pouvoir, le PS renoue avec ses démons : « gérant loyal du capitalisme » (dixit Blum) le PS mène une politique de droite, dans le sens de conforme aux intérêts du grand patronat, du grand capital. Après quelques réformes (retraite à 60 ans…) mises en place pour paralyser le PCF et capter son électorat de 1981, c’est très vite une politique grossièrement anti-soviétique (dès son arrivée au pouvoir Mitterrand donne des gages à Washington en expulsant 40 diplomates soviétiques), militariste (déjà les plans de programmation militaire signés Le Drian « pompent » le budget national pour accompagner la croisade nucléaire de Reagan contre « l’Empire du mal » soviétique…) accompagnée par le « tournant de la rigueur » et du « franc fort » qui vise à mettre en place, sur fond d’austérité salariale, la future monnaie unique voulue par Berlin et Washington.
Vous avez dit « Parti unique » ?
C’est là le fondement de la quasi-fusion du Parti Maastrichtien Unique (PS, UMP) qui, derrière quelques variantes sociétales, ne sont que les metteurs en scène alternatifs ou cohabitants, selon les époques, de la feuille de route écrite à Berlin et du programme de casse sociale des conquêtes du CNR qu’exige en permanence le MEDEF.
Dès lors, le personnel politique dirigeant du PS se confond avec celui de la droite par la formation, l’appartenance de classe, l’idéologie néolibérale, atlantique, anticommuniste, européiste, par son osmose avec la grande bourgeoisie, y compris la haute banque dont Macron est issu. La base militante se réduit aux élus et aux collaborateurs d’élus, au personnel clientélisé des élus, à quelques notables, et à quelques « familles socialistes » prêtes à tout avaler pour rester près du manche, même si hélas, un certain nombre de salariés et de petits fonctionnaires continuent de se laisser prendre par le discours « anti-droite ».
Ses meilleurs résultats électoraux démontrent cette évolution : c’est à Paris, Lyon ou Dijon que le PS fait ses meilleurs scores… Sa base de masse populaire s’est largement évaporée. Ou alors elle existe résiduellement comme barrage à pire (UMP ou FN). Cette évolution est même théorisée par le PS et par ses intellectuels organiques comme ceux de la fondation quasi-patronale Terra Nova. C’est vers les couches moyennes supérieures que le PS doit se tourner, laissant les classes populaires aux « populistes », c’est-à-dire aux fascistes du FN ou aux libéraux ultra-réacs de Sarkozy.
Et la classe ouvrière, dans tout ça ?
Depuis plus de trente ans, dans les grands pays occidentaux, on a connu une mutation importante du vote ouvrier : autrefois très largement favorable à la gauche, il s’est progressivement dispersé et en particulier dans l’abstention. En France, cette évolution du vote de la classe ouvrier est largement déterminé par le bilan du PS après ses passages au pouvoir . Ce changement est essentiellement porté par les jeunes générations, qui n’ont pas été imprégnées dans l’action de classe et la culture de classe qui poussait les ouvriers vers la gauche quand celle-ci était de gauche. Ce ne sont pas les ouvriers qui ont quitté le PS ou le PCF muté, ce sont eux qui ont quitté la classe ouvrière. Preuve en est que la classe ouvrière se mobilise quand il y a un enjeu politique clair : sa très large participation à la victoire du « non » lors du référendum sur le traité de Constitution européenne du 29 mai 2005 où 81 % des ouvriers ont refusé le texte qui leur était proposé.
Ce processus est le même ailleurs, en Grande-Bretagne en 1966, 69 % des ouvriers votaient encore pour le Parti travailliste, 45 % en 1987 et enfin 37 % en mai 2015. En Italie il n’y a plus de parti significatif d’inspiration socialiste ou lié de quelque façon à la centralité du monde du travail…
Mutation(s).
Avec des adhérents élus ou collaborateurs et clientèle d’élus, un personnel dirigeant culturellement et socialement identique avec celui de la droite, une base électorale de masse où les diplômés supérieurs sont 24 % et les ouvriers 8 %, il n’est pas étonnant que le PS soit économiquement et socialement de droite mais qu’il cherche à se démarquer de celle-ci par des « marqueurs » idéologiques qui tiennent compte de sa base de masse qui n’est pas identique dans ses aspirations et ses conceptions avec la droite.
D’ailleurs l’objectif de Terra Nova et autres théoriciens de cette gentrification du PS obtiennent des résultats.
Sans commettre l’erreur de ne tenir aucun compte de cette histoire longue et des différences réelles qui existent justement dans les aspirations des bases de masse de PS et de la droite, force est de constater que la lutte contre le PS fait partie intégrante du combat de classe et qu’aucune illusion ne peut être entretenue dans « l’union de la gauche », le PS ne pouvant être considéré comme de gauche.
Les tentatives d’alliances électorales menées par certains à gauche du PS ne font qu’embrouiller les choses, semer la confusion et la démobilisation des classes populaires. Ceux qui veulent sauver les meubles par l’alliance avec le PS ou son inconsistante composante « frondeuse », font en fait le lit de la droite radicalisée et du fascisme.
Il n’est donc pas franchement étonnant que les militants encore actifs et présents au PS soutiennent majoritairement en fait la « ligne Valls » et la mutation officielle du PS en parti démocrate à l’américaine. Déjà, signe idéologique, le portrait d’Obama est omniprésent dans les locaux du PS. Nos voisins italiens ont anticipé l’évolution du PS : l’ex-PCI (Parti communiste italien) est devenu eurocommuniste, puis social-démocrate et enfin, officiellement, parti de centre-gauche (Parti Démocrate) européiste, ce qui veut dire en réalité de droite avec à sa tête un Mattéo Renzi issu des « comités Prodi » et du PPI (Parti populaire italien), héritier de la Démocrate-chrétienne.
Telle est aujourd’hui la voie prise par le PS. Même le changement de nom, reporté pour le moment parce qu’il serait un peu gros que le PS devienne parti « démocrate » au moment où l’UMP se déclare parti « républicain », sera à l’ordre du jour soit d’une défaite, soit d’une victoire du PS. Mais le chemin est inexorable, puisqu’il n’est en définitive que l’adaptation du PS aux rapports de forces sociaux, idéologiques et politiques qui le conduisent non seulement hors du mouvement ouvrier, mais hors de la France républicaine, en le transformant en instrument direct de l’oligarchie mondialisée.
La non-intervention en Espagne en 1937 et la demande d’intervention en Syrie en 2015 sont en fait l’expression du même positionnement de soumission à la logique impérialiste. C’est l’évolution des rapports de forces internationaux qui permet aux partis socialistes d’assumer de plus en plus clairement leur nature de classe bourgeoise. Ainsi quand la peur de la révolution et l’existence d’un camp socialiste dominaient la vision des impérialistes, les partis socialistes ne pouvaient pas ouvertement rompre avec leurs lointaines racines authentiquement socialistes et ouvrières car, dans le dispositif de la bourgeoisie, c’est en tant que parti de gauche que le PS avait son utilité pour « endiguer le communisme » et combattre « de gauche » l’URSS.
Débarrassée de l’URSS et après que nombre de PC aient subi à leur tour une mutation réformiste, l’utilité de maintenir un discours de gauche s’évanouit même s’il faut encore se démarquer formellement de la droite dans un théâtre d’ombre politique auquel de moins en moins de citoyens croient.
Quand le PCF se social-démocratise au nom de la « mutation », qu’y a-t-il d’étonnant à ce que le PS se « néo-libéralise » et que la droite classique coure derrière le FN quand elle ne le double pas sur sa droite ? Mais cela se fait sur des thématiques qui touchent les classes moyennes supérieures et qui ne mettent plus en cause l’organisation sociale de la société capitaliste. D’ailleurs cette réactivité du PS aux aspirations idéologiques de ces catégories sociales peut parfois positionner le Parti socialiste plus à droite que la droite comme c’est le cas sur des dossiers internationaux ou sur l’UE où le PS au pouvoir en arrive à déborder Sarkozy et Obama sur leur droite pour attiser le feu russophobe en Ukraine et pour préférer de fait Daesh au régime syrien légitime.
Que faire ?
En conclusion on doit tenir compte stratégiquement de la nature de classe bourgeoise du PS, tenir compte sur le plan tactique que nous ne sommes pas indifférents aux formes de la domination capitaliste, face au danger fasciste par exemple. A ce propos la lucidité politique à l’égard du PS ne doit pas déboucher sur une attitude, un positionnement dogmatique. Une situation politique s’analyse par la dynamique dont elle est porteuse et les contradictions qui la détermine surtout on doit faire renaître un parti de classe national-populaire*, dans le sens gramscien du concept, capable de porter un Front Antifasciste, Populaire et Patriotique, ce qui implique de faire renaître le vrai parti communiste en France.
Ainsi il faut rejeter toute attitude gauchiste et sectaire qui consiste à mettre un trait d’égalité entre toutes les formes que peut prendre la domination bourgeoise. Il faut être capable de faire la différence entre faire barrage et soutenir selon la caractérisation d’une situation donnée. Il n’y a pas une formule valable partout et en toute circonstance, une telle attitude est anti-historique et métaphysique. Toute la stratégie de Front Populaire, qualifiée de trahison par le trotskysme, est basé sur l’analyse que nous ne pouvons être indifférent au mode de domination du capitalisme, entre la dictature terroriste et la démocratie bourgeoise. Toute la stratégie de la grande alliance anti-fasciste durant la Seconde Guerre Mondiale, tant sur le plan national qu’international est basée sur la hiérarchisation – sans illusions !- des ennemis de classe à un moment historique donné.
Car les choses changent, bougent, évoluent en permanence, déterminées par d’innombrables facteurs. Mais il est vrai que, comme l’écrivait Gramsci : « Penser dialectiquement, c’est aller contre le sens commun vulgaire qui est dogmatique, avide de certitudes péremptoires ».
Cela exige de nous d’être marxistes et léninistes, de faire « l’analyse concrète de la situation concrète » à chaque étape du développement du processus historique
Pour tout cela il est impératif de démontrer à nos concitoyens que les héritiers de la Révolution française, les héritiers de Jaurès, du Front Populaire et de la Résistance ce sont ceux qui aujourd’hui se battent pour la sortie de la France du carcan mortel de l’Union européenne atlantique, de l’organisation belliciste et impérialiste de l’OTAN et, quand notre peuple en décidera, pour la sortie du capitalisme qui condamne l’humanité à sa destruction.
AM
* pour Gramsci, les communistes doivent universaliser leur projet en se faisant les fédérateurs de la lutte de tous les éléments populaires de la société et la classe ouvrière doit être hégémonique dans ce front. Pour ce faire la classe ouvrière doit devenir la classe nationale et incorporer dans son programme les revendications populaires.d’où l’expression national-populaire. Il y a également chez Gramsci une reconnaissance du patriotisme populaire qui renforce le bloc national-populaire et qui est pour lui la condition d’un internationalisme qui ne soit pas abstrait.
Gramsci se réfère pour expliquer ce concept aux Jacobins de la Grande Révolution, comme Lénine d’ailleurs qui écrit : « Le jacobinisme en Europe au XXe siècle serait la domination de la classe révolutionnaire, du prolétariat, qui, épaulé par la paysannerie […] pourrait non seulement apporter tout ce que les Jacobins du XVIIIe siècle apportèrent de grand, d’indestructible, d’inoubliable, mais amener aussi au monde entier la victoire durable des travailleurs. Le propre de la bourgeoisie est d’exécrer le jacobinisme. Le propre de la petite-bourgeoise c’est de le craindre. Les ouvriers et les travailleurs conscients croient au passage du pouvoir à la classe révolutionnaire, opprimée, car c’est là le fond du jacobinisme, la seule issue à la crise, la seule façon d’en finir avec le marasme et la guerre » (Pravda juillet 1917).