Cette opposition est profonde, de toute évidence et se ressent dans tous les secteurs de la société. Il y avait d’importantes délégations des grosses entreprises du pays : Audi, NLMK, Van Hool, DAF, Delhaize… Mais il y avait aussi beaucoup de travailleurs de plus petites entreprises ainsi que ceux du secteur public, des enseignants, des transports publics. « Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde mais ce n’est pas étonnant quand on sait que tous les travailleurs, de tous les secteurs, vont être touchés », déclare Marc Ancion, Militant MWB-FGTB Techspace Aéro. « Dans beaucoup de secteurs, comme le transport et la logistique, les dockers, etc. nous n’avons eu aucun problème pour mobiliser nos affiliés. Aujourd’hui, les cheminots doivent travailler mais ils sont en colère : en plus des mesures du gouvernement fédéral qui vont les toucher de plein fouet, leur patron, Jo Cornu, n’arrête pas de faire des provocations dans la presse », rajoute Katrien Verwimp, Présidente de la CSC-Transcom.
« Pour beaucoup, c’était leur première manifestation »
Stefaan Walgrave, professeur en sciences politiques à l’Université d’Anvers, analyse : « Il s’agit d’une exceptionnelle grande manifestation qu’on ne vit qu’une fois tous les dix ans. » Ces milliers de personnes sont les porte-parole de centaines de milliers d’autres qui expriment leur opposition au gouvernement. C’est une lame de fond de tous les secteurs de la société qui refusent le projet de société de l’équipe Michel-De Wever. « Ce qui me frappe, c’est la présence de personnes qui ne manifestent jamais d’ordinaire », déclarait Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC.
Effectivement, pour beaucoup de participants, c’était leur première manifestation. Plus de 400 jeunes avaient d’ailleurs passé la nuit Place Aneessens (au centre de Bruxelles) à l’appel des jeunesses syndicales et ils étaient encore beaucoup plus nombreux dans la manifestation. Il est d’ailleurs frappant de voir que la plupart des organisations de jeunesse ont soutenu l’action syndicale (la KAJ, la FEF…).
A noter aussi la présence importante de nombreuses associations de lutte contre la pauvreté, du secteur culturel, comme Hart Boven Hard, le front citoyen qui s’est créé en Flandre. Karim Zahidi, philosophe, membre du Vooruitgroep, en fait partie : « Grâce à Hart boven Hard, des gens qui n’ont pas pour habitude de marcher derrière un drapeau syndical sont quand même venus à Bruxelles. Moi-même, je suis ici pour chanter avec le Chœur Brecht-Eisler, le Omroerkoor et La Canaille. Nos tubes ? Bandiera Rossa et L’Internationale. Des classiques ! Ce n’est guère étonnant. La plateforme Hart boven Hard est nouvelle, mais il existe une continuité avec le passé. Les générations précédentes ont aussi mené la lutte sociale, elles ont aussi dû se battre pour leurs droits. » Le mécontentement est profond. Et c’est l’ensemble du projet de société individualiste et asocial du gouvernement Michel – De Wever qui est rejeté. « Le capitalisme, on en a marre », pouvait-on même lire sur le panneau d’un manifestant.
Un gouvernement sans légitimité… sauf celle d’être au service des actionnaires
Le gouvernement Michel-De Wever n’a pas la légitimité politique qu’il prétend avoir : personne n’a voté pour un parti qui avait le recul de la pension à 67 ans dans son programme électoral. Des ministres comme Johan Van Overtveldt qui affirment qu’un saut d’index n’est pas « dramatique » sont loin de la réalité de Belges qui ont difficile à finir leur mois. « La manière dont les économies sont actuellement réparties est déséquilibrée, confirme Raf De Weerdt, secrétaire général de l’ACOD (CGSP) Enseignement. 90 % des mesures se font sur le dos des travailleurs, et le reste concerne le démantèlement des services publics. C’est tellement disproportionné que les patrons ne peuvent faire autrement qu’applaudir ce gouvernement. Tant que ce déséquilibre ne sera pas modifié, nous devrons continuer à descendre dans la rue, c’est clair. »
Pour Marc Leemans, président de la CSC, ce gouvernement est au service des actionnaires et des fortunés : « Le gouvernement n’épargne personne, il frappe même les plus pauvres. Mais je me trompe ! Le gouvernement épargne les plus puissants. Les Bentleys, BMW, Range Rovers, Porsche Cayenne continueront à rouler. Et il existe peut-être même des Porsche “Caymans”… »
« Nous écrivons ici dans la rue l’histoire sociale de notre pays »
Raoul Hedebouw, député fédéral du PTB, était présent pour soutenir les manifestants. Au podium du PTB avec Peter Mertens, président du PTB, il a répété : « Nous écrivons ici dans la rue l’histoire sociale de notre pays. Nous allons faire plier ce gouvernement ». A 14h, il a dû quitter précipitamment la manifestation pour se rendre en vélo au Parlement.
Il a à nouveau dénoncé le désastre social et l’impasse économique des plans du gouvernement : « Monsieur le Premier ministre, vous revenez régulièrement sur le fait que les gens ne comprennent pas vos mesures. Je pense que c’est en fait juste le contraire : les gens comprennent très bien vos mesures. Ils comprennent très bien qu’il est illogique qu’on leur demande de travailler plus longtemps alors qu’il y a autant de jeunes qui n’attendent rien d’autre que de pouvoir enfin commencer à travailler. Les gens comprennent très bien qu’un saut d’index ne va pas créer d’emplois parce que, dans notre pays, ce ne sont pas les salaires qui sont le problème, ils sont justement une partie de la solution. La Banque nationale dit clairement que le problème, en Belgique, c’est la baisse du pouvoir d’achat, et que l’économie est donc à l’arrêt. Or ce que vous faites, c’est simplement appliquer les mêmes mesures que l’Allemagne et les Pays-Bas. Et que se passe-t-il actuellement dans ces pays ? Moins 4 % de Produit national brut aux Pays-Bas, et une stagnation de l’économie en Allemagne ».
Le retrait total du plan
« Nous allons faire reculer le plan du gouvernement Michel-De Wever », annonce Peter Mertens. Beaucoup ont terminé la manifestation convaincus que c’est effectivement possible. « Maintenant, place aux grèves régionales. Et le 15 décembre, ce sera la grève générale », annonce Paul Lootens, secrétaire général de la Centrale Générale (FGTB). Fort du succès de la protestation du 6 novembre, tous les dirigeants syndicaux l’ont annoncé : « Nous allons poursuivre le plan d’actions contres les mesures de droite du gouvernement. » Comme celles qui concernent l’allongement de la carrière qui, de toute évidence, sèment la colère. En témoignent la manière dont se sont arrachées les pancartes du PTB « travailler jusqu’à 67 ans ? Pas question ! ». Durant la manifestation, les membres du PTB ont d’ailleurs recueilli 12 446 nouvelles signatures de la pétition sur le sujet (www.ptb.be/petition-pension).
Hedwin De Clercq, délégué principal FGTB-Métal Audi, le confirme : « Le problème qui revient le plus souvent dans nos discussions est l’attaque contre les prépensions. Chez nous, cette année encore, nous pouvons partir à la prépension à 56 ans. Mais ce droit va nous être retiré. Mais les autres points, comme l’index ou le gel salarial, ne passent pas non plus. »
Les attaques contre le pouvoir d’achat fâchent en effet tout autant. Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB l’a rappelé en fin de manifestation : « Il faut supprimer le saut d’index. Tant qu’ils ne l’auront pas entendu, il n’y a aura pas d’autres réponses que la mobilisation. » La question du pouvoir d’achat doit être mise en rapport avec le fait que les profits, les fortunes et les bénéfices, eux, ne sont pas touchés. Marc Leemans : « Les salaires sont bloqués mais les dividendes peuvent continuer à couler à flots pour les actionnaires. C’est inacceptable! » Car, contrairement à ce qu’affirment M. Van Overtveldt, Michel et De Wever, il y a en effet une alternative. La Belgique n’a jamais produit autant de richesses qu’aujourd’hui. Le scandale #LuxLeaks montre, une nouvelle fois, comment les plus fortunés de ce pays profitent des largesses de notre système fiscal. Le problème est que la richesse se concentre dans les mains d’une minorité de plus en plus étroite. Et c’est cette richesse que nous voulons activer via entre autres notre taxe des millionnaires », explique Peter Mertens. Et le PTB d’avancer son plan Cactus de renouveau social, écologique et démocratique (www.ptb.be/plancactus).
Le PTB soutient pleinement le plan d’action syndical à venir, mais aussi les nombreuses initiatives citoyennes et associatives qui contribuent à exercer une pression toujours plus importante sur le gouvernement.