Des prêts garantis par l’État pour assurer aux artisans, petits commerces et professions libérales de pouvoir tenir le choc économique du confinement alors que les prêts et factures continuent à courir, c’était l’annonce faite par le gouvernement. Alors que le régime Macron annonce des prêts énormes de plusieurs milliards aux grandes entreprises des fortunes du CAC 40 – les mêmes qui continuent de verser des dividendes records – refusant de les nationaliser, de partout les témoignages se multiplient: le petit commerce, les artisans, les professions libérales essuient eux des refus de prêts. Me Bérenger Tourné, du barreau de Paris, dans une tribune publiée par l’Humanité fait le point sur ce qui se trame, dénonçant une discrimination illégale
Bérenger Tourné. Avocat au barreau de Paris.
La communication gouvernementale le rabâche. Bruno Le Maire s’en gargarise. Le « PGE », prêt garanti par l’╔tat, concours pouvant représenter jusque 3 mois de chiffres d’affaires, va assurer la survie puis la pérennité des TPE françaises qui font le « maillage » essentiel de l’économie nationale.
Rendez-vous compte, c’est formidable, le dispositif prévu par l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 (modifié le 17 avril dernier) offre sans aucune condition la garantie de l’État à hauteur de 90% du montant emprunté par nos commerçants, libéraux et artisans en difficulté. Il y est dit en effet que « la garantie de l’État est accordée aux établissements de crédit et sociétés de financement pour les prêts … consentis, sans autre garantie ou sûreté, à compter du 16 mars 2020 et jusqu’au 31 décembre 2020 inclus » à toutes « les entreprises, personnes morales ou physiques en ce compris les artisans, commerçants, exploitants agricoles, professions libérales et micro-entrepreneurs, ainsi que les associations et fondations ayant une activité économique » (articles 1 et 3).
Les voilà sauvés de la banqueroute. La belle histoire… Fatalement, il y a un « mais ». Une grosse faille. En forme d’échappatoire pour nos chers banquiers, ceux qui ont l’oreille de notre Président, Président-banquier s’il en est. L’arrêté ministériel dispose que « l’établissement prêteur qui souhaite faire bénéficier de la garantie de l’État […] un prêt […] qu’il consent [à ses clients,] notifie à Bpifrance Financement SA de l’octroi de ce prêt » (article 4). Il laisse ainsi aux banques, en dépit du risque minime de défaut (seulement 10% de leur concours), le choix d’accorder ou de refuser de manière totalement discrétionnaire, c’est-à-dire sans avoir à s’en justifier aucunement, d’accorder ou non un peu de trésorerie à nos cafetiers, restaurateurs, petits commerçants de quartier ou du village, indépendants et artisans, qui meurent du confinement économique qui leur est imposé, à défaut de masque, de test, de gel, de blouse, de surblouse et de tout ce qu’il faudrait pour affronter sereinement le virus.
Rien ne vient s’imposer aux banques. Enfin pas toutes. Pour la BPI, c’est différent. Elle est quant à elle tenue de garantir tous les prêts notifiés par les banques privées. Sans examen ni avoir mot à dire. Or la BPI, c’est la banque publique d’investissement. Ce sont nos impôts donc.
Pour les autres, les banques privées, c’est-à-dire la Finance, notez alors la nuance : ce n’est que si, et seulement si elles le souhaitent, qu’elles peuvent consentir, si bon leur semble, à faire ou non crédit, ce qui est pourtant leur métier et rôle premier. Besoin d’un dessin ? Les anglo-saxons appellent cela du soft law. Un droit si souple et élastique qu’il n’impose plus rien. Une règle de droit à la carte. Vous avez le droit si vous en êtes d’accord…
C’est ainsi que le caporal Le Maire a été mandé par le général Macron à signer ce faux ordre de mission, qui n’impose rien aux banques lesquelles continuent, en pleine grippe économique, à ne prêter qu’aux riches. Car depuis le 17 avril dernier, en définitive, ceux qui en ont réellement besoin, c’est-à-dire les entreprises dont la trésorerie est dans le rouge, se voient refuser sinon systématiquement, du moins très largement l’accès au PGE.
On peut ainsi lire dans la Tribune du 15 avril dernier, que le Président national de la branche restauration de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (lui-même !) a espéré « décrocher [le PGE] et finalement c’est niet, la banque n’a pas voulu me l’accorder » alors que son « entreprise est pourtant solide. Elle existe depuis plus de quatre ans et j’emploie sept salariés à l’année »[1]. Le Président de l’Union des entreprises de proximité explique quant à lui que des « témoignages d’entreprises qui peinent à obtenir un Prêt garanti par l’État, j’en reçois par kilos »[2].
Dans un courriel conjointement adressé, le 22 avril, au Ministre de l’économie, le Conseil national des barreaux, l’ordre des avocats de Paris et la conférence des bâtonniers s’alarment des « nombreux refus d’octroi de PGE aux avocats par leurs agences bancaires, le plus souvent en raison d’une situation de trésorerie négative, alors que le risque des banques est ici minime puisque le prêt est garanti par l’État à 90 %. En réalité certaines agences analysent sans aucune bienveillance les demandes des avocats et se refusent à appliquer des critères plus souples que pour l’octroi d’un prêt classique ».
Citons enfin une enquête de France-Inter qui relate plus globalement que « pour « éviter l’image de la banque qui a coulé les entreprises », les établissements de crédit affichent leur volontarisme. Mais face aux mauvais dossiers, des chargés d’affaires ont pour consigne de faire traîner les choses »[3].
Faire traîner, pourquoi ? Ce serait à n’y rien comprendre si ce n’était pas évident. Derrière la fausse com’ sur les mauvais dossiers et le risque – qui n’existe pas puisque couvert à 90% par l’État, ce qui vaut davantage en termes de garantie que toutes les cautions, gages, nantissements et autres sûretés diverses et variées -, la réalité est que pour les banques, tous leurs clients à découvert sont profitables.
Le paradoxe tient dans le fait que les entreprises vides de liquidités sont débitrices d’agios. Or les agios sont beaucoup, mais alors beaucoup plus rémunérateurs que les 0,25% d’intérêt offert par le PGE. Les agios, qui sanctionnent le solde négatif d’un compte-courant, sont en effet d’un taux proche de l’usure. Et si l’on rajoute les frais exorbitants de découvert, on atteint vite 5% par-ci, 7% par-là, voire plus…
On comprend alors facilement que les petites entreprises en difficulté représentent une véritable manne pour les banques. Prêter devient sans intérêt (ou presque, le taux du PGE est de 0,25%) quand on se gave d’agios et de frais. Alors Figaro ci, les Echos là… dans la presse économique, on n’en pipe mot, on glisse tout ça sous le tapis et on regarde ailleurs.
Mais gare à l’indigestion. La contradiction reste la loi fondamentale des choses comme nous l’enseigne Hegel. Et le moteur de l’histoire comme l’ajouta Marx. Le fait du Prince laissé aux banquiers pourrait amener un retour de manivelle.
Si tant est que l’avocat replaide et que le juge veuille bien juger, on trouve dans notre droit commun (et d’avant mesures exceptionnelles de confinement), un arsenal de textes qui pourraient trouver ici le terrain fertile à faire pousser une jurisprudence équitable.
L’article 225-1 du code pénal retient comme discriminatoire la « distinction opérée entre les personnes », qu’elles soient physiques (ce qui couvre ici les artisans, libéraux, entreprises unipersonnelles) ou morales (recouvrant les sociétés, associations, syndicats), reposant sur « la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur ».
Qu’on ne vienne pas raconter que le banquier ne connaît pas la situation économique de ses clients. Et si n’avoir plus de trésorerie ne caractérise pas la particulière vulnérabilité des TPE, alors la langue française n’est plus celle de la République et le journal officiel s’écrit en novlangue d’Oceania.
Lorsque l’on sait que l’article 225-2 sanctionne « de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » toute discrimination consistant à « refuser la fourniture d’un bien ou d’un service », à « entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque » ou à « subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 », il devient légitime de mettre en accusation le banquier qui refuse un PGE à une petite entreprise d’artisans, commerçants ou libéraux à découvert bancaire, alors qu’il l’octroie par ailleurs à d’autres sociétés présentant un solde créditeur, à défaut de pouvoir pomper sur ces dernières le moindre agios ni frais.
Si cette fraude à la loi (i.e. à l’arrêté ministériel du 17 mars) n’est pas en soi punissable, le refus discriminatoire de PGE et l’entrave discriminante à l’activité économique en résultant, à raison de la vulnérabilité économique des TPE victimes, apparait quant à lui constitué. On a beau chercher en effet, alors que le prêt garanti par l’État est quasiment exclusif du risque de défaut – la BPI offrant, répétons-le, une garantie exceptionnelle au-delà de toutes celles que prendrait normalement le banquier -, la seule raison expliquant son refus de PGE à l’égard des plus précaires, c’est la rentabilité à court terme. La rentabilité immédiate au mépris du tissu économique français.
On chercherait à détruire du capital, comme après une guerre, pour maintenir la rentabilité du taux de profit de Madame Finance, qu’on ne s’y prendrait pas autrement, comme pourraient le dire les économistes atterrés. Plus terre à terre, nous nous contenterons de rappeler qu’une banque est une banque, et que sans contre-pouvoir, la Finance fait sa loi du marché. Reste que pour l’heure, évidemment, les prétoires étant fermés, le droit demeure confiné. Comme un fait exprès ?
[1] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/pret-garanti-par-l-etat-refus-delais-obstacles-ces-entreprises-qui-rament-face-aux-banques-845283.html
[2] Ibid.
[3] https://www.franceinter.fr/pret-garanti-par-l-etat-comment-les-banques-cherchent-a-sauver-leur-image-avant-les-entreprises