Venant après les arrestations, démissions, exclusions de nombre de ses dirigeants, la suspension pour six ans de son président et du président de la confédération européenne, plonge la FIFA dans une crise gravissime et sans précédent.
Le football, sport universel et premier sport en France, est sévèrement secoué. Bien sûr, rien n’est jugé et nous respectons la présomption d’innocence, sans oublier que les enquêtes sont pilotées des Etats-Unis qui d’ordinaire ne s’intéressent guère au « soccer », et dont on ne peut exclure une action de revanche face à l’échec de la candidature américaine pour la coupe du monde 2022.
C’est justement l’attribution inepte de l’organisation de cette coupe au Qatar qui est l’élément révélateur de pratiques de corruptions au sein de la FIFA de plus en plus soumise à l’affairisme, aux intérêts économiques, aux stratégies géopolitiques avec l’interférence directe des dirigeants politiques et des Etats. Chacun sait par exemple que Platini n’était pas favorable au Qatar, mais que Sarkozy l’a fortement incité à soutenir l’émirat, qui grâce aux votes des Européens a pu l’emporter.
Au-delà du très médiatique football c’est tout le sport professionnel qui est gangréné. Les cas de corruptions, de trafics d’influence, de magouilles, de dopage organisé ont éclaboussé nombre de fédérations sportives ces dernières années : patinage, cyclisme, natation, rugby, athlétisme, etc. Le sport fait partie de la société, il se façonne à son image. Et cette société est toujours plus soumise à la loi de l’argent, à la loi du plus fort, à la compétition sans morale et sans pitié où les valeurs humaines et de solidarité sont foulées aux pieds. Le sport qui devrait être une activité physique et morale émancipatrice et fraternelle a été transformé en une source de profit énorme, en confrontation politique, en jeu du cirque, exacerbant le chauvinisme et la bêtise. Pour nous communistes, la question sportive, comme la question culturelle, fait partie intégrante de notre combat. Nous luttons pour un sport amateur accessible à tous, porteur de valeurs de respect et d’intelligence, d’antiracisme et de solidarité ce qui n’exclut pas l’esprit de compétition amical. Dans ce combat nous ne sommes pas seuls, nous pouvons nous appuyer sur les centaines de milliers de clubs et structures, de bénévoles dont le quotidien est fait de difficultés financières, de travail éducatif, de passion, à mille lieux du sport professionnel.
Nous savons ce que le sport à la base et en particulier le football représente pour les couches populaires, pour les jeunes des quartiers défavorisés. Il ne faut pas que ces sportifs-là se tournent vers les fausses paillettes du sport-spectacle, source d’illusions et d’intégration idéologique. Investissons davantage le débat de fond sur le sport pour que ses animateurs et pratiquants, aidés par l’expérience de leur engagement associatif, soient mieux armés pour voir la réalité de la société capitaliste.
Laurent NARDI, Conseiller Municipal de Passy (74), Président d’un club de football de 2006 à juin 2015
PRCF ARC 74
C’est l’histoire romanesque d’un «illuminé» qui refusa longtemps l’appel des billets verts des magnats du foot pour rester dans son club de cœur. Pourtant Cristiano Lucarelli n’était pas fou. Il était surtout un footballeur atypique, aux valeurs communistes authentiques, et dont l’histoire d’amour avec sa ville et son club de cœur, Livourne, reste aussi bucolique qu’originale dans le Calcio moderne.
Livourne. Comprenez la «ville rouge». Plus que tout autre coin de la Botte, Livourne traine des accents marxistes et une faucille à rebrousse-temps. Livourne, dernier bastion communiste : l’histoire vaut encore plus ses Lires dans une Italie moderne gouvernée par une coalition «largement» de droite. Ici, en 1921, fut fondé le Parti Communiste Italien. Et, scrutin après scrutin, Forza Italia, le parti ultralibéral du Cavaliere, continue de manger le pavé.
Comme une évidence, le vétuste stade Armando Picchi est devenu au fil du temps un nid pour ces irréductibles à la Bandiera Rossa. Et longtemps, trop longtemps, Cristiano Lucarelli fréquenta le béton de la Curva Nord. Au point d’être, en 1999, l’un des fondateurs du groupe ultra local : les «Brigate Autonome Livorno» (B.A.L.). Dont la banderole «Brigade Autonomieski Livornieski», souvent déployée sur 90 mètres, dit long sur l’idéologie prédominante…
Alors oui, Lucarelli est né communiste, dans une ville où le contraire n’existe pas ou presque, trimballe le logo du Livorno sur le bras gauche ou Bandiera Rossa comme sonnerie de mobile, et a fondé le Corriere di Livorno. Mais en 1992, à Cuoiopelli, il est devenu un chainon de l’industrie du foot, vitrine officieuse du tout-pognon. Le hic c’est que l’homme n’a jamais renié ses convictions. Pis, il les a trop souvent affichées pour ne pas épouser les clichés et les amendes (1). Comme en 1997, où il salua son but contre la Moldavie en Espoirs, le poing levé, en exhibant un tee-shirt du Che sous son maillot azzuro. Le match avait lieu à… Armando Picchi devant une Curva Nord en délire.
Mais, à l’été 2003, Lucarelli est devenu le symbole d’une lutte qui le dépasse. Cet été là, l’AS Livourne accède à la Série B après des années de misère. Une marée de fans, dont Lucarelli, envahit le pré du stadio comunale. Dans l’élan de liesse, beaucoup, la plupart, commencent à réclamer son retour. L’idée germe. Et a de toute façon fomenté trop longtemps dans l’esprit d’un gosse de l’Ardenza pour qu’il ne résiste à l’appel du Bella Ciao de son enfance. Après avoir scoré 77 buts avec 8 clubs différents (2), Lucarelli signe à l’AS Livourne.
La belle histoire n’est pas si simple. Car, Lucarelli, alors au Toro, menace de rompre son contrat afin de rejoindre Livourne. Pis, la saison suivante, alors en «co-propriété» entre les deux clubs, il refuse un milliard de Lires du Toro – il en fera un livre (3) – et s’assoit sur d’autres offres européennes séduisantes et adaptées à son standing. Le tout fait bondir la Botte : le n°99 passe pour un illuminé qui réduit son salaire au nom de l’utopie has been de l’amour du maillot.
Mais Lucarelli a le même rêve fou que le gosse qu’il était : la «Série A». Ce que tout un peuple attend depuis 1949 se produit dès la saison 2003-04 : Lucarelli score 29 billes et Livourne choppe le train pour l’élite ! L’année suivante, il finit même capocannoniere (29 buts) et le club s’enquille à une étonnante huitième place. Le 11 septembre 2004, ils sont bien plus de dix mille livournesi à faire le déplacement historique à San Siro, se moquant de Silvio Berlusconi et clamant leur désamour de l’Italie qu’il incarne. Une sorte de trophée pour un club au palmarès famélique. Et de quoi nourrir la bataille des idéologies : en Italie, plus qu’ailleurs, le Calcio est bien une immense fresque de la vie socio-politique tumultueuse de son pays.
Lucarelli finit par partir de Livourne en 2007 suite à des tensions internes et la mise en sommeil des B.A.L. Mais son histoire raconte bien plus que le destin d’un buteur de talent : il incarne un croche-patte au capitalisme que ses camarades défendent et qui enfume l’odeur du vrai foot. L’histoire unique d’un footballeur guidé par ses sentiments et ses convictions.
(1) Avec Livourne, en 2007, ses accusations lui valurent 30 000 euros d’amende par la Fédé Italienne : «Ils veulent nous faire descendre pour des raisons politiques, parce que nous sommes de gauche. L’an dernier les quatre équipes (Pérouse, Modène, Empoli en Ancône) dont les supporters exposaient l’image du Che Guevara en tribune ont été rétrogradées en Série B. Maintenant c’est notre tour !». Il soutenait aussi les actions des B.A.L pas seulement en portant le numéro 99 : en payer le bus.
(2) Lucarelli a joué à Cuoiopelli, Perugia, Cosenza, Padova, Atalanta, Valence, Lecce et Torino avant Livourne.
(3) «Votre milliard, vous pouvez vous le gardez».