Quand l’Etat patronal usait déjà de la déchéance de nationalité contre les militants de la classe ouvrière
Déchéance de la nationalité
Olszanski, l’ « affaire Dreyfus » du Bassin minier
La déchéance de nationalité ? Une sanction que la République française applique, depuis le milieu du XIXe siècle, à ses propres citoyens accusés de menacer ses fondements. En 1932, cette mesure affecte Thomas Olszanski, un mineur du Nord. Il est alors âgé de 45 ans. Son tort ? Avoir stigmatisé, comme permanent de la Fédération des mineurs de la CGT Unitaire (CGTU), l’attitude des magnats des Mines qu’il accuse de « bafouer les droits des Polonais », mais aussi l’Etat français « complice de leurs exactions ».
Fils d’un paysan pauvre de Galicie polonaise sous occupation autrichienne, Thomas Olszanski s’installe dans le Bassin minier du Pas-de-Calais en 1909 pour y exercer comme mineur de charbon. Formé à l’école du syndicalisme révolutionnaire, il intègre en 1921 les rangs du Parti communiste français et entreprend d’organiser, au sein de la CGTU, la main-d’oeuvre polonaise qui contribue largement à la relance de l’activité charbonnière dans une région sinistrée.
Permanent à la CGTU
L’obtention de la nationalité française en juin 1922, lui offre de s’affranchir de la menace d’expulsion qui pèse sur les activistes étrangers d’extrême gauche. Mieux, ce sésame lui permet d’accéder à un poste de dirigeant syndical ; ce que la loi du 21 mars 1884 « relative à la création des syndicats professionnels » interdit aux étrangers… libres de se syndiquer mais non d’exercer une fonction d’encadrant ! En 1923, sa connaissance des langues française, allemande et surtout polonaise le propulse à la tête du secteur « main-d’oeuvre étrangère » de la Fédération unitaire des mineurs de France (CGTU) dont il devient un secrétaire. Et aussi un permanent national D’un piquet de grève à l’autre, il sillonne l’Hexagone. La renommée de cet « agitateur volant » aux indéniables talents d’orateur, assure le succès de ses meetings dans les bassins miniers de charbon, de fer ou de potasse, même si la CGTU, largement bolchévisée, peine toujours, en cette fin des années 1920, à contrebalancer l’influence de la CGT réformiste parmi les Polonais.
Quand récession rime avec répression tous azimuts
Sa popularité inquiète davantage encore les autorités françaises quand le pays s’enfonce dans la crise qui ébranle l’économie capitaliste mondiale pour frapper l’industrie houillère régionale dès 1931. La récession est synonyme d’arrêt du recrutement, de chômage partiel puis de vagues de licenciements dont les étrangers sont les victimes principales… Dans les mines du Nord où ils constituent encore près de 40 % des effectifs, la répression s’intensifie. Brimades, amendes, déclassements sont plus que jamais le lot des militants insoumis. Soucieux de satisfaire une opinion publique en partie gagnée par le chauvinisme, l’Etat décide très vite du renvoi en Pologne par trains entiers de milliers de travailleurs considérés en surnombre dans l’économie et en profite pour se débarasser des éléments jugés indésirables. Les expulsions se multiplient. A l’heure de la rationalisation synonyme de course au rendement et de dégradations des conditions de travail, les contradictions de classe s’aiguisent.
Sur la voie de la déchéance
Dans ce contexte délétère, Thomas Olszanski reste intouchable. Parce que de nationalité française… La bourgeoise République envisage alors de lui en faire perdre le bénéfice en vertu de la loi « sur la nationalité » du 10 août 1927 d’inspiration pourtant libérale. Son article 9 prévoit en effet que perd la qualité de Français, celui, qui ayant acquis la nationalité française sur sa demande, en est déchu pour « avoir accompli des actes contraires à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat français ». Le 22 juillet 1932, le tribunal civil de Douai prononce sa dénaturalisation, lui reprochant d’avoir, lors d’un meeting, « pris la parole pour exorter les ouvriers français et étrangers à se révolter ». Ses écrits dans la presse communiste « à renverser le régime capitaliste » sont tout autant stigmatisés.
Une campagne nationale de solidarité
Son cas fait grand bruit. Des parlementaires, des intellectuels comme André Malraux ou Paul Nizan, exigent sa réintégration d’autant que l’article 6 de cette loi de 1927 reconnaît que « l’étranger naturalisé jouit de tous les droits civils et politiques attachés à la qualité de citoyen français ». Or, Olszanski n’a jamais dérogé à la loi. « Rien dans les paroles reprochées à Olszanski, ne différait des idées énoncées couramment par la presse de gauche », rappellera la presse communiste provencale (1). Un Comité de défense d’Olszanski dénonce une nouvelle « affaire Dreyfus ». Le Secours rouge international s’indigne : « De 1914 à 1918, Olsanski fait la guerre, la bourgeoisie le considère comme un bon Français. De 1922 à 1932 Olszanski milite dans les organisations d’avant-garde, la bourgeoisie le considère comme un indésirable, le dénaturalise et veut l’expulser. » L’organe régional du PCF dans le Nord (2) s’inquiète : « Si Olszanski était expulsé, il serait beaucoup plus difficile demain d’entraîner les mineurs polonais dans la lutte aux côtés de leurs camarades français. » Briser l’unité ouvrière à un moment où les appels au front unique se multiplient ! Telle est l’ambition du gouvernement d’Edouard Herriot à coloration radical-socialiste.
Fidèle à la Pologne populaire
Le décret tombe le 19 avril 1934. Olszanski doit quitter le territoire le 22 mai au plus tard. Il plonge alors dans la clandestinité. Sa « cavale » prend fin cinq mois plus tard. Après avoir purgé une peine d’un mois de prison à Béthune pour infraction à un arrêté d’expulsion, Thomas Olszanski, désormais apatride (3), est « abandonné » discrètement en Flandre belge, le 16 octobre 1934 à l’aube. Il gagne alors l’URSS où il sera rejoint par sa femme et trois de ses enfants. A la Libération, il décline l’offre du PCF, d’un retour en France. Celui qui se considère néanmoins toujours comme le « fils du prolétariat français », gagne la Pologne qui tourne le dos à son passé féodal. Thomas Olszanski rejoint les rangs du Parti ouvrier polonais (PPR) des communistes polonais. « C’est ainsi qu’après 40 années, je revins dans ma patrie : la Pologne Populaire. Ce retour, je le devais à l’Armée rouge et à l’Armée polonaise, à leurs victoires sur les ennemis de mes pères et aïeux, les seigneurs terriens et les capitalistes », témoigne-t-il. Ses Mémoires (4) paraissent en 1957, deux ans avant sa disparition à l’âge de 73 ans. Il aura écrit parmi les plus belles pages de l’histoire du communisme polonais en France… « Il n’a pas personnellement vécu l’essor des années du Front populaire… Mais il est parmi les plus notoires de ceux qui l’ont rendu possible », selon Henri Krasucki, le secrétaire général de la CGT de 1982 à 1992.
Jacques Kmieciak pour Initiative Communiste
(1) Rouge Midi du 26 janvier 1937.
(2) L’Enchaîné du 13 septembre 1932
(3) A la fin de la Première Guerre mondiale, il n’a pas effectué les démarches nécessaires en vue d’acquérir la nationalité polonaise à laquelle il pouvait prétendre.
(4) Un Militant syndicaliste franco-polonais « la vie errante » de Thomas Olszanski (1886 – 1959). Texte traduit par Milène Mihout. Presses universitaires de Lille, 1993. 395 p.