Décrochons les vrais décrocheurs !
Alors même que des cas d’élèves ou de personnels positifs au coronavirus, sont découverts quotidiennement dans les établissements scolaires, une odieuse campagne de dénigrement contre les enseignants est lancée en France.
Un déferlement de haine diffamatoire a ainsi envahi les plateaux des médias audiovisuels, et les éditos des journaux, tandis qu’un courageux membre du gouvernement insultait les enseignants sous couvert d’anonymat [1] par le truchement d’un éditorialiste ultra-libéral grassement payé avec de l’argent public. Le ministre de l’Éducation Nationale lui-même, toute honte bue, venait sur les ondes faire assaut d’agressivité chattemite envers le corps enseignant.
Une seconde vague de Covid-19 surviendra-t-elle ? Personne ne peut le prédire. Mais il faut constater, avec dégoût, que la énième vague de haine anti-professeurs, à peine le déconfinement entamé déferle dans nos médias.
Disons-le tout net, cette haine pathologique est sans fondement factuel.
Aucune source statistique solide n’a été fournie, et l’estimation de la proportion de professeurs potentiellement absents pendant le confinement effectué au doigt mouillé par le ministère est proche de l’absentéisme constaté en population générale en temps normal [2].
Parmi ces absents en pleine épidémie galopante au sein des établissements scolaires [3], combien étaient atteints par le virus (ou une autre pathologie) et luttait contre la maladie, s’efforçant de se soigner seuls avec du paracétamol selon les prescriptions du bon Docteur Véran pour ne pas rejoindre des hôpitaux-mouroirs incapables de les accueillir du fait du manque dramatique de lits ? Nul ne le sait, l’Éducation Nationale ne disposant pas de médecine du Travail !
Abandonnée en rase compagne dès la première minute du confinement, les enseignants ont tenu leur place. Alors que les professeurs étaient à la tâche, les hauts cadres de Grenelle et leur chapelet fractal de courtisans démultipliant les hiérarchies dociles en égrenant la gamme des potentats (ministère, rectorats, inspections académiques, bassins, circonscriptions etc…), étaient aux abonnés absents. Aucun plan n’était prévu, aucune procédure n’était mise en place, aucun matériel mis à disposition : la gigantesque armée mexicaine constituée de la multitude de personnels d’encadrements avait décroché, les professeurs devaient se débrouiller seuls (comme d’habitude). Fidèles à leur mission, ils ont, seuls agents opérationnels au contact des élèves, sans aucun soutien institutionnel, usant de leurs ressources propres, maintenu le lien avec leurs élèves, alors même que 80% des salariés du secteur Privé étaient en chômage partiel financé par l’Argent Public.
Cette haine pathologique est idéologique.
Haro sur l’enseignant, ce fonctionnaire pelé, cet agent galeux du Service Public. Il est par essence l’ennemi à abattre, avec son comparse fonctionnaire hospitalier « pleurnicheur »[4]. Toutefois, il faut constater que, pour ce dernier, la haine des éditocrates courtisans devra recuire, la période d’ouverture de la chasse à l’agent hospitalier s’étant vue réduite cette année, allez savoir pourquoi…
Ne soyons pas dupes, aucun de ces roquets médiatiques, ni aucun des Marquis de la rue de Grenelle n’a cure de l’émancipation des élèves. Ils n’ont, en effet, eu de cesse, constamment aiguillonnés par les diktats de la Commission européenne [5] de dégrader la qualité et l’accessibilité des études, par un train de réformes délétères et ininterrompues [6].
Fonctionnaire sous Statut [7], recruté sur ses mérites par Concours publics[8]après avoir obtenu des diplômes disciplinaires sanctionnant des connaissances scientifiques, dispensant son enseignement gratuit et laïque [9] (par conséquent inaccessible à la “Main Invisible du Marché”) dans un cadre national à tous les élèves quelques soient leur origine sociale[10], l’enseignant cumule les tares. Voilà les défauts incurables pour les éditocrates haineux et revanchards, aux ordres d’un pouvoir autoritaire, dont l’arrogance et l’agressivité ne parviennent pas à dissimuler l’incompétence. Voilà les causes idéologiques de ce déferlement de haine.
Cependant, s’ajoute à cette détestation atavique et structurelle du fonctionnaire d’État, des raisons politiques et circonstancielles qu’il ne faudrait ni taire ni négliger.
Des causes politiques, un gouvernement aux abois.
Impéritie. L’épidémie a révélé l’impéritie et les mensonges du gouvernement et de son cortège de courtisans : rien n’était prêt. Les stocks de masques avaient été détruits, décentralisation oblige, les tests étaient aussi absents que les capacités industrielles nécessaires, les hôpitaux ont été tout de suite débordés, les Ehpad abandonnés…
Quant à la bataille sanitaire, ce fut tout à la fois Sedan et Dunkerque ! Alors que les soignants opérationnels luttaient contre le virus sans protection en nombre suffisant, la démarche scientifique était remplacée par l’entregent. Les mandarins péroraient sur les plateaux, trainant dans la boue leurs confrères exerçant les soins et privant d’expression l’opposition politique.
La déclarée par Macron contre l’épidémie est apparue pour ce qu’elle est : un long chaos, émaillé des sorties ineptes[11]de la porte-parole du Gouvernement, des conflits d’ego, voire d’intérêts, et des prépublications pseudo-scientifiques bidonnées à l’aide de financements non déclarés.
Le bilan est dramatique. C’est, au niveau mondial, l’un des pires, avec par endroits un doublement de la mortalité[12]. La comparaison avec des pays comme le Vietnam, Cuba, ou encore la Corée du Sud sont édifiantes : en matière de protection de la Santé Publique, les décrocheurs sont au gouvernement ! Remarquons que les morts se comptant par dizaines de milliers, cela ne peut pas ne pas avoir de conséquences judiciaires, et les responsables (et très vraisemblablement coupables) en sont conscients.
Fascisation.Dans le même temps, les émeutes américaines ont remis sur le devant de la scène le processus de fascisation à l’œuvre dans le Pays.
En effet, afin de briser les résistances populaires et de gagner au plus vite sa guerre sociale contre le Peuple, achevant ainsi la dissolution du Contrat social républicain dans un empire européen néolibéral, la petite caste au pouvoir a dû attaquer les libertés publiques et s’appuyer sur une répression sans précédent[13]. Le pouvoir s’est ainsi mis pour son plus grand plaisir[14] dans la main et sous la protection de ceux qui, au sein des Forces de « l’Ordre », assument avec le soutien du Gouvernement les positions les plus antirépublicaines qui soient[15]. Dans ces conditions comment s’étonner que nombres de membres des Forces de « l’Ordre » décrochent des valeurs républicaines, et que prospère en leur sein un véritable État dans l’État, propageant les idéologies les plus violentes, réactionnaires et discriminatoires et semant sur sa route un cortège de victimes souvent basanées, précaires ou engagées dans l’opposition[16]?
Pour la sauvegarde des valeurs républicaines et la sécurité des citoyens, au premier rang desquels figurent les jeunes défavorisées et les participants aux mobilisation sociales, il est urgent de décrocher ces nervis au service de l’exploitation capitaliste.
Destructeur et incompétent. Enfin, le ministre Blanquer est apparu comme le ministre le plus incompétent du gouvernement.
Poursuivant, « en même temps » sa politique de casse de l’Éducation Nationale et sa communication mêlant désinformation, déni et arrogance, il n’a absolument pas préparé son ministère, le plus important en termes de budget, à la crise. Élèves parents et enseignants se sont trouvé jetés par sa faute dans un confinement absolument pas anticipé. Ses annonces intempestives et dangereuses ont tout au long du confinement émaillés les conférences de presse gouvernementale, étalant au grand jour la vacuité de son action et son irrespect de la communauté scolaire. A tel point que le Premier Ministre a dû intervenir pour le recadrer à plusieurs reprises.
Le champion des décrocheurs, c’est Blanquer : pour le bien de la communauté éducative qui ne peut plus supporter ni ses attaques ni sa désinformation permanente, il faut le décrocher !
La classe dirigeante a un besoin urgent d’un contre-feu médiatique lui permettant d’échapper à ses responsabilités et de boucs-émissaires lui permettant d’unir son socle de soutiens de plus en plus étroits et réactionnaires : les enseignants sont leur cible déclarée. Il s’agit donc non seulement de dénoncer avec force cette campagne de dénigrement indigne mais aussi d’en pointer les racines.
A ce titre, les directions des organisations syndicales enseignantes, trop occupées à ménager leurs « interlocuteurs » dans le cadre du prétendu« dialogue social » et des « groupes de travail », se montrent bien timides. Alors que la politique désastreuse et violente du ministre Blanquer a conduit à des mobilisations massives durement réprimées (Réforme du Lycée, E3C, retraites) et que la crise sanitaire a mis en lumière son irresponsabilité dangereuse, qu’attendent-elles pour demander sa démission ? D’autant que ce ministre agressif entend faire de « l’enseignement distanciel » le laboratoire de la marchandisation de l’École et qu’un projet de loi a été déposé pour transformer l’enseignement distanciel en « alternative » à l’enseignement présentiel dans le primaire et le secondaire.
Il faut dire que cette attitude conséquente demanderait d’aller sur le terrain de la lutte pour la reconquête de la souveraineté populaire et contre le joug néolibéral impérialiste de l’Union européenne, ce que lesdites directions nationales des organisations syndicales enseignantes veulent éviter à tout prix…
[1] Cité par Dominique Seux, 8 juin 2020. « Si les salariés de la grande distribution avaient été aussi courageux que les enseignants, nous n’aurions pas eu grand-chose à manger pendant le confinement ». Ministre anonyme. Sic
[2] La comparaison avec des groupes témoins est à la mode…
[3] Institut Pasteur Lycée de Crépy en Valois 40% de contamination.
[4] Yves Calvi dans L’info du vrai le 12 mars 2020 : « Excusez-moi, je vais choquer tout le monde en disant ça mais la pleurniche permanente hospitalière fait qu’on est en permanence au chevet de notre hôpital.”
[5] « Stratégie de Lisbonne », 2000.
[6] Le parallèle avec la situation de l’Hôpital Public est frappant.
[7] Maurice Thorez, ministre communiste à la Libération.
[8] Gaspard Monge, Première République.
[9] Jules Ferry Troisième République.
[10] Plan Langevin-Wallon, Experts scientifiques communistes, 1947 : « L’enseignement doit donc offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès à la culture, se démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la nation. »
[11]« Les Français ne pourront pas acheter de masque dans les pharmacies, car ce n’est pas nécessaire si l’on n’est pas malade »(Sibeth Ndiaye, 17 mars 2020).
[12] Seine Saint-Denis.
[13] Gilets Jaunes, Loi Macron El-Komhri Retraites, Mouvement Lycéen de défense du Baccalauréat…
[14] Affaire Benalla, etc.
[15] Castaner à D. Lallement Préfet de Police de Paris :« Didier Lallement, votre modèle est Georges Clemenceau. La main de Clemenceau n’a jamais tremblé quand il s’agissait de se battre pour la France, la vôtre ne devra pas trembler non plus devant les réformes que vous devrez mener. » (21 mars 2019) « Nous ne sommes pas dans le même camp » (D. Lallement ; cela, nous en sommes convaincus…).
[16] Adama Traoré, Geneviève Legay, Jérôme Rodrigues, Cédric Chouviat…