La situation est catastrophique dans les hôpitaux en France. C’est le résultat de 30 années d’euro austérité conduisant à des coupes massives dans les effectifs des soignants, les nombres de lits d’hospitalisation mais également les structures hospitalières pour satisfaire notamment aux ordres données par l’Union Européenne à 63 reprises de réduire les budgets de l’hôpital public. Mais derrière ces mots, il est bien souvent difficile pour qui est en bonne santé de se rendre compte de la situation dans les hôpitaux et notamment dans leur porte d’entrée, les services d’urgence. Cédric Volait, coordinateur régional CGT Santé et Action Sociale PACA et membre de la direction nationale de la fédération CGT Santé et Action Sociale a accepté de répondre aux questions du PRCF 13 pour Initiative communiste afin faire le point sur la situation en PACA. Et expliquer la situation des mobilisations des personnels soignants face à un nouveau ministre qui accélère la destruction de l’hôpital public en fermant les services d’urgence, appelant notamment à rejoindre la journée nationale d’action du 22 septembre pour le secteur de la santé, et ensuite les mobilisations interprofessionnelle, notamment la journée du 29 septembre.
1) Nous étions le 31 août devant l’hôpital de Cavaillon dont les urgences sont menacées de fermeture totale ou partielle. Je suppose que ce n’est pas le seul problème ?
Nous nous sommes rassemblés devant l’hôpital de Cavaillon le 31 août pour dénoncer la casse d’hôpital public et pour porter nos exigences.
La dégradation du système de santé s’est particulièrement accélérée ces derniers mois que ce soit dans les hôpitaux, la psychiatrie, les EHPAD et tous les autres services.
Cependant la situation nous amène à faire un « Zoom » sur la situation des services d’urgences qui sont la porte d’entrée de l’hôpital. Des urgences qui sont également le baromètre, car quand elles vont mal ce sont tous les services qui vont mal. Les urgences sont aussi la porte d’entrée de leurs attaques. Et enfin, les urgences peuvent être la porte d’entrée d’une mobilisation de grande ampleur, on l’a vu par le passé, et à partir d’elles, on peut entraîner tous les autres services dans la lutte. Donc, il y a un enjeu évident !
2) Quelle est la situation dans la région PACA ?
De nombreux services d’urgences sont en grande difficulté avec des fermetures partielles ou occasionnelles comme :
– Draguignan (fermé la nuit depuis le 29 octobre 2021… 8 médecins urgentistes seulement sur 22)
– Manosque (fermé 6 ou 7 nuits par mois depuis le début de l’année…fermé toutes les nuits en juillet et août… Il manque environ 7 médecins urgentistes)
– Arles (des fermetures occasionnelles comme au mois de mai où seulement les urgences vitales étaient acceptées…un service qui fonctionne seulement avec 4 médecins… Un hôpital très fragile qui est passé de 560 lits à 150 lits en 20 ans, une maternité qui tient sur un fil et qui peut fermer à tout moment, et 23 lits de pneumologie et cardiologie fermés le 3 juillet… Il manque des infirmiers et des médecins)
– Aix en Provence (des urgences pédiatriques qui ferment régulièrement… des urgences adultes avec 1 ligne de SMUR sur 2 régulièrement fermée)
– Cavaillon (des urgences fermées la nuit depuis le mois de mai)
De nombreux autres hôpitaux sont à la limite et pourraient rapidement glisser vers une même situation :
– Sisteron (les menaces de fermeture pour cet été ont a priori été évitées mais la situation reste très fragile)
– CHU de Nice (les urgences de l’hôpital de Pasteur saturées le 11 juillet au soir. considéré comme le plus gros service d’urgences de France… plus aucun lit disponibles sur les 100 dévolus aux urgences. Ils ne pouvaient plus accueillir de patients)
– Urgences de la Timone à Marseille (il y a 2 ans, il y avait 40 à 43 médecins, aujourd’hui ils ne sont plus que 16 donc 3 médecins juniors encore en formation… les durées d’attente sont de plus en plus importantes et sur certaines périodes ils ne prennent pas les urgences vitales qui sont transférées ailleurs)
– Hôpital Nord à Marseille (la situation est très tendue)
– Hyères (il manque 8 médecins urgentistes sur 18… 16 lits de médecine ont été fermés pour renforcer d’autres services comme les urgences)
– Toulon (A Toulon Sainte Musse, un médecin urgentiste disait récemment : « nous sommes à l’équilibre, non pas grâce à 20 ans de travail, mais c’est le fruit de 20 ans de combat acharné… Mais par contre en 15 jours on peut tout détruire, tellement c’est fragile, et arriver au stade de Grenoble ou de Bordeaux ». Beaucoup d’inquiétude cet été dans un contexte où le Var est le département le plus touristique de France, la population est multipliée par 5 les mois d’été)
– Hôpital militaire Sainte-Anne de Toulon (situation compliquée aux urgences également)
– Avignon (des urgences surchargées… des médecins ont déposé un préavis de grève en juillet… et plus globalement les chefs de service des urgences des 11 hôpitaux du département du Vaucluse ont déposé une lettre de démission collective)
– Carpentras (situation très tendue… un préavis de grève a été déposé)
– Brignoles (une nuit fermée en juin… c’est une première alerte… à Manosque ou Draguignan cela a débuté de la même manière…)
3) Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Quand il y a des dizaines de services d’urgences fermés totalement ou occasionnellement, quand chaque semaine ce nombre augmente, quand 100 000 lits ont été fermés en 20 ans, quand 70% des maternités ont été fermés en 40 ans, on n’arrive pas là par hasard ! C’est une politique méthodiquement organisée avec une volonté d’extrême rationalisation de l’accès aux soins des gouvernements successifs !
La Loi et le plan « Ma Santé 2022 » publié à l’été 2019 étaient clairs. Un des objectifs étaient de passer de 250 à environ 600 « hôpitaux de proximité ». Au passage, ils ont modifié leur définition d’hôpital de proximité, puisque pour avoir ce « label », il ne faut pas de service d’urgence, pas de maternité et pas de chirurgie. Donc, il ne s’agit pas d’améliorer la situation comme ils nous l’ont présenté, mais au contraire, c’est une énorme régression, puisqu’il s’agit de « déclasser » 300 centres hospitaliers pour les transformer en hôpital de proximité en supprimant les services phares. Pour cela, ils se servent de chaque difficulté, chaque crise, qu’ils ont la plupart du temps eux mêmes créées, pour dire à chaque fois « il n’y a pas d’alternative, nous sommes contraints de fermer des services ».
4) Une importante délégation de la CGT 06 était présente à Cavaillon. Pourquoi ?
Au niveau de la région, la CGT Santé et Action Sociale PACA travaille à renforcer les liens entre militants de la région au travers d’un travail de coopération, de partage des analyses et des outils, de solidarité dans les luttes… Le 7 juin devant l’hôpital de Manosque, des délégations de différents départements de la région étaient présentes, c’était également le cas le 11 juillet à Marseille devant l’ARS, le 1er août devant l’hôpital Pasteur à Nice des camarades de toute la région étaient présents, et à Cavaillon également, avec notamment une délégation importante des Alpes Maritimes ce jour là.
C’est aussi ce que nous avons essayé de mettre en place au niveau national sur la question des services d’urgence en difficulté. Nous nous réunissons environ une fois par mois depuis début mars pour mettre en lien les syndicats, pour que personne ne reste isolé dans son coin. Nous avons pu entre autres réfléchir à des stratégies communes, mettre à disposition des modèles de cahiers revendicatifs locaux pour aller au contact des personnels, des préavis de grève, préparer collectivement la journée de mobilisation du 7 juin et permettre qu’elle soit largement médiatisée, partager des outils pour saisir le procureur de la république pour dénoncer la mise en danger des personnels, des patients et la responsabilité du gouvernement, diffuser des modèles d’alerte au président de la république et au ministre de la santé, des communiqués, des tracts…
5) Que faut-il attendre du nouveau ministre de la santé ?
Nous n’attendons rien du ministre Braun !
Il y a eu le rapport de la mission flash de François Braun. Quelques jours après, il a été nommé ministre de la santé pour appliquer ses mesures avec une volonté, non pas d’améliorer la situation des hôpitaux, mais celle de changer de système.
La volonté du ministère est surtout d’avancer très vite. On nous a annoncé des mesures temporaires pour l’été, mais on a rapidement ressenti leur volonté de les pérenniser au delà de cette période. Il parle de « boîte à outils », mais cela allait bien au delà ! Il s’agit d’un changement de système !
Ils saisissent l’occasion de la crise des urgences pour accélérer la transformation du système de santé avec un hôpital public devenant progressivement une solution de dernier recours au bénéfice de structures et d’acteurs privés de premier recours bénéficiant des équipements médicaux et des outils numériques.
Pour faciliter leur projet, ils ont mis en place tout l’été, une campagne honteuse, culpabilisante, dangereuse qui dit aux patients : ne venez plus, n’espérez plus être accueillis et soignés à l’hôpital sans passer par le 15 !
A l’hôpital d’Antibes, la direction communique avec un slogan scandaleux : « Profiter de la plage à Juans-les-Pins… plutôt que de venir aux urgences pour un pépin ! »
A l’hôpital de Saint Nazaire, la direction communique sur une affiche en expliquant : « préférez un bain de foule à la plage… plutôt qu’aux urgences de l’hôpital ! ». Juste en dessous, elle a placé la photo d’un couloir rempli de patients sur des brancards, à n’en plus finir. Pour rappel, cette photo avait été prise par un soignant au CHU de Rennes, et il avait été sanctionné par sa direction pour avoir diffusé cette photo. Et là, le directeur du CH de Saint Nazaire l’utilise pour dissuader les gens de venir aux urgences. Quel cynisme extraordinaire !
Il ne faut surtout pas accepter la banalisation de ce discours qui renverrait vers les patients la responsabilité de la saturation actuelle des établissements et du système de santé ! Il faut bien rappeler un chiffre : 12% de la population n’a pas de médecin traitant !
De plus, les effets du tri des patients par appel systématique du 15 provoquent un engorgement sans précédent des Samu, les délais d’attentes pour avoir l’avis d’un médecin s’allongent de plusieurs heures. Les Assistants de Régulation Médicale, pas assez nombreux, pas assez formés, se retrouvent submergés d’appels, au risque d’une perte de chance réelle pour les patients.
Enfin dans le cadre du volet Santé du Conseil National de la Refondation et dans celui également du PLFSS 2023, le ministre souhaite pérenniser et généraliser les mesures qui ont restreint l’accès à l’hôpital cet été, et qui aboutissent aujourd’hui à une désorganisation sans précédent de tout notre système de santé.
6) Que faire face à un ministre qui est dans le déni et qui met en place une propagande avec une autre réalité ?
Le mieux c’est de rester sur le factuel, de se focaliser sur le concret, sur la réalité de terrain en étant le plus précis possible, en le mettant devant ses contradictions. C’est ce que nous avons fait les 4 et 30 août en mettant en avant des exemples concrets et en lui demandant ce qu’il compte faire sur l’alerte des personnels du CH de Cadillac, sur celle du CH de Laval etc… Il était très mal à l’aise !
Nous avons aussi réitéré le 30 août, lors de la réunion visio avec le ministre la nécessité d’ouvrir des négociations sans plus attendre !
Il doit répondre en urgence aux revendications immédiates des personnels !
Il doit titulariser les 250 000 agents et médecins contractuels de la fonction publique , réintégrer les suspendus, revaloriser les indemnités de nuit, week-end et jour férié, augmenter le point d’indice de 20% !
Il doit mettre en œuvre un grand plan de formation et d’embauches massives ! Et il doit garantir à chaque citoyen un libre accès à l’hôpital public 24h/24, 365 jours/365 !
Et comme l’ont affirmé unanimement les 500 délégués du congrès de notre fédération à St Malo, le préalable pour une vraie négociation est la réintégration de nos collègues suspendus !
Maintenant, il nous faut changer de braquet ! Le Comité National Fédéral (CNF) des 8 et 9 septembre a été clair : nous n’irons plus aux prochaines réunions du comité de suivi de la mission flash, et surtout nous ne participerons pas aux réunions du volet santé du « CNR » de Macron !
Il nous faut continuer à construire le rapport de force, car ce n’est pas en dialoguant avec eux qu’on fera avancer positivement les choses !
7) Quelles sont les perspectives pour la suite ?
Avec le travail du groupe urgences que nous menons depuis début mars, nous avons chercher à donner des outils communs qui rassembleraient la contestation des syndicats. Au sein de notre fédération, un groupe « Processus de lutte » vient de se mettre en place, peut être pourrait il jouer ce rôle là de manière plus globale pour gagner des perspectives de construction en commun pour que les différents établissements se mettent en mouvement, en lien également avec les autres professions et les autres organisations. Car c’est au travers d’un mouvement massif et puissant qu’on les fera plier et qu’on gagnera sur nos revendications !
Dans l’agenda revendicatif, il y a deux dates de mobilisation nationale prochainement : le 22 septembre sur la santé et le 29 septembre sur les salaires. Bien entendu qu’il faudra déposer des préavis de grève et se mobiliser massivement !
Sachant que ce qui compte, ce n’est pas la date, ce n’est pas l’heure, ce n’est pas le lieu… Ce qui est important c’est le travail en amont, le travail de préparation déterminé et acharné pour réussir une mobilisation. Pour que ce jour-là tous les journaux en parle, pour que ce jour là le ministère soit obligé de nous recevoir, pour que ce jour là le ministère soit obligé de nous répondre, pour que ce jour là les travailleurs qui subissent se disent « on embraye sur un mouvement dur ! ».
Et c’est tout ce travail de fourmi, tout ce travail de tous les jours avant que la date soit posée, qui est le plus important. Ce n’est pas la date, ce n’est pas le tract fédéral, ce n’est pas le parcours le plus important.
Oui, c’est ce travail de préparation, de recensement, de mise en lien, de construction du cahier revendicatif, d’élargissement pour créer le maximum de synergies convergentes, pour que le jour où est décidée une date, nous soyons tous prêts !
Aujourd’hui, il y a l’augmentation des prix qui devient complètement dingue, il y a la crise énergétique avec une augmentation des prix complètement délirante qui poussent des dizaines d’entreprise à mettre des centaines de gens au chômage partiel et arrêter leur production, il y a la continuation de la guerre, on a une situation complètement incertaine à l’assemblée nationale avec une crise politique importante…
Il y a énormément de cantines des écoles qui sont fermées !
Les services hospitaliers continuent de fermer ! Les conditions de travail se dégradent fortement ! L’absentéisme s’accroit !
Les démissions de personnels se multiplient !
Comment tout ça va tourner ? On n’en sait rien !
Mais par contre, il y a au moins une certitude, c’est que dans cette situation, on a un rôle déterminant à jouer pour faire en sorte qu’on se mette sur des bases pour faire en sorte d’aider les travailleurs et la population à s’en sortir. Et donc, sur la base de l’action pratique et sur la base d’une réelle rupture !
Dans ce contexte, n’importe quel incident peut survenir…
En Angleterre, on nous a expliqué pendant des décennies que Tchatcher avait complètement liquidé le mouvement ouvrier, que la lutte des classes n’existait plus. Eh bien, les faits viennent de démontrer tout l’inverse !
Les travailleurs sont en grève massive, comme ils n’en n’avaient plus vu depuis 30 ans, pour exiger une augmentation conséquente des salaires (les soignants exigent une augmentation de 15%). C’est la question de la grève générale qui est posée aujourd’hui pour faire plier le gouvernement et le patronat de leur pays.
La Grande Bretagne est en avance sur la hausse de l’inflation par rapport à d’autres pays européens, mais la situation va s’aggraver pour tout le monde dans les prochains mois. A nous d’être réactif et de répondre présent quand il le faudra !