Source: Véronique Soulé, journaliste à Libération.
Xavier Darcos les avait en horreur. Des enseignants qui refusent d’obéir et d’appliquer ses réformes … Ils devaient être punis ! Juste avant son départ, deux des « désobéisseurs » les plus connus ont reçu leur convocation pour passer devant une commission de discipline. Luc Chatel suivra-t-il ? Voilà en tout cas une nouvelle épine dans le pied du successeur de Darcos. Alain Refalo, instituteur à l’école Jules-Ferry de Colomiers, près de Toulouse (Haute Garonne), devra se présenter le 9 juillet devant la commission mixte paritaire – composée pour moitié de représentants des syndicats et pour l’autre de ceux de l’administration – de son académie.
Quatre « charges » ont été retenues contre lui – refus d’obéir, manque au devoir de réserve, invitation à la désobéissance, attaque publique contre un fonctionnaire de la République. Déjà puni par 14 jours de retrait de salaire, il risque des sanctions autrement plus graves, de catégorie 2 ou 3 – suspension allant jusqu’à un an, mutation, rétrogradation, etc.
Son « crime » ? Il a refusé d’appliquer les deux heures hebdomadaires d’aide individualisée instaurées par Xavier Darcos pour les élèves en difficultés. Alain Refalo estime qu’il n’est pas formé pour cela, et qu’il ferait fatalement moins bien que les Rased – ces maîtres spécialisés dont on supprime justement les postes. Au lieu de cela, durant ces deux heures, il a pris ses 24 élèves de CM1 en demi groupe pour un atelier théâtre.
Autre délit, Alain Refalo refuse d’appliquer les nouveaux programmes du primaire revus par Darcos. En désaccord avec la « forme », davantage de par coeur et de récitation. Mais son crime le plus grave est sans doute d’être un « meneur ». Il est le premier enseignant à s’être déclaré en « résistance pédagogique ». Le 6 novembre 2008, il a publié la lettre qu’il avait adressée à son inspecteur de circonscription.
« Aujourd’hui en conscience, je ne puis plus me taire ! En conscience, je refuse d’obéir », écrit-il. « Depuis un an, au nom des indispensables réformes, un processus négatif de déconstruction de l’Education nationale s’est engagé, qui désespère de plus en plus d’enseignants (…). L’objet de ma lettre est de vous informer que je ne participerai pas à ce démantèlement ».
Ainsi est né le mouvement de résistance pédagogique qui s’est constitué en réseau via internet. A ce jour, quelque 3000 enseignants « désobéisseurs » ont signé une lettre individuelle ou collective où ils affirment ouvertement refuser de mettre en place l’aide individualisée telle qu’elle est prescrite par le ministère, de faire passer les évaluations de CE1 et CM2 ou encore – pour les directeurs d’écoles – à remplir le questionnaire Base élèves.
Erwan Redon est lui aussi un « désobéisseur », déjà puni par une retenue de 32 jours de salaire. Enseignant à l’école des Convalescents, dans le premier arrondissement de Marseille, il a été convoqué le 7 juillet. Lui risque plus gros encore: la révocation. Car il devra répondre d' »insuffisance professionnelle ».
Militant Freinet, très actif aussi dans le Réseau Education Sans Frontière (RESF), il refuse d’appliquer l’aide individualisée – à sa place, il a eu l’impudence d’organiser des ateliers le midi … – ainsi que les évaluations de CM2. Mais ce qui lui serait surtout reproché, c’est son refus d’être inspecté. Ou plus exactement de signer les rapports des inspecteurs qui viennent dans sa classe – cela, il ne peut s’y opposer.
Dans les deux cas, la solidarité s’organise. Des manifestations de soutien sont prévues. Hubert Montagner, Philippe Meirieu, Stephane Hessel, se sont engagés en leur faveur. Les syndicats, pourtant mis en cause par ces nouveaux militants très critiques des modes d’action traditionnels, ont lancé une pétition .
Nous avons « pris à contre pied à la fois la hiérarchie et les syndicats », écrit le mouvement sur son site, dressant un premier bilan le 29 juin. »L’idée forte que nous avons réussi à faire passer est que le fonctionnaire enseignant a, au nom de sa conscience et de sa raison, le devoir de ne pas obéir inconditionnellement aux ordres, aux lois, aux décrets et aux dispositifs pédagogiques qu’il juge contraires à son éthique et ses convictions. » Les résistants citent plus loin Martin Luther King et son idée de « contestation créatrice ».
La balle est maintenant dans le camp du ministre-porte parole du gouvernement.
Crédit photo: Reuters pour la manifestation appelée par les syndicats, novembre 2008 à Paris.