C’était la seule annonce significative d’Elisabeth Borne lors de son discours de politique générale il y a une semaine. La soi-disant renationalisation d’EDF. D’abord observons que cette annonce intervient alors que personne ne peut plus cacher à quel niveau total de destruction du secteur de l’énergie 30 ans de libéralisation et privatisation imposées par l’Union Européenne et ses directives du paquet énergie ont mené. D’exportatrice d’électricité, la France est devenue importatrice. D’un kwh de l’électricité ou du gaz au prix maitrisé au cœur de la compétitivité productive d’un grand pays industriel, nous sommes passés à la spéculation, la flambée des prix, et surtout la pénurie. C’est bien dans ce contexte, aggravé par la politique guerrière contre la Russie et plus largement les BRICS menée par l’Union Européenne aux ordres des USA et de l’OTAN , que doit être entendue cette annonce. Cela n’enlève rien au fait qu’elle donne raison à ceux qui comme les syndicalistes de classe de la CGT EDF GDF, comme les communistes du PRCF, n’ont eu de cesse d’alerter puis de dénoncer la destruction à laquelle la découpe du service public de l’énergie EDF-GDF, fruit des nationalisations de la Libération conduites par les communistes et la CGT. Et dans cette droite ligne propose la re-nationalisation complète dans un monopole public de l’énergie d’EDF-GDF.
Bien évidemment ce n’est pas cette politique qui est lancée par Borne. D’une part une nationalisation est en réalité interdite par Bruxelles, d’autre part, il ne s’agit pas ici d’une nationalisation mais d’un simple rachat d’actions. Ce qui est très différent.
Pour bien expliquer ce qui se trame, Cédric Liechti, responsable de la CGT Énergie Paris, a répondu à quelques unes de nos questions
Initiative Communiste : Elisabeth Borne essaie de se donner une image « de gauche » en annonçant une forme de « renationalisation » d’EDF. Qu’en est-il en réalité?
Cédric Liechti : Il ne s’agit en rien mais alors en rien d’une renationalisation d’EDF.
Il s’agit d’une pure capitalisation entreprise avec les impôts des Français afin de renflouer les caisses de l’entreprise publique dont l’endettement abyssal est exclusivement lié à la privatisation du marché de l’électricité.
D’une part, le statut de l’entreprise ne change absolument pas et EDF va rester une Société Anonyme comme l’exige l’UE alors qu’une nationalisation imposerait la création d’un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial).
D’autre part, la concurrence non libre et totalement faussée va continuer à faire rage sur le marché de l’électricité et du gaz, contre l’intérêt des usagers et de notre nation, mais dans le total intérêt du capital européen.
En effet cette pseudo nationalisation est en réalité faite pour sauver le système de concurrence sur le marché de l’énergie, les entreprises privées alternatives et non pas EDF.
Il faut bien comprendre aujourd’hui que la concurrence n’est possible que par l’existence de l’entreprise publique EDF.
Les entreprises privées qui sévissent sur le marché juteux de l’électricité et du gaz, et qui rançonnent les usagers devenus clients, ne doivent leur existence et leur survie que grâce à EDF et l’ex-GDF devenu Engie.
En effet, aucun opérateur privé ne produit de l’énergie, c’est donc grâce à la production publique d’électricité d’EDF et notamment de ses centrales nucléaires, que ses concurrents privés peuvent vendre du KWH qui ne leur appartient pas.
C’est dans ce cadre que l’UE a fait voter la loi NOME en France en 2010.
Cette loi impose à EDF de céder à un prix dérisoire, 25% de sa production aux concurrents privés, qui eux la revendent en y appliquant leur marge pour des usagers devenus clients et vaches à lait du système capitaliste.
Dernièrement, le gouvernement Macron a même augmenté cette capacité de cession d’électricité d’EDF à ses concurrents pour maintenir artificiellement le marché de la concurrence dans l’énergie.
S’il n’y a pas d’opérateur public d’électricité pour alimenter les opérateurs privés, le système de concurrence dans l’énergie s’écroule, c’est aussi simple que ça.
Mais cela à une autre conséquence pour nos concitoyens.
Alors même que les kwh produits l’ont été en partie grâce à leurs impôts, on leur fait repayer avec des marges colossales via leur contrat d’abonnement dans le cadre des tarifs dérégulés.
On applique donc à toute la population le principe de la double peine et ce système est responsable de la précarité énergétique qui touche aujourd’hui 13 millions de Français.
Cette recapitalisation d’EDF est donc indispensable à la survie du marché et c’est bien dans cet unique but que le gouvernement Macron l’entreprend.
Initiative Communiste : Quelle est à la situation économique et technique réelle de la grande entreprise nationale fondée par Marcel Paul et désossée/privatisée par les gouvernements maastrichtiens successifs au nom de l’ « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » qui définit l’UE depuis Maastricht ?
Cédric Liechti : La situation économique d’EDF est catastrophique aujourd’hui.
Tout d’abord je tiens à rappeler, que depuis la loi de nationalisation de 1946 voulu par le CNR et portée par le grand Marcel Paul, et jusqu’en 2004 année de l’ouverture à la concurrence imposée par les traités européens, EDF et GDF proposaient des prix du gaz et de l’électricité régulés qui étaient les moins chers d’Europe.
Par ailleurs, pendant ces 58 années, EDF GDF étaient 2 entreprises qui représentaient une totale réussite industrielle, économique et sociale.
C’est donc bien le processus de privatisation du marché de l’énergie qui a provoqué la ruine de l’opérateur public et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, une partie de la réponse est liée directement à la question précédente.
EDF devant livrer une partie de sa production à la concurrence, l’entreprise perd énormément d’argent dans ce processus, un peu plus de 8 milliards d’euros par an selon les derniers chiffres.
D’un point de vue économique, cela revient d’ailleurs à faire travailler 33% des agents EDF pour la concurrence.
Imaginez que demain par exemple, Nike doive céder 25% de sa production de chaussures à Adidas, même le plus chevronné des capitalistes ne l’accepterait pas, c’est pourtant ce qui se passe depuis presque 15 ans dans l’énergie.
Par ailleurs, et la privatisation du marché a été faite exclusivement pour ça, chaque année les grands actionnaires privés pillent les caisses d’EDF et de l’ex GDF-Engie, mettant en péril leur équilibre financier.
Lors des 10 dernières années, ce sont 66 milliards d’euros qui sont allés dans les poches des actionnaires, au détriment, des agents, de l’investissement financier dans la sécurisation des réseaux, de la maîtrise des prix de vente du kwh et donc de l’intérêt des usagers.
Pour conclure sur cette question, à l’époque d’EDF GDF, nos 2 entreprises étaient intégrées.
C’est-à-dire que la production, le transport, la distribution et l’acheminement de l’électricité et du gaz aux usagers étaient regroupés au sein d’EDF pour l’électricité et de GDF pour le gaz, ce qui permettait d’équilibrer les comptes puisque les activités les plus coûteuses qui demandent d’énormes investissements comme la production et le transport par exemple, étaient compensées par la distribution et l’acheminement qui elles rapportent de l’argent.
Aujourd’hui, on a démantelé les entreprises en séparant chaque entité et en les isolant les unes des autres dans différentes entreprises.
Outre l’ineptie industrielle que cela représente, chaque secteur étant dépendant et connecté aux autres, on fabrique inévitablement un endettement des parties les moins « rentables ».
Et c’est d’ailleurs pour ça que nous sommes persuadés qu’au travers de l’annonce de renationalisation d’Elisabeth Borne, le gouvernement va tenter de démanteler EDF et de remettre au goût du jour, sous un autre nom, le projet Hercule que les agents ont réussi à contrer grâce à une mobilisation de presque 2 ans.
Initiative Communiste : Alors que, dans le cadre de la marche à l' »État fédéral européen » voulu par Scholz, le grand capital attend de Macron qu’il fasse table rase des acquis de la Libération, comment fédérer dans un mouvement d’ensemble la défense des retraites, du produire en France, des services publics et du pouvoir d’achat populaire?
Cédric Liechti : La réponse est simple et elle demande juste un positionnement politique clair et une volonté inébranlable de l’articuler dans la lutte.
À l’heure où j’écris ces lignes, partout en France, en Europe et dans le monde fleurissent des luttes de masses et de classes pour l’augmentation des salaires, contre la vie chère et disons-le contre le capitalisme et ce qu’il porte.
Le rapport de force est donc en faveur de notre camp, et particulièrement en France, où le président est le plus mal élu de la 5ème république et ne bénéficie donc que d’une assise politique très fragile.
À l’heure où les différents impérialismes et particulièrement celui porté par l’OTAN a amené la guerre en Europe, la responsabilité des organisations syndicales et politiques dites de classe ou de gauche est immense et historique.
Notre syndicat est donc un farouche partisan d’un vrai plan de lutte de classe et de masse pour les prochains mois, avec la mise en perspective d’une grève générale issue de la confédération de tous les secteurs en lutte, et ils sont nombreux, afin d’aboutir à une augmentation générale des salaires en France, qui ouvrirait nécessairement des perspectives immenses au camp des travailleurs pouvant aboutir à un changement radical de société.
Et soyons direct, ce n’est absolument pas le positionnement de la direction confédérale de la CGT ni des partis dits de gauche.
C’est pourquoi nous devons pousser partout dans le pays pour créer un véritable rapport de force à la hauteur des enjeux.
Le capitalisme n’a jamais été autant décrié en Occident et partout dans le monde, aidons-le, par nos combats et notre détermination à tomber.
Prenons la faucille et fauchons le capital, frappons avec le marteau pour planter nos idées.