Alors que dans les universités et centres de recherche les chercheurs et étudiants se mobilisent contre la réforme des retraites et la loi de programmation pour la recherche, Gérard Tollet, l’un des responsables nationaux du SNESUP a accepté de répondre aux questions d’Initiative Communiste.
Initiative Communiste : merci de te présenter professionnellement et syndicalement en quelques mots.
Gérard Tollet , enseignant d’électronique/électrotechnique à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC), secrétaire de section locale et membre du Bureau National du SNESUP (Syndicat National de l’Enseignement SUPérieur).
Initiative Communiste : De nombreuses structures universitaires se mettent en grève et engagent une multitude d’actions en ce moment. Les motivations du mouvement se limitent-elles au rejet de la contre-réforme des retraites ?
Gérard Tollet : À l’UPEC, nous avons commencé à informer les collègues du contenu régressif du projet de retraites par points dès le 24 septembre 2019 et sommes en grève depuis le 5 décembre. Entre une et deux assemblées générales se tiennent par semaine pour faire le point du mouvement, de la position du gouvernement, poursuivre et affiner l’analyse du projet et prolonger la grève jusqu’à présent. Dans notre université, nous n’avons pas pris le train en marche, même si encore trop de collègues restent spectateurs tout en comprenant et en soutenant le mouvement (nous aurions gain de cause depuis longtemps s’ils entraient clairement dans l’action). Les multiples AG ont permis de réfléchir aussi sur l’évolution de la politique universitaire suivie par les gouvernements successifs depuis la loi de 2007 notamment (LRU) et les projets actuels.
Mais le mouvement est inégal : dans d’autres universités, la grève a démarré aussi dès le début, dans d’autres, elle a été plus ponctuelle, rythmée par les grandes manifestations. Cependant, depuis la publication de trois rapports sur l’Université commandés par le ministère de l’Enseignement supérieur et la prise de conscience de l’approche d’une Nième réforme régressive pour la recherche (financement de plus en plus conditionné aux appels à projets chronophages et permettant au ministère d’orienter les axes de recherche au détriment de la liberté académique ; pression sur les collègues, les structures, via l’évaluation récurrente mais aberrante en matière de recherche ; attaques sur les statuts des enseignants-chercheurs…), le mouvement s’étend légitimement aux questions universitaires, surtout là où le syndicat est bien structuré. Cela pose donc la question de notre implantation locale, de la revitalisation de nos sections d’établissements, mais aussi de notre combativité nationale. Sur ces points, des choses doivent être améliorées et un collectif syndical « AGIR ! » se bat en se sens depuis plusieurs mois à l’intérieur du SNESUP.
À noter que la radicalisation du pouvoir, pour ne pas dire son extrémisme, et son mépris de l’avis majoritaire des salariés et des citoyens, sont des éléments qui doivent être rappelés régulièrement et qui doivent interpeller au plus au point les intellectuels que nous sommes, avec les graves dangers que représente cette attitude pour la démocratie !
IC : Quels sont, à ta connaissance, l’état et la tendance de la mobilisation à l’Université et dans la Recherche ?
Gérard Tollet : Il y a encore bien des forces à mettre en mouvement et donc en réserve… Mais après parcoursup et l’instauration de la sélection (sociale…) à l’entrée à l’Université et en Master, après la hausse scandaleuse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers non communautaires, les projets gouvernementaux actuels sont bien partis pour mettre le feu aux poudres et ceci, malgré les annonces largement insuffisantes et catégorielles de « revalorisation des carrières » des jeunes Maîtres de Conférences (à mettre au compte de ce mouvement de grève historique, soit dit en passant) ! Tous (y compris et surtout le gouvernement) ont en tête le mouvement exceptionnel de 2009 lorsque le statut des enseignants-chercheurs avait été attaqué. Tous comprennent que ces annonces ont pour but de diviser et de calmer les esprits qui s’échauffent… Mais nous ne marchanderons pas nos retraites et celles des jeunes générations contre ces mini revalorisations, la perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires dépassant les 25 % en 30 ans de dégradation de la valeur du point d’indice de rémunération !
À noter que nous recensons depuis peu une remontée non négligeable de motions et d’appels à la grève, à manifester, mais depuis le terrain (labos, départements, UFR), signe peut-être d’une volonté des collègues de mieux maîtriser le mouvement et l’expression.
I.C. : Les universitaires en lutte ont-ils des liens avec les autres secteurs en lutte, dans l’Éducation nationale (lutte contre les E3C dans les lycées) et les autres services publics notamment ? N’est-il pas dommage que le mouvement universitaire démarre en grand au moment où la grève ferroviaire cesse ou du moins, cherche un second souffle ?
Gérard Tollet :
Les liens avec les autres secteurs en lutte sont très disparates, dépendent de l’activité et du contexte local. Ils existent tout en étant insuffisants, bien que la solidarité financière ait été souvent exprimée concrètement. Il est cependant évident que la FSU ne remplit pas correctement son rôle pour lier et proposer des revendications (primaire/secondaire/supérieur) pour un service public bien plus ambitieux pour les jeunes, ceci face à la politique éducative des gouvernements successifs (baccalauréat local et remise en cause des diplômes nationaux, amoindrissement du contenu des programmes, pression du MEDEF pour l’apprentissage et les stages, réduction des volumes d’enseignement, sabotage du DUT, etc).
Quant au retard au démarrage, il n’est pas général, je le répète. On peut certes le regretter dans certains établissements mais ce peut-être aussi une chance à saisir qui rebondir et prolonger le mouvement jusqu’à la victoire ! C’est ce à quoi il faut tous nous employer.
I.C. : Les collègues et les étudiants en lutte font-ils le lien entre le démontage des conquêtes de la Libération (retraites par répartition, statuts, services publics, Sécu, code du travail…) et la marche vers une Europe néolibérale intégrée à la mondialisation financière ?
Gérard Tollet : L’analyse du projet de retraites à points oblige dans nos AG (les premières surtout mais nous insistons toujours) à faire le rappel historique sur notre système actuel fondé sur la solidarité et à but non lucratif. L’autre système par capitalisation, individuel, inégalitaire, incertain, est très bien compris, tout comme le choix de société qu’il sous-tend. C’est là qu’est aussi l’intérêt pédagogique du mouvement qui permet de mieux comprendre pour qui travaillent ce gouvernement et les précédents depuis des années (voir le révélateur rapport Blackrock sur la loi « Pacte »)… Dans le même esprit, la manœuvre MACRON/BERGER qui a fait « pschitt » est indispensable à analyser afin de se prémunir de prochains comportements politiciens…