Issue de la Résistance, l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) a l’immense courage, en cette sombre période marquée par l’insupportable « deux poids deux mesures » occidental et par le manichéisme grossier des médias accompagnant la destruction méthodique de Gaza (combien de milliers d’enfants tués, déjà?), de faire entendre sa voix dissonante malgré la répression d’Etat dont elle est l’objet. Partout dans le monde, et y compris en Israël,
Tout internationaliste, tout antiraciste, tout antifasciste défendant la liberté d’expression, se fait donc un devoir de donner la parole en toute liberté à ses valeureux dirigeants :
Entretien réalisé à Bordeaux le 14 octobre 2023
Initiative Communiste : Pouvez-vous vous présentez brièvement à nos lecteurs ?
André Rosevègue : Je suis membre de la coordination nationale de l’Union Juive Française pour la paix (UJFP) et porte parole pour la région Nouvelle Aquitaine.
L’UJFP est née en 1994. Organisation juive laïque et anticolonialiste, est membre de la Plateforme des ONG pour la Palestine, membre du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et israéliens, membre de la campagne Boycott-Désinvestissements- Sanctions, (BDS) tant que Israël ne respectera pas le droit international. Luttant contre toutes les formes de racisme, elle affirme que l’antisionisme ne peut en rien être assimilé à un antisémitisme, et j’ai envie de dire, au contraire.
Initiative Communiste : Samedi 7 octobre l’UJFP faisait un communiqué (lire ici) qui pointait très clairement la responsabilité de l’Etat israélien dans la spirale de violence sans précédents entre Gaza et les territoires occupés suite à l’offensive des différentes organisations de résistance armée palestiniennes, quel bilan peut-on dresser maintenant ? La situation peut-elle dégénérer au point d’une guerre régionale ?
André Rosevègue : Aujourd’hui 14 octobre, le gouvernement israélien poursuit ses bombardements sur la Bande de Gaza, dans une logique de vengeance bien évidemment totalement contraire au droit international, au droit humanitaire international, et à une simple humanité. En aucun cas les massacres de civils israéliens, qui visent à terroriser la population israélienne et sont des crimes de guerre à dénoncer comme tels, ne peuvent justifier des bombardements, voire une attaque au sol de l’armée israélienne, contre une population que cyniquement on invite à fuir quand sa fuite est impossible.
Aujourd’hui, c’est la poursuite des bombardements sur Gaza qui fait craindre une extension de la guerre. L’action combinée des organisations palestiniennes de Gaza samedi dernier a mis à l’ordre du jour une question palestinienne que bien des Etats, y compris au Moyen Orient, voulait croire enterrée. Il semble que plusieurs dictatures et féodalités arabes se rendent compte que passer des accords avec Israël en s’essuyant les pieds sur le peuple palestinien n’est peut-être pas la solution.
A lire : les communiqués de l’UJFP
Initiative Communiste : Comment l’UFJP interprète les conséquences de l’alignement sans précédent du régime d’Emmanuel Macron sur la narrative du camp pro-Israël ?
André Rosevègue : Cet alignement apparaît sans précédent à celles et ceux qui ne voulaient pas le voir. Cela fait des années que les Présidents et gouvernements successifs affirment leur soutien à Israël. A chaque vague de bombardements sur Gaza, les gouvernements en appellent à la retenue mais répètent sempiternellement que « Israël a droit à la sécurité » sans constater que ce sont les Palestiniens qui n’en bénéficient d’aucune. Ce qui est peut-être sans précédent, c’est la violence des colons qui commettent des pogroms sur des villages comme Huwara avec l’encouragement de ministres ouvertement racistes et suprémacistes et la protection de l’armée.
Ce qui sans précédent, c’est une Présidente macroniste de l’Assemblée nationale qui refuse d’associer les victimes civiles palestiniennes à la minute de silence.
Mais la France n’a jamais demandé la suspension de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne, qui font d’Israël un quasi membre de l’UE sur le plan économique. La France n’a jamais arrêté sa coopération militaire avec Israël. La France continue de maintenir en prison Georges Ibrahim Abdallah qui va entamer dans quelques jours sa 40° année de détention, les gouvernements refusant de signer l’arrêté d’expulsion qui permettrait que soit exécuté sa libération décidée à deux reprises par les juges.
Car pour la France comme pour les Etats Unis, Israël est un membre à part entière de la coalition impérialiste occidentale, un coin de cette coalition fiché au cœur du Moyen Orient.
Initiative Communiste : L’UJFP conteste la prétention du CRIF d’assimiler « juif » et « sioniste », pouvez-vous expliquer pourquoi ? Pourquoi est-il dangereux d’amalgamer antisémitisme et antisionisme ?
André Rosevègue : Dire que l’antisionisme est une forme d’antisémitisme relève de l’ignorance ou de la manipulation.
Certes, l’expression de l’antisémitisme étant en France un délit, les antisémites, et il y en a, se cachent souvent en antisionistes. Mais qui veut bien regarder les discours déjouent facilement le procédé.
Comme c’est le titre du livre que nous venons de faire paraître et que nous vous conseillons*, l’antisionisme est d’abord une idée juive !, l’idée que face à l’antisémitisme le fait de vouloir créer la chimère d’un Etat ethniquement pur est une impasse. Et ce n’est pas en colonisant une terre qui n’a jamais été sans peuple que l’on résout la question.
Aujourd’hui, le Conseil qui se prétend représentatif des Juifs de France s’est transformé en officine de l’État d’Israël, pour qui l’accusation d’antisémitisme s’étend à tous ceux qui dénoncent la politique de colonisation, d’apartheid, d’épuration ethnique menée par les gouvernements israéliens.
L’antisémitisme n’est pas né avec la création de l’État d’Israël, mais le colonialisme sioniste qui prétend agir au nom des Juifs du monde entier est un puissant ferment d’antisémitisme qu’il nous faut combattre.
Initiative Communiste : Comment réagit l’UFJP face aux prétentions d’interdiction de partis de gauche tels que la FI ou le NPA ?
André Rosevègue : La manœuvre politique voulant ostraciser toutes les organisations qui ne s’alignent pas sur le consensus pro-israélien. Elle confine au ridicule quand elle s’attaque à une organisation telle que la France Insoumise qui n’oublie jamais de se référer au droit d’Israël à se défendre.
En s’alignant sur la position israélienne, le gouvernement et le Président font perdre à la France la possibilité de jouer un quelconque rôle pour la paix, cela pour une misérable opération de politique intérieure.
Initiative Communiste : L’UJFP a-t-elle-même était la cible de provocations ou de menaces similaires ?
André Rosevègue : A l’heure où je vous réponds, nous sommes directement concernés par l’interdiction de toute manifestation de solidarité avec le peuple palestinien, et des camarades ont été mis en garde à vue pour avoir appelé à des rassemblements pacifiques pour dire « Halte aux massacres ». On en est là avec la politique dont Gérald Darmanin a la charge.
Initiative Communiste : Quelles sont les priorités du mouvement de solidarité avec la Palestine ? Quelles solutions potentielles voyez-vous au conflit ?
André Rosevègue : A cette heure, nous voyons bien qu’il n’y a pas de solution immédiate pour une paix juste et durable. Il n’y aura pas de paix possible pour une communauté juive dans cette région du monde sans la reconnaissance pleine et entière de l’égalité des droits, droit au retour des réfugiés compris : c’est pour cela que nous pensons que parler de deux Etats sans autres précisions nous semble »hors sol »;
Pour nous, les priorités du mouvement de solidarité avec la Palestine en France sont d’abord de lutter pour un changement de la politique menée par nos propres gouvernants : c’est la suspension de l’accord d’association entre l’UE et Israël, c’est l’arrêt de la coopération militaire, c’est la libération de Georges I. Abdallah, et c’est le sens de la campagne BDS.**
C’est aussi la participation concrète à la solidarité matérielle avec le peuple palestinien, et toutes les activités d’information sur ses multiples formes de résistance.
* Antisionisme, une histoire juive, Editions Syllepse, 2023, 368 p., 23 euros. ** cf le site UJFP.org
Frappes sur Gaza : « Vous n’aurez pas le silence des juifs de France »
Un collectif de 85 personnalités juives dénonce l’opération militaire en cours à Gaza et l’instrumentalisation de l’émotion légitime suscitée par les attaques du 7 octobre.
’ONU annonce un possible nettoyage ethnique dans la bande Gaza. En tant que juifs et juives, nous sommes horrifié·es par les violations du droit international que l’Etat d’Israël mène à Gaza en toute impunité et nous refusons que ce massacre ait lieu en notre nom.
Nous comprenons et partageons la douleur et la peur ressenties par de nombreux·ses juif·ves de France suite aux crimes de guerre du Hamas. La majorité d’entre nous a de la famille en Israël, et nous souhaitons exprimer toute notre compassion aux familles des victimes des massacres du 7 octobre.
Mais cette douleur ne saurait justifier un nettoyage ethnique à Gaza. La poursuite de la guerre et de l’occupation n’amènera ni la paix, ni le retour des otages.
Gaza subit une crise humanitaire sans précédent. Suite aux attaques du 7 octobre, faisant 1 400 morts israéliens et au moins 4 600 blessés, Israël a imposé un siège total de la bande de Gaza, une forme de punition collective contraire au droit international. 200 Israélien·nes demeurent pris·es en otage à Gaza, et leur sort importe moins au gouvernement israélien que l’écrasement des Palestinien·nes.
Deux millions de Gazaouis se trouvent privé·es d’eau, de nourriture, et d’électricité. Des organisations de défense des droits humains ont documenté l’utilisation de phosphore blanc. Des hôpitaux, mais aussi des lieux de culte où se réfugient des Gazaouis, ont été bombardés.
A l’heure où nous écrivons, au moins 8 000 Palestinien·nes y ont été tué·es, dont près de 3 000 enfants. La répression à l’égard des Palestinien·nes en Cisjordanie s’est également intensifiée ces deux dernières semaines, avec plus de 100 personnes tué·es par des colons ou l’armée israélienne. Plus de 13 000 Gazaouis ont été blessé·es par les frappes aériennes israéliennes et plus d’un million de personnes déplacées.
Nous demandons un cessez-le-feu immédiat et la fin de l’impunité israélienne. Il est urgent d’amener le gouvernement israélien à cesser sa campagne de bombardements et de l’empêcher d’entamer une offensive terrestre qui risquerait de déclencher un embrasement régional.
Cette violence punitive et ces crimes de guerre ont été annoncés par les officiels du gouvernement israélien par le biais de déclarations déshumanisantes et sont soutenus par nos dirigeant·es en France. Nous rejoignons nos frères et sœurs juif·ves aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Israël et ailleurs, qui ont dénoncé le soutien inconditionnel de leurs gouvernements à l’offensive israélienne contre Gaza, et nous rappelons que l’expression de la solidarité avec le peuple palestinien en tant que peuple opprimé est un droit et une liberté politique.
En affirmant de manière inconditionnelle le droit d’Israël à se défendre, et en votant contre une résolution de l’ONU appelant à un cessez-le-feu, le gouvernement français se fait complice d’un nettoyage ethnique à Gaza.
Nous réclamons :
- L’arrêt immédiat des bombardements israéliens et le retrait des forces armées israéliennes de Gaza
- La levée du blocus et du siège de Gaza
- Des négociations pour la libération des otages et des prisonniers politiques
- Des sanctions internationales contre l’Etat israélien
Premiers signataires : Michaël Löwy, sociologue, Ariella Aïsha Azoulay, professeur de culture & médias modernes et littérature comparée, Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, Tal Madesta, journaliste et auteur, Yael Lerer, éditrice et traductrice, Rony Brauman, médecin, ancien président de Médecins sans frontières (MSF), Albert Levy, juriste, Simon Bitton, cinéaste, Tal Dor, sociologue CENS /LEGS, Gérard Haddad, psychanalyste et essayiste, Marie-José Mondzain, philosophe, Alice Pfeiffer, journaliste et autrice, Eyal Sivan, réalisateur
La liste complète des signataires est à retrouver ici.