L’Union des syndicats de Monaco vient de décider à la quasi-unanimité de quitter la C.E.S. (pro-Maastricht et pratiquant la collaboration des classes à outrance) pour se rapprocher de la Fédération syndicale mondiale (attachée à l’internationalisme prolétarien, et que la CGT des années 90 avait hélas quittée pour rallier la C.E.S.). Démarches similaires engagées par les UD CGT du 94 et du 13, ainsi que par la fédé CGT du Commerce (déjà la Chimie et l’Agroalimentaire CGT sont affiliées à la FSM).
Le 4 novembre 2017, lors du meeting international organisé par le PRCF en hommage à Octobre 1917, les centaines de participants avaient clamé : « jaune, jaune, jaune, la C.E.S. est jaune ; rouge, rouge, rouge, la FSM est rouge ! ». Les militants franchement communistes et les syndicalistes de classe ne peuvent donc que se féliciter de ces évolutions qu’ils appelaient de leurs vœux depuis le milieu des années 90…
Entretien avec Olivier Cardot, secrétaire général adjoint de l’Union des syndicats de Monaco
INITIATIVE COMMUNISTE : Syndicat fédérant la grande majorité des syndiqués de Monaco, l’USM vient d’annoncer son retrait de la C.E.S. et sa demande d’affiliation, avec le statut d’observateur, à la F.S.M. Pourrais-tu nous expliquer les raisons de ce choix historique ?
Effectivement c’est un choix historique. Pour la première fois depuis la création de la CES, une fédération pouvant prétendre au statut de Confédération quitte la CES. La raison de cette décision est avant tout une analyse profonde que nous avons lancée au niveau fédéral sur les fondamentaux de la CES. Comment fonctionne cette confédération ? Quel est son mode de financement ? quels sont ses fondamentaux ?
Depuis plus d’un an, la commission internationale de l’USM s’est penchée sur ce sujet afin de déterminer si l’Union des Syndicats de Monaco avait sa place au sein de cette confédération censée représenter l’intérêt des salariés européens. Au bout du compte et après analyse, il s’est avéré que la CES, depuis sa création, non seulement ne répond pas aux attentes des salariés en ce qui concerne leurs revendications légitimes en termes de salaire, de conditions de travail, mais appuie les politiques d’austérité mises en place dans les principaux pays européens. Et pour cause, la CES, financée par la Commission européenne à hauteur de 75% ne sait pas ce qu’est une lutte. Ses dirigeants, pour certains, n’ont jamais cotisé à un syndicat ce qui est le cas de Bernadette SÉGOL, ancienne secrétaire Générale de la CES notamment. On peut dire ainsi que la CES porte le nom de Syndicat mais elle ne fonctionne pas ainsi du point de vue démocratique et pour preuve, lors de son dernier congrès en 2015, outre la présence d’invités « prestigieux » (François HOLLANDE, Jean-Claude JUNCKER, Matin SCHULZ) vassaux de l’oligarchie européenne, les documents produits par ce Congrès n’étaient en aucun cas soumis aux débats ni amendables ! Une supercherie de démocratie en fait…
Tous ces faits concrets et incontestables sont en contradiction avec les fondamentaux de l’Union des Syndicats de Monaco qui base son activité sur la représentation des intérêts des salariés dans une conception syndicale de lutte de classes et de masse tout en étant une organisation démocratique. J’en veux pour preuve que la Direction de l’USM est ainsi réélue tous les ans et ce depuis sa fondation en 1944.
Au terme des débats du Congrès et vu nos fondamentaux, il était donc impossible pour l’USM de rester adhérente à une Confédération Syndicale réformiste, alliée du capital et de l’oligarchie financière dont le but est d’appauvrir les populations en démontant les conquis sociaux durement obtenus depuis la Libération notamment en France. Une décision démocratique s’imposait donc aux votes du Congrès. À l’issue des votes, la décision a été sans appel et à la quasi-unanimité, les délégués du Congrès ont donc voté la désaffiliation de l’Union des Syndicats de Monaco à la Confédération Européenne des Syndicats.
Il a paru également nécessaire au Congrès de se pencher sur le devenir de nos relations internationales pour ainsi ne pas rester isolés sur le plan de nos luttes et en ce sens, la semaine avant cet événement, nous avions reçu une délégation de la Fédération Syndicale Mondiale emmenée par son Secrétaire Général, George MAVRIKOS.
Cette visite a été très constructive et riche en enseignements sur ce qu’est la Fédération Syndicale Mondiale et ce qu’elle représente.
Il apparaissait donc tout naturel de se rapprocher de la FSM car celle-ci est en adéquation dans ses fondamentaux avec ce que défend l’USM, c’est-à-dire un syndicalisme unitaire, indépendant, démocratique et de lutte de classes.
À l’issue de cette journée consacrée à nos relations internationales, il a donc été décidé par vote, de demander l’obtention d’un statut d’observateur à la Fédération Syndicale Mondiale pour ainsi, construire des revendications plus fortes toujours dans l’esprit de soutenir les luttes des travailleurs de Monaco.
I.C. – Quelle est la situation des luttes dans la Principauté et comment les travailleurs de Monaco regardent-ils l’actuel mouvement social dans la France voisine ?
Monaco a la particularité d’être un petit État de 2 km carrés niché à l’intérieur d’un grand pays tout en gardant son indépendance et à ce titre, beaucoup de lois de la Principauté sont calquées sur les lois en vigueur en France avec des différences d’interprétation et de rédaction. Par exemple, si le droit de grève est reconnu par la constitution, le droit de manifester lui, est plus ambigu et n’apparaît dans aucune mesure législative. Cela ne facilite pas les luttes que nous menons, néanmoins, le préavis de grève n’est pas prévu non plus, ce qui laisse un moyen de pression supplémentaire aux militants qui peuvent exercer ce droit sans en informer préalablement leur employeur. C’est un atout dont nous nous servons avec parcimonie mais qui a son utilité.
L’Union des Syndicats de Monaco, contrairement à ce qui est dit dans certains articles de presse, privilégie le dialogue plutôt que la politique de la chaise vide tout en restant fidèle à sa devise : la régression sociale ne se négocie pas, elle se combat.
Cependant, face à l’attitude de certains employeurs peu scrupuleux, il arrive que les salariés et les responsables syndicaux n’ont d’autre choix que d’utiliser ce droit de grève.
Cela arrive plus souvent qu’on ne le pense, et l’année dernière, de nombreux mouvements ont eu lieu aussi bien dans les branches professionnelles ou interprofessionnelles.
Dernière action en date, celle des salariés de Carrefour Monaco qui, face à une direction appliquant des méthodes d’un autre âge, ont décidé de se mobiliser massivement pour combattre les mesures d’austérité mises en place concernant les salaires, les pressions au travail et les baisses d’effectifs.
Au niveau interprofessionnel, nous avons organisé pas moins de trois manifestations rassemblant pour chacune d’elles, environ 2000 salariés mobilisés pour exiger des salaires décents et des conditions de travail dignes d’un pays comme Monaco où les richesses débordent (6 milliards de PIB en 2017), mais sont très mal réparties.
Aujourd’hui, nous considérons que dans un pays tel que Monaco, il faut que les travailleurs puissent avoir les moyens de vivre dignement avec des salaires décents et des conditions de travail dignes.
Une motion, fruit du travail du dernier Congrès, destinée au Gouvernement sera bientôt envoyée à celui-ci pour demander l’ouverture de négociations à ce sujet.
De plus, il faut savoir que Monaco est un véritable laboratoire de précarité. L’absence de grilles de salaire le prouve (les grilles de salaire françaises ne sont plus appliquées depuis 1998), absence aussi de motivation concernant les licenciements via une loi détournée par le patronat, priorité nationale à l’embauche, bref, le pain noir est au menu des travailleurs monégasques et ce n’est pas les mesures d’austérité adoptées en France récemment qui vont changer la donne.
Donc, nous pouvons en conclure que la situation que vivent nos camarades travailleurs français aura une incidence sur les travailleurs de Monaco. C’est pour cela, que l’Union des Syndicats de Monaco participe à la quasi-totalité des actions en France contre la mise en place de la destruction du code du travail et des lois Macron.
Il y a urgence à agir contre les mesures adoptées en France le tout en appelant à la convergence des luttes contre la classe capitaliste à la manœuvre pour supprimer tous les conquis sociaux obtenus lors de la Libération grâce au Conseil National de la résistance.
C’est un combat de longue haleine que nous continuerons à mener dans le but d’éliminer, au final, l’exploitation de l’homme par l’homme. Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.
I.C.- La « construction européenne » était censée harmoniser par le haut les législations sociales française, monégasque et italienne, pour ne parler que des nationalités les plus représentées dans le salariat de Monaco. Qu’en a-t-il été dans les faits ?
Cette « construction européenne », d’après l’analyse que nous en faisons, est en fait un leurre en faisant croire aux travailleurs qu’une « Europe forte » va leur apporter une meilleure qualité de vie. Nous nous apercevons que tous les traités mis en place par l’UE n’ont qu’un but : appauvrir les populations par la mise en place de lois répressives destinées à les priver de toute liberté. Les lois adoptées récemment en France ont eu une incidence désastreuse pour la classe ouvrière, que ce soit dans le domaine du salaire, de la protection sociale ou du droit syndical. On ne compte plus les responsables syndicaux, dont notamment nos camarades de la CGT qui sont convoqués par la justice ou emprisonnés injustement pour avoir, soit exprimé leurs idées, soit mené des luttes dans le but tout simplement de survivre et de pouvoir vivre au quotidien.
Ces situations inacceptables montrent que les alliés du capital concentrés au sein de l’Union Européenne, ne sont pas dans une logique de progrès social mais sont bien programmés pour mettre en place des mesures et des lois destinées à abolir toutes les libertés des travailleurs pour les asservir et ainsi, augmenter les profits des grandes entreprises.
L’attaque contre la classe ouvrière est ainsi portée, planifiée, dévastatrice…
Mais dans le calcul opéré par l’oligarchie financière, un grain de sable s’est introduit dans leur machine bien huilée et commence à se faire ressentir, je veux parler bien entendu du soulèvement populaire que nous sommes en train de vivre actuellement avec la lutte des cheminots en France, rejoints par les étudiants et les travailleurs d’autres secteurs.
En cette année de cinquantenaire de 1968, beaucoup de souvenirs émergent et beaucoup de travailleurs prennent conscience que si convergences de luttes il y a, alors tout redevient possible et que le colosse aux pieds d’argile que représente le capitalisme peut être mis à bas.
À la fin, dans cette guerre de classes, il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. Qui gagnera, telle est la question mais une chose est sûre, cette année 2018 laissera des traces et la lutte ne fait que commencer, à nous de la mener de manière lucide en tenant compte de nos forces et de nos faiblesses.
I.C. – Qu’en est-il de la défense des services publics dans la Principauté ? Et du « produire à Monaco » à l’heure des délocalisations ?
Beaucoup reste à faire concernant la défense des services publics à Monaco, nous sommes organisés à travers le Syndicat des agents de l’État et de la Commune (SAEC) qui ne reste pas inactif en la matière. Ce jeune Syndicat est à l’initiative de beaucoup de revendications dans ce secteur particulier où la priorité nationale fait des ravages en termes de division des travailleurs. En effet, ne sont qualifiés de fonctionnaires que les travailleurs ayant la nationalité Monégasque, les autres ont un statut d’agents de l’État et sont susceptibles de perdre leur emploi si un Monégasque se déclare candidat à leur poste. C’est une situation très difficile à vivre et ceci ne favorise pas la lutte de manière égalitaire.
Cependant, nous avons régulièrement de nombreux succès dans nos luttes concernant ce secteur en voie de développement syndical. En ce qui concerne notamment les employées de crèche ou dans la sureté publique (la police) où nos camardes ne lésinent pas sur les efforts portant sur la pose de revendications.
Nous avons ainsi, bon espoir que dans un futur proche, les revendications déposées se transforment en actes concrets au niveau notamment d’un statut concernant les agents de l’État et de la commune. Ce sera une priorité de l’Union des Syndicats de Monaco en 2018.
En ce qui concerne les délocalisations, comme dans le pays voisin, nous ne sommes pas épargnés et nous subissons une dégradation en ce qui concerne les effectifs de travailleurs notamment dans le secteur de l’industrie où de nombreuses entreprises ont décidé de délocaliser leurs productions.
Cela a eu pour conséquence la mise en place de nombreux plans sociaux et plus d’un millier de pertes d’emploi. On voit ainsi que le patronat, allié au gouvernement, réfléchit sur la stratégie du « produire plus, moins cher » au détriment comme à l’habitude de la classe ouvrière qui souffre au niveau de la préservation des emplois.
Cela dit, le combat n’est pas terminé et nous n’avons pas dit notre dernier mot. L’année 2018 s’ouvre sur, à mon avis, de nouvelles perspectives et de nouvelles luttes à mener avec les travailleurs, pour les travailleurs et pour l’avenir de nos jeunes.
La lutte pour le progrès social continue, avec ses victoires et ses défaites, mais toujours dans un esprit de lutte de classes tout en gardant à l’esprit que ne pas agir est pire que tout.