Entrevue de Michèle PICARD après sa réélection
B. Colovray : Tout, d’abord je te souhaite les félicitations de Vincent Flament, le rédacteur en chef du journal Initiative Communiste, ainsi que toute l’équipe du PRCF. Nous sommes tous contents et fiers de ta victoire, pour Vénissieux, mais aussi au plan national : c’est un vrai souffle pour tous les gens de gauche et surtout des communistes qui souhaitent lutter contre la montée de la droite et de l’extrême droite en France.
La première question que je voulais te poser porte sur l’acharnement de la part de la droite et de l’extrême droite qu’il y a eu contre toi et le PCF de Vénissieux: comment l’expliques-tu ?
M. P. Je pense que de toute façon Vénissieux est resté un symbole, car on a perdu un certain nombre de villes lors des dernières élections en 2014. La droite qui avait récupéré des villes communistes en 2014, a voulu rejouer la partie dans notre ville, vu sa progression sur l’ensemble du pays : elle pouvait espérer quelque chose. Cet acharnement, c’était pour récupérer la ville. Aujourd’hui, Vénissieux, c’est la plus grosse ville communiste de province : c’est donc un symbole. Le candidat de la Droite l’avait dit dans sa campagne : «Éradiquer les communistes à Vénissieux ». Il a voulu enterrer une gloire, prendre un trophée. Il n’a pas basé sa campagne sur l’intérêt des Vénissians pour la ville. Son objectif était juste de faire tomber la ville, mais à l’écouter, on ne sait pas ce qu’il en ferait. Par exemple, quand il parlait de l’école, il parlait de l’école privée. Il a un programme, mais pas de fond : il est resté sur la polémique toute la campagne. Par exemple, quand il dit que s’il est maire il n’y aura plus de squats d’allées : ça me fait beaucoup rire. C’est la Fée Clochette ? Un coup de baguette magique et hop ! Non ! Il n’a même pas pris la peine de voir notre travail avec les Vénissians et les partenaires extérieurs. Il n’y connaît rien.
Pour les socialistes, c’était encore différent. Il y a un leader, qui est un anti-communiste primaire pour dire les choses telles quelles sont. Pour lui, la ville n’est pas un trophée, la ville est un plan de carrière. Il se voit maire dans la métropole de Lyon. Les médias ont voulu en faire une affaire personnelle en disant que le candidat du PS et moi on ne s’entendait pas. Non, c’est une question politique. Son slogan c’était « 80 ans de communisme, ça suffit », comme les identitaires, comme pour la droite. C’est terrible… Je veux juste rappeler que la ville de Vénissieux a une histoire progressiste : depuis 1971, la ville est géré par une municipalité à direction communiste et progressiste. Donc le candidat du PS remet même en cause les socialistes qui ont travaillé avec nous. En 2014, il a scandé cela toute la campagne, alors je n’allais pas m’allier avec lui en 2015. Ce n’est donc pas un problème de personne, mais bien le fait qu’il a développé un anti-communisme violent : ce n’était donc même pas pensable qu’il vienne avec nous. Je suis restée droit dans mes bottes, j’ai proposé aux socialistes qui voulaient venir que se serait sur le même programme qu’en 2014, adopté par les Vénissians, mais sans ce monsieur. Nous avons donc des socialistes qui nous ont rejoint, toujours dans le but de rassembler le plus possible à gauche. Ce qui a été aussi dur avec cette élection, c’est qu’il a fallut continuer le travail fait en 2014 : redire aux militants que ce n’était pas la fin, qu’il fallait tout recommencer. Du coup, je suis assez contente et fière d’avoir su, à nouveau et même encore plus, rassembler la gauche. De nombreux socialistes nous ont rejoint, acceptant notre programme, notre idée de rassemblement à gauche de Vénissieux. Je n’ai pas changé mon exécutif ; c’était aussi symbolique. Ils ont voulu nous chasser de la ville, on est revenus et on les a battus avec la même équipe. Donc, quand on m’a blâmée « d’avoir pris les mêmes et on recommence » j’assume complètement cela : c’était un symbole fort.
Au final, cela à marché, car on est revenus encore plus fort. Donc, merci au candidat de la Droite : on a 10 points d’avance sur le 2ème ! J’ai vu la motivation des militants, des Vénissians, j’ai été fière des messages de soutien qui m’ont été adressés, que ce soit au moment du Conseil d’État et au moment de la victoire, et même de personnes qui n’étaient pas de Vénissieux. Cette injustice a été réparée : on n’avait jamais vu en France une élection annulée alors qu’il y avait plus de 1000 voix d’avance. Sur des soit-disant tricheries, avec un préfet en soutien : on n’avait jamais vu ça. Certains parlaient même de coup monté… C’est d’autant plus fort.
B. C. Le contexte national est dur pour la gauche et pour les communistes au profit de la droite et de l’extrême droite. Comment expliques-tu ce renforcement de ton électorat ? Alors que la gauche a baissé dans toute la France, tu as gagné et tu es même sortie plus forte de cette élection.
M. P. Tout d’abord, il y a la politique développée et ce qu’on a mis en place depuis un an : les gens nous on encore accordé leur confiance. Pour les municipales, je ne veux pas avoir les chevilles qui enflent, mais il y a aussi la personnalité qui a joué. Je pense qu’en 2009, personne ne m’attendait comme maire : beaucoup de gens disaient que je ne ferais pas le poids après André Gerin. En 2014, le candidat de la Droite était persuadé qu’il allait prendre la ville et le PS a pensé qu’il ferait plus que moi, vu son score en 2012 aux législatives sur la ville de Vénissieux. Mais les Vénissians ont appris à me connaître, par les réunions d’appartement que j’ai faites, par les 13 assemblées générales de conseil de quartiers que j’ai toutes faites. Je pense que la vie politique a besoin de gens comme ça, alors que je croyais que ça allait être mon point faible. Je suis quelqu’un d’entier, je sais ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire. Sur le terrain je ne me suis jamais cachée, cela a été dur parfois. Mais les gens ont appris à me découvrir, à me connaître. Ils m’ont fait confiance en 2014, et ont remis en cause leurs votes. Je pense qu’il y a donc eu un capital sympathie pour moi en 2015. Ils ont senti l’acharnement qu’il y a eu contre moi, même les journalistes en on parlé. Ils ont vu également que j’étais intègre : je n’ai pas accepté le candidat du PS et j’ai tenu tête au président de la métropole de Lyon. Des gens qui ne nous ont pas soutenus en 2014, nous on soutenus en 2015, car on n’a pas baissé les yeux devant les mafieux, devant le président de la métropole de Lyon et devant la pression de la droite. Je suis quelqu’un qui reste intègre. On pensait que j’allais forcément céder pour faire une alliance avec les socialistes vu le contexte national, mais je ne l’ai pas fait. Les Vénissans ont vu cela, ont vu que je tenais ma ligne politique, et j’ai eu énormément de messages de soutien pour cela. Beaucoup de gens m’ont dit que si j’étais allée avec le candidat du PS, ils n’auraient pas voté pour moi. Je n’ai pas cédé au président de la métropole de Lyon qui voulait absolument cela, j’ai écouté mon électorat. Cet homme est allé trop loin : quand les socialistes m’ont dit : « C’est avec notre candidat ou sans », je n’ai pas cédé.
Après, il y a aussi tout ce qu’on a développé politiquement. Par exemple, on a voté la mise en place d’une cuisine centrale pour un groupe scolaire, que même les socialistes abandonnent et vont vers les DSP, car cela coûte moins cher. On affirme notre identité Vénissiane. La cuisine centrale c’est un héritage d’après guerre, c’était pour nourrir tous les enfants dans une France ravagée. Même si le contexte a changé, c’est toujours un enjeu crucial : avec cette grave crise sociale, il faut donner à manger de manière équilibrée à tous les enfants. C’est donc un choix politique fort de garder cette cuisine centrale. C’est pareil pour les infirmières scolaires, on va au-delà de ce qui est fait dans les autres villes. Pour les personnes âgées, c’est de l’aide à domicile 7 jours sur 7. Malheureusement, il y a des Vénissians qui ne s’en rendent plus compte, ou c’est presque un dû. Mais il y a des Vénissians et des nouveaux Vénissians qui font le choix pour cette qualité. Des équipements publics de qualité, des loyers aux prix attractifs accessibles à tout le monde. (Rires) Notamment le candidat du Front National, qui avait dit sur Lyon Capital, qu’il était venu à Vénissieux pour le prix des logements.
Voilà ! C’est donc un véritable choix de venir ici pour beaucoup. Pour certains, c’est pour l’appartement moins cher mais pas que. Il y a un militant qui est venu à Vénissieux, qui nous a expliqué pourquoi il était venu habiter à Vénissieux : il a le tram en bas de chez lui, la médiathèque gratuite, le théâtre… C’est donc tout ça, Vénissieux. Par exemple : en 2014, dans une réunion, une dame se plaignait qu’il y avait une liste d’attente pour inscrire ses enfants en centre aéré. C’est une autre dame qui a pris la parole et qui lui a répondu qu’elle avait de la chance de vivre dans une ville où il y avait des centres aérés bon marché pour les enfants ! Oui, il y a une liste d’attente, mais pour un centre aéré très animé et pas cher.
B. C. Pour revenir au candidat du PS, comment avez vous vu la tentative de rapprochement entre le PS et l’UMP au second tour de l’élection en 2015 ? Cela montrait peut être bien cette volonté de faire tomber la ville communiste ?
M. P. Bien sûr. De toutes façons, on sait tous que de nombreuses villes ont été perdues par des alliances ennemies entre n’importe quels partis, juste pour faire tomber la mairie communiste. Autour de Paris par exemple, où il y a eu des rapprochements avec limite des mafieux, intégristes pour faire tomber la mairie. C’est ce qui aurait pu arriver, ils auraient pu tous se mettre d’accord, Front National, PS, UMP. C’est le risque, qu’un rassemblement opportuniste soit plus fort qu’un rassemblement de gauche. Le candidat du PS par opportunisme, est prêt à tout et le candidat de la Droite veut à tout prix son trophée. Ces deux leaders là ne peuvent pas pour l’instant se retrouver, car ils veulent pour l’instant la même chose. Cela montre bien l’état de la Droite et du PS en France pour arriver à faire ce genre de choses. Tout vaut mieux que le communisme : c’est vraiment grave pour des socialistes, même s’ils ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Ils étaient 5 élus en 2014 et 3 le lâchent en 2015. Deux nous ont rejoint et pas par opportunisme : ils ne sont même pas adjoints ! Ils nous ont rejoint car ils voulaient vraiment un rassemblement à gauche, l’union la plus forte contre la droite et l’extrême droite. Le candidat du PS voulait vraiment la mairie, sans fond socialiste de gauche.
B. C. Entre une gauche démagogue pro UE et une extrême droite nationaliste, comment à Vénissieux on concilie le patriotisme républicain et l’internationalisme communiste ? Comment est-on français électeur et internationaliste à la fois ?
M. P. Il y a beaucoup de choses à dire. Déjà, en tant que maire, je crois en la République, une et indivisible. Je crois à la nation et je crois que ce sont des questions que l’on a trop laissé à la droite et à l’extrême droite qui les ont détournées. Par contre, quand je dis que je crois en la République, j’y mets d’autres choses derrière. Par exemple, le 11 janvier, beaucoup de gens ont critiqué le rassemblement. Pour moi, la question ne se posait même pas. Je suis contre toute politique de terreur, fascisante, religieuse ou non. Ces 4 millions de personnes dans la rue, étaient unis contre la politique de la terreur mais aussi, au-delà, de la République debout, je suis intimement persuadée que cela sous-entendait des services publics debout, donc des moyens humains pour faire vivre la République ; des élus républicains debout, qui ne négocient pas avec la République. Par exemple, quand je vais discuter à la Préfecture de la laïcité avec les cultes, je commence toujours par dire que je suis le pur produit de l’école républicaine laïque. Pour moi, c’est très fort : la République permet à tous de vivre dans le respect de chacun avec une équité de territoire entre tous, pour les mêmes droits, les mêmes services publics. C’est en cela que la République s’est un peu affaiblie : l’État en se désengageant un peu s’est aussi un peu affaibli. Des inégalités de territoires ont été créées, voire de la concurrence de territoire. Quand j’affirme que ce n’est pas aux communes de se substituer à l’Etat, ce n’est pas parce qu’on n’a pas l’argent, c’est parce que l’Etat a des missions régaliennes qui permettent l’équité de territoire, l’égalité des citoyens sur tout le territoire. C’est en ce sens là que je crois en la République.
Après, je pense qu’il y a beaucoup de choses que l’on a laissé à la droite et à l’extrême droite. Par exemple, la laïcité dans la République, pour moi, elle est essentielle. Or, c’est une question que l’on a lâchée. On l’a crue acquise alors que non, elle ne l’est pas. L’Education Nationale par exemple : il faut une école républicaine debout et laïque. A un moment donné, l’école lâche un certain nombre de choses sur la laïcité. Par exemple, dans un projet pédagogique dans une classe, lors d’une sortie et que 10% d’enfants n’y vont pas pour des raisons religieuses, sans certificat médical, on annule le projet pédagogique : je ne suis pas d’accord. Le repas va poser problème, l’objet de la visite. Est-ce qu’on accepte le voile pour les accompagnantes. Aujourd’hui on ne se pose même plus la question. Cette politique de la terreur entraîne des enfants nés sur le sol français à partir faire le Djihad : il faut donc se reposer ces questions. La laïcité est un socle indispensable et il n’y a pas tant de pays laïques au monde. On peut comprendre pour des gens qui sont venus avec leur culture, leur religion. La République n’a pas su expliquer la laïcité, n’a pas su mettre des remparts entre la religion et la vie politique. Pour moi, la laïcité permet le vivre ensemble, mais si on ne l’explique pas, on prend le chemin opposé, celui du communautarisme. Il y a une seule laïcité qui nous permettrait de vivre ensemble : c’est faux de parler de « laïcité positive » ou « laïcité machin-truc ». Quand on voit le candidat du PS faire sa campagne uniquement sur la viande hallal à l’école, cela pose problème. Quand il m’attaque en disant que je suis une « intégriste laïque », c’est incompréhensible.
Je pense que la laïcité est un socle indispensable de la République en France, car justement, nous sommes français, et nous avons eu des guerres de religions en France ! Cela ne veut pas dire qu’on est anti-religieux mais des amalgames ce sont quand on entend « forcément vous n’êtes pas croyant car vous êtes laïques ! », mais non. La laïcité ce n’est pas ça. Je suis le maire, vous ne savez pas ma religion et vous ne savez pas si même j’en ai une : c’est ça la laïcité. On a donc laissé ces questions à vau-l’eau, et des gens se sont emparés de ce concept pour en faire ce qu’ils voulaient. Tant qu’on ne discutera pas de ça, le Front National montera. Il faut arrêter d’avoir peur du tabou, il faut en parler. Il faut arrêter de faire comme si cela n’existait pas. C’est cela quand je parle d’élus républicains debout : il faut savoir parler des problèmes pour trouver des solutions. C’est comme les drapeaux d’autres brandis lors des mariages ou matchs de foot, mais jamais le drapeau de la France. Cela va choquer beaucoup de monde. Il faut aussi comprendre qu’il y a des gens qui sont choqués de cela. Il faut donc revenir sur ces questions. Quand on voit des mômes de 12 ans crier qu’il sont algériens, tunisiens ou marocains mais pas français. Alors qu’ils sont nés ici et que c’est la 4ème génération. Il faut donc revoir et repenser la politique d’immigration. Comment ces mômes en sont arrivés là ? Comment les protéger de cette politique de la terreur qui veut les influencer ? Il n’y a pas longtemps, il y a eu un match de foot où l’Algérie jouait, la mairie de Villefontaine a été quasiment détruite. C’est inacceptable. Il faut le dire : j’étais la seule maire qui a fait une déclaration de presse. Un moment, il faut avoir le courage de parler de ces choses-là. Si on ne le dénonce pas en tant qu’élu républicain, c’est bingo pour le FN.
B. C. Le 30 mai à Paris, à l’Initiative des Assises du communisme, du PRCF et d’autres organisations, il y aura une manifestation pour défendre 4 thèmes : la sortie de l’Euro, la sortie de l’UE, la sortie de l’OTAN et la sortie du capitalisme. Qu’est-ce que tu en penses et est-ce que tu soutient ces thèmes ?
M. P. Je suis d’accord avec tout ça bien entendu.
B. C. Donc on t’invite le 30 mai à Paris !
M. P. Si je suis libre, pourquoi pas !
Entretien de Bernard Colovray, montage et retranscription de Vladimir Colovray
Merci à Michèle Picard et bien sûr à la mairie de Vénissieux d’avoir pris le temps de nous recevoir pour Initiative Communiste. Longue vie à Vénissieux, La Rouge !
Installation du Conseil Municipal de Vénissieux, le 4 avril 2015
A la suite d’un recours en annulation, les élections municipales 2014 de Vénissieux ont été annulées par le Tribunal administratif de Lyon. De nouvelles élections viennent d’avoir lieu et ont légitimé Michèle Picard, maire de Vénissieux.
La dynamique impulsée par l’équipe élue en 2014 s’est traduite dans les urnes et a permis une large victoire de la liste « Avec Michèle Picard, rassembler les Vénissians, tenir le cap à gauche » car Vénissieux n’est la propriété de personne, encore moins de ceux qui ne la respectent pas.
« Le travail accompli depuis un an, reprend dès aujourd’hui. »
Le 4 avril 2015