L’ami noir : argument fallacieux du raciste.
Depuis quelques temps, et à l’appui d’une vidéo[1], les sympathisants et adhérents du Front National scandent à qui veut l’entendre que le parti qu’ils soutiennent n’a rien de fasciste ou de raciste : ils en veulent pour preuve « des noirs, des maghrébins, des asiatiques, qui appellent à voter pour Marine Le Pen » (sic). L’usage rhétorique qui est employé est identique à l’argument du raciste qui prétend ne pas l’être parce qu’il « a un ami noir » ou « qu’il y en a des bien… »
Or, quoi de plus raciste déjà que de définir par la race[2] celui que l’’on considère comme un ami ? Il ne viendrait à l’esprit de personne de dire « j’ai un ami aux yeux noisettes » ou « je n’ai rien contre les personnes de petite taille, d’ailleurs j’ai une amie assez petite », ou simplement de définir par une quelconque caractéristique physique empirique tel ami ou tel autre. Soit nous avons des amis, qui sont ce qu’ils sont et que nous considérons comme tels de par la relation que nous entretenons avec eux – et ce, quelles que soient leurs origines ou caractéristiques purement physiques, soit cela s’apparente à une étroite forme d’amitié. Cela semble être un truisme, une simple évidence, mais il semble pourtant nécessaire de le rappeler.
Cet argument par la race renvoie d’ailleurs dos à dos racistes et « antiracistes » patentés, les uns comme les autres se contentant de garder comme point d’ancrage de leur réflexions ou débat la race. Or, une réelle position antiraciste est celle qui ne cherche pas davantage à mettre en place des quotas dans la vie civile ou professionnelle de telle ou telle personne en fonction de ses caractéristiques physiques. La question de l’antiracisme ne se pose que par opposition, mais c’est la voie supérieure qu’il faut convoquer et adopter, celle qui vise à mettre de côté la pseudo-notion de « race » pour déterminer les enjeux réels, sociaux-économiques, sentimentaux, etc. mais certainement pas l’imposture biologisante qui trahit à la fois et la cause a priori défendue et la biologie.
Cela étant dit, qu’en est-il du fascisme du F.N, malgré ses « sympathisants noirs, arabes, asiatiques », voire extra-terrestres peut-être ? Finalement au F.N qu’importe la couleur, tant qu’on est dans les clous. Le problème demeure l’étranger, l’étrangeté même – celui-là qui invite à la réflexion sur soi-même, à la remise en cause de codes prétendument immuables. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si Platon fait intervenir à maintes reprises dans ses dialogues le personnage de l’Etranger pour mener les débats et démasquer les sophistes. Mais ce n’est pas le lieu pour le développement de cette problématique.
Le fascisme n’est pas qu’un racisme. C’est aussi une roue de secours.
Nous sommes actuellement en présence de deux formes de fascismes. Deux formes dont j’ai d’ailleurs tenté d’esquisser les caractéristiques dans Le nouveau fascisme paru en 2013. Même si j’aurais quelques critiques personnelles de fond à formuler a posteriori au sujet de ce premier livre, il n’en demeure pas moins que les caractéristiques de ces deux fascismes, qui n’en forment à vrai dire qu’un, y sont pleinement déployées.
En effet, le ou les fascismes sont et ont toujours été les roues de secours du Capital. Il n’est pas étonnant alors de voir se mettre en œuvre un fascisme qui prend la forme de l’impérialisme. Celui-ci s’étend à la sphère géopolitique et planétaire comme dans l’adhésion au discours de l’idéologie dominante qu’il répand dans sa forme hégémonique et qui s’apparente davantage à un fascisme des esprits qu’un à fascisme de la matraque. Fascisme de l’impérialisme, « stade suprême du capitalisme » comme l’a longuement expliqué Lénine.
Puis, dans le même temps, le fascisme archaïque, celui de la matraque refait surface, car il ne peut en être autrement en période de crise du capitalisme. Ce dernier, bien qu’ayant fait siens les codes du fascisme de l’esprit – qui se répand par l’inculture plutôt que par le retrait de la culture[3] – surgit avec férocité dans ses actes et ses mots car à terme, il sait qu’il doit l’emporter à l’issue de la crise – car il est le rouage essentiel qui permet au Capital de perdurer. C’est dans cette lignée-là que les mouvements et partis d’extrême-droite d’Europe s’inscrivent. S’il a fallu un temps qu’ils camouflent leur jeu, et encore aujourd’hui un peu, pour certains en Grèce, en Norvège ou en Autriche par exemple il n’est plus question de le faire.
Il est essentiel de comprendre alors que tout cela doit être apprécié dans une chronologie bien comprise. Le capitalisme s’installe comme un système instable dont le maintien repose sur une constante impérialiste et fasciste qui se déploie à différents degrés en fonction de l’intensité de ses crises et des moments historiques. La fascisation des esprits cède toujours la place à celui de la matraque en dernière instance.
Il nous suffit de nous référer aux différents travaux d’Annie Lacroix-Riz pour comprendre que les acteurs principaux du fascisme d’antan étaient les mêmes que ceux du grand Capital. N’oublions pas d’ailleurs que Jean-Marie Le Pen se flattait d’être le « Reagan français » il n’y a pas si longtemps encore.
Le propre du fascisme étant de « troubler ses eaux pour faire croire qu’elles sont profondes » – ainsi ils avancent à petit pas, mais représentent un réel danger. S’il a d’ailleurs lieu d’être, c’est parce que le fascisme a pour vocation de détruire une sortie de crise positive telle que cela pourrait avoir lieu sous l’impulsion d’un automouvement historique et des forces progressistes. Entre 1919 et 1922 les faisceaux de combat assumaient d’ailleurs parfaitement le rôle qui consistait à casser le mouvement ouvrier. Il en va de même pour l’après Commune de Paris, pour le Chili d’Allende, l’Allemagne nazie, etc.
Il est donc central et nécessaire de comprendre que Mussolini ou Hitler aussi avaient des amis, des contacts, des sympathisants juifs ou musulmans… Cela ne fait pas pour autant d’eux d’aimables républicains. Le fascisme sous ses formes diverses n’est pas qu’un racisme, c’est une instance immanente de réponse à une crise du Capital. C’est donc une continuité violente et ultra-sécuritaire du capitalisme libéral, malgré les confusions qu’il laisse naître.
Ainsi, le F.N n’est pas un parti patriote mais un parti nationaliste, pour qui l’ailleurs, l’étranger est l’ennemi. Là où les forces progressistes et patriotiques voient dans l’ailleurs un inter-national-isme possible qui n’est pas un inter-nationalisme mais une communion des nations et non le chauvinisme belliqueux.
De même, le F.N ne cesse, comme ses acolytes de droites de stigmatiser une part de la population et d’appuyer son propos sur la remise en cause d’un bouc-émissaire.
Le F.N sous des appels à la sécurité, à l’inefficacité d’un gouvernement en période de violences terroristes, ne fait que renouer avec l’idée qu’il faut construire une armée puissante et un contrôle de la population qui se fera avec l’accord du peuple. Or, c’est le double-jeu et le double-financement du Capital qui fait la guerre, active la crise et propose des solutions hasardeuses aux problèmes qu’il a lui-même crées, qu’il est nécessaire de dénoncer en apportant une réponse nationale et géopolitique adéquate.
Le F.N est pour une sauvegarde durable de l’emploi, outil du Capital qui se sert de la force prolétarienne en allant l’acheter sur un « marché du travail » alors que le mouvement ouvrier a produit une critique mais surtout des institutions à partir du CNR à même de nous émanciper de l’emploi.
Enfin, et la liste n’est pas exhaustive, le F.N ne cesse de faire le jeu de l’anti-syndicalisme en jouant la carte de l’anti-patronat mondialiste pour tenter le retour à un capitalisme « à papa » d’autrefois afin de conserver le mode de production capitaliste.
Mais, si nous sommes amenés à traverser une nouvelle période sombre et de tromperie organisée, il faut garder en tête que « les bavardages cessent devant le sérieux de l’Histoire » (Hegel). Aussi, ce sont les forces que nous sommes prêts à établir aujourd’hui pour inverser ce processus, en adéquation avec le sens de l’Histoire qu’il nous faut construire. C’est-à-dire produire une critique qui fait sens et une théorie qui s’actionne dans la pratique pour contrer l’argumentaire fallacieux et intenable du fascisme de tous bords.
Loïc Chaigneau, pour Initiative-Communiste / Etincelles.
[1] h*ttps://www.youtube.com/watch?v=V9fJrEXeRnw&app=desktop
[2] Notion qu’il est aujourd’hui impossible de définir. Je vous renvoie d’ailleurs au livre de Christophe Oberlin : « Quelle est la blancheur de vos blancs et la noirceur de vos noirs ? ».
[3] Il n’est plus besoin de brûler des livres, les gens ne lisent tout simplement plus…