Des étudiants de la prestigieuse Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris, capables de se mobiliser pour défendre les précaires de leur école, quitte à sacrifier leurs révisions, qui l’eût cru ?
6 mois de mobilisation, entre grèves et blocages
Ces élèves, qui intégreront pour la plupart, ce milieu fermé de l’élite française, ont mené une bataille acharnée : 5 mois de grève (du 10 janvier au 26 mai) et 29 jours d’occupation des bureaux de la direction. Une bataille qui a valu aux 22 agents de la cuisine et du ménage d’obtenir la transformation de leur CDD en CDI.
Fait rarissime au sein d’une école, la direction a donc cédé sous la pression de ses élèves. Après 7 mois de lutte contre la précarité à l’ENS, la directrice Monique Canto-Sperber a signé le protocole de fin de conflit répondant à la plupart des revendications de l’Assemblée Générale de l’école:
* L’obtention de CDI pour tou-te-s les grévistes ainsi que pour tou-te-s les personnel-le-semployé-e-s par l’ENS depuis plus de trois ans
* La mutation du chef de cuisine, suite à l’ouverture d’une enquête portant sur des violences et des harcèlements sur le lieu de travail
* Le paiement de 75% des jours de grève
* 75 euros d’indemnité mensuelle, forme de reconnaissance du caractère anormal de l’emploi de CDI dans la fonction publique, sur des emplois pérennes, au lieu d’attribuer des postes de fonctionnaires titulaires.
Une solidarité exceptionnelle
Cette lutte a permis aux élèves de « tisser des liens très forts » avec les salariés précaires de l’Ecole. Un des cuisiniers en grève résumait la situation à Rue89 en se félicitant de cette solidarité:
« Je suis ému de voir que certains étudiants mettent de côté leurs études pour nous défendre. Cela fait plus de trois mois que nous ne sommes plus payés par l’administration mais grâce à différentes collectes, les onze travailleurs en grève ont perçu l’intégralité de leur salaire. »
Le succès de ce mouvement s’explique avant tout par la stratégie des étudiants de l’école. Ces derniers ont organisé des banquets solidaires, des ventes quotidiennes de sandwichs et boissons, afin de payer les salariés à la place de l’administration.
Des risques et des sacrifices pour défendre un principe: Le principe des étudiants pouvait se lire jusque sur les murs de l’établissement. Une banderole y dénonçait « l’exploitation des travailleurs ». Un étudiant rappelait à l’époque, ses exigences à la directrice de l’école :
« Nos revendications ne s’arrêtent pas au CDI. Nous voulons aussi qu’ils aient une augmentation de salaire. Nous, étudiants, sommes payés pour la plupart 1 380 euros quand les employés qui font un travail très dur ne perçoivent que 1 100 euros par mois, 1 300 euros pour ceux avec deux enfants. »
Comme il n’y a pas de vraie lutte sans sacrifice, ces étudiants ont dû essuyer nombre de menaces de la part de la direction.
L’administration a photographié certains bloqueurs. A menacé les étudiants de prélever 1/30e de leur salaire et a censuré tous les courriels à caractère politique envoyés sur les adresses internet de l’ENS.
La directrice a également porté plainte contre plusieurs élèves qui ont été condamnés par le tribunal administratif de Paris à évacuer les bureaux de la direction sous peine de payer 50 euros d’astreinte pour chaque jour d’occupation. Refusant de céder aux pressions 14 étudiants ont été embarqués par la police le 19 avril dernier, puis relâchés peu de temps après.
Enfin, le 12 juillet, alors que le mouvement prenait fin grâce à la signature du protocole d’accord, 9 élèves ont été convoqués en conseil de discipline : 5 ont reçu un avertissement pour avoir bloqué les bureaux de la direction, et un 6e a reçu un blâme pour avoir dégradé une palissade.
Faut-il préciser que sur les 9 personnes convoquées, 7 sont syndiquées (CGT, SUD, UNEF) ? Une chose est sûre, ce mouvement est exemplaire à plusieurs titres.Ces élèves ont d’abord su prendre conscience du rôle qu’ils pouvaient et qu’ils avaient à jouer pour défendre des valeurs que même une Ecole publique bafoue impunément.
Ensuite, ils ont su inventer un mouvement de lutte efficace et stratégique avec à la clef, la satisfaction de leurs principales revendications. On ne saurait qu’encourager d’autres personnes, étudiants, travailleurs ou précaires, à les imiter et à prendre exemple sur cette belle solidarité.
David Perrotin
MERCI A AGORA PRESSE ET AGORAVOX POUR CETTE INFORMATION QUE NOUS RELAYONS AVEC PLAISIR