Dans une série d’articles, nos jeunes camarades des JRCF reviennent, à travers l’analyse de différentes questions très concrètes concernant la Martinique et la Guadeloupe, sur le système néocolonial qu’est toujours au XXIe siècle l’impérialisme français.
Exploitation : vie chère, accès aux objets de première nécessité et affaire du Chlordécone
Vous connaissez sans doute la fameuse théorie du ruissellement qui voudrait que l’accumulation de richesses entre quelques mains permette, par « ruissellement », une redistribution naturelle – grâce aux vertus du marché – à l’ensemble de la population. Désormais que nous connaissons la mainmise d’une petite caste sur l’économie, voyons voir si une telle théorie s’applique à la Guadeloupe et à la Martinique.
En 2009, une grande grève générale, massivement suivie par la population et les syndicats, avait touché la Guadeloupe puis la Martinique. Les manifestants mettaient en avant la mainmise sur l’économie des descendants des colons. Leur lutte fut victorieuse et un accord du 26 février 2009 permit d’obtenir, entre autres, une hausse des minimas sociaux, une baisse du prix des produits de première nécessité, une baisse de 3 centimes du litre d’essence et une baisse de 3 à 10% du prix de l’eau[1].
Cependant, dix ans plus tard la situation n’a pas été améliorée et l’accord n’a pas été complètement mis en place, d’une part à cause du blocage de l’État et de l’autre à cause des entreprises locales aux mains des grands propriétaires. En 2015, les prix étaient plus élevés de 12,5% en Guadeloupe qu’en France métropolitaine. En 2019, l’alimentaire et la téléphonie étaient pour l’archipel respectivement de 42% et 60% plus cher qu’en France. En 2018, selon une enquête de l’association « Familles rurales », les courses étaient 66% plus chères en Martinique qu’elles ne l’étaient en métropole.
Les services publics sont encore moins bien entretenus qu’en métropole, notamment en termes de santé. Pour cette raison a été déposé un amendement au projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. Cet amendement, qui devait permettre de faire venir des médecins cubains, réputés pour leur expérience et leur savoir-faire, a été envisagé pour les deux îles et pour la Guyane en 2019[2].
L’accès à l’eau est faible. Les canalisations sont dans un état désastreux, notamment en Guadeloupe où 2 litres sur 3 n’arrivent pas au robinet. Encore cette année, l’île a vécu au rythme des coupures[3]. À Saint-Anne, commune de l’est de la Guadeloupe avec 25000 habitants, l’eau ne passait que deux ou trois nuits dans la semaine. Pour parer à tout, les habitants emmagasinaient chez eux bouteilles, bidons et seaux afin de stocker l’eau ! Le prix du mètre cube peut doubler d’une commune à l’autre. Ce qui est en cause, c’est un système de distribution vétuste et non-entretenu depuis cinquante ans. En juillet 2018, un rapport interministériel avait reconnu une crise sévère de ce service public, « de caractère systémique » et « générant des risques pour la santé publique et des fortes contraintes économiques ». Un plan d’urgence de 71 millions d’euros avait même été validé sans que cela ne s’améliore. Le réseau d’eau potable subit un sous-investissement du fait de la multiplicité des acteurs de sa gestion, montrant une fois de plus les « vertus » d’une gestion privée des denrées de première nécessité.
En faisant abstraction de cela, il y a les problèmes de pollution de l’eau par les pesticides, la boue et l’engrais. Le cas le plus emblématique est celui du chlordécone, un pesticide très utilisé dans les deux territoires sur les bananeraies entre 1972 et 1993, ayant intoxiqué plusieurs Guadeloupéens et Martiniquais, et continuant à le faire presque trente ans après l’arrêt de son utilisation aux Antilles, le produit étant particulièrement persistant et encore présent dans le sol. L’affaire a éclaté en 2002 suite à la saisie d’1,5 tonne de patates douces importées de la Martinique à cause de leur forte teneur en chlordécone. Ce sont 92% de la population martiniquaise et 95% de la population guadeloupéenne qui ont été touchés. La concentration de chlordécone aux Antilles est 100 fois supérieure à la norme et devrait mettre 7000 ans à disparaître ![4] Entre autres conséquences : épidémies de cancers, impossibilité de procréer, naissances prématurées, etc. Le point polémique de cette affaire et qui explique son importance dans les derniers mouvements sociaux de Martinique et de Guadeloupe, c’est que sa nocivité est connue depuis les années 70 et que son utilisation a été interdite en France en 1989… sauf aux Antilles, en raison du lobbying mené par les entreprises et les députés d’outre-mer !
À l’heure actuelle, l’État refuse toujours d’indemniser les victimes. Refus qui entraîne surtout, depuis 2019, une vague de boycott des enseignes appartenant aux principaux pollueurs, dont la plupart sont des békés. Cela ne va pas sans heurts car la répression y est féroce, comme en France : les policiers n’hésitent pas à tirer au LBD sur les organes sexuels des manifestants. Dernièrement, une descente de police a entraîné l’arrestation arbitraire de sept manifestants anti-chlordécone en Martinique. Leur procès devait se dérouler le 13 janvier dernier à Fort-de-France, ce qui donna lieu à des heurts avec la police jusqu’à tard dans la nuit, celle-ci ayant empêché l’entrée du public au procès[5]. Finalement, ce procès a été reporté au 3 juin 2020 et devra faire l’objet d’une attention particulière pour les progressistes de la métropole[6].
On remarquera la faiblesse du traitement médiatique quant à cette affaire d’empoisonnement de masse : les médias aux ordres des milliardaires sont plus prolifiques lorsqu’il s’agit de parler d’empoisonnements sur le sol français. En réalité, cela est caractéristique de la situation des îles : la métropole n’est pas informée de ce qui s’y passe. Ainsi, on ne sait pas que se déroule une grève massivement suivie en Guadeloupe et en Martinique contre la réforme des retraites. Pourtant le 31 janvier dernier, la grande majorité des collèges, lycées et écoles primaires de Guadeloupe étaient fermés[7]. En Martinique depuis le début de la grève du 5 décembre, c’étaient 90 à 95% des établissements du secondaire qui étaient fermées[8]. Ce mépris pour ce qui se passe aux îles est, somme toute, un réflexe colonial et symptomatique du mépris de classe que ressentent nos élites bourgeoises envers les « rien » des Antilles.
A suivre.
Ambroise, militant JRCF.
[1] « Chômage d, vie chère ou pollutions : dix ans après la révolte des guadeloupéens, l’Etat n’a pas tenu ses engagement », Basta, 26/02/2019.
[2] « Des médecins cubains bientôt au chevet des Antilles françaises ? », LCI, 16/07/2019.
[3] « Guadeloupe : « Dans mon quartier, il n’y a pas d’eau courante depuis un mois », 09/02/2020, La Croix.
[4] Ulrike Zander, 2013.
[5] « Militants anti-chlordécone et policiers s’affrontent devant le palais de justice de Fort-de-France », Martinique 1ere, 13/01/2020.
[6] Il n’est sans doute pas nécessaire de préciser que nous militants communistes, nous suivrons cette affaire de près.
[7] « La majorité des établissements scolaires de Guadeloupe sont bloqués, mais les médias en parlent peu », 04/02/2020, Bastamag.
[8] « Grève à répétition dans l’Education nationale : des inspecteurs généraux pour apaiser le climat », 09/02/2020, France-Info-Martinique.