Nous publions ci-après avec leur aimable autorisation une solide réflexion, percutante et argumentée de syndicalistes de la Sidérurgie.
Ouvrons la discussion !
La page de la sidérurgie est–elle tournée ?
Le 3 décembre 2013, dans le cadre d’une réunion de compte rendu de la conférence nationale pour l’unité et la résistance, une discussion s’est menée à Hayange entre militants ouvriers. Une des questions débattue a été : la page de la sidérurgie est–elle tournée et y a-t-il une issue ? Nous en rendons compte, comme une contribution au débat sur la question : comment lutter contre les suppressions d’emplois ?
Un rappel de quelques faits est nécessaire.
Il y a un an le 30 novembre 2012, le premier ministre Ayrault signait avec Mittal un accord pour la « mise sous cocon » des hauts fourneaux de Florange / Hayange.
Quelques jours auparavant, le 24 novembre 2012, les élus de Moselle s’étaient adressés à François Hollande dans une lettre ouverte, en ces termes : « compte tenu des enjeux humains, territoriaux, industriels, technologiques et stratégiques de ce dossier, il est impératif d’aller dans le sens de cette prise de contrôle public temporaire de l’Etat. »
De son coté le ministre Montebourg, après avoir proposé de trouver un repreneur pour les hauts fourneaux, reprenait la proposition de « nationalisation temporaire de la sidérurgie. »
Les syndicats se prononçant pour la nationalisation de la sidérurgie pour garantir le maintien de tous les emplois sur place.
Hollande tranchait : il laissait les mains libres à Mittal pour fermer les hauts fourneaux et supprimer des centaines d’emplois, avec l’accord signé entre le premier ministre et Mittal.
Quelles leçons tirer après 18 mois de luttes ?
Tirant le bilan de 18 mois de luttes, un syndicaliste FO s’interroge :
« Quel avenir pour la sidérurgie ? Avec la CGT nous sommes pour le redémarrage des hauts fourneaux. Je voudrais bien, mais actuellement c’est une usine vide, on est vraiment dans un cocon ! Rien n’est fait comme travaux d’entretien. Nous sommes ici, à Florange, une simple succursale de Dunkerque, menacés à tout moment de fermeture. Quelles sont les perspectives ? »
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de rappeler que l’accord du 30 novembre 2012 entre Mittal et Ayrault a instauré un comité de suivi pour accompagner la fermeture des hauts fourneaux, dans le but d’y associer les syndicats. La CFDT y participe, FO et CGT ont refusé de siéger.
En juillet 2013, la commission parlementaire d’enquête sur la sidérurgie, avec comme rapporteur Alain Bocquet (PCF), concluait à l’unanimité (PCF, PS, Verts, UMP) qu’il fallait « respecter l’accord du 30 novembre 2012. » Elle s’est prononcée également pour soutenir le « plan acier européen », adopté par la Commission de Bruxelles, qui organise, au nom de la compétitivité, les délocalisations et fermetures de sites.
Comme on peut le constater, le gouvernement, avec le soutien des groupes parlementaires de gauche comme de droite et de la CFDT, se disposent pour tenter d’enfermer les sidérurgistes dans le carcan du comité de suivi.
Un an après les syndicats FO et CGT maintiennent leurs positions de rejet de l’accord et du comité de suivi.
Le secrétaire de la CGT Florange, Lionel Burriello a rendu publique la lettre envoyée au président du comité de suivi : « (…) lors du C.E. du 19 novembre 2013, la direction nous informe du transfert vers le site de Dunkerque des 12 cuviers de l’aciérie de Sérémange. Ajouté aux chariots d’agglomération qui ont pris le même chemin et la suppression de l’alimentation haute tension du poste de transformation électrique de Tournebride, le dépeçage continue, au mépris de l’accord sus cité. La CGT se trouve confortée dans son refus de participer à la commission de suivi de cet accord, au vue des faits que nous dénonçons. »
Les syndicats FO et CGT maintiennent une position d’indépendance syndicale, contrairement à la CFDT qui siège dans le comité de suivi et qui soutient l’accord du 30 novembre 2012. La position des syndicats FO et CGT continue à être un point d’appui. Il reste environ 2000 sidérurgistes à Florange. Rien n’est joué !
Comment faire pour lutter contre l’ANI et les suppressions d’emplois?
La CFDT a signé l’ANI (accord national interprofessionnel), qui dynamite le code du travail, pour le remplacer par des accords d’entreprises dénommés « accords de compétitivité ». Ceux-ci permettent de déroger aux conventions collectives existantes pour permettre la destruction des droits et la baisse du cout du travail, conformément aux directives de l’Union européenne.
Dans ce cadre, dans la sidérurgie, des négociations sont en cours sur un accord d’entreprise dénommé CAP 2016. Il s’agit, suite à CAP 2013, d’intégrer les syndicats à l’aggravation des conditions de travail par la généralisation de la flexibilité, de la mobilité, la destruction des qualifications et les suppressions de postes.
L’ANI permet par conséquent à Mittal de faire le chantage suivant aux syndicats : ou bien vous signez CAP 2016 ou bien ce sont les suppressions de postes !
Un syndicaliste FO : « CAP 2016 c’est une réduction des couts à outrance : réduction de la masse salariale et réduction des effectifs. On ne peut pas signer ! »
Un syndicaliste CGT s’interroge :
« L’ANI permet d’accélérer la mise en œuvre d’accords de compétitivité entreprise par entreprise. Il est nécessaire de s’unir pour l’abrogation de l’ANI. La CGT ne signera pas CAP 2016, avec FO, ce serait un point d’appui ! »
Un syndicaliste : « C’est par la grève qu’on fera reculer Mittal et le gouvernement. Pour le moment ce qui empêche l’unité contre le gouvernement et Mittal, c’est la signature de pactes régionaux : pacte pour la lorraine, pacte pour l’avenir de la Bretagne. »
A quoi servent les pactes régionaux ?
Un syndicaliste CGT : « A travers les récents événements provenant de la Bretagne, un risque imminent apparaît pour la classe ouvrière. C’est le phénomène de la régionalisation visant à remettre en cause les droits ouvriers. Nous sommes nombreux à affirmer qu’il est inconcevable de manifester aux côtés des tôliers licencieurs et qui essayent de faire croire que le malheureux travailleur aurait les mêmes intérêts que son patron. Comme si les sidérurgistes avaient les mêmes intérêts que Mittal ! »
Un autre syndicaliste précise : « Pour la mise en application du pacte Lorraine, le 7 octobre 2013, Etat, Région et partenaires sociaux ont signé la charte de fonctionnement du comité lorrain tripartite, volet social du Pacte pour la Lorraine. Ce comité est composé du préfet, de la région et d’organisations syndicales et patronales : Medef, CFDT, CGT, CFTC, CFE-CGC. Dans la charte de fonctionnement du comité lorrain tripartite on lit : « le comité contribue à la réflexion sur l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques de l’emploi et la formation professionnelle. »
Le préfet de la région lorraine indique qu’il s’agit avec le comité lorrain tripartite de : « préfigurer le mode de fonctionnement de l’acte III de la décentralisation. C’est le modèle retenu au niveau national, avec la mise en place de réunions quadripartites entre le ministre Michel Sapin, le président de l’ARF (association des régions de France), les organisations patronales et syndicales »
Un syndicaliste : « A travers cette forme de régionalisation, on peut entrevoir l’acte trois de la décentralisation, tout comme la réforme des rythmes scolaires qui territorialise le système éducatif.
Le triptyque commune/département/État est peu à peu remplacé par Métropole/région/Europe.
Le gouvernement avec le Conseil Unique d’Alsace avait tenté de régionaliser le droit du travail, pour le calquer sur ceux plus flexible d’Allemagne et de Suisse. Il a échoué, les UD FO, CGT du haut Rhin et du Bas Rhin appelant à rejeter le Conseil Unique d’Alsace. La Lorraine tout comme la Bretagne servent de terrain d’expérimentation au profit de l’Europe des régions et de l’éclatement de la Nation. Nous n’avons pas à manifester avec les patrons. C’est évident ! Mais aussi nous n’avons pas à nous mettre autour de la table pour tenter de rendre acceptable les liquidations des entreprises. »
Quelle position adopter par rapport au gouvernement dit » de gauche » ?
François Hollande est à Florange le 26 septembre 2013. On a pu lire dans un tract syndical : « Nous n’avons pas organisé une manifestation sur fond politique anti-Hollande pouvant profiter à un certain parti antirépublicain » !
Certains disent : « la gauche et la droite, ce n’est pas pareil et s’attaquer au gouvernement, c’est faire le jeu du Front national. »
Le gouvernement attaque et détruit les conditions de vie de la population : avec la contre-réforme des retraites, la destruction du régime local de sécurité sociale et du régime minier, le plan régional de santé, les nouveaux rythmes scolaires, la hausse des impôts et des taxes, la mise en place des métropoles et la réduction des budgets…
Faudrait-il renoncer à se défendre car le gouvernement se dit » de gauche » alors qu’il est au service de l’Union européenne et du capital financier ?
C’est prendre une lourde responsabilité que de vouloir enfermer les besoins de la population dans la subordination à un gouvernement qu’on nous présente comme « différent », puisque « de gauche », alors que, chacun le constate, il se contente de continuer, en pire, la politique de Sarkozy dans le cadre fixé par la Banque centrale européenne et le FMI.
Au nom de la lutte contre le front national faudrait –il renoncer à défendre les revendications et accompagner les plans du gouvernement ?
En guise de conclusion provisoire :
Les politiques publiques de l’emploi obéissent à une logique de baisse du coût du travail, de précarité, de flexibilité, de suppressions d’emplois dont l’ANI est le fer de lance.
Faut-il aider le gouvernement à mettre en œuvre les politiques publiques de l’emploi, relayant la baisse du cout du travail et accompagnant les suppressions d’emplois dans le cadre des accords de compétitivité ?
La question qui se pose est bien celle de préserver l’indépendance des organisations vis-à-vis du gouvernement et de l’Union européenne.
Au nom de « l’intérêt général », si les organisations ouvrières s’intégraient dans des « comités de suivi » dans « des pactes territoriaux » elles deviendraient des courroies de transmission des mesures antisociales et antiouvrières.
La question qui est posée est celle de la préparation de l’action unie des travailleurs avec leurs organisations, pour bloquer le gouvernement et sa politique dictée par l’Union européenne
Discutons-en !
Anne Catherine Levecque, Hugues Miller, Albert Dal Pozzolo, Jean Markun, Arsène Schmitt.
Comité de résistance, 1 rue de la paix
BP 30301, 57203 Sarreguemines cedex.