Ce 28 octobre la grève se poursuit à la raffinerie Total de Grandpuits avec une opération de blocage des expéditions de carburant durant 48 heures. Les ouvriers continuent de se battre contre les suppression de poste et le risque de fermeture de la raffinerie. Ils viennent ainsi de décider en assemblée générale intersyndicale une grève de 48h avec « la coupure de toutes les expéditions de produits par tout moyen, route, fer ou pipeline, jusqu’à samedi 6 heures ». Les travailleurs en lutte peuvent compter sur le soutien total de la commission lutte du PRCF. Initiative Communiste se félicite de pouvoir également faire entendre directement la voix des travailleurs avec un entretien réalisé le 27 octobre par notre jeune camarade D. Vlador et des questions préparées par Clément et Bernard.
Initiative communiste : Bonjour monsieur Cornet, pouvez-vous dans un premier temps vous présenter ?
Adrien Cornet, délégué syndical CGT raffinerie Grand Puits. Je travaille à la raffinerie depuis 10 ans.
Initiative communiste : Depuis quand êtes vous entré en lutte ?
Adrien Cornet – Nous avons appris le 24 septembre que les capacités de raffinage de Grand Puits allaient être fermées. Elles vont être délocalisées dans des endroits où les normes sociales et environnementales sont moins lourdes par rapport à la France. Cela va engendrer 200 suppressions d’emplois sur Total et 500 suppressions d’emplois sur les entreprises extérieures. À la suite de cette annonce, on a organisé une assemblée générale et nous avons donc mené notre première action le 6 octobre : nous nous sommes rendus devant le parvis de la Défense au pied de la tour Total pour qu’aucun emploi ne soit supprimer.
Initiative communiste : Quelles sont vos revendications ?
Adrien Cornet – Nous voulons un projet qui ne comprend aucune suppression d’emploi : actuellement, on est 450 salariés des entreprises Total et 700 des entreprises extérieures. On veut également une transformation de l’outil en gardant le raffinage en attendant la transition définitive.
Initiative communiste : À l’heure à laquelle nous parlons, quelles ont été les réponses de vos patrons ?
Adrien Cornet – Monsieur Pinatel, directeur raffinage monde et monsieur Charcot, directeur raffinage Europe ont été très clair : il y aura 200 suppressions de postes à Total et 500 dans les entreprises extérieures. Nous avons donc demandé dans le cadre du plan social 3 réunions, avec la direction, et cela a été refusé catégoriquement. Il n’y a aucun dialogue social chez Total : on a un projet et il est à prendre ou à laisser.
Initiative communiste : Total s’abrite derrière un discours écologiste pour justifier ce plan de restructuration, pourtant très vite, c’est par soi-disant défaut de rentabilité que l’argumentaire des patrons de Total a glissé. Étonnant pour une des entreprises qui génèrent le plus de dividendes du CAC40. Qu’en pensez-vous ?
Adrien Cornet – Pour le patronat il y a toujours un problème de rentabilité car il part du principe qu’il ne fait jamais assez de profit. Le but de Total est d’aller dans des pays pour sous-traiter, pour produire avec moins de normes, moins de cotisations patronales à verser et évidemment moins de normes environnementales pour générer plus de profit.
Initiative communiste : Donc le discours officiel qui nous parle d’écologie c’est de la flûte. C’est encore une question de rentabilité ?
Adrien Cornet – Tout à fait. Par exemple on construit un pipeline en Ouganda en plein milieu des réserves naturelles.
Initiative communiste : Dans un rapport de 2010 concernant la politique de raffinage, produit par la commission européenne [ndlr Study on the supply of petroleum products in the EU and infrastructure priorities for 2020 and beyond (2010) SEC/2010/1398 final ], il est prévu que l’UE réduise de 14% les capacités de production en Europe, au profit des importations du Moyen Orient. Que pouvez-vous nous dire concernant cela ?
Adrien Cornet – Depuis 2010 et notamment depuis le début de la présidence de Patrick Poyanné (PDG de Total), son objectif est de fermer les raffineries. En 2010 ils ont fermé Flandres, en 2015 cela a continué et aujourd’hui ils veulent fermer Grand Puits. En ce qui concerne l’écologie, vous pouvez trouver un rapport très intéressant des Amis de la Terre, montrant qu’écologiquement, Total est une catastrophe, au niveau de la déforestation, du déplacement de force des populations, de la destruction des parcs naturels et cela, c’est sans parler des mercenaires engagés pour protéger les intérêts de Total. Il y a même le patron de Total qui demande le soutien de l’armée française au Mozambique pour sécuriser leur projet : soit 60 milliards d’investissements dans ce pays.
Initiative communiste : Comment soutenir votre lutte ?
Adrien Cornet – On attend de l’aide des organisations sociales et politiques qui sont du côté des travailleurs. On veut construire avec eux un contre- projet qui aille vraiment dans la direction de la transition écologique. Celle-ci doit être dans les mains des travailleurs et non dans celles des capitalistes. On demande aussi un soutien pendant les grèves, les luttes, on aura besoin de toute l’aide disponible, de toute la bonne volonté, que ce soit moralement ou bien par les caisses de grève.
Initiative communiste : La crise du Coronavirus a démontré l’importance des ouvriers dans notre pays : y a-t-il eu une reconnaissance, notamment sur le plan salarial ?
Adrien Cornet – Pas du tout. Monsieur Pinatel s’est positionné contre cette prime, en expliquant que l’on avait fait simplement notre travail. J’ai toujours une attestation montrant que je suis un travailleur indispensable, on appelle cela des OIV des Opérateurs d’Importance Vitale, qui me permet de circuler de partout 24h/24. Donc d’un côté on a l’État qui vous félicite car on a été vaillant en période de Covid et qu’on a risqué notre santé, et de l’autre on a monsieur Pinatel qui nous dit juste que l’on a fait notre travail.
Initiative communiste : Les raffineries sont un outil industriel stratégique pour produire en France, non seulement pour l’ensemble de la filière de production chimique mais également pour la transition écologique. Faut-il s’inquiéter de la destruction de l’outil industriel en France avec la réduction de la capacité de raffinage de 1842 barils jour en 2010 à peine 1200 en 2018 ?
Adrien Cornet – La question n’est pas de se poser au Mozambique, en France ou ailleurs. Il faut que la production de carburant se fasse dans des pays où les normes sociales et environnementales sont les plus hautes, et c’est le cas en France. Nous on répond à un besoin, un besoin qui est local, on parle du besoin de carburant en Île de France, et c’est pour cela que la raffinerie est nécessaire. Il faut garder son indépendance, il faut produire chez nous, où l’on a des normes sociales et écologistes qui respectent les salariés et l’environnement.