« La situation actuelle, marquée par la recrudescence de l’impérialisme et la crise mondiale, montre que le capitalisme n’est pas un horizon possible. » A. Monville
Source : http://comptoir.org/2015/06/10/aymeric-monville-ideees-droite-force-prejuges
Philosophe marxiste et rédacteur en chef adjoint de la revue « La Pensée », Aymeric Monville est également directeur des éditions DELGA, fondées en 2004. Nous avons souhaité le rencontrer pour en parler.
Le Comptoir : Les éditions Delga existent depuis une dizaine d’années maintenant. Pourquoi vous lancer dans cette aventure ?
Aymeric Monville : Avant tout, nous sommes des militants communistes qui avons refusé la liquidation de notre idéal. La bataille idéologique, la bataille du livre également, est consubstantielle à notre engagement. La quasi-disparition des Éditions sociales, éditions du Parti communiste et, il faut bien le dire, du Parti communiste en tant que parti de masse et de classe, ainsi que du rôle positif qu’il jouait jusqu’au refus du traité de Maastricht inclus, nous a incités à faire les choses par nous-mêmes sans attendre l’aide de tel ou tel appareil. Cette aventure éditoriale a coïncidé, heureusement, avec la fin de l’ostracisme anti-marxiste. La situation actuelle, marquée par la recrudescence de l’impérialisme et la crise mondiale, montre que le capitalisme n’est pas un horizon possible. D’où l’intérêt pour le marxisme et le marxisme-léninisme qui a fait ses preuves au XXe siècle avec l’établissement du socialisme, la défaite du IIIe Reich et la mise au pas du IVe : l’impérialisme étasunien.
Le monde du livre se porte mal, pourtant les maisons d’éditions indépendantes se multiplient du côté de la gauche radicale, comme Delga, Agone, L’Échappée, Le Passager clandestin ou La Fabrique. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Le discrédit mérité qui frappe les médias traditionnels, mais aussi les livres des maisons d’édition classiques n’y est pas pour rien. Aujourd’hui, seules les petites maisons indépendantes font encore des sciences humaines, des traductions, des publications scientifiques. Le militantisme pallie certainement l’absence de moyens. La bourgeoisie française est entrée en décadence. Elle n’a plus rien à dire. Le sérieux théorique est de notre côté.
« La situation actuelle, marquée par la recrudescence de l’impérialisme et la crise mondiale, montre que le capitalisme n’est pas un horizon possible. »
Vous avez récemment participé au Petit salon du livre politique aux côtés de beaucoup de ces maisons d’édition. Travaillez-vous régulièrement ensemble ?
« Travail » est un bien grand mot. Nous participons au même salon, dans une entente cordiale et bon enfant. Aujourd’hui, chaque branche historique du mouvement travailleur a, en gros, sa maison d’édition. Les divergences historiques indéniables ne doivent pas diviser l’union nécessaire de tous ceux qui rejettent le capitalisme et ont compris qu’il est illusoire et criminel d’opposer les travailleurs entre eux, d’où qu’ils viennent. Historiquement, nous représentons la branche majoritaire (marxisme-léninisme, IIIe Internationale), c’est donc à nous d’être les plus responsables et les plus unitaires.
Les éditions Delga sont notamment connues pour avoir réédité une grande partie des œuvres de Michel Clouscard et de Georg Lukács. Pourquoi ces choix en particulier ?
Nous sommes plus intéressés par les auteurs qui, dans le marxisme, valorisent l’héritage hégélien (dialectique, aliénation, recul historique et patience du concept) que par ceux qui, comme l’école althussérienne, l’amputent de cette riche source et sombrent à mon avis, malgré eux, dans le positivisme.
Si Lukács est clairement adepte de l’hégélianisme, il est cependant plus difficilement classable dans le marxisme-léninisme dont se revendiquent les éditions Delga.
De La Pensée de Lénine, texte de jeunesse, à ses Mémoires, Lukács n’a cessé d’affirmer l’importance de Lénine. Il a même donné raison à ce dernier jusqu’à la fin de sa vie (voir la préface de 1967 à « Histoire et conscience de classe ») dans la querelle philosophique qui les avait opposés, au sein du Komintern, dans les années 1920. Bien sûr, Lukács a toujours lutté, et à bon droit, contre une dogmatisation du marxisme-léninisme, et il avait raison. Mais on aurait tort de négliger le progrès essentiel qu’a pu constituer l’apparition de cette codification du marxisme en doctrine de masse, qui a littéralement déplacé les montagnes, quelles qu’en soient ses limites. Aujourd’hui le marxisme universitaire (d’obédience trotskiste, le plus souvent) consiste à donner des mauvaises notes à toute expérience historique au nom d’une subtilité marxiste doctrinale. C’est un exercice très vain. Laissons cela aux médiocres.
En quoi la pensée de Michel Clouscard vous semble-t-elle encore utile au communisme ?
Clouscard interdit la dérive social-démocrate en direction de l’électorat des couches moyennes. Il ne rejette pas ces couches moyennes. Il leur dit, en gros : « le capitalisme vous fait miroiter un rêve et vous n’aurez plus que le fascisme pour vous accrocher aux miettes qu’aura bien voulu vous laisser le système. Rejoignez plutôt le mouvement d’émancipation des travailleurs. C’est la seule voie digne. » Il faut cesser, à gauche, de caresser les couches moyennes dans le sens du poil, dans leur utopisme niais et leurs compromissions.
Clouscard est notamment connu pour son invention du terme « libéral-libertaire » qui qualifie le système post-soixante-huitard. Aujourd’hui, le capitalisme semble de plus en plus sécuritaire et la question identitaire semble avoir pris le pas sur le gauchisme culturel. L’analyse du sociologue est-elle encore d’actualité ?
Clouscard, dès le début des années 1970, avait non seulement prévu la victoire de la social-démocratie libertaire, mais également la fascisation rampante qui allait lui succéder. Du fait qu’on allait faire consommer à crédit des gens que, par ailleurs, on appauvrissait. Dès 1998, trente ans après Mai-68, il résume ce moment historique avec une maestria saisissante : « Sous les pavés, Le Pen ! » Il savait très bien que cette société de paillettes ne reposait sur aucun progrès réel, concret, et ne pouvait que sombrer dans la frustration poujadiste. Il avait vu aussi que « le capitalisme portera[it] la guerre civile chez les pauvres ». Regardez l’explosion du communautarisme aujourd’hui…
« Il faut cesser, à gauche, de caresser les couches moyennes dans le sens du poil, dans leur utopisme niais et leurs compromissions. »
Si Clouscard est aujourd’hui largement ignoré dans son camp, il est largement repris à droite et à l’extrême droite, notamment par le national-socialiste Alain Soral. Que vous inspirent ces récupérations ?
Vous en êtes à votre quatrième question sur Clouscard alors que notre catalogue compte tout de même une centaine de titres ! Mais oui, Clouscard est très lu, par toutes sortes de personnes, il est devenu une sorte de classique que tout le monde aimerait avoir lu − c’est la définition des « classiques » selon Hemingway… − mais sans pourtant se sentir obligé de le lire ou encore de le comprendre. « Repris à droite et à l’extrême droite » ou par des « nationaux-socialistes », là, permettez-moi de vous dire que vous délirez. Il est parfois cité à droite, mais très partiellement, comme témoin des stratégies libérales-libertaires, jamais pour la totalité marxiste-léniniste de son approche. Comme éditeur, je n’ai pas à distribuer des bons points à tel ou tel lecteur ; comme communiste, bien entendu, je n’ai qu’à penser à l’histoire du XXe siècle pour comprendre ce qui nous sépare de tout ce que vous évoquez. Mais si vous parlez d’extrême droite, je vous rappelle que notre gouvernement actuel a soutenu la junte néo-nazie de Kiev, comme Léon Blum avait laissé l’Espagne républicaine se faire massacrer par les fascistes. L’extrême droite est malheureusement très vaste aujourd’hui…
Mais ça ne durera pas, c’est certain. La raison pour laquelle Clouscard est lu partout est aussi due au fait que le sérieux théorique est du côté des marxistes, depuis très longtemps. Il n’y a pas d’idées à droite, il n’y a que la force des préjugés. Un jour ou l’autre, ça va craquer.
Votre maison édite également le très controversé Domenico Losurdo, accusé par certains de réhabiliter Staline. Pourquoi ce choix ?
Je n’aime pas du tout les termes « accusé », « réhabilité », « controversé » : on n’est pas au tribunal de McCarthy ! Il est évident que sortir du vocabulaire et des préjugés de la Guerre froide est nécessaire. L’histoire officielle de l’URSS, actuellement enseignée dans nos écoles, n’a aucun étai scientifique. Losurdo est un historien des idées extrêmement qualifié, sans doute le meilleur de sa génération. Lisez son dernier ouvrage La non-violence : une histoire démystifiée, et vous comprendrez le sérieux de son approche qui, seule, permet d’expliquer la récupération d’une idéologie au service de l’impérialisme. Quant aux historiens que nous publions sur la période stalinienne, ils sont reconnus mondialement, traduits dans le monde entier (Geoffrey Roberts, Les guerres de Staline ; Grover Furr, Khrouchtchev a menti ; Michael Parenti, Le Mythe des jumeaux totalitaires). Ils apportent de grandes nouveautés à la lueur des archives. Le débat porte sur les faits, pas sur la morale. Sur le plan moral, quoi qu’on puisse imputer à Staline, son jugement est indécidable : même si on accepte la version dominante (très peu étayée) des anticommunistes, il reste le personnage qui a bâti le premier État socialiste sur les ruines de la guerre civile et celui qui a terrassé le fascisme. Débrouillez-vous avec ça. Pour le reste, comme disait Aragon : « Commencez par me lire ! »
« La raison pour laquelle Clouscard est lu partout est aussi due au fait que le sérieux théorique est du côté des marxistes, depuis très longtemps. Il n’y a pas d’idées à droite, il n’y a que la force des préjugés. »
Justement, selon Cornélius Castoriadis, « la présentation du régime russe comme “socialiste” − ou comme ayant un rapport quelconque avec le socialisme − est la plus grande mystification connue de l’histoire ». Peut-on réellement parler de socialisme pour un régime qui a remplacé la domination bourgeoise par la domination bureaucrate ?
Vous m’opposez un argument d’autorité, proféré par un rond-de-cuir de l’OCDE, organisme fondé dans la foulée du plan Marshall. Où sont les bureaucrates ? Autant demander à la CIA ce qu’elle pense de Cuba. Pour revenir dans le sérieux, dans Le Socialisme trahi, de Keeran et Kenny, sans doute le livre le plus important que nous ayons publié, des chercheurs étasuniens montrent que le pire ennemi des Soviétiques était surtout le second marché, l’économie parallèle qui a commencé à croître sous Khrouchtchev et a fini par emporter le système sous Gorbatchev. Ce sont ces éléments de capitalisme qui ont détruit l’URSS qui restait néanmoins un pays à forte implantation socialiste. Mais la disparition de l’URSS et le recul colossal des droits et du bien-être des peuples depuis vingt-cinq ans montrent bien a contrario le rôle positif que jouait le socialisme sur le plan international.
Voir aussi :
- Site des éditions Delga
- Compte Facebook des éditions Delga
- La pensée de Michel Clouscard présentée sur Le Comptoir
- Résistances, livre d’entretien de Jean Salem et Aymeric Monville aux éditions DELGA
Pour vaincre la bourgeoisie, il faut commencer par supprimer la classe des politiciens à vie.Sans cela le pouvoir restera entre les mains de cette classe(Bureaucratie, nomenklatura,etc.) après la prise du pouvoir par le prolétariat et peut-être même avant.C’est ce que Lénine, Staline, Mao,etc. n’ont pas vu.C’est pourquoi touts les dictatures du prolétariat ont sombré les uns après les autres.
Cela ne signifie pas qu’il faut supprimer le Parti mais limiter la durée, au minimum possible, des fonctionnaires au sein du Parti ou de l’Etat pour empêcher la constitution d’une classe de politicien c’est à dire des gens qui vivent de politique et complètement coupés du travail productif.Et cela ne peut se faire que dans le cadre d’une alternance entre le travail productif et le travail politique organisé par le Parti politique du prolétariat lui-même.
C’est l’enseignement de l’expérience du communisme au 20° siècle.
Sans détruire la classe politique au sein du prolétariat lui-même, celui-ci ne peut pas mener la révolution jusqu’au bout.