Il y a quelques semaines, Initiative communiste publiait un article intitulé « Le principal séparatisme en France, c’est celui de Macron et de l’oligarchie financière qu’il représente ! », à la suite du discours du « Président de la République » Macron qui annonçait, fier-à-bras, son intention de partir en guerre contre le « séparatisme islamiste ». L’analyse alors proposée recoupe un article que vient de rédiger la sociologue Anne Lambert, article intitulé « Avec le coronavirus et le confinement, le scandale des inégalités sociales éclate ». Si ce scandale a déjà éclaté depuis bien plus longtemps, l’analyse d’Anne Lambert mérite toutefois l’attention car elle démontre, une nouvelle fois, combien le principal séparatisme, en ces temps de lutte contre le coronavirus et de confinement, est bien celui de l’oligarchie capitaliste et de ces classes supérieures urbaines dont la priorité absolue est de « jouir de ses libertés » (comprenez : assouvir ses désirs égoïstes et hédonistes), les poussant donc à pratiquer un séparatisme socio-territorial de surcroît irresponsable et inconséquent au regard du risque démultiplié de contamination.
Mais ne comptons pas sur des médias aux ordres, ces éditocrates et pseudo-« journalistes » servant la soupe à la propagande gouvernementale et plus enclins à montrer des images des 19e et 20e arrondissements populaires de Paris ou d’évoquer Clichy-sous-Bois, où certains habitants bravent les consignes de confinement – grave erreur dans la mesure où le respect de la discipline collective est indispensable dans ces temps d’urgence sanitaire. Peut-on cependant en vouloir autant à ces populations déjà confinées en temps normal depuis des décennies, victimes de ségrégation socio-spatiale, de l’explosion des prix des loyers, du démantèlement des services publics, de la fin de la République autrefois « une et indivisible » – rappelons que la macronie a acté le séparatisme en introduisant le « droit à la différenciation » des territoires dans l’article 1 de la Constitution le 12 juillet 2018 ! –, de préjugés de toutes sortes, etc., et à cette oligarchie bourgeoise composée de classes supérieures urbaines, toujours prompte à trahir la prétendue « unité nationale » comme elle le fit en 1870, en 1914 (les fameux « marchands de canon » et « profiteurs de guerre ») et en 1940 (la collaboration au nom de la haine de la République, du communisme et des syndicats, de « l’amitié franco-allemande » et de la recherche juteuse des profits, ça n’a pas de prix !) ? Car en temps de guerre, cette dernière défendra toujours ses intérêts de classe, à savoir ceux de la poursuite d’une activité économique rentable et de la « jouissance sans entrave » de ses plaisirs et loisirs priv(atis)és, égoïste et hédoniste ; et ainsi d’appliquer le message lancé par Macron à des étudiants d’une école de commerce en Inde en mars 2018 : « Surtout, ne respectez jamais les règles ! », et « Just do it ! » – Macron, VRP de Nike…
C’est pourquoi IC relaie cette juste analyse, mais dont la conclusion tend à l’angélisme naïf : comment attendre de Macron qu’il « rende justice » à l’ensemble des personnels des services publics, qu’il ne cesse de démanteler depuis son arrivée au pouvoir au nom du dogme européiste imbécile et mortifère de la « rigueur budgétaire et monétaire » (temporairement suspendue, mais gageons que les « critères de stabilité et de convergence » maastrichtiens ne seront pas abandonnés aussi facilement une fois la crise passée), de « l’ouverture à la concurrence libre et non faussée » et de la « totale liberté de circulation » (qui de toute évidence se poursuivait jusqu’à la dernière minute pour l’oligarchie capitaliste…) ? Comment attendre cela d’un gouvernement qui, profitant iniquement et honteusement de la crise sanitaire, veut faire passer une loi dite d’« état d’urgence sanitaire » qui consacre la toute-puissance dictatoriale du patronat en lui offrant la possibilité de rogner sur les congés payés, la semaine de 35 heures, le repos hebdomadaire, le repos dominical, etc., tout en dérogeant au (feu) code du travail, aux conventions collectives et au droit de la fonction publique ?
Le monde d’après ne se construira pas avec et grâce à Macron, Philippe et leurs laquais, mais contre eux, leurs intérêts de classe et leurs amis, à savoir l’ensemble des gouvernements et des forces eurobéates et euro-compatibles, le MEDEF qui appelle à « travailler coûte que coûte », et la mortifère « Union européenne » chantant les louanges de la « mondialisation (capitaliste) heureuse ». Si le monde d’après doit advenir, il est VITAL de sortir d’urgence de l’euro, de l’UE, de l’OTAN ET du capitalisme exterministe des conquêtes sociales démocratiques, de l’environnement, de la santé… et tout simplement de la vie humaine.
Avec le coronavirus et le confinement, le scandale des inégalités sociales éclate
Anne Lambert Sociologue, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques, directrice de l’unité de recherche « Logement et Inégalités Spatiales »
Je suis sociologue, je ne suis pas Covid19, ou alors je ne le sais pas encore. Pour l’instant, j’ai de la chance, je suis confinée dans mon appartement en ville avec mon mari et mon fils de cinq ans, à qui je fais la classe en même temps que je “télétravaille”, par fractions de journée. Ma sœur, elle, est confinée dans 60 m2 à Paris avec sa fille de 4 mois et son conjoint (jeune, sportif, brillant, mobilisé dans le secteur de la santé depuis plusieurs semaines) testé positif au covid19, dont les symptômes peinent à se stabiliser. Leur vie est un enfer depuis huit jours maintenant.
Mais ce que je vois au jour le jour sur les réseaux sociaux, les chaînes Whatsapp, Instagram, Facebook me tient en horreur. Ce miroir grossissant de notre société m’empêche de dormir. J’ai honte. La crise sanitaire majeure que nous vivons aggrave dans des proportions inédites les inégalités sociales. Elle les décuple à tous les points de vue, en même temps qu’elle les rend visibles, palpables, immédiates: conditions de vie, exposition à la maladie, gestion de la vie domestique, de la parentalité, du travail éducatif. Les personnels de soin, les fonctionnaires (police, professeurs), mais aussi le prolétariat urbain (éboueurs, agents de sécurité…) sont en première ligne pour endiguer l’épidémie de covid19 et assurer la continuité de la vie sociale (sécurité des personnes, des musées, etc.) tandis que les classes supérieures, surexposées initialement au virus par leur nombre élevé de contacts sociaux et la fréquence de leurs voyages, ont déserté les villes pour se mettre à l’abri. Et de cela, nous ne parlons pas.
Ils curent une maladie de cadres supérieurs mais sont, par les processus profonds de ségrégation urbaine, de montée des inégalités, de casse des services publics, exclus des formes récentes d’enrichissement.
Le confinement imposé depuis mardi midi décuple en effet les inégalités de conditions de vie: petites surfaces, logements surpeuplés ou insalubres, sont le fait des étudiants logés en résidence universitaire ou dans le parc privé (chambre de bonne, studio, souplex…), mais aussi des classes populaires et des classes moyennes qui habitent dans les métropoles et peinent, depuis près de dix ans (hausse du marché locatif privé et des prix à l’achat), à se loger et à se maintenir dans les centres urbains. Des logements parfois tout juste suffisants pour répondre à la norme du “logement décent” défini par la loi SRU. Mais les logements qui se sont vidés suite à l’exode sanitaire ne sont pas ceux-là. Non, ce sont les logements spacieux, lumineux, propres, connectés, des arrondissements aisés de la capitale, des logements habités par les familles de classes supérieures parties se mettre au vert dans une résidence secondaire, ou alors dans une villa connectée à internet, louée pour l’occasion.
En première ligne, dans les villes, les personnels soignants et les fonctionnaires gèrent donc l’urgence médicale au quotidien, et assurent la continuité de la vie sociale (écoles, sécurité des musées et du patrimoine de l’État, administrations, etc.). Ces personnels ont obligation de résidence. Ils ne peuvent pas fuir. Et parfois ne le veulent pas, conformément à leur éthique et à leur mission de “service public”.
Mais tandis que les personnels soignants sont mobilisés et que les salariés modestes nettoient et approvisionnent nos villes, jour et nuit, au risque d’être contaminés à leur tour, leurs enfants, pendant ce temps, ne sont pas au vert. Non, ils sont confinés dans ces mêmes appartements étroits, quand ils ne sont pas accueillis dans des structures de garde d’urgence laissées ouvertes à leur intention. Leurs parents ne pourront pas assurer la continuité pédagogique proposée en urgence par le ministre de l’éducation. Il leur est, dans ces conditions matérielles et professionnelles, impossible d’assurer le travail éducatif et parental requis. Mais à qui servent-elles, au final, ces injonctions de “continuité pédagogique”? Car les cours en ligne demandés aux professeurs sont en réalité pris en charge par de nombreux vacataires de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur (ATER, chargés de TD, vacataires…), aux conditions de vie elles-mêmes dégradées, comme l’ont médiatisé récemment les nombreux mouvements contre la réforme des retraites et la LPPR. À bien y réfléchir, comment la continuité pédagogique ne pourrait-elle pas nourrir les inégalités? Suivre un cours sur un téléphone portable n’a jamais été facile, tandis que disposer d’un ordinateur portable, d’une chambre à soi, d’une imprimante, reste un bien très inégalement partagé. De cela, il faudra se souvenir après la crise.
Suivre un cours sur un téléphone portable n’a jamais été facile, tandis que disposer d’un ordinateur portable, d’une chambre à soi, d’une imprimante, reste un bien très inégalement partagé.
Enfin, il y a bien sûr les inégalités d’exposition au risque de contamination au covid19. Ceux et celles qui sont en première ligne – infirmières, médecins généralistes, aides-soignantes, brancardiers, mais aussi blanchisseurs, personnels de nettoyage- s’occupent de soigner, nettoyer, laver, récurer, endiguer la montée du coronavirus dans la population française. Ils curent une maladie de cadres supérieurs mais sont, par les processus profonds de ségrégation urbaine, de montée des inégalités économiques, de casse des services publics, durablement exclus des formes récentes d’enrichissement. De cela aussi, il faudra se souvenir après la crise.
Et pendant ce temps, les départs au vert s’accélèrent (enfin, jusqu’à hier midi). Les arrondissements riches de Paris se sont vidés de leurs familles. Pouvait-il en être autrement? Devaient-ils rester à Paris? Aider un voisin âgé à faire ses courses, ou un jeune couple atteint par le confinement total? Ou partir dans une résidence secondaire permettait-il de faire baisser la pression sur les lits des hôpitaux déjà presque saturés de la région parisienne? Mais n’allaient-ils pas transporter avec eux (dans les commerces locaux de campagne et de station balnéaire) le fameux virus dont ils étaient potentiellement porteurs?
Il faudra que justice se fasse, non pas individuellement, mais à l’échelle collective. Je veux dire qu’il faudra lever un impôt spécial sur la fortune pour réparer, rattraper, compenser les inégalités, et payer les soins sans faille apportés par les personnels soignants et l’ensemble des fonctionnaires (police, professeurs, gardiens) mobilisés dans la gestion de la crise et la continuité de la vie sociale.
Il faudra que justice se fasse, non pas individuellement, mais à l’échelle collective.
Je veux aussi dire qu’il faudra investir massivement dans les hôpitaux, l’école et l’université pour rattraper notre retard, et préparer notre avenir avec des infrastructures dignes. Emmanuel Macron a rappelé qu’ils étaient le socle fondamental de notre société, le ferment de notre République; il a annoncé dans son discours de lundi soir qu’il y aura un avant et un après coronavirus. J’espère que notre gouvernement saura rendre justice aux équipes médicales et à l’ensemble des salariés mobilisés. Il faut qu’il y ait un avant et un après. Il doit y avoir un avant et un après. Pour ne pas que cette crise sanitaire et humaine majeure n’ait servi à rien.