LANDINI LEON
- Sous-Lieutenant : Officier FTP-MOI
- Officier de la Légion d’Honneur
- Médaille de la Résistance
- Interné de la Résistance
- Grand Mutilé de Guerre à 100 % suite aux tortures subis par la Gestapo
- Décoré par l’Union soviétique pour faits de Résistance
- Président de L’amicale des Anciens FTP-MOI Des bataillons Carmagnole et Liberté.
Bagneux le 12 octobre 2024
- À Madame Ségolène Royal, ancienne présidente de la région Poitou-Charentes, ancienne ambassadrice des Pôles, ancienne candidate socialiste à la Présidence de la République
- Monsieur Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, ancien ministre des Affaires étrangères à l’époque de l’invasion américaine de l’Irak
- Monsieur Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy
- Monsieur Pierre de Gaulle, défenseur du dialogue franco-russe
- Monsieur Pierre Rimbert, directeur du Monde Diplomatique
Madame, Messieurs,
Cette lettre d’un vieux résistant fidèle à la mémoire de sa famille antifasciste et de ses camarades F.T.P.-M.O.I. morts pour la France vous surprendra sans doute, tant par la diversité politique de ses destinataires que par la personnalité de son destinateur, par ailleurs président du PRCF, ce Pôle de Renaissance communiste en France qui se veut le continuateur idéologique du grand PCF qui impulsa le Front populaire, la Résistance populaire armée FTPF et FTP-MOI, l’insurrection populaire parisienne de 1944 et les grandes réformes sociales de la Libération, sans oublier les luttes pour la décolonisation et celles pour le désarmement nucléaire (Appel de Stockholm).
Il me semble pourtant que le vieil homme que je suis (bientôt 99 ans !) manquerait à son ultime devoir si, non content de défendre comme il peut la mémoire héroïque de la résistance communiste si souvent dénigrée ou minimisée, il ne faisait pas porter son ultime effort civique sur la sauvegarde de la paix mondiale. C’est-à-dire, dans les conditions actuelles, sur la défense de la survie même de l’humanité, plus menacée encore dans son être qu’elle ne le fut en 1962, lors des crises indissociables de Turquie, de Berlin et de Cuba, ou qu’en 1984 lors de la crise dite des « euromissiles ».
Chaque jour en effet nous rapproche du « conflit global de haute intensité » que préparent nos états-majors euro-atlantiques sous la houlette de Washington, Mme von der Leyen, les dirigeants successifs de Londres et le chef de l’État français étant hélas en pointe dans cette affaire.
Ce dernier a, en effet, le projet fou d’envoyer officiellement des troupes françaises en Ukraine, donc de nous instituer « co-belligérants » officiels dans ce conflit, voire maintenant, comme y exhorte le Parlement européen, de permettre à Kiev d’employer des missiles de fabrication et de livraison franco-anglaise pour frapper la Russie « dans la profondeur de son territoire » ! Déjà, les médias britanniques ont annoncé que Biden serait prêt à ce que ce type de frappe ait lieu de la part de la France et du Royaume-Uni.
Vladimir Poutine ne cesse pourtant d’avertir sévèrement l’Ouest que la doctrine russe d’emploi de l’arme nucléaire, qui jusqu’ici interdisait à Moscou d’être la première à frapper atomiquement, est en cours d’évolution, que les nouveaux missiles hypersoniques russes sont inarrêtables et que si les Occidentaux, Français en tête, franchissent les dernières lignes rouges séparant un conflit encore partiellement local d’un conflit régional, puis d’une guerre inévitablement mondiale, nucléarisée et exterminatrice, alors la Russie se sentira directement en guerre avec les pays de l’OTAN, France et Angleterre en tête. Avec de possibles conséquences effroyables pour la population française, notamment pour nos enfants, pour toute l’humanité, voire pour l’ensemble des êtres vivants existant sur Terre !
Il ne suffit certes pas de déclamer contre « l’autocrate » Poutine, de prétendre sottement qu’il est « fou », et autres discours de tribune. D’ailleurs, à supposer que Poutine soit ce que la presse occidentale dit de lui, raison de plus pour prendre ses avertissements au sérieux !
D’autant que le conflit du Donbass est loin d’être un conflit isolé. Il n’est qu’un des théâtres particulièrement brûlants d’une grande ligne de fracture planétaire qui part de la Baltique, passe par le Caucase et l’Iran, se poursuit au Proche-Orient, où le fascisant gouvernement Netanyahou fait tout pour internationaliser le conflit israélo-palestinien (frappes sur le Liban, l’Iran, la Syrie…), continue dans la mer Rouge, se réchauffe dans le détroit de Taïwan (où Washington a abandonné l’idée pacificatrice qu’« il n’y a qu’une Chine »), rebondit en mer de Chine et redevient incandescent dans la Péninsule coréenne, où l’idée d’un dialogue entre les deux Corées est abandonnée au profit d’un « changement de régime » imposé à Pyongyang par la force.
Si l’on ajoute à cela que cette grande faille mondiale pousse ses tentacules aussi en Amérique latine, où Washington tente d’affamer les Cubains après leur avoir fait miroiter la fin du blocus, et en Afrique où les grandes puissances s’affrontent à la faveur des révoltes légitimes en Afrique de l’Ouest, on voit que les lignes de front de la troisième guerre mondiale sont déjà dessinées sur la mappemonde. Et l’on sait en même temps que, la guerre étant montée aux extrêmes et les armes modernes étant nucléaires, ce sont à terme, voire à brève échéance, la survie de la France et celle de l’humanité qui sont en jeu.
Or, face à ce galop suicidaire, la France officielle d’Emmanuel Macron est l’un des pays les plus jusqu’au-boutistes. Nous sommes loin de la période où le général de Gaulle, en visite d’État à Moscou en 1944, osait déclarer : « La Russie soviétique a joué le rôle principal dans notre libération. » Et encore plus loin, vu l’évolution du PCF actuel, de la phrase courageuse prononcée par Maurice Thorez au plus fort de la guerre froide : « Le peuple de France ne fera jamais la guerre à l’Union soviétique. »
Nous sommes aussi, avec la politique aventurière et OTAN-formatée de l’Élysée, à des années-lumière de la digne attitude, qui fit aimer la France dans le monde entier, de Jacques Chirac et Dominique de Villepin refusant d’accompagner la sanglante invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. Fort loin aussi de l’attitude de M. Sarkozy partant au débotté négocier avec V. Poutine pour empêcher que ne dégénère à l’international le conflit entre Moscou et la Géorgie. Au contraire, à mesure qu’il est plus minoritaire et contesté dans son pays, le chef de l’État français ne cesse de jeter de l’huile sur le feu à l’étranger, alors même que sa politique arrogante a discrédité la France dans presque toute l’Afrique francophone !
On est également sidéré par la manière grossièrement manichéenne dont la grande presse française présente le régime de Kiev en cachant ses accointances avec les néonazis assumés du bataillon Azov, lequel a désormais libre quartier pour recruter en France. Or le régime de Kiev a profité de la guerre pour supprimer le code du travail dans les PME ; il a interdit tous les partis de gauche, dont le PCU ; il a enfermé sans procès les jeunes dirigeants de la Jeunesse communiste ; il a fait bombarder pendant huit ans (2014/2022) la population civile russophone du Donbass ; il supprime tous les monuments célébrant la victoire soviétique sur Hitler et célèbre le pogromiste antisémite Stepan Bandera, grand massacreur des juifs, des communistes et des Polonais d’Ukraine ! Et quelle tristesse de voir les états-majors des grands partis de « gauche » français et des principaux syndicats marcher dans le récit belliciste dominant, approuver l’envoi massif d’armes françaises en Ukraine d’une manière qui outrage la mémoire du grand Jaurès, martyr de la paix et figure de proue d’une France sociale, souveraine, laïque et PACIFIQUE.
C’est pourquoi, considérant que nous sommes à un doigt de l’embrasement mondial, et plus encore depuis les bombardements massifs d’Israël sur le Liban, je me permets de vous interpeller tous les six par ce même message.
Chacun de vous, en effet, a courageusement émis publiquement des réserves, des critiques, voire de franches oppositions, à propos de tout ou partie de la politique étrangère française actuelle, qui aboutit à la fois à nourrir la marche à la guerre, à précipiter la France dans la co-belligérance officielle à l’encontre d’une puissance nucléaire, et qui, dans le même temps, fait de la France l’« enfant perdu » des États-Unis cherchant à étendre à notre pays, pour leur plus grand avantage (croient-ils !), la guerre par procuration qu’ils mènent contre la Russie en attendant de pouvoir aussi se lâcher dans l’Asie-Pacifique. Décidément, c’est une loi de l’histoire : quand la France renonce à son indépendance, c’est mauvais pour la paix du monde, et réciproquement !
Entendons-nous bien. Le militant franchement communiste que je resterai jusqu’à mon dernier souffle ne vous propose pas une union sacrée consensuelle sous le slogan « Embrassons-nous Folleville ! ». Je ne partage pas les convictions social-démocrates et le goût de Mme Royal pour la « construction » européenne. J’ai toujours combattu la droite dont se réclame M. Sarkozy. J’ai soutenu les jeunes qui refusaient le CPE proposé par Dominique de Villepin en 2006.
Et si les communistes ont soutenu la politique étrangère non alignée du président de Gaulle, ils n’en ont pas moins combattu la politique économique et sociale dirigée par Georges Pompidou, y compris en payant le prix du sang au métro Charonne.
Qu’il soit clair que, de votre côté, je ne vous demande en rien une caution, encore moins un ralliement, pour les convictions du révolutionnaire que je demeure et qui pense toujours, à l’instar de Jaurès, que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage ». La lutte des classes demeure et demeurera, et la confusion politique n’est pas mon fort, ni, je le présume, le vôtre.
Simplement, alors que l’impérialisme le plus puissant de la planète, celui qui se déchaîne sans frein à Gaza et au Liban par Netanyahou interposé et qui s’efforce d’affamer Cuba, est plus que tenté de risquer une guerre potentiellement exterminatrice pour essayer de sauver sa position dominante contestée par les peuples, il est indispensable que se forme en France, pour commencer, une forme de « front de la raison et de la vie ». Non pas pour éteindre les luttes sociales et idéologiques, mais pour leur permettre de se déployer jusqu’à leur terme alors que l’extermination nucléaire du genre humain serait aussi le grand cimetière des idéaux de toute nature, des vôtres comme du mien, si rivaux voire antagoniques soient-ils à divers degrés.
Aussi, je vous demande à tous, comme je le ferai moi-même encore avec l’aide de mes camarades, de parler plus haut encore en défense de la paix mondiale, de l’indépendance diplomatique et militaire de la France, et pourquoi pas d’avoir le courage politique de défendre publiquement ensemble la cause de la paix universelle. Chacun avec ses nuances et sans gommer les contradictions.
Quand l’extermination de l’humanité et l’anéantissement de la France, avec en prémices son abaissement diplomatique mondial, menacent de supprimer toutes les vies et de priver de sens notre présent, notre avenir (notre jeunesse !) et même, rétrospectivement, nos immenses sacrifices passés, alors, comme le disait le poète Louis Aragon dans Les Lettres françaises clandestines à propos du grand sacrifice que firent de leur vie le dirigeant communiste Gabriel Péri et l’officier chrétien d’Estienne d’Orves,
« Quand les blés sont sous la grêle,
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat…
Celui qui croyait au Ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux aimaient la Belle prisonnière des soldats. »
Merci de votre attention, et surtout de votre réflexion et, qui sait, de votre concertation par-delà les dissentiments du passé. Quant à moi, comme disait Karl Marx ironiquement et sans trop d’illusions à la fin d’un de ses livres, « j’ai dit et j’ai sauvé mon âme ».
Léon LANDINI