Projet de Loi El Khomri : en préambule, la réaction.
Le projet de loi El Khomri pour le patronat, c’est comme une boite de chocolats. Il y retrouve tous ses parfums préférées, qui ont tous la saveur du néo-libéralisme union-européiste otanisan. Licenciement économique assoupli, avec plafond des indemnités, dépassement du temps de travail à la carte, date et durée des congés annulable ad nutum, etc.
Pour le prolétariat en revanche, ce serait plutôt un retour à la disette. Au pain sec et à l’eau. Aucune avancée, que des dispositions vides de tout contenu concret, comme le droit de se « déconnecter » (de ses courriels professionnels s’entend, lorsque l’on est en vacances – vaste avancée, alors que d’aucuns penserons naïvement que les vacances servaient à cela justement, à ‘déconnecter’…), ou celui à une « conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle », qui n’est d’ailleurs pas reconnu, le projet de Loi précisant seulement que cette « conciliation » est « recherchée » (cf. Titre I, Chapitre 1er, I. – Art. 8 du projet). Faudrait quand même pas brusquer nos chers patrons non plus…
Mépris du monde du travail, sanctification de la dictature du Capital
Mais le mépris le plus infâme pour le monde du travail n’est pas même dans ces cadeaux pourtant délirants faits au patronat, et ces placébos servis comme contrepartie aux travailleurs. Au-delà, c’est bien toute la philosophie du droit du travail qui est remise en cause par ce projet scélérat. Les dispositions prévues pour devenir le futur Préambule du Code du travail réformé, seront en effet, si le projet prospère, sans nul doute plus nocifs encore.
Qu’on en juge. Prenons tout d’abord le futur Art.1er de la Section 1 de ce futur Préambule :
« Art. 1er. – Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail.
Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
On n’est même pas ravi d’apprendre que les droits et libertés fondamentaux de la personne sont garanties, car cette belle déclaration n’ajoute absolument rien à l’ordinaire actuel des travailleurs, alors que le droit à l’émancipation des travailleurs (ou la liberté de ne pas se faire exploiter, c’est selon mais c’est pareil) n’est pas garantie puisque la subordination de l’employé au patron demeure la pierre angulaire de toute relation de travail, et qu’elle pèse de tout son poids, mais sur les seules épaules de ceux qui triment.
Mais davantage encore. La subordination du travail au capital, sous couvert de belles incantations droit-de-l’hommistes, se trouve désormais décuplée puisque « les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise » viendraient à prévaloir sur les libertés fondamentales, c’est-à-dire nos droits de l’homme et du citoyen, rien moins, si le projet devient Loi.
Les nécessités du fonctionnement de l’entreprise primeront sur les libertés et droits des travailleurs
Ouvriers, ouvrières, travailleurs salariés, travailleuses salariées, vos libertés et droits fondamentaux sont garantis, vous promet El Khomri !.. sauf s’il est nécessaire d’y faire entorse pour le bon fonctionnement de l’entreprise.
On est donc dans un vrai délire juridique, par ailleurs assez grossier il faut bien le dire, où les libertés fondamentales seraient susceptibles de s’effacer devant la bonne marche de l’entreprise, alors que depuis le 3 septembre 1953, ce qui fait lurette, c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il est acquis que les libertés et droits fondamentaux prévalent sur toutes lois, règlements, ou décisions de justice contraire !.. sauf la loi El Khomri voulue par MM. Valls et Hollande et applaudie par le MEDEF.
Dans ce cas, la bonne marche de l’entreprise devient plus sacrée encore que le droit à la vie (Art. 2 de la CEDH), l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé (Art. 4), la liberté de pensée, de conscience (Art.9), etc. Une nouvelle religion en somme, le néo-libéralisme impérialiste.
Et alors, on peut décliner à l’envi (du patronat) : Droit au repos, oui !.. sauf la bonne marche de l’entreprise. Congés payés oui !… sauf bien sûr la bonne marche de l’entreprise. Droit à un salaire oui !… sauf si l’esclavagisme est nécessaire à la bonne marche de l’entreprise ?
Voilà le but recherché, l’objectif à atteindre. Travaillez plus, bêtes de somme, pour nous faire gagner plus, patrons, rentiers et gentilshommes.
Diviser pour mieux régner et inverser la hiérarchie des normes
Et pour y parvenir, le projet de Loi se donne les moyens, ou plutôt le moyen, le moyen ultime. Diviser pour mieux régner. Casser la classe ouvrière encore. Tenter de la fracasser toujours.
Il faut ainsi se reporter à la section 7 du Préambule projeté : « Négociation collective et dialogue social », pour y trouver l’arme du crime que sont les projets d’articles 55, 56 et 57 :
« Art. 55. – La loi détermine les conditions et limites dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent prévoir des normes différentes de celles résultant des lois et règlements ainsi que des conventions de portée plus large. »
« Art. 56. – En cas de conflit de normes, la plus favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement. »
« Art. 57. – Les clauses d’une convention ou d’un accord collectif s’appliquent aux contrats de travail.
Les stipulations plus favorables du contrat de travail prévalent si la loi n’en dispose pas autrement. »
Ces trois dispositions qui peuvent apparaître anodines à les lire trop vite, renversent pourtant tout le paradigme du droit du travail tel que nous le connaissons.
Jusqu’à présent, le droit c’était l’article L. 2251-1 du Code du travail qui voulait que la « convention et l’accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur », auquel l’article
L. 2254-12 venait compléter que « les clauses d’une convention ou d’un accord collectif de travail […] s’appliquent aux contrats de travail conclu avec lui, sauf dispositions plus favorables ».
C’est ainsi que la norme la plus favorable au salarié prévaut. Le contrat de travail imposé par le patron ne peut donc déroger en mal à un accord de branche, qui peut déroger en mieux pour le travailleur, à la Loi ou au règlement. C’est le droit du travail.
Désormais avec le projet El Khomri, puisque la loi « détermine » comment « les conventions et accords collectifs peuvent prévoir des normes différentes », peu importe qu’elles soient plus ou moins favorable au salarié par rapport aux « lois et règlements » mais aussi et surtout aux « conventions de portée plus large », c’est-à-dire aux accords de branche, alors il n’est plus de principe de faveur (norme la plus favorable) pour le salarié.
Car ce ne serait alors plus que « si la loi n’en dispose pas autrement » que les dispositions les plus favorables aux salariés pourraient encore prévaloir.
En d’autres termes, avec El Khomri, si la loi en dispose autrement, alors c’est l’accord d’entreprise (voulu par le patron et imposé à ses salariés au bénéfice de syndicats jaunes ou du fameux referendum d’entreprise), et quel qu’en soit les termes, qui prévaudra.
Et déjà en voici des exemples.
Durée hebdomadaire du travail ? Voici que le futur article L. 3121-23 du Code du travail prévoit qu’une « convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, un accord de branche peut prévoir le dépassement de la durée hebdomadaire de travail de quarante-quatre heures calculée sur une période de seize semaines consécutives, à condition que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de quarante-six heures calculée sur une période de seize semaines ».
Temps de pause ? Le futur article L. 3121-18 du Code du travail permettra à qu’une « convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, un accord de branche peut prévoir le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise, à condition que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de douze heures. »
Repos quotidien ? Même formule, sous l’article L. 3131-2 permettant qu’une « convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, un accord de branche peut déroger à la durée minimale de repos quotidien prévue à l’article L. 3131-1, dans des conditions déterminées par décret, notamment pour des activités caractérisées par la nécessité d’assurer une continuité du service ou par des périodes d’intervention fractionnées. »
La liste est déjà longue dans le projet de Loi El Khomri où la Loi vient expressément disposer autrement que les accords de branche ou nationaux, faisant prévaloir les accords d’entreprise à venir. Et bien sûr l’idée – du MEDEF – n’est pas de s’arrêter là, mais bien de décliner le principe à tout le Code. Car ce faisant c’est la représentation de la classe ouvrière et des salariés que l’on atteint en faisant de l’entreprise, l’alpha et l’oméga du droit du travail.
Alors tant que les accords de branche, c’est-à-dire de classe, prévalent encore, il est temps de se mobiliser.
C’est l’ampleur des manifestations puis s’il le faut, de la grève tous ensemble en même temps, qui sauvera le Code du travail.
MaxKo, avocat communiste, pour www.initiative-communiste.fr