C’est un grondement qui monte de toutes les parties du monde de l’université, enseignants, chercheurs, étudiants et même jusque dans les rangs des hauts fonctionnaires pourtant nommés par la Macronie. La sortie de la ministre Vidal à la suite de Blanquer et de Darmanin courant derrière Le Pen et prétendant au nom d’une croisade xénophobe censurer la recherche et l’enseignement universitaire pourraient bien être la goute d’eau faisant déborder le vase de la colère.
Pendant que Blanquer et Vidal vitupéraient dans les médias leurs rhétorique d’extrême droite, le préfet Lallement interdisait la manifestation anti-fasciste dénonçant le rassemblement du groupuscule d’extrême droite Génération Identitaire… un groupuscule soit disant menacé de dissolution par le ministère de l’intérieur mais protégé dans les faits par la police tout au long de ce 21 février 2021 comme cela avait déjà été le cas le 13 juin 2020 . C’est ainsi que des militants antifascistes se sont fait attaquer sans que la police n’arrête les violents factieux, trop occupés à procéder une nouvelle fois à l’arrestation politique du gilet jaune Jérome Rodriguez.
Le régime Macron s’en prend à la jeunesse, à l’Université et à nos libertés
- lire les communiqués des JRCF face à la misère étudiante et de la jeunesse
Les tapageuses déclarations de Dominique Vidal déjà reprises par Blanquer ne sont que la suite logique de la course à l’échalote xénophobe à laquelle se sont livrés avec la complicité de l’audiovisuel d’Etat Darmanin et Le Pen. Le premier trouvant « trop mole » la seconde tout en avouant vouloir faire plaisir aux députés FN RN. La seconde indiquant pouvoir signer le livre du premier…. De fait la campagne de propagande odieuse visant le soit disant « islamo gauchisme » de l’Université n’est que la poursuite d’une fangeuse entreprise de destruction de l’Enseignement Supérieur public, et des libertés acadamique. Une entreprise marquée par le passage en force de la loi LPPR à la faveur de la crise sanitaire, le gouvernement profitant d’avoir fermé depuis plus d’un an les universités, et une campagne de haine déjà lancée avec la tribune 31 octobre 2020 d’universitaires alarmés, liste d’ailleurs incomplète sur ce lien (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-est-la-persistance-du-deni_6057989_3232.html) dont l’histoire retiendra assurément l’appel à l’hallali . Mme Vidal pourrait d’ailleurs arguer, si elle ne l’a déjà fait, que c’est sur les instances d’éminentes « personnalités » qu’elle a agi… Et que s’est empressé de faire son collègue Blanquer. Ce qui ne manque pas de cynisme lorsque l’on sait que l’ancien recteur de Lyon a déjà témoigné de la complicité de Blanquer alors haut fonctionnaire au ministère de l’Education pour faire installer des écoles communautaristes proches des frères musulman à Décines...
La dernière découverte de l’immense chercheur Darmanin : « Je connais des chercheurs avec lesquels on a travaillé [sur le projet de loi confortant les principes de la République, dite loi « séparatisme »], Bernard Rougier ou Gilles Kepel par exemple, qui expliquent très bien comme l’université française parfois les considère comme pas bienvenus, et sont parfois obligés de s’expatrier et de trouver des financements publics ou privés pour faire leurs études. (…) Dans certains endroits, dans certaines facultés, il existe cette incursion [de l’“islamo-gauchisme”]. » Des noms! Des noms! (https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/18/polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-de-l-enseignement-superieur-recadree-par-l-executif-et-les-chercheurs_6070388_823448.html)
Le temps de la réaction face à la réaction
Si la réaction est un cri d’indignation de la communauté universitaire, elle reste toutefois pour le moment très timide au plan institutionnel, tout comme au plan syndical. Comme le souligne notre camarade l’historienne Annie- Lacroix Riz : « On aura décidément tout vu. Accepter une étude sur un objet dont on conteste l’existence et dans un cadre strictement non statutaire (cf. le statut de la fonction publique dit Maurice Thorez : depuis quand le CNRS juge-t-il l’université, et pourquoi ne pas confier la mission au si compétent Institut d’études politiques?, ah, oui, c’est vrai, il est assez occupé ces temps-ci par d’autres dossiers) donne une idée de l’état d’une structure officiellement consolidée, en 1945, dans le cadre des réformes progressistes (pas longtemps) de l’après-Libération. »
Il serait temps que l’Université en voie d’anéantissement passe à la résistance, les coups pleuvant décidément de toutes parts. Ce qui nécessiterait au demeurant de parler de son effective destruction « européenne », clairement mise en œuvre depuis le programme de Lisbonne notamment (« Réforme des universités dans le cadre de la stratégie de Lisbonne », 2003) plutôt que de la bombe puante de l’islamo-gauchiste? De fait« la LPR, une loi inégalitaire et darwinienne », est la résultante directe du cadre fixé par l’Union européenne, et strictement appliqué conformément à ses instructions et directives. Cyniquement là aussi, c’est au nom d’alerte contre l’extrême droite que certains universitaires hautement médiatiques(parmi lesquels des éminences très inquiètes de l’islamo-gauchisme) avant chaque « élection » « européenne » se livre à une propagande effrenée pour en remettre une couche et ainsi poursuivre la dissolution de la France et de ses valeurs révolutionnaires, sociales et démocratiques, dans cette union européenne réactionnaire, qui affiche son cléricalisme jusque dans son drapeau. . Cela même instruisent des procès en sorcellerie contre ceux de leur confrère qui en s’en tenant à la méthode et la rigueur universitaire refuse d’alimenter la propagande capitaliste et au contraire osent au contraire faire avancer la connaissance.
Annie Lacroix-Riz le souligne : « Maccarthysme, vraiment, régnant chez nous à cause des islamo-gauchistes? Et le vrai maccarthysme, celui qui a viré le marxisme de l’Université et de tous les grands médias (France Culture compris), contraint de fait la recherche française à se proclamer antimarxiste et anticommuniste (pardon, « antistalinienne », ah, mais oui, c’est bien ça!) et, entre autres, banni de France toute recherche sérieuse sur l’histoire de la Russie et de l’URSS, celle qui avait assuré sa notoriété académique à l’ère Roger Portal (pas communiste pourtant) pour ne nous laisser que les « soviétologues » qui placent la « soviétologie » française et européenne au rang de l’enseignement scolaire français des mathématiques? Ils en disent quoi, nos chasseurs d’islamo-gauchistes? »
Espérons que de plus nombreux soit ceux qui reconnaissent enfin combien il était dangereux de laisser faire « l’Europe » sur l’équation communisme = nazisme avec par exemple l’ignoble résolution de septembre 2019, votée par tous les groupes français, « gauche » incluse, sauf la FI. Car nous n’avons pas fini de payer cette alimentation de ce ventre toujours fécond. Bien sûr le sujet est résolument tabou, mais il compte dans l’opération en cours contre une vilaine « minorité ». Le maccarthysme, ça ne se coupe pas en tranches, ça se combat à visage ouvert, et pour tous usages.
Oui ouvrons des enquêtes à l’Université sur les casseurs du savoir et des disciplines : l’UE, le medef et ses sbires de LREM
S’il devait y avoir enquête du CNR, une qui s’imposerait compte tenu de l’agonie avérée, ce serait celle de l’enseignement des mathématiques en France. Elle compléterait avantageusement celle que le sénateur Pierre Ouzoulias a demandée sur l’état des étudiants affamés et privés d’études par un pouvoir. Et elle illustrait l’état désastreux de la science dans ce pays, après que l’école, l’enseignement secondaire et supérieur et la recherche publique ont été mis en coupe réglée aux ordres de l’Union Européenne et de sa stratégie de Barcelonne.
Le ministre des Affaires étrangères du régime Macron ose accuser la Chine de déposer des vaccins sur le tarmac des aéroports d’Afrique, alors même que les vaccins « européens » fabriqués par les multinationales américaines (vive l’UE!) « seront excellents » (Le Driant, France Inter) mais qui sont à cette date extrêmement peu nombreux (et extrêmement coûteux) : des vaccins privatisés et inaccessibles (sauf semble-t’il pour les pontes des conseils d’administrations et autres anciens présidents…), des vaccins qui ne sont pas produits en France. Ni masques, ni tests, ni vaccins, ni les connaissances mathématiques de base nécessaire pour comprendre et donc faire face à la pandémie…
On conseille donc de relire l’article en trois parties d’un des camarades du PRCF, jeune agrégé sur l’enseignement des mathématiques en France, décembre 2020-janvier 2021, qui préfère, vu les les aléas de l’application du Statut de la fonction publique, demeurer anonyme :
- https://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/echec-aux-maths-ou-25-annees-de-deconstruction-maastrichtienne-de-lenseignement-des-mathematiques/, 26 décembre 2020
- https://www.initiative-communiste.fr/articles/echec-aux-maths-une-strategie- systemique/, 2 janvier 2021
- https://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/echec-et-maths-les-facteurs-materiels-et-organisationnels/, 4 janvier 2021
Revue de presse :
Le syndicat majoritaire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dénonce dans un communiqué les atteintes graves à la liberté universitaire
Frédérique Vidal fait injonction à la recherche publique de procéder à une enquête sur l’« islamo-gauchisme » à l’Université : le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU dénoncent cette nouvelle atteinte aux libertés académiques
Depuis bientôt six mois, les universités en France vivent sous la menace de mesures contre un prétendu « islamo-gauchisme » qui les aurait « gangrénées ». L’« islamo-gauchisme » n’existe ni dans les universités, ni au CNRS, ni ailleurs dans le monde scientifique. En revanche, la menace de censure est désormais réelle. L’« islamo-gauchisme » n’est pas un concept scientifique : il ne correspond à aucun travail de recherche ou d’enseignement. C’est le nom qu’une poignée de militants « identitaires » souffle à l’oreille des ministres pour disqualifier des travaux de recherche à visée émancipatrice. Sont visées entre autres les études sur le genre, les sexualités, les migrations, les formes de domination et les effets à long terme de la colonisation dans les sociétés contemporaines. Ces travaux sont aujourd’hui stigmatisés par le pouvoir politique, dans un contexte de surenchère entre le Rassemblement national et le gouvernement. Cela signifie que le pouvoir politique s’arroge un droit de regard sur des recherches qui sont menées dans les universités et les laboratoires en France, non pas de manière isolée mais en lien avec la recherche internationale.
Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a fait savoir le mardi 16 février qu’il entendait confier une « étude » sur ces sujets à l’Alliance ATHENA, qui coordonne les recherches en sciences humaines et sociales. La veille, la ministre avait souhaité que le CNRS lui-même soit chargé de cette mission. Ce recul, si c’en est un, n’est encore que microscopique. C’est l’idée même d’une nouvelle « chasse aux sorcières » qui doit être abandonnée. Les libertés académiques sont en cause, comme rarement elles l’ont été.
Car contrairement à ce qu’a déclaré la ministre, le pouvoir politique n’a pas à ordonner des enquêtes pour « distinguer ce qui relève de la recherche académique et de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». La communauté scientifique elle-même évalue en permanence, ce qui, dans la production de ses membres, constitue un travail scientifique valable. Elle le fait tous les jours, sans attendre les enquêtes, injonctions ou oukazes des ministères et des groupes de pression. Et surtout, une fois la production scientifique dûment validée, elle ne se soucie pas de savoir quelles opinions, éventuellement militantes, ses membres peuvent professer librement par ailleurs.
Les propos de la ministre, en remettant en question cette liberté fondamentale, ont soulevé une intense émotion dans toute la communauté scientifique et universitaire. Ils révèlent un dangereux climat de défiance contre les chercheurs, qui se répand aussi dans certains médias, et une volonté de pilotage politique de la recherche. Les sciences humaines et sociales ne sont pas seules visées. Quelles seront les prochaines recherches attaquées, par quels ministres et par quels lobbys, comme cela a été le cas des cellules souches, de la question des substances toxiques dans l’alimentation ou l’environnement ou encore celle du changement climatique ?
Le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU dénoncent les récents propos de Frédérique Vidal. Ils appellent la ministre à se ressaisir et à se concentrer sur ce à quoi elle a failli depuis sa prise de fonction : le soutien de l’État aux organismes de recherche et aux universités ; la réhabilitation du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ; la démocratisation du savoir et l’aide aux étudiants en détresse en temps de pandémie ; et, plus que jamais, les libertés académiques.
Paris, le 17 février 2021
https://www.snesup.fr/article/f-vidal-fait-injonction-la-recherche-publique-de-proceder-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-luniversite-communique-du-sncs-fsu-et-du-snesup-fsu-du-17-fevrier-2021
Dominique Vidal condamnée par la très modérée conférence des président d’Université, pourtant eux même désigné par le régime
Communiqué du CNRS : L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique
« L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.
Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.
La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.
C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.
Communiqué du CNRS le 17 février 2021 : https://www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme-nest-pas-une-realite-scientifique
Pétition : Des milliers d’universitaires demande la démission de Dominique Vidal
Ci dessous la Tribune pétition publiée par Le Monde le 20 février 2021.
600 premier·es signataires ci-dessous avec leur position académique, suivi·es des 3700 autres signataires au 21 février 2021 à 10h. Vous pouvez signer sur https://www.wesign.it/fr/justice/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-frederique-vidal
Le mardi 16 février, à l’Assemblée nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne Cnews : le lancement d’une « enquête » sur l’ « islamogauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’Alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion » ainsi que … « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».
Si le propos manque de cohérence, l’intention est dévastatrice : il s’agit de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle, et, comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont précisément ciblés.
Chercheur·es au CNRS, enseignant·es chercheur·es titulaires ou précaires, personnels d’appui et de soutien à la recherche (ITA, BIATSS), docteur·es et doctorant·es des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrêmedroite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. La violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la détresse des étudiant·es pendant la pandémie comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une LPR massivement rejetée par tout·es celles et ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.
La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous·tes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoirs – sont fermées. Mais pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheur·es, c’est la « gangrène » de l’ « islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.
Amalgamant un slogan politique douteux et un champ de recherche internationalement reconnu, elle regrette l’impossibilité de « débats contradictoires ». Pourtant, et nous espérons que la ministre le sait, nos universités et nos laboratoires déploient de multiples instances collectives de production et de validation de la connaissance : c’est bien dans l’espace international du débat entre pair·es que la science s’élabore, dans les revues scientifiques, dans les colloques et les séminaires ouverts à tous·tes. Et ce sont les échos de ces débats publics qui résonnent dans nos amphithéâtres, comme dans les laboratoires.
Contrairement à ce qu’affirme Frédérique Vidal, les universitaires, les chercheur·es et les personnels d’appui et de soutien à la recherche n’empêchent pas leurs pair.es de faire leurs recherches. Ce qui entrave notre travail, c’est l’insincérité de la LPR, c’est le sous-financement chronique de nos universités, le manque de recrutements pérennes, la pauvreté endémique de nos laboratoires, le mépris des gouvernements successifs pour nos activités d’enseignement, de recherche et d’appui et de soutien à la recherche, leur déconsidération pour des étudiant·es ; c’est l’irresponsabilité de notre ministre. Les conséquences de cet abandon devraient lui faire honte : signe parmi d’autres, mais particulièrement blessant, en janvier dernier, l’Institut Pasteur a dû abandonner son principal projet de vaccin.
Notre ministre se saisit du thème complotiste « islamo-gauchisme » et nous désigne coupables de pourrir l’université. Elle veut diligenter une enquête, menace de nous diviser et de nous punir, veut faire régner le soupçon et la peur, et bafouer nos libertés académiques. Nous estimons une telle ministre indigne de nous représenter et nous demandons, avec force, sa démission.
Vous pouvez signer la pétition ici.
Du « judéo-bolchévisme » à « l’islamo-gauchisme » : une même tentative de faire diversion – par Shlomo Sand
En 2015 déjà l’universitaire et historien israélien Shlomo Sand dénonçait la propagande d’extrême droite propagé derrière le concept d’islamo gauchisme
Dans les années 1930, en France comme dans d’autres pays d’Europe, les communistes et diverses personnalités de la gauche radicale étaient fréquemment qualifiés de « judéo-bolcheviks ». Ainsi, par exemple, mon père qui, avant la Seconde Guerre mondiale, était un communiste polonais, était considéré par les autorités et la presse du pays comme faisant partie de la « Zydokomuna ».
Étant donné que plusieurs dirigeants de la Révolution d’Octobre, tout comme nombre de communistes et de défenseurs de l’URSS, dans toute l’Europe, étaient d’origine juive, l’association langagière entre judaïsme et menées subversives était très populaire parmi les judéophobes.
Une symbiose propagandiste très efficace
D’Adolf Hitler à Carl Schmitt et Martin Heidegger, de Charles Maurras à Louis-Ferdinand Céline et Pierre Drieu-La Rochelle, l’identification rhétorique entre juifs et bolcheviks a toujours été empreinte de tonalités effrayantes puisées dans une vieille tradition religieuse, mêlée à des menaces pleinement modernes et laïques.
Cette symbiose propagandiste s’avéra très efficace, et elle conduisit, entre autres, à ce que plus de 5 millions de Juifs croyants, et leurs descendants, ainsi que 2 millions de soldats soviétiques furent exterminés, en même temps, dans les camps de la mort nazis. Hitler avait ainsi espéré enrayer le « danger » d’une conquête judéo-bolchévique de l’Europe.
Si, à la fin du XXe siècle, la judéophobie n’a pas totalement disparu, elle a, cependant, très notablement régressé dans les centres de communication des capitales européennes. Les élites intellectuelles et politiques ont voulu oublier et ont aspiré à se fondre dans leur civilisation blanche, à l’aide d’une nouvelle politique des identités. À toutes fins morales utiles, cette civilisation a même troqué son appellation de « chrétienne » en « judéo-chrétienne ».
Les juifs survivants et les bolchéviks, quasiment disparus, ont cessé de constituer une menace pour la position et l’identité des élites dominantes, mais l’état de crise permanent du capitalisme, et l’ébranlement de la culture nationale, consécutif à la mondialisation, ont incité à la quête fébrile de nouveaux coupables.
Une appellation qui émerge dès 2002
La menace se situe désormais du côté des immigrés musulmans et de leurs descendants, qui submergent la civilisation « judéo-chrétienne ». Et voyez comme cela est étonnant : de nouveaux incitateurs propagandistes les ont rejoints ! Tous ces gens de gauche qui ont exprimé une solidarité avec les nouveaux « misérables » ont fini par s’éprendre ouvertement des invités indésirables venus du sud.
Ces antipatriotes extrémistes trahissent une nouvelle fois la glorieuse tradition de la France dont ils préparent l’humiliante soumission « houellebecquienne ». L’appellation « islamo-gauchiste » a émergé parmi les intellectuels, avant de passer dans l’univers de la communication, pour, finalement, être récupérée par des politiciens empressés.
Pierre-André Taguieff, futur conseiller du CRIF, fut, semble-t-il, le premier à recourir à la formule « islamo-gauchisme » (dans le sens actuel de terme), déjà en 2002. Caroline Fourest, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut et Bernard-Henry Lévy s’emparèrent du terme et veillèrent à lui assurer une diffusion à longueur d’interviews et d’articles. Des figures comme Alain Gresh, Edwy Plenel, Michel Tubiana et Raphael Liogier devinrent des « islamo-gauchistes » archétypiques.
Une marche supplémentaire vient cependant d’être franchie. Cela a commencé avec Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui, au nom du républicanisme universel, dans un article intitulé : « La gauche qui vient », s’en est pris à la gauche de la gauche, accusée de soumission au pluralisme culturel. Il a particulièrement ciblé Clémentine Autain, la porte-parole d’Ensemble, l’une des composantes du Front de gauche.
La lourde charge de Manuel Valls
Mais c’est de Manuel Valls qu’est venue la charge la plus lourde, dans la vague de stigmatisation de « l’islamo-gauchisme ». À l’occasion d’une interview accordée, le 21 mai, à Radio J, une radio communautaire juive, n’a-t-il pas déclaré :
« Il y a ces capitulations intellectuelles… Les discussions entre Madame Clémentine Autain et Tariq Ramadan, les ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de cette violence et de cette radicalisation. »
Et Manuel Valls de ne pas hésiter à ajouter : « Il n’y a aucune raison pour que M. Tariq Ramadan obtienne la nationalité française ».
Il convient tout d’abord de préciser que Clémentine Autain n’a jamais rencontré Tariq Ramadan, dont, évidemment, elle n’approuve pas le discours idéologique. Il faut ensuite se féliciter qu’en France, le droit d’obtenir la citoyenneté relève de la loi, et non pas d’une décision d’un chef du gouvernement. Tariq Ramadan réside en France où il est actif ; il est marié, depuis plusieurs années, avec une citoyenne française, ses enfants sont français, et, à ma connaissance, il n’a pas enfreint la loi ni prêché la violence.
Enfin, les auditeurs de Radio J, à Paris et à Jérusalem, ont certainement apprécié cette flatteuse interview, et si d’aventure, elle a été diffusée en Arabie saoudite, il est probable qu’elle y aura également été reçue avec sympathie, puisque Tariq Ramadan y est interdit de séjour. Après cette interview passionnée de Manuel Valls, je suis persuadé que Tariq Ramadan n’a aucune chance de se voir décerner la Légion d’Honneur, contrairement au prince héritier du roi d’Arabie saoudite.
Une formule qui permet de faire diversion
Lorsque j’ai entendu ces propos de Manuel Valls, je n’ai pas pu m’empêcher de m’interroger sur ce qui se serait passé si Tariq Ramadan avait été un fidèle juif et non pas musulman.
Si, par exemple, comme l’ensemble des fidèles juifs (mais non pas juives), il avait dû dire, dans sa prière du matin : « Sois béni de ne pas m’avoir fait femme, et sois béni de ne pas m’avoir fait goy (non-juif) ». Autrement dit : un authentique fidèle juif, dont les valeurs fondamentales diffèrent totalement de ma conception du monde républicaine et laïque.
Malgré tout, même s’il s’agissait d’un juif conservateur, porteur d’un système de valeurs réactionnaire, je me serais, sans aucun doute, employé de toutes mes forces pour que lui soit attribués des droits d’égalité citoyenne. Je l’aurais combattu au plan de la réflexion théorique, mais j’aurais vu en lui un compagnon politique légitime, dans la lutte contre toute forme de judéophobie et de discrimination raciale, sous le masque d’une laïcité culturelle.
J’ai, envers la philosophie de Tariq Ramadan, une vision fortement critique, tout comme, pour d’autres raisons, envers celle d’Alain Finkielkraut. Mais exploiter des positions conservatrices de l’intellectuel musulman afin de salir ceux qui luttent contre la propagation du racisme, en faire un dangereux épouvantail pour utiliser le terme stigmatisant d’islamo-gauchiste, n’est pas à l’honneur d’un chef de gouvernement socialiste, qui, par ailleurs, commet une erreur en assimilant antisionisme et antisémitisme (je suis quasiment sûr que le républicain Manuel Valls ne soutient pas la politique communautaire d’un État qui, par principe, appartient, non pas à tous ses citoyens mais aux juifs du monde entier, qui n’y résident pas).
Certes, le terme d’ »islamo-gauchisme » n’est pas encore identique ni proche de la vieille appellation du « judéo-bolchévisme ». Il est destiné, pour le moment, à clouer le bec, et à faire diversion dans le débat public, par rapport à d’autres problèmes sociaux et politiques un peu plus sérieux. Toutefois, qui peut affirmer que le recours à la formule « islamo-gauchisme » n’est pas promis à un sombre futur imprévu ? Il se pourrait qu’elle constitue une contribution rhétorique, non marginale, vers l’approche d’un trou noir supplémentaire dans l’histoire moderne de l’Europe.