Désobéissances administratives
Les « désobéisseurs » à la case sanction
Déjà matraqués de retenues sur salaires, les instits qui refusent d’appliquer les réformes Darcos sont désormais menacés de sanctions disciplinaires. Colère des syndicats.
« Le ministère a décidé de mettre un coup d’arrêt à ce mouvement en frappant à sa tête. Mais je vous le dis : nous n’allons pas céder », prévient Alain Réfalo. Ce professeur des écoles de Colomiers (Haute-Garonne) doit passer demain en conseil de discipline pour avoir refusé d’appliquer les réformes Darcos. Après avoir écopé de vingt-neuf jours de retrait de salaire, cette figure du mouvement des « désobéisseurs » risque désormais la révocation pure et simple. Comme deux autres de ses collègues. Ces hypothétiques sanctions suscitent la colère des syndicats enseignants, qui demandent au nouveau ministre, Luc Chatel, de « renouer le dialogue ».
INTÉRÊT PUBLIC
Jusqu’ici, la Rue de Grenelle a prôné la manière forte pour enrayer cette nouvelle forme de contestation. Sans succès. Lancé en novembre 2008, le mouvement de « résistance pédagogique » rassemble aujourd’hui quelque 3 000 enseignants et directeurs d’écoles ! Tous ont publiquement déclaré, auprès de leur inspecteur d’académie, leur intention de « désobéir, en conscience ». À savoir, ne pas appliquer certaines réformes qu’ils jugent néfastes pour les enfants et dangereuses pour l’avenir de l’école publique. Il y a les nouveaux programmes du primaire, bien sûr. Mais aussi le fichage dans « Base élèves » et, surtout, les deux heures « d’aide personnalisée » pour les élèves en difficulté, instaurées en même temps qu’ont été supprimés les RASED.
André Réfalo et les autres s’estiment dans leur bon droit. Rappelant à bon escient qu’un fonctionnaire est, certes, soumis à une obligation d’obéissance hiérarchique, sauf « dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». Des arguments balayés, ces six derniers mois, par l’administration Darcos. Celle-ci n’a pas hésité à infliger aux désobéisseurs des retraits de salaire carabinés, au prétexte qu’ils n’assuraient pas l’ensemble de leur service. Visé lui aussi par une procédure disciplinaire, Bastien Cazals (1) a ainsi perdu plus d’un mois de traitement. Et pourtant, loin de se tourner les pouces pendant le temps dévolu à l’aide personnalisée, ce directeur d’école de l’Hérault menait des activités artistiques et éducatives avec les enfants… Il a logiquement contesté ces retenues lundi dernier devant le tribunal administratif de Montpellier. La décision est attendue demain.
UN REPORT OPPORTUN
Enseignant dans le centreville de Marseille, Erwan Redon devait passer, lui, en conseil de discipline hier. Une large mobilisation a été organisée pour l’occasion dans la Cité phocéenne. Venus de toute la France, une dizaine de désobéisseurs, soutenus par près de 150 personnes, ont pris la parole en public devant la mairie des 1er et 7e arrondissements, dénonçant les sanctions encourues. Conséquence directe ou pas : la commission a finalement été reportée en août. « C’est un problème de forme, s’est justifié l’inspecteur d’académie des Bouches-du-Rhône, Gérard Trêve. Mes services ont formulé la convocation en utilisant le terme d’“insuffisance professionnelle”. Or, l’insuffisance professionnelle ne peut se traduire que par un licenciement et on n’est pas dans cette logique-là. Il s’agit seulement d’une sanction disciplinaire pour nonexécution des tâches. »
Ces explications alambiquées augurent-elles d’un changement de ton ? En tout cas, la pression est là et bien là. Hier, les syndicats d’enseignants SGEN-CFDT, Sud éducation et SNUipp-FSU se sont félicités de ce report et ont réclamé auprès de Luc Chatel le retrait des procédures disciplinaires. La balle est dans le camp du ministre.
Laurent Mouloud ( l’humanité)
(1) Je suis prof et je désobéis. Indigène Éditions, 3 euros