Ce jeudi 30 mai, c’est sur impulsion des deux grands syndicats de pharmaciens, l’USPO et le FSPF, qu’un mouvement national de grève des pharmacies est annoncé. Ce mouvement se fait en réponse de négociations entre les syndicats, l’assurance maladie et le ministère de la Santé, dont les propositions finales ont été jugées bien inférieures à ce qui est à faire.
Pour l’USPO, les revendications sont multiples, et prennent en considération les problèmes de long terme qui pèsent sur les officines françaises. Du début jusqu’à la fin, toutes ont un rapport direct avec l’expansion du capitalisme dans notre fonctionnement collectif, et avec l’Union Européenne qui se fait le cheval de Troie du grand capital financier européen.
L’épidémie d’euro austérité en attaquant la Sécu frappe les pharmacies
Première revendication, celle qui, comme toujours, met le feu aux poudres : la rémunération. L’inflation touche tous les commerces, le prix de l’énergie s’est envolé et celui des marchandises produites par conséquent s’envole aussi[1]. Afin de maintenir leurs marges et de conserver leur personnel, les officines demandent une revalorisation des honoraires. A cela s’oppose la privatisation progressive de la sécurité sociale, orientant sa gestion vers une réduction drastique des dépenses se manifestant par un gel des honoraires de la part de l’assurance maladie.
Euro délocalisation, euro désindustrialisation et libre spéculation : avec la destruction du produire en France, les pénuries généralisées des médicaments
Deuxième revendication : le ras-le-bol concernant les pénuries de médicaments. Depuis plusieurs années déjà, les tensions d’approvisionnement sur les médicaments essentiels sont monnaie courante. Doliprane, amoxicilline, prednisone, metformine, des médicaments essentiels à la survie de patients atteints de maladie chronique sont en rupture de stock parfois prolongée. L’amoxicilline avait déjà fait l’objet d’une note de synthèse de l’ANSM en 2016 alarmant sur la criticité de l’approvisionnement en substance active. La fabrication des matières premières était entièrement réalisée dans des pays non européens, principalement en Chine. Selon un rapport du Sénat, en 2022, plus de 3 700 médicaments ont été signalés en rupture ou à risque de rupture de stock — trois fois plus qu’en 2019 — (4). On a longtemps critiqué le système économique de l’Union Soviétique en disant que les pénuries étaient monnaie courante, ce qui est très exagéré, mais cet argument fait l’impasse sur un point essentiel : dans une économie planifiée, une pénurie est une erreur (que l’avènement de l’informatique aujourd’hui pourrait aisément nous permettre de prévoir et d’anticiper). A contrario, dans le capitalisme, la pénurie n’est pas une erreur, c’est une stratégie. D’abord parce que le capital rechigne à faire ce qui lui rapporte insuffisamment et préfère se concentrer sur ce qui rapporte le plus, que ce soient les médicaments produits, ou que ce soit la livraison des pays qui offrent la meilleure rentabilité pour la même molécule. Mais de plus, lorsque les marchandises sont en quantité insuffisante, la demande fait grimper le prix et l’investissement devient plus rentable. Les industries pharmaceutiques profitent donc de leur rapport de force sur la demande en médicament des pays acheteurs, et vendent à un prix non corrélé avec le prix de production. Elles ne cessent de brandir l’argument de l’innovation, notamment pour s’opposer aux baisses de prix des médicaments ou justifier leur rémunération. Dans de nombreux cas, elles profèrent des menaces d’arrêt de commercialisation, de déremboursement ou de déni d’accès précoce. Par exemple, en 2018 la société états-unienne Vertex avait menacé d’arrêter un essai clinique mené en France sur des malades atteints de mucoviscidose si les négociations avec l’État pour fixer le prix d’un autre traitement n’aboutissaient pas. Le résultat de ce chantage aux prix, encouragé par la financiarisation des laboratoires, est une explosion du prix en faveur des traitements innovants. Vendus à des prix exorbitants, complètement décorrélés de leurs coûts de production, ces traitements de pointe menacent l’avenir du système français de remboursement.
A lire :
- Explosion des prix des médicaments contre le cancer : l’appel de 110 cancérologues
- ruptures d’approvisionnement de médicaments et de vaccins, non assistance à patients en danger – IC n°161 – Lisez et Abonnez vous à Initiative Communiste
Dans l’immédiat, une solution doit être l’instauration d’un rapport de forces avec les industries par l’État pour négocier les prix. [2]Sur le long terme, il faut penser la structure de production des médicaments pour identifier les point-clés de l’organisation de la pénurie. Faute de transparence, difficile d’apprécier dans quelle mesure les pénuries tiennent à la concentration de la production sur un petit nombre de sites plutôt qu’à la localisation de ces sites. Une immense vague de fusions-acquisitions agite le secteur, très financiarisé, depuis plus d’une décennie : elle aboutit à une centralisation des productions qui les fragilise fortement.[3]La seule solution durable serait la création d’un pôle public du médicament avec la socialisation des centres et usines de productions qui organiserait, via une économie planifiée, la production des médicaments par des entreprises françaises. La production serait alors calculée pour coller au mieux aux besoins actuels et prévisibles et vendant à prix coûtant, évinçant du même coup les labos vautours (rappelons que le médicament fait partie des 3 secteurs les plus rentables au monde avec l’armement et le pétrole !).
A lire :
- Plan de licenciement chez SANOFI : » il faut que l’industrie pharmaceutique nous appartienne. » Entretien avec le délégué CGT SANOFI.
- Nationalisation sanction de SANOFI !
Recherche et développement du profits pour une innovation en berne, dérégulation et marchandisation au profit de la grande distribution
Le troisième point à l’ordre du jour des revendications des pharmaciens d’officine, qui doit aller au-delà de l’approvisionnement en médicaments et porter sur un secteur qui agit également en toute opacité : la recherche pharmaceutique. Depuis trente ans, les industries pharmaceutiques n’ont conçu que très peu de produits réellement novateurs pour les maladies les plus courantes, au profit de traitements qui concernent des effectifs réduits de patients. [4]Alors que la recherche publique contribue pour près de moitié à l’effort de recherche-développement pharmaceutique, les profits tirés de ces médicaments innovants, dont nous avons dénoncé le prix de vente plus haut, sont intégralement captés par les entreprises. La stratégie de recherche et développement qu’elles mènent est encore un chaînon de la maximisation du taux de profit. Tout est fait pour encaisser l’argent public des subventions recherche et développement, et limiter les dépenses engagées dans les projets de recherche et donc leur pertinence. Un rapport de l’ONG Transparency International de 2017 estimait que 170 milliards de dollars étaient gaspillés chaque année dans la recherche médicale.[5] La seule absence de publication intégrale des résultats des études menées dans le monde expliquerait la moitié de cette dilapidation. Le manque de transparence conduit à répéter des études pour des médicaments nocifs ou inefficaces et retarde la mise au point de bons traitements par défaut de coordination de l’effort de recherche. La situation de cette industrie, étroitement dépendante en France des cotisations sociales, témoigne de la captation des intérêts collectifs, orchestrée avec la complicité de l’administration d’État.
Quatrième revendication : la lutte contre la dérégulation du secteur via la vente en ligne et en grande surface des médicaments hors prescription. Un véritable danger quand on sait que ces médicaments hors prescription ont parfois plus d’effets secondaires que des médicaments soumis à prescription (Vogalib par exemple qui est inscrit sur la liste noire des médicaments à ne pas prescrire du journal médical indépendant Prescrire depuis de nombreuses années) et seront donc dispensés par un personnel non qualifié. Dans cette affaire, les investisseurs ont un allié fidèle : l’Union Européenne. En 2016, le site de revente en ligne Doctipharma, initialement du groupe Lagardère puis racheté par le grossiste pharmaceutique suisse Zur Rose et géant de la vente de médicaments en ligne, a été condamné par le tribunal du commerce de Nanterre, saisi par l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), à cesser ses activités devant le caractère illicite de cette activité en France. L’affaire s’est poursuivie en appel, où les intérêts de Zur Rose ont été restaurés, et puis cassés en cour de Cassation devant le caractère éminemment illicite de cette activité au regard de la loi française. L’affaire semblait donc résolue, mais la Cour de Justice de l’Union Européenne, a inalement décidé de s’asseoir sur le droit français et a considéré que ce n’était pas à la France de décider de ce qu’on avait le droit de faire dans son pays. Doctipharma, devenu DocMorris, a donc obtenu gain de cause malgré l’illégalité de son activité au regard du droit français, et est à ce jour toujours en ligne, pour le plaisir de ses actionnaires.
Enfin, une autre inquiétude se joint au concert : la part grandissante que prennent les fonds d’investissement dans le capital des officines. Arrivant à pas de loup en devenant actionnaires minoritaires de nos pharmacies, ils usent d’habiles montages financiers et de taux d’intérêts abusifs pour endetter et dépouiller certains pharmaciens de leur indépendance et prennent progressivement le contrôle des officines. La plus grande menace à terme : la fermeture des officines dans les secteurs les moins rentables, c’est à dire dans les milieux ruraux privés de service public, aggravant les disparités régionales. Double peine donc pour les petites officines pourtant essentielles à un service médical national efficace, mais servies en dernier en médicaments par les grossistes répartiteurs qui attribuent des quotas plus importants à leurs plus gros clients[6] Faut que ça crache ! Et les effets s’en font déjà sentir : alors que les fermetures de pharmacies se multiplient, le chiffre d’affaires global du secteur ne cesse de grimper, révélant la concentration en cours du secteur vers les mêmes mains : 210 fermetures chaque année, pour une augmentation de 23% du chiffre d’affaires total ! Non seulement il n’émet aucune législation contre ce processus, mais en plus le gouvernement entretient la fermeture des pharmacies ; 10 000 postes de pharmaciens seraient vacants, selon la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Un manque qui s’explique en partie par la volonté de limiter le nombre d’étudiants en pharmacie. Prétextant une limite de places dans les universités, l’État refuse en réalité d’élargir les capacités d’accueil et de formation, qui supposerait des dépenses publiques, ce qu’une politique austéritaire ne permet pas. Face à la financiarisation du mode économique officinal et la désertification pharmaceutique en cours, notre revendication doit être celle de la sortie de la propriété privée des officines. Le pharmacien titulaire de l’officine a certes plus de morale et de conscience professionnelle que les fonds d’investissement, mais rappelons qu’il s’enrichit sur l’extorsion de la plus-value générée par le travail de ses salariés. Dans le mode de production communiste que nous revendiquons, nous devons réclamer une propriété socialisée revenant aux travailleurs ; chaque salarié devrait avoir la main sur son outil de production donc être co-propriétaire de l’officine. Une simple nationalisation des officines ne suffirait pas à empêcher une recherche de maximisation de la rentabilité de la vente de médicaments. Le gouvernement l’illustre lui-même au sujet des franchises médicales. Aujourd’hui, les Français paient de leur poche 50 centimes par boîte de médicament et 1 euro par consultation chez le médecin, mais le gouvernement envisage de doubler ces franchises. [7] Son objectif est clair : diminuer les montants pris en charge par la sécurité sociale pour continuer son démantèlement. Dans la même dynamique, les dernières contre-réformes de la macronie visent à diminuer le nombre de médicaments remboursés à 100%, augmentant donc la part revenant aux mutuelles. Ainsi, depuis 2024 la sécurité sociale ne prendra plus en charge que 60 % des soins dentaires, au lieu de 70 %, ce qui représente 500 millions d’euros d’économies, à la charge des complémentaires santé. Et celles-ci sont bien moins redistributives que l’assurance-maladie. Si les personnes les plus modestes bénéficient d’aides de l’État à travers la complémentaire santé solidaire (CSS), la facture est très lourde pour les classes moyennes, bien moins aidées par les contrats d’entreprise que les salariés les plus riches, et surtout pour les retraités. Pour faire face à cette hausse des dépenses, les complémentaires santé vont encore augmenter leurs cotisations. Or, elles se sont déjà envolées en 2023, selon une étude du courtier Meilleurtaux : un couple de retraités de 70 ans paierait, en moyenne, 300 euros par mois, ce qui est une hausse de 5 %. Et les prix flambent encore plus dans les zones urbaines, où les professionnels de santé pratiquent le plus de dépassements d’honoraires.[8] L’État français, au service du grand capital, n’a qu’un seul objectif : accroître l’accumulation de capital aux dépends des travailleurs.
Les médicaments les soins pour les malades ne sont pas la cause du déficit de la Sécu. La baisse des salaires oui !
À nos camarades, collègues ou amis qui craindraient le déficit de la sécurité sociale. Certes, les cinq branches de la sécu (maladie, accident du travail, vieillesse, famille, autonomie) devraient accuser un déficit accru de 11,9 milliards d’euros. Mais d’où vient ce déficit ? Prenons le cas de la crise des subprimes de 2008-2009, intervalle durant lequel le déficit du régime général de la sécurité sociale passe d’un peu moins de 10 milliards à un peu plus de 20 milliards à cause d’un ralentissement de l’économie et donc d’une diminution du montant total des cotisations sociales. Les causes du déficit ne sont jamais abordées sur les médias dominants mais pourtant cruciales pour comprendre la stratégie néolibérale. Les voici : les crises du capitalisme, la façon dont les gouvernements successifs gèrent ces crises et la diminution progressive des cotisations. Quand on regarde l’ensemble des comptes des différentes administrations de la Sécurité sociale, celle-ci est bien bénéficiaire, grâce à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). Cette caisse, chargée de rembourser une très grande partie de la dette sociale qui lui est transférée, bénéficie actuellement de ressources en empruntant sur les marchés financiers.[9]
A lire : Euro-austérité : baisse du taux de remboursement des médicaments, le pire est à venir ! #UE
Il est plus que temps de dénoncer la cause commune de toutes nos luttes sectorielles : le capitalisme, et à travers lui, l’Etat de Macron-Le Pen qui est entièrement dévoué aux investisseurs et aux actionnaires, et l’Union Européenne qui est carrément son produit institutionnel pur, chargé de défendre la néolibéralisation totalitaire contre la moindre résistance populaire quelle qu’elle soit. C’est cette même logique de sécurisation des investissements qui a causé la réforme des retraites, la casse des hôpitaux, l’escalade des tensions en Ukraine, au Moyen-Orient, en Asie, la croissance de la répression contre la population et la montée du fascisme partout où cela est possible.
Pour sauver nos salaires, sauver notre planète, sauver la paix, il n’y a pas quatre chemins, mais un seul, celui des quatre sorties : sortie de l’UE, sortie de l’OTAN, sortie de l’euro austéritaire, sortie du capitalisme !
Joanna et Silco pour www.initiative-communiste.fr
Pour en savoir plus :
- Revendications, fermetures des pharmacies : https://www.mobilisationpharmaciens.fr/
- Dossier concernant la casse d’EDF : https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/a-nouveau-bruxelles-torpille-edf/
- Les pénuries de médicaments : https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-828-1-notice.html
- Affaire DoctiPharma : https://www.editions-legislatives.fr/actualite/uberisation%C2%A0de-la-pharmacie%C2%A0-la-cour-de-justice-precise-les-conditions-de-liceite-des-plateformes-de/
- Les fonds d’investissement dans les capitaux des officines : https://www.interfimo.fr/files/press-material/e4/531-a-la-revue-pharma-avril-2021.pdf
[1] Sur le sujet de l’inflation de la facture énergétique, la guerre en Ukraine a bon dos, mais l’inflation est d’abord le fait, en plus de la spéculation à la hausse, de la privatisation et du morcellement progressif, sur ordre de l’Union Européenne, d’EDF, anciennement nationalisée par le CNR piloté par les communistes en 1946 et qui était un fleuron de l’énergie nucléaire mondiale, qui produisait une des énergies les plus sûres, les moins chères et les moins polluantes au monde. Désormais, l’électricité française est soumise aux fluctuations du marché, c’est à dire à la spéculation et à l’enrichissement sur les factures des pauvres gens.
[2] https://www.monde-diplomatique.fr/2024/02/DENOYEL/66564
[3] idem
[4] https://www.monde-diplomatique.fr/2024/02/DENOYEL/66564
[5] « Clinical trial transparency : A guide for policymakers”, Transparency International, 2017
[6] https://www-mediapart-fr.ressources-electroniques.univ-lille.fr/journal/france/160324/face-la-penurie-de-medicaments-des-pharmaciens-entrent-en-resistance-sur-le-plateau-de-millevaches
[7] https://www-mediapart-fr.ressources-electroniques.univ-lille.fr/journal/france/280923/le-gouvernement-lorgne-l-assurance-maladie-et-les-poches-des-assures
[8] https://www-mediapart-fr.ressources-electroniques.univ-lille.fr/journal/france/280923/le-gouvernement-lorgne-l-assurance-maladie-et-les-poches-des-assures
[9] Nicolas Da Silva, la bataille de la Sécu.