La semaine dernière, l’entreprise Sanofi, spécialisée dans les médicaments, a brutalement annoncé la suppression de 1700 postes et cela en pleine crise sanitaire et sociale de notre pays. Pour expliquer la situation, l’expliquer et avancer des pistes de solution sur cette question d’importance vitale qu’est la santé et la recherche et production de médicaments, des camarades des ARC 69 et 84 et de la rédaction d’IC se sont entretenus avec le délégué CGT SANOFI Jean-Louis Peyren. Il nous a éclairés sur la situation sociale dramatique que les salariés vivent actuellement au sein de l’entreprise pharmaceutique et les enjeux pour le pays, notre santé et souveraineté.
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Initiative Communiste : La crise du Covid a fortement mobilisé l’appareil de production pharmaceutique et la recherche : les salariés de SANOFI ont-ils été remerciés de leur investissement avant et pendant la crise ?
JL Peyren : Cela dépend de ce que l’on veut dire par remercier. D’une certaine manière, ils ont été remerciés car on leur a dit qu’ils faisaient partie de la seconde ligne, en considérant que la première ligne de défense c’étaient les soignants, les hospitaliers, cette seconde ligne ce sont ceux qui à SANOFI fabriquaient les médicaments. Donc les salariés de SANOFI qui sont venus travailler on leur a dit que c’était la seconde ligne. Voilà, comme si être la 1er ou la 2nd ligne ça pouvait être quelque chose de valorisant et qui pouvait être pris comme un remerciement et une considération. Pécuniairement, il y a quelques primes pour quelques salariés, une prime qui pouvait aller jusqu’à 1500€ pour quelques un, sans rentrer dans le détail cela dépendait du nombre de jours travaillés sur site ; pour ceux en télétravail, il y a eu une prime de 100€, donc oui il y a eu des choses qui ont été faites. Mais quoiqu’il en soit, vous pouvez avoir tous les remerciements du monde, si derrière, après vous avoir remercié, on vous « remercie » au second sens du terme en vous disant qu’il y a des postes qui vont disparaître, cela efface tous les remerciements. En réalité cela illustre et cela prouve la considération que SANOFI peut avoir pour ses salariés.
On a beaucoup entendu parler de la situation sociale de Sanofi ces dernières années avec notamment des suppressions de postes, des pressions sur les salariés : vous pouvez nous en parler ? Ces derniers jours, SANOFI annonce des suppressions d’emplois massives. Ils ont juste attendu le début du déconfinement général, pour le faire, pouvez-vous nous en dire plus sur ce plan de licenciements, sur la situation financière de la multinationale – d’après nos informations elle est très bonne – et si SANOFI bénéficie d’aides publiques, dans le cadre de la crise ou de manière plus générale ? on est nombreux à se poser des questions sur le Crédit d’Impôts Recherche (CIR), le CICE, ou encore les prêts garantis. Cela intéresse les travailleurs de savoir si cette entreprise licencie alors qu’elle bénéficie des aides publiques ?
JL Peyren : Déjà pour résumer la situation économique, on peut souligner trois chiffres :
D’abord, le chiffre d’affaires c’est grosso modo 35 milliards d’euros, le résultat net tourne autour de 6 milliards d’euros en faisant la moyenne des mauvaises et des bonnes années – en clair toutes les années sont plutôt bonnes !- et pour terminer SANOFI c’est 4 milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires. Ça montre la bonne santé économique de SANOFI. On ne peut pas dire autre chose que les voyants sont tous au vert du point de vu financier. C’est une entreprise très, très rentable, qui rapporte et qui rapporte même beaucoup aux actionnaires. Et il me faut insister en disant cela, car ces chiffres visent à le faire oublier, à SANOFI, les salariés travaillent pour un secteur particulier qui n’est pas une marchandise, notre santé. C’est important, et comme on peut le constater avec ces chiffres, avant la santé, pour SANOFI c’est d’abord le business
Sanofi fait énormément d’argent sur la santé des gens, plus qu’avec l’aéronautique ou le tourisme. C’est inadmissible, car ces profits ne sont pas réinvestis dans la santé mais vont juste dans la poche des actionnaires.
S’agissant des aides, on pourrait se dire que vu les chiffres annoncés, ce n’est pas forcément une entreprise qui a besoin d’aides. S’il doit y avoir des aides à donner, il y a sans doute des petites PME et TPE qui ont du mal à se verser des salaires et à trouver du boulot, mais SANOFI prend sa part et même une grosse part : en dix ans en termes de Crédit d’Impôts Recherche, SANOFI c’est 1.5 milliard d’euros qui ont été donnés à SANOFI, 150 millions d’euros de CIR par an. Cela donne une idée de l’ampleur de la catastrophe et du scandale de ces nouvelles suppressions d’emplois. Ce n’est vraiment pas normal que SANOFI puisse prendre dans la poche des contribuables 1,5 milliard d’euros comme ils ont pu le faire. C’est d’autant plus inadmissible quand on voit que par ailleurs on est toujours sollicité pour donner au téléthon et d’autres œuvres de charité pour la recherche médicale (pasteurdon, sidaction…). Et les Français sont charitables et généreux et font des sacrifices pour encore donner de l’argent, mais on se dit qu’avec 1,5 milliard donné à SANOFI, si cela avait été donné à certaines associations et centres de recherche publics, cela serait peut être plus efficace.
Sur le plan social, cela fait 15 ans dans cette entreprise que chaque année on subit des restructurations, des réorganisations. Nous sommes en permanence dans l’incertitude, les salariés ont sans arrêt peur de perdre leurs emplois, car on ne sait jamais sur qui va tomber la nouvelle réorganisation. La dernière date de la semaine dernière où l’on nous a annoncé une vague énorme de suppressions de postes.
Le résultat aujourd’hui c’est l’annonce de 1700 suppressions d’emplois au niveau européen, dont la majeure partie – entre 1000 et 1100 sur le territoire français, Avec pour conséquence la fermeture déjà annoncée du centre de recherche et du site de Strasbourg. Et une vague de suppressions de postes dans ce qu’ils appellent les fonctions supports qui vont être totalement externalisées. Elles avaient au préalable déjà été centralisées et en partie externalisées, et là le groupe s’attaque à ces métiers supports de la recherche et de la production : gestion, service paie, secrétariat, comptabilité, achat. Et la conséquence c’est 1000 postes supprimés en France, avec à court terme un gros impact social direct, à moyen terme des vraies questions sur la recherche, le développement et la production. Puisque ce groupe n’est intéressé que par une chose, détenir des brevets et pouvoir vendre ces molécules qui sont sous brevets. C’est la seule chose qui l’intéresse. Après où cela est fabriqué les concerne peu. Que la force de vente soit externalisée, cela ne les concerne pas non plus, la seule priorité c’est de limiter à court terme tous les coûts. Faire en sorte que la santé soit la plus profitable possible. Ce qui les intéresse en premier lieu c’est le profit, avant la santé. S’ils pouvaient se faire autant d’argent dans d’autres marchés que la santé, c’est sans aucun doute qu’ils iraient sur ces marchés en laissant allègrement tomber la santé. Sans aucun doute , sans aucun scrupule…
La crise sanitaire du covid-19 a montré que la France a besoin de produire en France et d’investir dans sa recherche : est-ce que ce n’est pas au contraire le moment d’embaucher à SANOFI, de relocaliser ?
JL Peyren : SANOFI est un très bon communicant. Il vend très bien ses médicaments et il vend aussi très bien sa stratégie et sa politique. Donc oui le grand public a découvert pendant la crise du COVID-19 que notre santé, notre médication dépendait beaucoup de pays qui sont sur le continent asiatique comme l’Inde ou la Chine. Alors SANOFI s’est aperçu que cela pouvait poser un problème mais que cela lui offre des opportunités. Oui c’est sûr, ils devraient embaucher mais SANOFI va supprimer des postes en interne car sous prétexte de vouloir relocaliser la production en Europe, ils vont supprimer à long terme 3800 postes. Ce n’est pas compliqué à expliquer, SANOFI a déjà en Europe des sites de production de médicaments mais elle a décidé de créer une entreprise où elle n’aura que 30% de parts, mais elle va céder 6 sites à cette nouvelle entreprise dont 2 en France. Du coup SANOFI affirme relocaliser mais cède 2 sites de production en France. Ça peut paraître paradoxal, mais SANOFI se désengage de sa production et donc licencie du personnel.
Pour encore diminuer ses coûts en réalité. Donc résumons : SANOFI va créer dans les mois à venir une société et SANOFI dans cette société sera minoritaire avec seulement 30% des parts : cela va lui permettre de « céder » c’est-à-dire transmettre à cette société 6 sites de production européens de principes actifs. C’est-à-dire de la base des constituants des médicaments. SANOFI va prendre des sites qui lui appartiennent à 100% actuellement et elle va les mettre dans une société où elle ne détiendra plus que 30% du capital. Ce qui mécaniquement va lui permettre d’augmenter sa profitabilité (ndlr le rapport entre la plus-value et le capital). SANOFI va diminuer ses coûts puisque les coûts qui lui revenaient en termes de fabrication ne vont plus lui être attribués puisqu’elle les fera supporter à une entreprise tierce qu’elle aura créée. Et il faut le dire et le redire car c’est le plus important dans cette nouvelle entreprise, SANOFI n’aura que 30% des parts. Et évidemment la question posée est bien quels vont être les 70% restants ?
Pour les salariés, ce qui serait intéressant, c’est ce projet qu’on entend parmi différents partis de gauche, des communistes à la France Insoumise, ce serait de créer un pôle public des médicaments et des vaccins. Avec ce qui se passe là avec SANOFI, ça devrait être le moment pour le gouvernement d’écouter ce qui est proposé et de valider ce projet. Et donc d’être le propriétaire majoritaire de cette société que SANOFI va créer. C’est l’opportunité pour que cette société ce soit l’outil de production d’un pôle public du médicament plutôt qu’elle ne revienne à des fonds de pensions comme Blackrocks. Pour nous les salariés et leurs représentants CGT c’est l’occasion pour le président Macron de passer de la parole aux actes lorsqu’il parle de souveraineté du pays. Aujourd’hui le problème de Sanofi ce n’est évidemment pas de donner de la souveraineté à notre pays. On ne peut pas raisonnablement penser que la souveraineté d’un pays soit mise entre les mains d’entreprises privées, ce n’est pas possible.
Si on veut être souverain, si on veut avoir toute notre indépendance en termes thérapeutiques et sanitaires, il faut que ce soit un bien public. Ce n’est pas possible que ce soit un bien privé. Si l’outil de production appartient au privé alors on dépend toujours du privé. C’est du bon sens : lorsque vous dépendez de quelqu’un vous n’avez aucune souveraineté, aucune indépendance. Donc il faut que l’industrie pharmaceutique nous appartienne.
Le PRCF soutient activement votre lutte qui concerne tous les Français. Produire des médicaments est vital. C’est un enjeu majeur que vous pointez ici et qui rejoint la question plus générale des nationalisations urgentes des secteurs stratégiques de la production que proposent les communistes avec le PRCF. Et justement, compte tenu du comportement de SANOFI, et alors qu’on voit bien ici que quand la question de la vie d’une partie de la population est en jeu, les capitalistes propriétaires de SANOFI pensent non pas santé mais profits, les communistes du PRCF portent donc un mot d’ordre de nationalisation sanction de SANOFI, à l’image de ce qui avait été fait avec Renault à la Libération en raison de la collaboration : ces entreprises dont les patrons et actionnaires n’ont de considération pour rien d’autre que le profit, méprisant le pays, méprisant nos vies, doivent revenir sous le contrôle direct de la souveraineté populaire ? Face à cette crise, la nationalisation serait-elle une solution ? Une solution sociale, industrielle et sanitaire ?
JL Peyren : Je ne sais pas si le terme de nationalisation est bon, mais effectivement, il faut créer un grand pôle public du médicament et du vaccin, c’est une certitude, ça nous parait totalement évident à la CGT.
Nous sommes évidemment en phase. Effectivement, le gouvernement doit prendre ses responsabilités et mener même de façon provisoire, la réquisition de ce groupe, de cet outil – c’est-à-dire ses compétences, en termes de recherches et de production, et ses moyens de production. C’est la première initiative urgente à prendre pour arrêter la casse. Très clairement oui, il faut réquisitionner. Puis mettre sur la table comment ce groupe doit être géré, avec ses salariés, avec l’Etat, avec l’appui pourquoi pas de la Sécurité sociale, voire d’ONG et d’associations… En tout cas, il est très urgent, c’est vital, de sortir ce groupe comme l’ensemble de l’industrie pharmaceutique en général des mains du « privé ». Et quand je dis « privé » c’est de cette logique d’exploitation des travailleurs et de profitabilité exclusivement pour les actionnaires. Sortir de ce libéralisme et de ce capitalisme. Car c’est cela le problème, et pas tant le fait que ce soit une entreprise : le problème, il faut dire les choses comme elles sont, c’est le capitalisme. Non, on ne peut pas donner notre santé au capitalisme. Et malheureusement aujourd’hui c’est ce qui est fait. Ce n’est pas possible, ce n’est plus possible.
Cela nous concerne tous et il y a un nombre de plus en plus grand à partager cette compréhension de la situation et ce constat, cette volonté de réel changement qui nous concerne tous très très directement : comment chacun peut aider les travailleurs de SANOFI qui sont ici exposés en première ligne ? Évidemment il s’agit d’apporter partout le soutien aux actions locales mises en place par les salariés de SANOFI avec leur syndicat CGT. La première chose, c’est d’arriver à former un réseau, un réseau de tous ceux qui portent un intérêt à la santé. Un intérêt juste et pas une recherche d’intérêts pour se faire du profit. Un intérêt collectif pour la santé. Cela commence déjà par ce type d’entretien. Pour avancer tous ensemble en même temps. Association, organisations syndicales, partis politiques, peuvent faire fusionner leurs énergies pour faire converger un collectif, avec une intelligence collective pour partager et pour réussir ce pôle public du médicament et du vaccin.
Entretien réalisé le 30 juin 2020.
Nos impots pour financer plus de 200 millions de don de l Etat français à une des industries la plus rentable au monde,l’industrie pharmaceutique.Nos impôts pour relocaliser des productions délocalisées pour leurs profits et maintenant il faut les payer pour les faire revenir. pic.twitter.com/EUCYdbhPS5
— Cgt Sanofi (@CgtSanofi) June 22, 2020
communiqué de la FNIC CGT : SANOFI : ÉNIÈME RESTRUCTURATION ET ON LAISSE FAIRE
Après avoir supprimé près de 5 000 emplois ces cinq dernières années, le groupe Sanofi annonce une énième restructuration avec la suppression de 1 700 emplois,
1 000 pour la France mais qui feront en fait, d’ici trois ans, environ 3 000 postes de moins.
Personne ne sera dupe du discours tenu par la direction du groupe. Il ne s’agit que de stratégie financière, par l’externalisation et les cessions de productions et de sites, le groupe va se désengager de la production d’environ 200 médicaments pour ne garder que les plus lucratifs y sacrifiant au passage une partie de sa recherche.
C’est purement inacceptable, comment admettre que ce fleuron de notre industrie soit sacrifié sur l’autel du capitalisme, de la profitabilité à tous prix ? Un groupe qui s’est construit, historiquement, par la volonté de l’État Français et avec ces deniers, encore à aujourd’hui ;
Sanofi c’est :
36 milliards de chiffre d’affaires,
5 à 7 milliards de bénéfices nets par an,
4 milliards de dividendes versés aux actionnaires,
1,5 milliards de crédit impôt perçu en 10 ans.
Ils sont où les beaux discours du monarque président et de son gouvernement. « Nous devons retenir les leçons de cette pandémie », « il y aura un jour d’après », « il va falloir repenser notre industrie, la relocalisation des productions
de première nécessité », « notre indépendance en dépend ».
Dans les faits et les actes du gouvernement, il est plus à craindre que le jour d’après soit pire qu’avant puisque les choix politiques qui sont fait vont à contre sens de ce qu’il faudrait pour ne plus être asservi au capitalisme.
Cela fait longtemps que la FNIC-CGT, comme d’autres, dénonce la casse industrielle, notamment celle des industries de santé mettant en danger notre sécurité sanitaire, notre indépendance thérapeutique. La pandémie liée au Covid-19 nous a malheureusement donné raison, plus personne ne peut le nier. Et pourtant, le choix est fait de sauver la finance, le capitalisme plutôt que celui du progrès et de la protection de la nation, de ses citoyens.
La FNIC-CGT le réaffirme, les biens communs de l’humanité que sont les industries de santé, l’eau, l’énergie, le logement, l’alimentaire ne doivent être la propriété de personne.
Chaque être humain de la planète doit y avoir accès sans restriction, ces biens communs sont le fruit des travailleurs qui produisent les richesses pour le bien de tous.
Notre grand pays, 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté (pour l’instant), 7 millions inscrites à Pôle emploi, 40 % de la population qui a dû renoncer à un ou plusieurs soins
(64 % chez les plus démunis), 2 millions de mal logés… 1% de la population qui possède plus que 60 % de celle-ci.
Il ne suffit plus d’appeler à la révolution, il va falloir la faire