Entretien Guillaume Dumoulin – Délégué central CGT SAD Vénissieux et membre du SGL – réalisé le 27 novembre 2020.
Initiative Communiste : Bonjour camarade, peux-tu te présenter ?
Guillaume Dumoulin : Je m’appelle Guillaume Dumoulin, j’étais le délégué syndical central des SAD, je suis aussi membre du bureau du syndicat général du livre CGT. Je suis basé sur l’agence de Lyon et j’avais été embauché en 2007.
Initiative Communiste : Où en est la lutte des travailleurs de la SAD ?
Guillaume Dumoulin : La presse connaît une grave crise et on a connu plusieurs plans sociaux depuis une trentaine d’années chez Presstalis, anciennement NMPP. Il y a une nouvelle crise financière dans le groupe depuis 2019, les éditeurs, sous couvert de la modification de la loi Bichet, qui permet aux éditeurs de sortir de la distribution, peuvent se séparer de la messagerie historique : c’est le début de la crise. Les éditeurs veulent payer le moins cher possible sauf que la loi leur imposait de posséder leur outil de distribution. Aujourd’hui, il n’y a plus l’obligation de garder Presstalis, et la fermeture est prévue pour l’été 2020.
Au départ, des négociations étaient engagées comme d’habitude, mais très vite on s’aperçoit que la volonté du patronat c’est de se désengager du niveau 2 : c’est-à-dire des prestataires en province, la SAD filiale à 100% de Presstalis. Leur projet c’est donc de liquider ces filiales pour donner le travail à des dépositaires privés (sans statuts presse, ni syndicat). On a négocié pour éviter cela, mais le jour du déconfinement le 11 mai, on apprend que tout ça est bien dans la boîte. On nous annonce que la Coopérative des Quotidiens (CDQ), un des actionnaires de Presstalis sera la seule entreprise à faire une offre pour reprendre la messagerie. Tous les autres acteurs et notamment les éditeurs de magazines se sont désengagés. La SAD ne sera pas reprise, elle sera liquidée.
Durant tout le confinement, on a fait notre travail, pour que les citoyens aient leurs journaux et le jour du déconfinement, on nous annonce que l’on va être fermé. Du coup, la distribution ne sera plus assurée pour les semaines à venir. Suite à la demande de Cédric Dugardin, PDG de Presstalis, de mettre en liquidation les filiales, les salariés de la SAD se mettent en grève dès le 12 mai. À l’appel du Syndicat du livre, les imprimeries sont arrêtées avec une non parution le 13 mai. La liquidation de la SAD est entérinée le 15 mai par le tribunal de commerce.
La grève s’arrête puisque les salariés sont licenciés mais pas la lutte. On prend possession de nos outils, on investit l’entreprise. On n’accepte pas cette décision du tribunal. On ne veut pas que notre travail soit donné à des entreprises privées, car c’est notre travail. Dans plusieurs SAD, le conflit dure, on bloque des imprimeries, la lutte est vraiment violente. Il n’y a plus de boite pour distribuer les journaux. Les occupations durent plusieurs jours. À Lyon et Marseille, plusieurs mois.
Aujourd’hui, on essaye de trouver un support qui allie les éditeurs, les salariés et les pouvoirs publics : c’est l’idée de porter le projet de SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif). À partir de ce moment, à Lyon et Marseille, on va multiplier les mobilisations (métropoles, préfectures, Hôtels de région) pour interpeller les pouvoirs publics pour qu’ils soutiennent notre projet.
Il y a donc des discussions qui avancent sur les SCIC avec les éditeurs : on souhaite que la distribution reprenne rapidement. On arrache fin juin un accord avec les MLP et la CDQ qui confie la reprise aux salariés sous forme de régie et qui octroie l’exploitation des zones aux futures SCIC. Les régies sont donc confiées aux salariés des SAD de Lyon et Marseille. On a donc repris l’activité dans nos locaux occupés. On a donc dû négocier avec les propriétaires et on a repris le 1er juillet à Lyon et le 24 septembre à Marseille. Entre temps, on faisait des tours de garde pour ne pas perdre les locaux et notre matériel, que l’on n’aurait jamais pu se payer neuf.
Aujourd’hui, nous ne sommes donc plus en grève, mais on se bat pour garder notre activité. Il faut qu’on trouve de nouveaux locaux, notre lutte est aujourd’hui plus politique.
Initiative Communiste : Combien de salariés sont menacés chez Presstalis ?
Guillaume Dumoulin : Sur Presstalis ils étaient 400 au départ, maintenant ils ne sont plus que 240. 50 emplois sont encore menacés. Aujourd’hui Presstalis est devenu d’ailleurs France Messagerie depuis le 1er juillet.
Pour les SAD c’est autre chose, à Lyon on était 110 salariés en CDI et 10 intérimaires. Aujourd’hui la SCIC ne pourra garder qu’un peu plus de 40 personnes. À Marseille, ils étaient 134 et le projet est qu’il en reste environ 80. Même dans les avancées que l’on a arrachées aux patrons, on perd des zones où l’on distribuait (Saint-Etienne, Avignon, Fréjus…). On n’a donc pas récupéré tout notre travail. Mais il n’y a qu’à Marseille et à Lyon où l’on va garder des emplois.
Sur les autres sites, les camarades n’ont pas porté le projet de SCIC mais leur bataille à Bordeaux, au Mans, à Nantes ou à Toulouse aura permis de recaser des employés dans des nouvelles entreprises qui font le même travail mais ce n’est pas suffisant. La casse de l’emploi et des statuts est bien réelle.
On va continuer à se battre, si on veut maintenir les emplois, on doit aussi trouver des synergies avec d’autres activités. Il faut qu’on trouve encore des compléments pour garder nos emplois. On aimerait un service public de la distribution, cette revendication ne date pas d’aujourd’hui mais n’est clairement pas d’actualité pour ce gouvernement et elle s’éloigne toujours plus.
Initiative Communiste : Où en est la modernisation des outils de production ?
Guillaume Dumoulin : Il n’y en a pas. Elle a reculé même. Dans la distribution, on retraite les magazines comme à l’ancienne, en faisant des appoints en case. On a dé-mécanisé. On bosse à l’ancienne, on fait des paquets, presque à la main, on n’est pas sur de l’automatisation.
Initiative Communiste : Quelles sont les principales revendications de la CGT Filpac ?
Guillaume Dumoulin : La Fédération et notre syndicat parlent depuis des années d’un pôle public de la distribution. Aujourd’hui, pour la distribution, l’État aide Presstalis, la Poste, les éditeurs, mais pas nous, pas les ouvriers sur le terrain qui veulent continuer de travailler. On aimerait avoir un vrai pôle de la distribution, où l’argent n’est pas donné aux éditeurs mais bien à l’outil de distribution. Ils prennent les aides mais ne sauvent pas l’outil commun. C’est ce que nous voulons à la CGT, on ne veut pas une nationalisation totale non plus. On ne veut pas que l’État ait une mainmise sur la presse, quoi que ça se discute, car ce sont des milliardaires qui les ont aujourd’hui. On veut donc un pôle public où les aides sont à l’outil de travail et pas versées directement aux patrons.
Initiative Communiste : La distribution de la presse n’est-elle pas un enjeu démocratique ? N’est-ce pas dangereux qu’elle soit récupérée par la puissance du capital ?
Guillaume Dumoulin : Totalement. C’est ce qu’on a dénoncé lors de la modification de la Loi Bichet, en sortant les éditeurs de leur propre distribution via des coopératives. La réalité c’est que les éditeurs ne se distribueront plus eux-mêmes. Il y a un risque majeur que demain il n’y ait qu’un seul opérateur qui distribue les titres : un monopole privé. Avant 1947, il n’y avait qu’Hachette qui distribuait et refusait de distribuer un journal communiste comme l’Humanité. Rien n’empêche qu’un distributeur privé refasse cela, qu’il décide de la distribution selon les journaux. Le risque d’abandon des livraisons dans les zones géographiques éloignées et non rentables est aussi un risque. Aurons-nous, comme pour le portable ou l’internet, des zones blanches de quotidiens nationaux ?
Initiative Communiste : Le budget des aides à la presse c’est près d’un demi milliard d’euros. Qu’en est-il du résultat pour la diversité de la presse ?
Guillaume Dumoulin : Il y a de l’argent, mais il est capté par les éditeurs. Ils misent essentiellement sur le numérique, on voit donc que notre distribution est totalement mise de coté. Avant le réseau de distribution était financé, car Presstalis était financé. Les éditeurs ne passent donc plus par nous mais par des sous-traitants alors qu’ils continuent à toucher des aides, c’est ça qui nous touche. Les aides ne vont pas du tout à l’outil. Et on ne prend même pas en compte les remises de TVA dans ces aides. En tout, le secteur bénéficie de plus d’un milliard d’euros en réalité.
Initiative Communiste : Comment peut-on vous aider ? N’y a-t-il pas urgence à rassembler les luttes ?
Guillaume Dumoulin : Il y a urgence, depuis des années. On n’arrive pas à se regrouper pour le moment, il faudrait que l’on soit aidé. Même les oppositions politiques ne nous écoutent même pas, alors que l’on parle de liberté de la presse. À Marseille, pendant plusieurs mois même, la population n’a pas bougé, même si la presse se vend moins et que le numérique grimpe. Il faudrait que la solidarité renaisse, car même si on voit de nombreuses luttes en France, elles sont souvent menées seules dans leur coin. Cette stratégie est vouée à l’échec. Il va y avoir aussi les conséquences du Coronavirus, qui vont être très dures. Les patrons vont faire payer la crise aux salariés. Il faut à tout prix qu’une conscience de lutte et de classe renaisse, de partout. On ne gagnera pas tout seul, il faut sortir de ce corporatisme, il n’y a qu’ensemble qu’on y arrivera.
entretien réalisé par BC pour www.initiative-communiste.fr