Face à la situation dramatique et dangereuse de la pédopsychiatrie en France, un jeune psychologue membre du PRCF propose cette tribune de réflexion et d’alerte.
Pédopsychiatrie sans psychiatres : combien de temps encore ? l’ « exemple » des Alpes de Haute-Provence.
L’état de l’hôpital public se dégrade sans cesse depuis des années. On peut l’observer chez nous, dans le département des Alpes-de-Haute-Provence. C’est ainsi que l’évolution de la psychiatrie dans le 04 continue d’être alarmante : un projet de réorganisation du pôle de pédopsychiatrie prévoit la fermeture de deux structures ambulatoires rattachée au centre hospitalier de Digne-les-Bains d’ici septembre 2024. Les raisons annoncées ne sont pas économiques, dit-on, mais concernent le manque de temps médical associé à l’incapacité de recruter de nouveaux médecins sur le centre hospitalier.
L’équipe médicale du pôle de psychiatrie infanto-juvénile ne compte plus que trois médecins, depuis le départ à la retraite de deux pédopsychiatres. Trois médecins pour tout le secteur de pédopsychiatrie, censé couvrir tout le département. À eux trois, ils se partagent une dizaine de structures de soins. Dire que les conditions de travail sont rudes, c’est un euphémisme. Elles sont folles. Comment assurer le suivi de patients que l’on n’a même plus le temps de rencontrer, étant trop occupé à sillonner le département pour passer, en coup de vent, d’un lieu à un autre ? Et il faut répondre aux urgences psychiatriques qui se multiplient avec le temps. Le manque de médecins, et, d’une manière plus générale, le manque de professionnels dans les structures de soins, ne permettent plus de proposer à la population des actions préventives et prophylactiques. Certains troubles psychiatriques montrent pourtant leurs premiers signes à un âge relativement précoce. Combien de situations gravissimes chez les adolescents hospitalisés auraient pu être évitées, du moins correctement accompagnées, par une prise en charge plus précoce ?! Mais cela est rendu très difficile en raison des nombreux mois (voire des années !) en liste d’attente dans les centres médico-psychologiques. Ces scandaleux délais de prise en charge conjugués avec la pénurie de lits d’hospitalisation dans les services de psychiatrie infanto-juvénile et avec les conditions de travail très dégradées des médecins et des équipes médicales rendent inévitables ces situations d’urgences qui menacent la vie même des patients.
Deux structures de pédopsychiatrie vont donc fermer : le Centre de Jour Enfants et le Centre Médico-Psychologie Enfants et Adolescents, toutes deux situées à Château-Arnoux-Saint-Auban, en plein milieu du département. Il s’agit d’une réorganisation du pôle de pédopsychiatrie : aucun poste n’est supprimé et la file active des patients est maintenue dans son intégralité (du moins, c’est un objectif). Professionnels et patients seront réassignés sur d’autres structures du département localisées à Manosque et à Digne-les-Bains : les premiers, selon les besoins des services de pédopsychiatrie, au grand dam de leur vie privée et/ou familiale, et les seconds en fonction de leurs besoins et de leur lieu de vie. L’objectif est clair : rationner le temps médical en concentrant l’offre de soin en deux localités aux deux extrêmes du département, pour réduire les allers-retours, quitte à penser ensuite un système d’antenne dans certains villages, un système de consultation de première ligne en équipe réduite et sans médecin.
Si nous soutenons, nous, que ces structures ferment et pas seulement qu’elles se « réorganisent », c’est parce qu’une institution n’existe jamais comme une pure abstraction administrative ou comptable ; la réorganisation du pôle de pédopsychiatrie implique l’arrêt des soins sur ces deux localités, dans ces structures investies tant par les professionnels que par les patients qui les ont régulièrement fréquentées. Les familles des patients ne s’y trompent pas : elles comprennent bien que leurs enfants vont se retrouver à terme devant une porte fermée, la même qu’ils ont ouvert des années durant. Aussi parlent-elles tout naturellement de fermeture. Il faut accepter ces changements. Pour continuer le soin, ailleurs.
Mais faire avec ces changements, tous les jeunes patients et leurs familles ne le pourront certainement pas. C’est ce qui jette le doute sur la possibilité de maintenir la file active en l’état, sans perte. Parce que l’augmentation de la durée des trajets jusqu’au lieu de soin a un impact sur la vie de l’enfant. Les familles le savent. En pédopsychiatrie, il est crucial pour le bon développement de l’enfant de maintenir la balance entre soin, école, vie familiale et sociale ; or, une heure passée dans les transports est une heure de scolarisation perdue. Et la fatigabilité ? Les petits patients seront-ils capables de s’investir durablement dans leur prise en charge, malgré la fatigue ? Et qu’en sera-t-il des parents qui travaillent loin du nouveau lieu de soin de leurs enfants, pourront-ils faire la route pour aller les récupérer en cas d’urgence ? Avec toutes ces contraintes, un certain nombre de famille hésitent et tendent à envisager le soin selon une logique du coût-bénéfice. Car la psychiatrie devient de plus en plus coûteuse.
La réorganisation du pôle de pédopsychiatrie s’inscrit en définitive contre le principe de proximité des soins, tant mis en avant lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie des Alpes-de-Haute-Provence qui s’est tenu en mars 2023 à Digne. Pour l’enfant, la proximité des centres médicaux réduit considérablement l’impact du temps de trajet sur sa scolarité, ses prises en charge extérieures, sur le temps passé en famille et ses activités extrascolaires, éléments cruciaux pour favoriser son intégration et son bon développement social. Cette proximité permet aussi aux professionnels de travailler en partenariat avec l’environnement social qui constitue son quotidien : sa famille, les intervenants de son école ou les partenaires sociaux impliqués dans sa situation, par exemple.
Cette réorganisation du pôle de pédopsychiatrie n’est qu’un palliatif. Après réorganisation, les conditions de travail pour les professionnels et la qualité du soin pour les patients ne seront pas davantage protégées. Le nombre de médecins est toujours largement insuffisant. Sans perspective d’embauche, c’est toute l’organisation de la pédopsychiatrie qui peut être mise en péril à la moindre contingence.
K pour www.initaitive-communiste.fr