Remontons à la Libération :
1944, Renault vient d’être nationalisé par l’Assemblée constituante présidée par le général de Gaulle. Dès lors, la question de la nomination d’une personnalité à la tête de la jeune entreprise nationale est posée. La grande bourgeoisie, compromise par son attitude durant l’occupation, est hors jeu.
Pour les forces conservatrices le danger, dans le rapport de forces de l’époque, est de voir désigné un métallo communiste, ancien de Renault, Alfred Costes.
L’alliance des socialistes et des gaullistes conduit à la nomination de Pierre Lefaucheux. Suite à la mort accidentelle de Lefaucheux en 1955, la présidence revient à Pierre Dreyfus ex-responsable des jeunes socialistes en 1936. C’est ainsi que cette entreprise nationale fut dirigée à partir d’un compromis entre la droite et le parti socialiste jusqu’en 1990.
La privatisation
C’est dès 1986 (première cohabitation entre le PS et la droite, avec F. Mitterrand à la présidence, et Jacques Chirac comme premier ministre), qu’Alain Madelin, alors ministre de l’Industrie, parle ouvertement de la privatisation de Renault.
Mais c’est sous le second septennat de François Mitterrand (mai 1988/mai 1995), avec comme premier ministre Michel Rocard, que s’ouvre le processus de privatisation effective de Renault : après avoir modifié le statut de la Régie qui devient une société anonyme, il ouvre le capital de l’entreprise pour les véhicules légers et les poids lourds.
Et face à l’opposition des députés communistes, Rocard passe en force en recourant à l’article 49.3, le 28 avril 1990, avec le soutien massif de l’UDF de Giscard et de l’ancien ministre de l’industrie de droite Alain Madelin ! En quelque sorte la collaboration PS / droite se poursuit dans les nouvelles conditions politiques des années 80.
Les trahisons du PS se prolongent et se confirment
En 1997, après la défaite de la droite aux élections législatives anticipées, Lionel Jospin candidat au poste de premier ministre, face à la fermeture de Renault Vilvoorde, se porte garant du maintien de l’entreprise ! Trois semaines plus tard, en février 1997 son PDG Louis Schweitzer, ex-directeur de cabinet de Laurent Fabius, annonce sa décision de fermer l’entreprise située en Belgique et Lionel Jospin, dès lors premier ministre de J. Chirac, prononce la fameuse phrase de renoncement selon laquelle « l’état ne peut pas tout ! »
Aujourd’hui Arnaud Montebourg, en dépit de ses gesticulations, s’inscrit totalement dans cette tradition de renoncement et de trahison : alors que le pire PDG à la tête de l’entreprise, Carlos Ghosn, en anticipation de l’accord scélérat du 11 janvier signé par la CFDT, se livre à un véritable chantage contre les travailleurs, « vous acceptez les reculs ou je ferme ! » le ministre socialiste du « redressement productif » considère que ce qui est demandé aux salariés de Renault est raisonnable, fait appel somme toute à des « efforts modérés » et encourage les syndicats à la signature de l’accord draconien de la direction !
Autre retour sur le passé : Renault Billancourt dans le viseur : En 1986, 10 militants* et dirigeants de la CGT de l’entreprise sont licenciés.
Au passage, le même motif est évoqué aujourd’hui contre les travailleurs en lutte de PSA Aulnay : »casse de l’outil de travail « , violences …alors qu’il s’agissait déjà d’une lutte contre les licenciements !
Après une longue et immense bataille de 3 années, la justice se prononce en leur faveur et exige leur réintégration qui sera effective durant 8 mois.
En 1989 en novembre et décembre une double décision concomitante vient boucler le cycle des agressions contre l’entreprise : d’une part sous l’impulsion politique de F. Mitterrand, la chambre sociale de la Cour de cassation rejette définitivement les demandes de réintégration des dix camarades et d’autre part, le 21 novembre, la fermeture définitive de l’établissement lui-même est annoncée.
Quant au fond, au-delà des arguments économiques mis sur le devant de la scène il s’agissait d’une décision politique !
Contre les travailleurs de Renault et contre la classe ouvrière dans son ensemble :
Il s’agissait de faire la démonstration que Renault Billancourt, la « Forteresse ouvrière » c’était fragile, c’était vulnérable !
Et, par conséquent, que les conquêtes sociales phares dont elle était le symbole pour tous les travailleurs : la troisième et la 4e semaine de congés payés, les retraites complémentaires en 1956 et les acquits de 68 …, tout cela c’était dépassé, fini.
Contre-révolution reaganienne capitaliste : le temps était venu des sacrifices !
Et maintenant ?
L’agression contre le monde du travail, contre l’industrie automobile, se poursuit et s’aggrave considérablement.
Les conquêtes d’hier n’ont jamais été octroyées par le patronat et les classes dominantes et ils ne les ont jamais admises !
Elles ont résulté du rapport des forces établi par le mouvement populaire, par la classe ouvrière.
A présent, contre cette agression se dessine une alliance entre les travailleurs des entreprises menacées et les plus combatives, entre le secteur public et le secteur privé, entre la classe ouvrière et une partie des couches intellectuelles, avocats, magistrats, les anciens et la jeunesse.
Et le développement possible de ce rassemblement effraye la classe dirigeante.
C’est pourtant, à mes yeux, la seule issue d’espoir à la crise qui nous frappe et dont nous ne sommes pas responsables !
Blum en 1936 et Jules Moch en 1945 n’ont finalement pas pu s’opposer aux conquêtes sociales qui ont marqué notre histoire.
L’heure est venue pour le monde du travail, en lucidité des enseignements de l’histoire, non seulement de résister mais aussi de passer à une véritable contre-offensive !
Roger Silvain
- ouvrier Renault Billancourt de 1946 à 1988
- Secrétaire général CGT Billancourt de 1971 à 1976
- Secrétaire du comité central d’entreprise de 1977 à 1983
- Administrateur de l’entreprise de 1981 à 1988
* Pour mémoire, les 10 de Renault :
F. Battu, J.-P. Quilgars, I. Hamzaoui, J. Jagorel, M. Bouin, J.-P. Lamisse, J. Jegouzo, Y. Perrin, Pierre Leri et I. Dialo.